Dans une organisation ouvrière saine, un congrès est l’occasion d’un bilan de l’activité et le lieu d’une discussion démocratique sur l’orientation à suivre. Mais c’est impossible dans le cas des syndicats français contemporains, tout congrès confédéral étant orchestré par la bureaucratie qui le contrôle.
La mainmise de la bureaucratie sur la CGT
La CGT est née en 1895 comme une organisation ouvertement révolutionnaire.
La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. (Charte d’Amiens, art. 2)
L’État bourgeois et les patrons réprimaient ses militants. L’Église catholique fomenta un syndicalisme clérical de 1855 à 1919 pour la contrer (la CFTC et la CFDT se revendiquent toujours de cette tradition ; bien qu’issue de la CFDT, la confédération Solidaires la rejette). La transformation de l’appareil syndical d’origine anarchiste en une bureaucratie corrompue par la bourgeoisie s’est manifestée en 1914 quand la direction Jouhaux, sans grande opposition, s’est ralliée comme le PS-SFIO à « l’union sacrée », c’est-à-dire a soutenu la guerre de sa bourgeoisie contre l’intérêt du prolétariat international.
Le chauvinisme et l’opportunisme ont la même base économique dans le mouvement ouvrier : l’alliance de couches supérieures, peu nombreuses, du prolétariat et de la petite bourgeoisie, qui bénéficient des miettes que leur laissent les privilèges de leur capital national, contre la masse des prolétaires, la masse des travailleurs et des opprimés en général. (Lénine, La Faillite de la 2e Internationale, 1915)
Sous l’impact de la révolution russe, une partie de la CGT a contesté la bureaucratie social-patriote et a été exclue par Jouhaux (CGTU). Mais la stalinisation du Parti communiste, commencée dans les années 1920, a abouti, au milieu des années 1930, à la faire régresser dans le social-impérialisme. Au fil du temps, il en a résulté un émiettement du syndicalisme issu de la CGT historique (CGT, FO, FSU, UNSA…).
La bourgeoisie française achète littéralement tous les appareils syndicaux (ceux issus de la CGT comme ceux provenant de la CFTC), ce que camouflent les directions des partis plus ou moins réformistes qui les épaulent et qui en font partie (PS, PCF, LFI, LO, NPA, POID…).
Les cotisations syndicales ne rapportent que 2 millions à la CFTC alors que 17 millions de subventions de l’État tombent chaque année dans son escarcelle. À comparer avec FO (8 millions de cotises, 20,1 d’aides publiques) ou la CGT (13,6 millions de la base, pour 27,5 millions de l’État). (Le Canard enchaîné, 8 mai 2019)
Les bureaucrates syndicaux contemporains échappent à l’exploitation du travail salarié car ils sont membres des conseils d’administration ou des conseils de surveillance des grandes entreprises, du Conseil d’orientation des retraites, du Conseil économique et social, etc., permanents syndicaux ou, plus modestement, cumulent les heures de délégation (DS, CSE…) de manière à ne plus travailler.
Cette couche petite bourgeoise (intermédiaire entre le capital et le travail) jouit de privilèges dérisoires par rapport au luxe de la grande bourgeoisie, mais qui sont significatifs au regard du sort de la masse des salariés, des retraités et des chômeurs.
Ainsi, treize membres du bureau confédéral FO ont dépensé 388 000 euros en notes de frais en 2017. Comme secrétaire général, Mailly percevait une rémunération de 8 361,21 euros bruts par mois. Il a touché pour partir à la retraite une prime de départ de 22 792,37 euros.
À la CGT, le train de vie du prédécesseur de Martinez l’a illustré : le secrétaire général Lepaon avait fait rénover son appartement de fonction pour 100 000 euros, refaire son bureau au siège de Montreuil pour 62 000 euros et obtenu 100 000 euros d’indemnités pour son départ du comité régional CGT de Basse-Normandie… [voir Révolution communiste n° 10]. Aujourd’hui, Lepaon n’est pas réduit au chômage : le 11 mars 2019, Macron l’a nommé par décret inspecteur général de la jeunesse et des sports de première classe (entre 4 000 et 6 000 euros par mois sans les primes).
