« La minorité la plus persécutée au monde »
Les Rohingya forment une communauté de près deux millions de personnes qui traditionnellement vivaient en Birmanie dans le nord de l’État de Rakhine (appelé Arakan avant 1989), à l’ouest du pays. Ethniquement et linguistiquement, ils sont proches de la population de la région de Chittagong dans le Bangladesh voisin ; ils sont en grande majorité musulmans, mais il y a une petite minorité hindouiste.
Depuis 1982, la Birmanie ne reconnaît pas les Rohingya comme citoyens, elle les considère comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh, les rendant apatrides. À l’échelle mondiale, c’est le plus grand groupe apatride, et un apatride sur sept est Rohingya.
À l’intérieur de la Birmanie, les Rohingya subissent un régime de ghettoïsation et de persécution. Suite aux violences communautaires, 100 000 d’entre eux vivent dans des camps pour personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui sont en fait des centres de détention, dont ils ne peuvent pas sortir sans autorisation. Les autres sont confinés dans des villages, qu’ils ne peuvent pas quitter, même pour travailler, sans une autorisation spéciale (très onéreuse). Toute violation de ces interdits amène de la part de l’armée aux pires violences : torture, viol, emprisonnement ou déportation. Aussi de nombreux Rohingya n’osèrent même pas quitter leurs villages quand ceux-ci furent dévastés par des tempêtes tropicales.
Pour se marier, les couples Rohingya doivent obtenir une licence, ce qui peut prendre 2 ans. Les femmes doivent garder un intervalle de 36 mois entre deux grossesses, et prouver leur statut de mère en allaitant leurs enfants devant des soldats. Début 2015, le Parlement vota des lois de « protection de la race et de la religion » étendant à tout le territoire les restrictions à leur encontre, notamment en matière de nombre d’enfants, de fréquence des naissances, de mariages inter-religieux et de conversions.
L’État de Rakhine est un des plus pauvres de la Birmanie, et les Rohingya se retrouvent ainsi les pires miséreux parmi les pauvres. Les deux principales agglomérations de leur territoire, Maungdaw et Buthidaung, n’ont chacune qu’un seul médecin, ces deux médecins couvrent 158 000 personnes, comparé à un médecin pour 681 habitants dans la région voisine majoritairement non-Rohingya de Sittwe, également dans l’État de Rakhine. La mortalité des enfants de moins de 5 ans est de 224 pour 1000 dans l’agglomération de Buthidaung et de 135 pour 1000 dans celle de Maungdaw, contre 77 pour mille dans la région de Sittwe. La malnutrition aigüe touche environ 25 % de la population des zones Rohingya contre 14 % dans la région de Sittwe. La mortalité maternelle est de 380 pour 100 000 naissances dans le nord (à majorité Rohingya) de l’État de Rakhine contre 178 pour 100 000 à l’échelle du pays. Dans les camps, tant en Birmanie qu’au Bangladesh, le manque d’installations sanitaires provoque des maladies, près de la moitié des enfants de moins de 5 ans souffrent de diarrhées.
Pour les soins et l’aide alimentaire, les Rohingya dépendent pour une large part des organisations humanitaires comme Médecins sans frontières, mais depuis 2014 celles-ci voient leur activité entravée par les autorités birmanes, et elles ont également subi des agressions et intimidations de la part de moines bouddhistes.
Suite aux longues persécutions, une grande partie de cette population a fui, principalement vers le Bangladesh, mais de nombreux expatriés vivent au Pakistan et en Arabie Saoudite, et en moindre nombre aux Émirats arabes unis, en Malaisie et en Thaïlande. Les trois quarts de cette diaspora n’ont pas le statut de réfugiés, ils sont donc à la merci de tous les abus possibles ; ceux qui ont ce statut travaillent généralement pour des salaires de misère. Au Bangladesh, 90 % des Rohingya vivent dans des camps non reconnus, hors d’atteinte de l’aide humanitaire ; ils ne peuvent pas en sortir sans permis officiel et ne peuvent pas exercer un emploi hors de leurs camps.
La politique de l’État bourgeois birman vis-à-vis de cette minorité relève de l’épuration ethnique, voire de la marche au génocide.
Un État raciste
Le Myanmar (nom officiel de la Birmanie depuis 1989) se définit sur une base ethnico-raciale, par l’exclusion. La citoyenneté se base sur l’appartenance à une des 8 « grandes races ethniques nationales », divisées en 135 groupes ethniques ; cette classification fait suite à celle opérée par le colonisateur britannique lors du recensement de 1931, qui avait défini 15 « races indigènes » et 135 « sous-races ». Certains groupes ethniques ne sont pas reconnus, mais bénéficient cependant de la citoyenneté : les Chinois, Panthay (musulmans chinois) et Indiens. D’autres sont exclus de la citoyenneté : les Tibétains, Anglo-Birmans (d’ascendance mixte birmane et européenne), Gurkha (Népalais), Pakistanais et Rohingya.
