Qu’est-ce qui permet au gouvernement et au parlement de multiplier des lois plus réactionnaires les unes que les autres ? Qu’est-ce qui permet au « président des riches » d’afficher sa morgue ? Comment arrêter ce déferlement ?
SNCF : amendements et grèves intermittentes
En s’en prenant au statut des cheminots et en ouvrant le rail à la concurrence, Macron et son gouvernement veulent avant tout liquider un bastion ouvrier au compte de la bourgeoisie française. De leur côté, les travailleurs de la SNCF veulent défendre leur statut et l’ensemble des travailleurs et des étudiants a intérêt à obtenir des transports publics de qualité, sûrs et bon marché.
L’appel à la grève générale pour le retrait du « pacte ferroviaire », pour l’octroi du statut à tous les travailleurs du rail (contractuels, salariés des filiales, salariés des entreprises concurrentes…), pour la garantie de l’emploi de tous les travailleurs (de toutes les branches de tout le pays) aurait pu vaincre le gouvernement.
Mais celui-ci a pu compter sur la connivence des chefs syndicaux. Pas seulement de la CFDT qui « veut sortir au plus vite du conflit » (Le Monde, 27 mai) et qui met en garde le gouvernement contre le danger de débordement et d’auto-organisation des masses qui découleraient d’une « négation des corps intermédiaires qui est beaucoup trop forte et dangereuse » (Europe 1, 27 mai).
En organisant un référendum en mai, comme si des organisations syndicales ne connaissaient pas l’opinion des cheminots, les chefs syndicaux ont préparé la voie aux futurs référendums d’entreprise qui sont rendus possibles par la loi Hollande-Valls-El Khomri.
Tous les chefs syndicaux ont participé aux « négociations » du plan du gouvernement : ils ont discuté le 19 février du rapport Spinetta, ils ont participé ensuite à une trentaine de réunions avec Borgne sur le projet de loi, ils ont salué comme une victoire leur convocation le 7 mai à Matignon. Pourtant, le soir même, le Premier ministre affirmait : « il ne changera pas fondamentalement » (Le Monde, 8 mai). Pourtant, ils y sont retournés le 25 mai. Les chefs de la CGT en sont ressortis en mettant en avant des concessions comme la « reprise de la dette » de la SNCF par l’État. Quel enfumage ! La dette n’est pas celle des travailleurs mais c’est celle d’un groupe qui exploite des travailleurs non seulement en France mais à l’étranger.
Parce qu’ils siègent au conseil d’administration de la SNCF, parce qu’ils sont subventionnées par l’État, ils veulent tous négocier une bonne « réforme » avec Macron, ils lui font tous des « propositions », ils lui demandent une « réécriture » du projet de loi. De même, les appareils syndicaux CGT-FO-UNSA-SUD-CFDT ont décidé ensemble des « grèves perlées », ce qui facilite la division des travailleurs entre cheminots et autres salariés qui ont besoin des trains pour travailler.
77 % des conducteurs étaient en grève le premier jour début avril. Le pourcentage de tous les cheminots en grève est passé de 34 % à 14 %… La prudence est de mise quand on parle de la rue française, mais il y a de fortes chances que le gouvernement aura sa réforme ferroviaire avalisée au Sénat, sans céder grand-chose. (The Economist, 2 juin)
Les journées d’action complètent le dispositif de démoralisation : d’après les évaluations de la police (qui sont certainement sous-estimées dans l’absolu mais indiquent bien la tendance), 320 000 le 22 mars, 120 000 le 19 avril, 84 000 le 1er mai, 124 000 le 22 mai, 93 000 le 26 mai.
Après 2 mois et demi et 27 jours de grève, le patron de la SNCF menace de ne pas payer les jours de repos des travailleurs grévistes à commencer par les conducteurs, aiguilleurs et contrôleurs. Le 5 juin, le Sénat à majorité LR, à son tour, a voté le projet Macron.
Les parlementaires n’ont remanié qu’à la marge le texte qui avait reçu l’aval de l’Assemblée nationale. Il a été adopté par 240 voix contre 85 contre. (Le Figaro, 6 juin)
Les directions syndicales ont combattu, avec l’appui des organisations politiques LFI, PCF, LO, NPA, Ensemble, POID… contre la grève générale de tous les travailleurs face au gouvernement. Elles ont ainsi isolé les cheminots, affaibli le mouvement de la jeunesse, facilité la répression.
