Le budget a mis le feu aux poudres. Des manifestations d’ouvriers, d’employés, de chômeurs et d’étudiants ont touché tout le pays contre la hausse des prix, la corruption, le chômage et la pauvreté. Les manifestants s’en sont pris aux symboles de l’État (gouvernorats, ministères, postes de police, etc.), aux banques et aux supermarchés.
Depuis l’adoption de la loi de Finances 2018 axée essentiellement sur une augmentation des taxes, le feu couvait sous les cendres. À Sidi Bouzid, Meknassy, Kasserine, Thala, Gafsa, Tébourba et Tunis, des manifestants ont exprimé leur colère face à la flambée des prix et l’accélération des projets programmés par le gouvernement. Ces événements rappellent ceux qui ont conduit à la chute du régime de Ben Ali et à la révolution tunisienne du 14 janvier 2011. Sept ans plus tard, rien n’a changé : les revendications sur l’emploi et l’équité sociale sont les mêmes, avec une situation économique nettement plus dégradée. Et l’espoir en moins. (Jeune Afrique, 9 janvier 2018)
Au bout d’une semaine, de 800 arrestations et de 2 morts, les manifestations ont cessé.
En 2011, la bourgeoisie tunisienne et impérialiste ont bloqué le début de révolution
En décembre 2010-janvier 2011, les manifestations populaires vinrent à bout de la dictature de Ben Ali soutenue par toutes les grandes « démocraties » du monde, au premier chef la France.
Ce début de révolution sociale ouvrit la voie aux mobilisations des ouvriers et des jeunes dans nombre de pays du Proche-Orient (Égypte, Libye, Jordanie, Syrie…). Elle a arraché quelques libertés démocratiques fondamentales. Partout d’ailleurs, les forces de la réaction, au service de l’impérialisme et des bourgeoisies locales, tremblant pour leurs privilèges, ont réussi à faire refluer les révolutions menaçantes, souvent au prix de terribles massacres (Syrie, Irak, Égypte…). Seules les masses de Tunisie, ont échappé à l’écrasement sanglant.
Cependant, la révolution a été canalisée vers l’aménagement des formes de l’État bourgeois au travers d’une assemblée constituante. Pour cela, ont convergé les islamistes « modérés » (la branche locale des Frères musulmans Ennahda), les anciens RCD de Ben Ali reconvertis en « démocrates » avec l’aide de l’impérialisme français (Nidaa Tounes), les débris du nationalisme bourgeois panarabe (PPDU-Watad unifiés, Mouvement du peuple-Haraket Echaâb…), la bureaucratie de la confédération syndicale (Union générale des travailleurs tunisiens UGTT), les organisations centristes (PT, LGO).
Le Parti communiste tunisien avait été liquidé par sa direction réformiste en 1993. Les organisations ouvrières qui subsistent sont issues soit du stalinisme (le Parti des travailleurs, maoïste), soit de la liquidation de la 4e Internationale (la Ligue de la gauche ouvrière, l’organisation-soeur du NPA). Elles sont regroupées avec les bourgeois nationalistes (PPDU nassérien, Courant populaire-Attayar Achaabi baassiste, etc.) dans le Front populaire (FP). Le PT et la LGO se sont, de ce fait, pieds et poings liés à la bourgeoisie. Malgré sa taille réduite, comme tout front populaire, son rôle est de roue de secours à la bourgeoisie, de défendre l’ordre, de paralyser la révolution.
Les conséquences du sauvetage d’un capitalisme dominé
Le gouvernement est actuellement une coalition entre Ennahdha et Nidaa Tounes, soutenue par la direction de l’UGTT. Le président de la République est Béji Caïd Essebsiet (ex-RCD, Nidaa Tounes) et le chef du gouvernement d’union nationale est Youssef Chahed (Nidaa Tounes). Les dirigeants des deux partis bourgeois au pouvoir sont aussi corrompus que l’ancien RCD.
L’État bourgeois, comme dans beaucoup de pays dominés, éprouve de la difficulté à stabiliser les rapports entre les classes à l’avantage de la bourgeoisie. Depuis janvier 2011, grèves, manifestations, affrontements avec la police n’ont pas cessé.