Les statuts et le déroulement du congrès
Pour préparer un congrès, la bureaucratie de la CGT sélectionne soigneusement les délégués dont une majorité est renouvelée à chaque congrès (80 % cette fois-ci), ce qui la rend plus malléable. Elle esquive tout bilan réel, avance son orientation masquée sous une logorrhée qui rend illisibles les rapports publiés dans Le Peuple. De plus, cette année, il n’y a pas eu de tribune de discussion ouverte dans la presse syndicale.
La commission du congrès accepte ou non les amendements qui lui parviennent de la part des structures. Cette fois-ci, un vote sur le maintien des amendements non retenus a eu lieu, à main levée pour certains, tous ont été rejetés. Ceux qui avaient été retenus au débat furent également rejetés.
L’annexe statutaire sur les comités régionaux était censée répondre « à la nécessité de coordonner l’activité syndicale entre champs professionnels et territoires ». Elle a donné lieu à une autre foire d’empoigne au sein de l’appareil, certains craignant la disparition de postes de permanents dans les UD et les UL. La direction a reporté le vote.
Les mêmes ont fait adopter un amendement qui permet à la CGT de renouer des liens avec la Fédération syndicale mondiale (FSM) qui s’appuie sur l’appendices syndical de la bureaucratie de Cuba et de celle de la Corée du Nord, sur le COSATU qui fait partie du gouvernement bourgeois d’Afrique du Sud depuis 1994, etc.
Trois ans de reculs de la classe ouvrière
Depuis le précédent congrès d’avril 2016 [voir Révolution communiste n° 17], la situation de la classe ouvrière s’est détériorée, sous le feu de la bourgeoisie française et de son État : augmentation de la flexibilité de l’emploi, des horaires et des salaires (loi travail de Hollande en 2016, ordonnances travail de Macron en 2017), affaiblissement d’un bastion de la lutte de classe (loi ferroviaire de Macron en 2018)…
L’offensive permanente du patronat et des gouvernements à son service a été facilitée par la connivence des directions syndicales. À chaque étape, la bureaucratie de la CGT a trahi :
Acceptation de négocier chacune des attaques du capital sur le terrain de « l’intérêt général » ou de « l’intérêt commun », de la défense de « la France » ;
Refus d’appeler à la grève générale, en sabotant la résistance aux attaques par des « journées d’action » ou des grèves intermittentes, qui découle de la volonté de ne pas nuire à « l’industrie française », à « l’économie nationale » ;
Incapacité d’organiser la défense des grèves et des manifestations, couplée au soutien aux mouvements de policiers pour plus de répression, puisque l’État défendrait l’intérêt collectif et les policiers seraient des salariés comme les autres (d’ailleurs syndiqués par la CGT).
Depuis le congrès, la police est allée jusqu’à agresser les cortèges de la CGT et de Solidaires le 1er mai.
La bilan aurait dû porter avant tout sur la défaite à la SNCF. De mars à avril 2018, toutes les directions syndicales de la SNCF ont accepté de discuter durant deux mois du projet de loi du gouvernement LREM-MoDem et lui ont fait « des propositions ».
D’autres solutions existent, la Fédération CGT des cheminots a transmis son rapport « Ensemble pour le fer » à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Malgré des propositions argumentées, gouvernement et direction restent campés sur leur position dogmatique… Les cheminots, avec la CGT, attendent des engagements forts de la part du gouvernement. (CGT-Cheminots, 23 mars 2018)
Les chefs syndicaux ont décrété en avril des grèves intermittentes pour trois mois. La grève générale et les grèves perlées ne sont pas deux tactiques pour atteindre le même but. Elles correspondent à deux buts différents. La grève générale est le rassemblement de toutes les forces des travailleurs pour se défendre contre leur ennemi de classe, pour le vaincre. Par contre, les « grèves perlées », les « journées d’action », les « grèves reconductibles » site par site ou les actions symboliques (blocages de péage, pique-nique, « marée populaire », etc.) découlent du soutien de leurs promoteurs au capitalisme français contre les autres, de leur reconnaissance de la légitimité du gouvernement Macron, du consensus pour la nécessité d’une « réforme », de leur acceptation de discuter le rapport officiel puis le projet de loi. La négociation des attaques et les tactiques de diversion aboutissent, sauf débordement, à ce pour quoi elles sont faites : la défaite des prolétaires.