Les jeunes en formation ont cherché la voie du combat
Le Président qui donne des gages à l’Église catholique, une institution qui a bridé la science et l’art, opprimé les femmes ou la jeunesse durant deux millénaires, veut aussi mettre les jeunes sous l’autorité de la hiérarchie militaire, un autre pilier de l’ordre bourgeois, durant au moins un mois.
Le Service national universel sera ce moment où la République dira à notre jeunesse que l’engagement pour les autres est le plus sûr moyen de se réaliser soi-même et le socle d’une solidarité nationale affermie. (Macron, 31 janvier)
Le groupe de travail mandaté par l’Élysée, qui a remis son rapport fin avril, propose un dispositif à plusieurs étages : d’abord, la première phase obligatoire de deux fois quinze jours après la classe de troisième, ensuite, la deuxième phase, d’engagement volontaire, de trois à six mois, avant 25 ans. Il concernerait de 800 000 à 900 000 jeunes appelés par an et serait un passage obligé pour les concours administratifs, le Code de la route ou le bac. (Les Échos, 30 avril)
Macron veut clairement embrigader très tôt les jeunes, en classe de 3e. Il démantèle le bac. Il veut livrer davantage les élèves de lycée professionnel aux patrons. Cela complète le dispositif contre les apprentis qui ont désormais moins de droits et dont l’âge limite a été porté à… 30 ans.
Pendant plusieurs mois, les étudiants ont cherché la voie du combat contre « Parcoursup » et le gouvernement, qui renforcent le tri social à l’entrée de l’enseignement supérieur. Sur les 810 000 candidats à l’enseignement supérieur ayant formulé des vœux, plus de 200 000 n’ont toujours reçu aucune proposition début juin, bien plus dans les quartiers populaires que dans les quartiers chics, les critères de sélection étant décidés librement et conservés secrets.
Si la plupart des filières sélectives peuvent tenir compte du lycée d’origine depuis toujours, c’est désormais aussi le cas des universités. (Le Monde, 3 juin)
Des étudiants se sont mobilisés dans des dizaines d’universités de mars à mai : 1 800 à Nanterre ; plus de 1 000 à Tolbiac, Montpellier et Toulouse ; plus de 4 000 à Rennes 2… La mobilisation a également touché des universités habituellement peu mobilisées (Limoges, Strasbourg, Paris 3). Souvent, le personnel enseignant et administratif s’est impliqué. Trois coordinations nationales étudiantes se sont tenues, réunissant des délégations d’une trentaine d’universités mobilisées.
Mais l’absence de grève générale contre le « pacte ferroviaire », la faiblesse apparente de la classe ouvrière, la veulerie de ses porte-paroles, l’absence de perspective ont affaibli le mouvement des étudiants, qui est souvent devenu minoritaire.
Les fascistes en ont profité pour attaquer les blocages. Macron a pu traiter les grévistes de « professionnels du désordre » (version moderne de la « chienlit » de De Gaulle en 1968), les menacer : « nous sommes dans un État d’ordre » (TF1, 12 avril). Le gouvernement Macron-Philippe-Collomb a multiplié les interventions policières violentes sans riposte générale des étudiants et des travailleurs : Bordeaux le 7 mars, Dijon le 16 mars, Strasbourg le 22 mars et le 4 avril, Grenoble le 22 mars, le 23 avril et le 7 mai, Montpellier le 23 mars, Nantes les 4 avril et le 11 mai, Tolbiac le 7 avril, Lille le 9 avril, Nanterre le 10 avril, Lyon 2 le 13 avril, le 7 et le 16 mai, Nancy le 25 avril et le 3 mai, Rennes 2 le 2 et le 14 mai, Toulouse 2 au Mirail le 9 mai, Arcueil le 11 mai, Marseille le 14 mai.
Le 22 mai, une centaine de lycéens qui étaient rentrés dans le lycée Arago de Paris (12e) ont été arrêtés, entassés par la police, des heures dans l’obscurité, sans accès aux toilettes et sans boire, pour faire un exemple.
Les migrants sans cesse agressés
Se sentant autorisé à continuer à libérer sa parole haineuse, Collomb juge que « les migrants font un peu de benchmarking pour regarder les législations à travers l’Europe » (Commission des lois au Sénat, 30 mai, le « benchmarking », en management, consiste à analyser ce que font les concurrents). Ces propos xénophobes sont incarnés par le projet de loi sur l’immigration, adopté à l’Assemblée nationale par 228 voix contre 139 et 24 abstentions. Seul un député macroniste a voté contre, ce qui lui a valu de quitter le groupe, Richard Ferrand, patron du groupe LREM, menaçant d’expulser ceux qui voteraient contre. Le texte, qui vise notamment à accélérer les procédures d’expulsion, à augmenter la durée de rétention, à enfermer des enfants, a été salué comme un pas en avant par le FN-RN.
