Ce livre, dont la première édition en espagnol date de 2011, a été traduit en français, italien, anglais, catalan et grec. C’était le premier livre qui considérait les comités de défense comme les véritables et indispensables protagonistes de la révolution de 1936. Jusque-là, l’historiographie n’avait pas traité en profondeur des comités de défense, qui n’étaient évoqués que furtivement chez certains auteurs.
Les imitateur et les « découvreurs » du sujet commencent à être légion. Et cela est positif, surtout quand ils l’étendent à l’étude des comités de défense hors de la Catalogne et ne se bornent pas à un misérable plagiat.
Bien qu’il existe une vaste bibliographie sur la guerre civile espagnole, qui pourrait nous laisser croire que tout a déjà été dit sur la question, la vérité est que les premières éditions des Comités de défense ont détruit ce mythe et que depuis, cela a ouvert le chantier d’une immense tâche de recherche dans les archives du monde entier du point de vue des intérêts du prolétariat révolutionnaire, qui ouvre une perspective radicale, inconnue du monde universitaire, payée pour diffuser et propager la sacro-sainte histoire de la bourgeoisie.
Le 14 avril 1931, la République fut proclamée. Le 25 avril, onze jours plus tard, lors d’une assemblée plénière des sections locales et de district, la CNT adopta deux mesures organisationnelles qui devaient connaître un énorme succès plus tard : la formation de syndicats de quartier dans la ville de Barcelone et la création de comités de défense
Dans les années 1930, la CNT n’était pas simplement un syndicat au sens classique du terme, une organisation défendant les revendications de salariés. La CNT faisait partie d’un réseau de solidarité et d’action qui couvrait tous les aspects de la vie du travailleur, tant social que culturel, familial, ludique, politique et syndical. Ce réseau était constitué par le syndicat de quartier, les maisons de quartier, les écoles rationalistes, les coopératives, le comité de défense économique (qui s’opposait aux expulsions), les groupes d’affinité, les groupes de défense (coordonnés au niveau du quartier, puis du district et de la ville), constituant dans la pratique quotidienne une société autonome forte, solidaire et efficace, alternative aux valeurs capitalistes.
En 1923, Joan García Oliver avait évoqué l’organisation pratique de la « gymnastique révolutionnaire », avec le soutien d’Aurelio Fernández et Ricardo Sanz. C’étaient les années du « pistolérisme » [l’utilisation par le patronat d’hommes de main pour exécuter des syndicalistes]. La CNT devait défendre la vie de ses militants contre la liquidation physique à laquelle ils étaient soumis par l’alliance terroriste des employeurs et de l’État, qui finançait les hommes armés du soi-disant syndicat libre et donnait carte blanche aux meurtres des policiers de la garde civile, avec la pratique de la soi-disant « loi des évasions » qui consistait à assassiner les prisonniers et les détenus au moment de leur transfert ou de leur libération, en simulant une tentative d’évasion.
La création des comités de défense, en 1931, correspondait à la refondation des groupes d’action des années du pistolérisme, même s’ils étaient destinés désormais non seulement à la protection des grévistes et des manifestations revendicatives, mais aussi un élément indispensable pour exercer les droits fondamentaux d’expression, de presse, de manifestation, de syndicalisation ou de grève, non encore reconnus par une république constituante qui devait adopter une constitution, mais qui n’avait pas encore été dissoute à Barcelone, les Somatenes, c’est-à-dire l’odieuse garde civique de droite, spécialisée dans le cassage des grèves et la persécution des militants de la CNT.
Le 1er mai 1931, lors du rassemblement de la journée, d’énormes drapeaux rouges et noirs apparurent pour la première fois comme la marque de fabrique de la CNT. Il avait été convenu d’élaborer une plate-forme revendicative qui serait portée en cortège au palais de la Généralité [gouvernement de Catalogne]. Lorsque les manifestants arrivèrent sur la Plaza de San Jaime, ils furent accueillis par des tirs. La fusillade, à laquelle répondirent les comités de défense, dura trois quarts d’heure, jusqu’à ce que Joan García Oliver soit autorisée à transmettre les revendications à l’autorité et à sortir au balcon de la Généralité pour disperser la manifestation.