Les islamo-fascistes (Ansar Al-Chariaa, AQMI–Al Quaïda, Daech) ont assassiné Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (FP), s’en sont pris aux touristes (alors que le tourisme était une des activités économiques principales), mènent la guérilla à la frontière de la Libye…
La politique menée par le gouvernement Essebsi-Chahed a aggravé de façon sensible la situation économique et sociale des masses laborieuses. Alors que l’inflation atteignait en 2017 un taux de 6,4 %, toute une série de taxes, notamment sur les produits de base de l’alimentation, conjuguées à l’augmentation de la TVA, ont été décrétées par le budget 2018, faisant dégringoler le niveau de vie général. En deux ans, la monnaie tunisienne a perdu 20 % de sa valeur, ce qui renchérit les importations. Le chômage n’a pas diminué (15 %, dont 30 % de jeunes parmi lesquels une masse de diplômés), .
Pourtant, tous les syndicats et tous les partis, sauf les djihadistes, assignent aux masses, depuis janvier 2011, l’horizon de la démocratie bourgeoise. Ce qui signifie concrètement lier les aspirations des masses au char branlant et sans avenir du capitalisme.
Le gouvernement de coalition, après avoir matraqué, fait juger les manifestants arrêtés. Mais il a reculé sur les hausses de prix tout en sollicitant l’appui financier de l’impérialisme français. Celui-ci exige, en retour, des sacrifices… au prolétariat tunisien.
C’est main dans la main que le président français, Emmanuel Macron et le président tunisien, Béji Caïd Essebsi sont entrés au palais de Carthage le 31 janvier… Après avoir souligné que les difficultés de la Tunisie sont essentiellement économiques, le président français a précisé que « des réformes douloureuses s’imposent, pour que la Tunisie soit un véritable pôle d’attractivité ». (Jeune Afrique, 1er février 2018)
Coup d’État militaire, contre-révolution islamiste ou pouvoir des travailleurs ?
Si une solution radicale (armement des masses, gouvernement des travailleurs, expropriation du capital…) n’est pas ouverte, l’état-major de l’armée, lié à l’État américain et à l’État français peut prendre le pouvoir (sur le modèle du coup du maréchal Al-Sissi en Égypte en 2013) ou la réaction salafiste ou djihadiste fanatisera les couches paupérisées et les policiers pour en finir avec la démocratie et écraser le mouvement ouvrier (sur le modèle de la république islamique de Khomeiny en Iran en 1979 ou du califat d’Al-Baghdadi en Irak et en Syrie en 2014).
Les travailleurs et les jeunes ne peuvent pas supporter le sort qui leur est fait. Mais ils ne trouvent ni programme, ni parti qui répondent à leur attente. Même pour préserver les libertés démocratiques, les travalleurs et les jeunes doivent s’emparer du pouvoir politique.
A la mi-janvier, le gouvernement bourgeois Essebsi-Chahed, pour élargir son asssise politique, a proposé au FP de participer au pouvoir ? Cela indique la crise de légitimité des deux grandes fractions de la représentation politique de la bourgeoisie tunisienne.
Quant à la bureaucratie de l’UGTT, au lieu de prendre la tête de la nouvelle montée des masses, elle renouvelle son allégeance au gouvernement de la bourgeoisie (elle avait d’ailleurs permis la constitution de ce dernier en 2016 en signant le Pacte de Carthage). Son secrétaire général Noureddine Taboubi, a donné le ton le 15 janvier à Tunis, appelant à « poursuivre les négociations dans le cadre du pacte social à propos des grandes réformes ». La réalité, c’est que personne ne croit plus, dans le mouvement ouvrier et dans la jeunesse, aux belles promesses et autres « réformes ».
Pour ouvrir une issue progressiste à la paupérisation du pays, à la paralysie du Maghreb et à la dislocation du Machrek, il faut un programme, une stratégie, un parti. La première étape est que l’avant-garde ouvrière se rassemble dans une organisation communiste internationaliste qui se batte pour le pouvoir des travailleurs, la fédération socialiste d’Afrique du Nord.
Cela passe par le combat pour la rupture de l’UGTT avec le gouvernement actuel, la rupture du PT et de la LGO avec le FP, la prise en charge de la lutte des travailleuses et travailleurs des villes et des campagnes par des organes soviétiques.