Pourtant, de 2015 à 2017, la France n’a enregistré que 239 325 demandes d’asiles (0,36 % de sa population, soit six fois moins qu’en Hongrie et en Suède, cinq fois moins qu’en Autriche et en Allemagne). Elle en a également accepté deux fois moins que la moyenne européenne.
Des personnes venant au secours des migrants sont harcelées par la justice, comme Cédric Herrou dans la Roya, comme Martine Landry, une vieille dame responsable d’Amnesty International, comme les trois militants jugés pour délit de « solidarité en bande organisée » pour avoir cherché à sauver des migrants confrontés aux nervis de Génération identitaire à Briançon. En revanche, ces fascistes qui ont organisé illégalement un barrage pour empêcher les migrants de franchir la frontière franco-italienne, ne sont pas poursuivis.
Mamadou Gassam, ce jeune Malien héroïque qui a sauvé un petit garçon en gravissant un immeuble, a été récompensé parce que les médias l’ont montré. Mais combien de Mamadou sont noyés, refoulés, terrorisés, surexploités grâce à l’État français et à l’Union européenne ?
Les dérivatifs en tricolore
Les mêmes partis et organisations appellent les travailleurs à obéir aux chefs syndicaux, à leurs grèves perlées et à leurs journées d’action, justifient leur caution répétée à tous les projets réactionnaires du gouvernement, convoquent des rassemblements « joyeux et festifs » : « fête à Macron », « marée populaire »…
Il y a autre chose, moins visible, plus souterrain, mais plus massif, plus explosif : quelque chose qui ressemble à un vaste désir d’autre chose. Quoi ? On ne sait pas, ou pas encore. (Pétition La fête à Macron)
Toute « la gauche » est invitée par Ruffin et Mélenchon, y compris ce qui reste du parti bourgeois peint en vert (EELV) et le groupe gaulliste de gauche fièrement tricolore (MRC). Mais pas le PS. Comme si le PCF n’avait pas gouverné lui aussi au compte de la bourgeoisie française ; comme si Mélenchon lui-même n’avait pas été membre du gouvernement qui a le plus privatisé dans l’histoire du pays. Le 5 mai, pour la « fête à Macron », LFI, le PCF, le NPA, Générations… se retrouvent donc avec EELV et le MRC autour de chars costumés et de pique-niques.
Voulons-nous une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique, plus égalitaire avec un meilleur partage des richesses ? Tel est l’enjeu… Nous ne nous résignons pas au sort que nous promet ce gouvernement. Il fait la sourde oreille, il faut le forcer à nous entendre. (Appel pour la marée populaire)
En attendant les élections, il faudrait se faire « entendre de Macron ». Quelle utopie, quelle filouterie ! Tout sauf la lutte des classes.
Je suis passé de l’intérêt de classe à l’intérêt général humain. (Mélenchon, Le Choix de l’insoumission, 2016)
« L’intérêt général », dans le capitalisme, est déterminé par la bourgeoisie. Il est vrai que, durant sa campagne électorale, le candidat social-chauvin de LFI (soutenu par le PdG, le POI, la GR…) a demandé le renforcement de la police et a adopté le drapeau tricolore.
LO, de plus en plus intégrée à la bureaucratie de la CGT, se plie quand Martinez annonce sa participation. Le 26 mai, le PS, LFI, le PCF, LO, NPA, Générations, EELV, Ensemble, AL, PRCF, PCOF, POID, PCRF, R&S… défilent avec CGT, Solidaires et UNEF.
Les centristes ont beau bavarder sur les masses, c’est toujours sur l’appareil réformiste qu’ils s’alignent. (Trotsky, Contre le front populaire, pour les comités d’action, novembre 1935)
Le chef suprême de LFI dévoile le but à peine caché de ces manoeuvres, compléments du « dialogue social » et des grèves par intermittence.
Je milite pour une forme d’unité populaire qui décloisonne le syndicalisme, la politique et le monde associatif. (Mélenchon, RTL-LCI-Le Figaro, 20 mai)
Autrement dit, Mélenchon et tous les associés de la « marée populaire » préparent une solution bourgeoise à une crise politique éventuelle et veulent y impliquer les syndicats. Il faudrait refaire le coup des alliances des partis ouvriers et des confédérations avec les partis de la bourgeoisie : union sacrée en 1914, cartel des gauches en 1924, front populaire en 1936, union nationale en 1945, union de la gauche en 1981, gauche plurielle en 1997… pour sauver le capitalisme, consolider l’État bourgeois, ce qui aboutit inévitablement à la déception et à la démoralisation des masses.