Certaines minorités nationales reconnues comme « races » font néanmoins l’objet de persécutions, par des campagnes de « birmanisation » prenant la forme d’extermination, notamment les Karen, Karenni et Shan.
Le bouddhisme theravada joue un rôle important dans l’identité nationale, et les persécutions ethniques se sont toujours mélangées au sectarisme confessionnel.
La citoyenneté est stratifiée en 3 niveaux :
les citoyens à part entière, appartenant à une des 8 « races nationales » ou pouvant prouver que leurs ancêtres vivaient en Birmanie avant 1823 ;
les citoyens associés, admissibles selon la loi de 1948, mais ne prouvant pas la présence de leurs ancêtres avant 1823 ;
les citoyens naturalisés, à savoir les étrangers prouvant qu’eux-mêmes ou leurs parents vivaient en Birmanie avant 1948, ainsi que tous ceux ayant un parent possédant une des 3 formes de citoyenneté.
L’État birman n’a jamais pu unifier sa population, il représente l’ethnie Bamar majoritaire et impose son centralisme au reste du pays. Depuis l’indépendance en 1948, il a presque continuellement connu des conflits armés : guérilla de deux fractions communistes (Drapeau rouge et Drapeau blanc), rebellions ethniques (Kachin, Rohingya, etc.), souvent à connotation religieuse (bouddhiste, chrétienne ou islamique), conflits inter-ethniques, etc.
La colonisation britannique
Comme en Irlande, en Inde et au Pakistan, ce nœud de vipères raciste et sectaire doit beaucoup à l’héritage de la colonisation britannique.
L’Arakan, la terre des Rohingya, formait un royaume depuis le Moyen-Age. Celui-ci fut conquis par la Birmanie en 1785. Pour échapper aux déportations et massacres massifs, 35 000 habitants fuirent vers la province de Chittagong, dans le Bengale sous administration britannique. Suite à la 1ère guerre anglo-birmane (1824–1826), plusieurs provinces, dont l’Arakan, furent annexées par l’empire britannique. Le colonisateur encouragea l’émigration de travailleurs bengalis vers les terres fertiles et peu peuplées de l’Arakan. Ce mouvement de populations, et d’autres semblables à des époques postérieures, donnèrent lieu à la position nationaliste birmane considérant les Rohingya comme des immigrés bengalis.
Au cours des 2e et 3e guerres anglo-birmanes (1852–1853, 1885), la Grande Bretagne conquit la totalité de la Birmanie, qui fut annexée à l’Empire des Indes en 1886. Se méfiant des autochtones, le colonisateur encouragea la venue de travailleurs indiens, et favorisa les indiens et anglo-birmans dans son administration et son armée (cette dernière comprenant aussi de nombreux membres de minorités nationales, comme les Karen). Il mit sur pied des écoles non confessionnelles et encouragea également l’enseignement chrétien des missionnaires, aux dépens du bouddhisme. Cette politique alimenta à la longue le nationalisme birman ethnico-religieux au sein de l’ethnie Bamar majoritaire.
Le 1er avril 1937, la Birmanie fut officiellement séparée de l’Inde. Alors que ce pays était le premier exportateur de riz et doté de nombreuses ressources naturelles (exportateur de pétrole et producteur de 75 % du teck dans le monde), la crise des années 1930, en particulier la chute des cours du riz, frappa durement l’économie du pays, la production rizicole chuta et ne se releva pas pendant des décennies. En même temps se développait un ressentiment nationaliste antibritannique, surtout chez les Bamar. Quand la 2e guerre mondiale éclata, nombreux refusèrent de servir le colonisateur et virent une opportunité pour desserrer son étau sur le pays.
Guerre anglo-japonaise et massacres inter-ethniques
Le Japon envahit la Birmanie en 1942, et en chassa les troupes britanniques, indiennes et chinoises. Les Britanniques se replièrent en Inde. Dans l’Arakan, les bouddhistes se rangèrent massivement du côté des Japonais, et ceux-ci commirent des atrocités sur les musulmans, qui fuirent vers le nord ; 22 000 d’entre eux se réfugièrent au Bengale, resté aux mains de la Grande Bretagne ; également des milliers d’Indiens, Anglo-birmans et colons britanniques émigrèrent en Inde. Pour contrer l’avance Japonaise, les Britanniques armèrent des troupes de volontaires, la V-Force composée essentiellement de musulmans ; celles-ci ne combattirent pas tant le Japonais que les bouddhistes, détruisant des monastères et des pagodes. La guerre inter-impérialiste se traduisit en un conflit entre ethnies et religions, les musulmans au nord de l’Arakan et les bouddhistes au sud, les uns et les autres pratiquant l’épuration ethnique.