Malgré l’avis d’une poignée d’organisations de la CGT (syndicat Goodyear, UD des Bouches-du-Rhône, fédération info-com…), la direction confédérale s’est associée à la CFDT pour réclamer de « négocier » les prochaines attaques.
Nos organisations syndicales sont très attachées au dialogue social et à la négociation collective interprofessionnelle entre les interlocuteurs sociaux, facteurs de progrès social au bénéfice tant des salariés que des entreprises… (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC, Lettre au Medef, à la CPME et à l’U2P, 25 septembre 2018)
Contre la lutte de classe, Martinez prétend comme Berger qu’il y a un « progrès social au bénéfice tant des salariés que des entreprises », un intérêt commun des exploités et des exploiteurs.
Aucun euphémisme ne peut cacher le fait désagréable que la société actuelle est, pour l’essentiel, divisée en deux grandes classes antagonistes : en capitalistes qui possèdent tous les moyens pour l’emploi du travail, d’un côté ; et en ouvriers qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail, de l’autre. Le produit du travail de ces derniers doit être divisé entre les deux classes, et c’est autour de cette ligne de fracture que tourne une lutte incessante, chaque classe essayant d’obtenir une part aussi grande que possible. (Engels, Les Syndicats, 4 juin 1881)
L’aide à Macron lors de la crise des Gilets jaunes
La bureaucratie de la CGT a affiché la défense de « notre modèle social » pour récuser le mouvement confus des Gilets jaunes apparu en octobre 2018. Mais ce « modèle social » comporte 2,4 millions de chômeurs (selon la définition la plus restrictive), 1 million de travailleurs qui ont un emploi mais vivent avec moins de 855 euros par mois, 4 millions de mal-logés, etc.
Au cours des vingt dernières années, le niveau de vie annuel moyen des 10 % les plus riches a progressé de 11 300 euros pour dépasser les 56 000 euros nets après impôts et prestations sociales en 2016. Pendant ce temps, le revenu des 10 % les moins favorisés a augmenté de 1 400 euros (il atteint 8 400 euros nets annuels en 2016). Et même stagné sur les quatorze dernières années. (Observatoire des inégalités, 11 février 2019)
Les travailleurs des pays impérialistes ont obtenu des conquêtes sociales importantes après la 2e Guerre mondiale (comme la gratuité de la santé en Grande-Bretagne, l’échelle mobile des salaires en Italie, l’emploi à vie au Japon…) parce que les bourgeoisies avaient peur de la révolution et de tout perdre. En 1944-1945, les travailleurs étaient même armés en Italie, en France, en Belgique…
Ces acquis ont été maintenus tant que la croissance était forte, et non sans pression des travailleurs : 1968 en France, 1969 en Italie, 1974 au Portugal… Mais le retour de la crise capitaliste mondiale en 1973-1974 a marqué le début de la contre-offensive de la classe dominante dans tous les pays impérialistes, au sein des entreprises capitalistes et par l’État bourgeois : écrasement de grèves, privatisations, précarisation de l’emploi y compris dans la fonction publique, augmentation de l’intensité et de la durée du travail, recul de l’âge de la retraite et baisse du montant des pensions, déremboursement des soins, etc. Partout, les partis sociaux-impérialistes –comme le PS et le PCF en France– et les bureaucraties syndicales –dont la CGT en France– se sont associés à ces remises en cause.