La politique conciliatrice des fronts populaires voue la classe ouvrière à l’impuissance et fraie la voie au fascisme. Les fronts populaires d’une part, le fascisme de l’autre, sont les dernières ressources politiques de l’impérialisme dans la lutte contre la révolution prolétarienne. (Trotsky, Programme de transition, 1938)
Les dérivatifs en noir
Les trahisons des sommets syndicaux comme les simagrées des « insoumis » et des « anticapitalistes » laissent un espace à une mouvance anarchiste désignée dans les décennies précédentes comme « casseurs » ou « autonomes » et plus connue aujourd’hui sous le nom de « tête de manif » ou de « black blocs ». Dénoncé par le crétin parlementaire Mélenchon comme « des bandes d’extrême-droite » (Le Parisien, 2 mai), le cortège en noir atteignait le millier lors de la manifestation du Premier mai à Paris. Les black blocs attirent non seulement des jeunes révoltés mais aussi des syndicalistes las des « journées d’action ».
L’anarchisme a souvent été une sorte de châtiment pour les déviations opportunistes du mouvement ouvrier. (Lénine, La Maladie infantile du communisme, mai 1920)
Mais les déclassés qui sont à leur tête ne s’adressent pas à la classe ouvrière, n’ont pas pour but d’aider les masses à accomplir une révolution sociale. Ils les méprisent, s’y substituent, désertent les syndicats, s’enferrent dans un tête-à-tête avec l’appareil répressif de l’État qu’ils ne peuvent gagner, s’en prennent à des symboles du capitalisme au lieu de viser les rapports de production capitalistes eux-mêmes, voire pillent des magasins et détruisent des équipements collectifs. Pour toutes ces raisons, les nihilistes sont facilement les jouets de policiers infiltrés.
Cette mouvance, malgré ses prétentions, ne peut vivre qu’avec le mouvement paysan, étudiant, ouvrier. Quand les « zadistes » ont perdu l’appui des paysans du pays nantais, quand le gouvernement a annulé la construction d’un aéroport à Notre-Dame des Landes, ils ont été isolés et violemment réprimés alors qu’ils ne nuisent à personne. L’État bourgeois ne peut tolérer cette modeste atteinte au droit de la propriété : « Ils s’installent dans votre salon » (Macron, 15 avril). En fait, ces communautés autogérées se sont installées sur des parcelles qui ont été collectivisées pour l’aéroport et sont donc libres.
Sans soutien paysan, sans grèves dans les universités et sans les cortèges ouvriers traditionnels, les zadistes et les black blocs sont incapables, malgré leur courage, de tenir tête à la police pléthorique et suréquipée.
Pour vaincre Macron et le capital
Pour le retrait pur et simple du projet de « pacte ferroviaire », l’abrogation de la loi « ORE » de tri social des étudiants, pour vaincre le gouvernement Macron-Philippe, la seule ligne était que monte dans les syndicats et les assemblées générales l’exigence :
Rupture des négociations ! Grève générale jusqu’au retrait de projet de loi ! Comités élus par les AG ! Centralisation régionale et nationale des comités ! Autodéfense contre les flics et les fachos !
Cette orientation était et reste la seule orientation efficace. Alors, sera ouverte la voie au renversement du gouvernement, à la mise en cause de toutes les lois réactionnaires précédentes, à la satisfaction des revendications, à l’arrêt des interventions impérialistes françaises. Alors, sera ouverte la voie d’un gouvernement des travailleurs émanant des comités, démantelant l’État bourgeois et expropriant le grand capital, la voie des États-Unis socialistes d’Europe.
Pour cela, les travailleurs avancés ne peuvent se fier aux black blocs, aux organisations centristes (LO, NPA, POID…) et encore moins aux partis sociaux-impérialistes (LFI, PCF, PS…). Regroupons–nous sur la base de l’indépendance de la classe ouvrière, de l’internationalisme, de la révolution socialiste !
La lutte contre les chefs syndicaux en Europe occidentale est beaucoup plus difficile que la lutte contre nos mencheviks qui représentent un type politique et social parfaitement analogue. Cette lutte doit être impitoyable et il faut absolument la pousser, comme nous l’avons fait, jusqu’à déshonorer complètement et faire chasser des syndicats tous les incorrigibles chefs de l’opportunisme et du social-chauvinisme. (Lénine, La Maladie infantile du communisme, mai 1920)