Les comités de défense ne se présentaient donc pas comme un groupe « terroriste » ou militaire, étranger à la classe ouvrière et au peuple, mais comme un élément supplémentaire indispensable à la lutte des classes, aux côtés du syndicat, les maisons de quartier, de l’école rationaliste ou de la coopérative. Les comités de défense garantissaient les droits des travailleurs, car il n’y avait pas d’autres droits que ceux acquis par le combat de rue, il n’y avait pas d’autres droits que ceux qu’ils pouvaient défendre eux-mêmes, en les exerçant.
Mais la tactique insurrectionnelle de la « gymnastique révolutionnaire » qui consistait à s’armer rapidement pour l’occasion, à proclamer immédiatement le communisme libertaire dans un village ou une région et à attendre que le reste du pays se joigne à l’insurrection montrait ses limites, et par-dessus tout, ses inconvénients et ses désavantages. Les insurrections de janvier 1932 et de janvier et décembre 1933 avaient désarmé les comités de défense, soumis à une très forte répression qui avait conduit la plupart de ses acteurs en prison, de sorte que la tactique de la « gymnastique révolutionnaire » n’avait servi qu’à démanteler les comités de défense. Il fallait donner un coup de barre et changer de tactique. C’est ce qui fut fait en octobre 1934, comme l’explique le premier chapitre du livre.
La caractéristique fondamentale du livre, outre le parti pris de la défense du point de vue des révolutionnaires, est sa technique narrative qui rompt avec le récit, courant dans le monde universitaire, par un auteur omniscient (aussi bien du passé que du présent et du futur) qui mêle informations documentaires et opinions personnelles, fabriquant une histoire incontestable et une vérité définitive, pour vendre à un lecteur passif, que les éditeurs bourgeois considèrent également comme idiot et incompétent, à qui il faut simplifier la lecture en supprimant les notes de bas de page ou en réduisant la bibliographie.
Il a cherché constamment à distinguer de manière claire et nette la documentation de l’interprétation des faits et des documents, dans le respect absolu du lecteur, qui dispose des outils adéquats pour devenir lui-même, moyennant un petit effort, un enquêteur et interprète du passé acceptable. Ce lecteur intelligent et actif se voit proposer les débats internes des comités de défense, des assemblées syndicales, des conseils de la Généralité et toutes les données nécessaires pour faire revivre les problèmes auxquels furent confrontés les protagonistes éminents ou anonymes d’un passé qui, pour eux, fut un présent angoissant et problématique.
Il s’est efforcé de souligner l’abîme existant entre les positions et les expériences des membres des comités de défense qui « faisaient la révolution » et la stratégie politique des comités supérieurs, c’est-à-dire des dirigeants anarchistes, qui avaient renoncé à tout au nom de l’unité antifasciste, dans le seul but de gagner la guerre. Les comités de défense de quartier n’avaient rien abandonné, alors que les dirigeants avaient déjà renoncé à la révolution au nom de l’union sacrée avec la bourgeoisie, les staliniens et les nationalistes catalans. Les travailleurs anarcho-syndicalistes menèrent une révolution que leurs chefs et leurs dirigeants perdirent.
Le texte est accompagné d’un glossaire détaillé qui présente les différents groupes ou personnalités cités, facilitant ainsi sa lecture et sa compréhension.
L’ouvrage est disponible en castillan sur le site Germinal :
grupgerminal.org/?q=node/1345
Du même auteur, ont été aussi publiés en français :
Barricades à Barcelone. La CNT de la victoire de juillet 1936 à la défaite de mai 1937, Les Amis de Spartacus, Paris, 2009, 224 p, 15 euros
Espagne 1937 : Josep Rebull, la voie révolutionnaire. Une critique d’Andreu Nin et de la direction du POUM, Les Amis de Spartacus, Paris, 2014, 170 p, 12 euros