Ainsi s’expliquent la montée des candidats et partis xénophobes, l’affaiblissement des partis « réformistes » et des syndicats, l’apparition de mouvements sociaux en dehors des partis ouvriers bourgeois et des syndicats de salariés : mouvement des Indignados en Espagne (2011), Occupy Wall Street aux États-Unis (2011), Gilets jaunes en France (2018)… Face au mouvement des Gilets jaunes qui était une réaction populaire contre la paupérisation et la montée des inégalités, la bureaucratie de la CGT ne cacha pas sa réticence.
Si la colère peut s’entendre car le prix des produits pétroliers devient exorbitant et intenable, il est nécessaire de regarder de près les contours de cette initiative…. notre modèle social et la solidarité nationale… une colère légitime mais dont les ressorts sont obscurs et les solutions préconisées pour sortir de cet engrenage sur le long terme demeurent floues, voire dangereuses pour le monde du travail. Plusieurs partis d’extrême droite semblent être à la manœuvre… notre modèle social et républicain. Nous sommes clairement dans une instrumentalisation de l’exaspération ! (CGT, Communiqué, 29 octobre 2018)
Pire, la direction de la CGT, de la CFDT et de FO volèrent au secours du gouvernement Macron-Philippe au plus fort de la crise politique, début décembre.
Le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C’est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications. La CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, la FSU appellent le gouvernement à garantir enfin de réelles négociations. Cela suppose qu’elles soient larges, ouvertes et transparentes, au niveau national comme dans les territoires. (6 décembre 2018)
Non seulement les bureaucraties syndicales furent incapables (à l’exception de Solidaires) de condamner les violences policières, les tabassages par les forces de répression, les mutilations causées par les grenades de désencerclement et autres tirs tendus, mais elles participèrent aux réunions des « partenaires sociaux » avec le gouvernement alors déstabilisé.
Le président de la République s’est réuni dans la journée, autour d’une grande table, avec 37 personnes, dont… les responsables confédéraux des syndicats représentatifs (CGT, CFDT, FO, CFE-CGE et CFTC) et les responsables des organisations patronales (Medef, CPME et U2P)… afin d’entendre leurs voix, leurs propositions et avec pour objectif de les mobiliser pour agir », avant d’annoncer des mesures « concrètes et immédiates ». (Le Monde, 10 décembre 2018)
Assuré du soutien de tous les partis présents au parlement (dont PS, PCF et LFI) et des chefs syndicaux, le président lança l’opération « Grand débat » et se remit en selle.
Le déclin de la CGT est aussi un phénomène dangereux. La centrale avait canalisé pendant un siècle le mécontentement populaire. La crise des « gilets jaunes » a montré combien ce savoir-faire était précieux. (Le Figaro, 12 décembre 2018)
Aucun bilan du « syndicalisme de proposition »
La CGT est affaiblie par sa propre direction, malgré le dévouement et le courage de dizaines de milliers de militants, souvent victimes, comme ceux des SUD, de la CNT et de FO, de la répression patronale. Son appareil cogère les entreprises, négocie toutes les attaques, dissipe la combativité dans des « journées d’action » (et des « grèves perlées » à la SNCF). Tout cela, elle le décrète sans débat démocratique et sans le soumettre aux vote des syndiqués.
Le rapport ne dénonce jamais les rapports d’exploitation : « l’humanité n’en peut plus de la concurrence effrénée, des dogmes aberrants imposés par les institutions internationales » (p. 5). Si toute l’humanité est victime, la bourgeoisie française n’est coupable de rien, ni le mode de production capitaliste. La cause des difficultés vient de simples idées (« des dogmes »). Il faut « être en rupture partout avec les orientations actuelles » (p. 4), ce qui signifie que d’autres orientations seraient bonnes sans remettre en cause la propriété privée et le salariat, qu’il suffirait que l’État bourgeois et les patrons fassent les bons choix. Donc, le rôle du syndicat serait de « proposer », de convaincre les capitalistes et leurs représentants politiques.
En outre, ces idées fausses (« aberrantes ») sont imposées de l’étranger, par des « institutions internationales ». Mais l’ennemi principal est dans notre propre pays : tous les gouvernements français défendent les intérêts de la bourgeoisie française. Soutenir, comme Martinez, Veyrier (FO), Groison (FSU), Mélenchon (LFI), Brossat (PCF)…, que les décisions de Macron et de ses prédécesseurs sont dictées par l’Union européenne (alors que toutes les grandes décisions de l’UE ont été prises par accord entre l’État français et l’État allemand), par l’OMC (qui est mise au chômage par Trump) ou par le FMI (auquel l’État français n’emprunte rien), c’est semer les graines du nationalisme que Le Pen n’a plus qu’à récolter.
Le document d’activité commence par expliquer qu’il « n’a pas vocation à établir un bilan exhaustif de l’activité de la seule direction confédérale ». Nous voilà prévenus et, de fait, il n’est pas tiré de véritable bilan. Le texte rappelle que « tant la confédération que les organisations, ont porté de nombreux projets et propositions ». La direction cite comme exemple « le rapport de la fédération des cheminots sur l’avenir du service public ferroviaire », « reflet de la démarche de contestation et de propositions pour négocier de la CGT ». Et de rappeler « le vot’action des cheminots en 2018 qui avait recueilli plus de 90 000 votes (66 % de participation) ».
C’est tout sur l’adoption des ordonnances travail, sur la défaite retentissante des cheminots et la destruction par Macron-Philippe d’un bastion des luttes sociales en France, sur le mouvement des gilets jaunes qui a, lui, ébranlé quelques semaines le pouvoir.
En fait, la direction de la CGT explique, comme ses adjoints de LO, que la défaite est de la faute des salariés qui ne sont pas assez combatifs : « réfléchir aux formes de luttes dans la logique de la démarche de la CGT suppose d’interroger les salariés sur leur capacité à mener les actions. Quelques exemples récents sont à souligner, comme la grève séquentielle engagée en 2018 chez les cheminots… »
Ce rapport d’activité indigent et mensonger a été ratifié par 71 % des voix.
Un rapport d’orientation pour poursuivre la collaboration de classes
Pour donner le ton, la direction avait baptisé le congrès « Au cœur du travail pour bâtir l’avenir », un slogan creux qui pourrait être emprunté à Macron.
Le rapport d’orientation affirmait la recherche d’unité par la classe ouvrière équivaut au rassemblement du plus grand nombre de sigles syndicaux (« le syndicalisme rassemblé »). Il prétendait obtenir des avancées pour les travailleurs par « le dialogue social » avec le patronat débouchant sur des accords donnant satisfaction aux deux parties. Or, le capital n’est sorti de la crise de 2008-2009 que par des attaques contre le travail et le capitalisme français décline face à ses rivaux allemand et chinois.
Il propose de « changer le travail pour changer la société », ce qui inverse la réalité de classe de la société actuelle : comment changer le travail sans changer la société ? Ce chapitre sert à édulcorer la fonction des innovations technologiques qui, sous le règne du capital, sert à augmenter l’exploitation, intensifier le travail.
Au passage, le « nouveau statut du travail salarié » et « la sécurité sociale professionnelle » entérinent la mise en cause de ce qu’elle nomme le « modèle social » antérieur, c’est-à-dire la raréfaction des droits et protections découlant d’un accord d’entreprise, d’une convention collective de branche ou d’un accord interprofessionnel reconnus par le droit du travail.
La bureaucratie dénonce de manière voilée toute tentative de revenir à la lutte des classes : « nous ne sommes pas à l’abri d’un repli sur soi de nos organisations et d’une réduction à un syndicalisme de posture en réaction au développement du libéralisme ».
Le texte aussi réformiste que pontifiant, conçu pour permettre à la direction de continuer à cogérer, de s’associer aux prochaines attaques (retraites, fonctionnaires, chômeurs, fermetures de sites…) et de saboter la lutte du prolétariat par ses journées d’action ou grèves intermittentes, a recueilli 69 % de voix.
Surtout, la reconduction de Martinez, seul candidat à sa succession, au poste de secrétaire général avec le score de 91 % malgré un bilan désastreux témoigne que le congrès n’était pas celui d’une organisation ouvrière saine.
La nouvelle commission exécutive confédérale de 60 membres comporte autant de femmes que d’hommes. Mais seulement 8 ont été ouvriers et 12 techniciens (pour 15 qui étaient à l’origine des cadres et 6 des agents de maîtrise).
Pour la démocratie syndicale et la rupture avec l’État capitaliste
L’appareil lui-même était autrefois sous contrôle étroit du PCF et il excluait de la CGT dans les années 1950-1970 les militants de l’OCI, de VO-LO, de la LC-LCR… Affaibli idéologiquement par la disparition de l’URSS, l’affaissement de la FSM et le déclin du PCF, il est fracturé désormais entre PCF, LFI, PRCF, PCOF, OCML-VP… Il en vient même à coopter des membres d’organisations dites « trotskystes » : un exemple connu est Jean-Pierre Mercier, membre du BP de LO, promu porte-parole de la CGT du groupe PSA.
Les tensions au sein de la bureaucratie sont généralement réglées discrètement, une exception étant l’affaire Lepaon quand le règlement de compte a fuité dans la presse. Au congrès, elles ont affleuré quand les chefs des fédérations de l’agroalimentaire, de la chimie, du commerce et des services… (que la presse bourgeoise appelle « aile gauche ») ont bataillé contre les comités régionaux, contre l’unité avec la CFDT (pour eux, le « syndicalisme rassemblé » empêche de faire porter la responsabilité des défaites à la CFDT) et pour le retour à ce qui reste de la FSM. La nostalgie de l’époque où le stalinisme empoisonnait le mouvement ouvrier mondial et était hégémonique en France est telle qu’elle a nécessité l’intervention de l’ancien secrétaire général Thibault (confortablement recyclé depuis juin 2014 à l’OIT). Il avait publié en avril une tribune dans la presse bourgeoise en défense de Martinez, de la CSI et de la CES.
Par contre, certaines interventions ont mis en cause la politique suivie par la direction (Val-de-Marne, Seine-Maritime, CHU Lille, CGT intérim…) mais elles n’ont pas débouché sur un candidat ou une candidate au poste de secrétaire général, ni soumis un texte alternatif.
Les organisations qui se réclament de Lénine et de Trotsky (LO, NPA, POID…) les jours de fête se gardent bien, dans la vie quotidienne, de mener la politique de ces derniers. Ils se refusent à construire une fraction syndicale s’opposant à la bureaucratie corrompue et chauvine, contestant son monopole sur la CGT. Elles ne combattent pas sa participation aux plans anti-ouvriers et elles appellent même les travailleurs à suivre docilement les diversions qu’elle décrète (« journées d’action », suppliques à Macron, etc.).
Dans la CGT et tous les syndicats de masse, les travailleurs conscients doivent se rassembler et s’organiser pour s’opposer à la politique de collaboration de classes des directions syndicales actuelles qui n’aboutit qu’à échec sur échec et pour mettre fin à l’incroyable émiettement syndical qui bénéficie au patronat et nuit aux travailleurs. Ces tendances « lutte de classe » des syndicats doivent favoriser l’auto-organisation des masses (assemblées générales qui contrôlent le mouvement, élection de comités de grève, centralisation des comités…) ainsi que l’auto-défense des grèves, des locaux et des manifestations, remplacer les responsables corrompus qui trahissent.
L’objectif est de créer une CGT unifiée et internationaliste, indépendante de l’État bourgeois, organisant les chômeurs, fonctionnant démocratiquement, menant la lutte de classe pour les revendications et pour l’expropriation du capital. Cette tâche est inséparable de la construction d’une internationale ouvrière et d’un parti ouvrier révolutionnaire dans ce pays.
En dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’État impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n’a rien perdu de son importance, mais reste aussi nécessaire qu’auparavant et devient, dans un certain sens, révolutionnaire. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, août 1940)