En 1943 fut proclamé l’État de Birmanie, soi-disant indépendant, en réalité sous férule japonaise. De leur côté, les Britanniques pratiquèrent une politique de terre brûlée à sa frontière, qui aggrava la famine au Bengale en 1943 (celle-ci fit 2,1 millions de morts). La tentative japonaise d’invasion de l’Inde échoua en 1944, et de fin 1944 à mi-1945, les Alliés reprirent la Birmanie.
Le général Aung San, « héros » du nationalisme birman
En 1939, le mouvement nationaliste Thakin s’opposait à la participation à la guerre. Un de ses membres, l’ex-étudiant Aung San, devint la figure de proue du nationalisme birman. Ne s’embarrassant guère d’étiquettes politiques, il cofonda en août 1939 le Parti communiste de Birmanie, puis peu après le Parti révolutionnaire du peuple, futur Parti socialiste, tout en dirigeant une organisation nationaliste, Dobama Asiayone (Association nous les Birmans), et en impulsant une autre, le Bloc de la liberté. En mars 1940, on le voyait à une assemblée du Congrès national indien.
Après un appel à l’insurrection de Dobama Asiayone, Aung San s’enfuit en Chine pour échapper à un mandat d’arrêt. Son intention aurait été de prendre contact avec les communistes chinois, mais il fut intercepté par les Japonais, qui le convainquirent de s’allier avec eux pour soulever la Birmanie. Lui et ses recrues, les « Trente Camarades », s’entraînèrent à Hainan, en Chine, sous commandement japonais. Il ne semblait pas trop s’émouvoir des atrocités commises par l’armée japonaise contre la population chinoise. Quand les Japonais prirent Bangkok (Thaïlande) en décembre 1941, Aung San annonça la formation de l’Armée de l’indépendance de Birmanie, anticipant l’invasion japonaise de son pays ; cette armée était entraînée et conseillée par des officiers japonais. Quand l’État fantoche de Birmanie fut proclamé en 1943, Aung San servit de ministre de la Guerre de son gouvernement, et chef de l’Armée nationale birmane.
En 1944, sentant le vent tourner, il se mua en « antifasciste ». En août, il forma avec les staliniens l’Organisation antifasciste, qui se rangea du côté des Alliés et s’adressa au Royaume-Uni pour former une alliance antijaponaise. Quand les Britanniques chassèrent les Japonais et reconquirent la Birmanie, ils désarmèrent progressivement l’Armée nationale d’Aung San. Celui-ci servit comme premier ministre dans le gouvernement colonial en 1946 et 1947. Le 27 janvier il signa avec le premier ministre britannique Clement Attlee l’accord garantissant l’indépendance de la Birmanie en 1948.
Depuis, le nationalisme birman l’a toujours exalté comme son héros, le Père de la Nation, et c’est à son nom que sa fille, Aung San Suu Kyi, opposante molle à la dictature de 1988 à 2010, doit une large part de son influence et de son prestige plus que douteux.
Les Rohingya à l’heure de l’indépendance
Le colonisateur britannique avait promis aux volontaires musulmans combattant les Japonais qu’ils seraient récompensés par une « aire nationale ». Il n’en fit rien, à la place il leur offrit des postes dans l’administration coloniale. Les nationalistes islamistes utilisèrent ce grief à des fins séparatistes. En 1946, ils demandèrent au dirigeant pakistanais Muhammad Ali Jinnah d’annexer au Pakistan oriental (actuel Bangladesh) la région (à majorité rohingya) de Maungdaw et Buthidaung ; celui-ci refusa, ne voulant pas se mêler des affaires intérieures de la Birmanie. En 1948 ils demandèrent au nouveau gouvernement birman de céder cette région au Pakistan, ce que le parlement refusa. Autre source de frustration, de nombreux musulmans s’étant réfugiés dans le Bengale lors de l’occupation japonaise ne purent pas revenir dans leurs villages, étant considérés comme des immigrés illégaux.
Les islamistes déclenchèrent une rébellion armée en avril 1948, trois mois après l’indépendance qui se poursuivit jusqu’en 1961. En même temps, se développa une insurrection nationaliste Rakhine alliée à une fraction (Drapeau rouge) du Parti communiste. La majorité de la population Rohingya ne soutint pas les islamistes. Des députés Rohingya furent élus au parlement birman à chaque élection de 1947 à 1960.
La dictature militaire appuyée par la bourgeoisie chinoise
Dans le cadre de l’offensive américaine contre la révolution chinoise et indochinoise, le 2 mars 1962, le général Ne Win prit le pouvoir dans un coup d’État. Sous le vocable mensonger de « voie birmane vers le socialisme », il instaura un régime totalitaire basé sur l’autarcie économique, le nationalisme raciste et la superstition, qui acheva de ruiner le pays. Le régime persécuta les Chinois puis les autres minorités ethniques et instaura en 1982 la législation raciste sur la nationalité, excluant de la citoyenneté plusieurs minorités, dont les Rohingya.
Ne Win démissionna le 23 juillet 1988, face à des révoltes populaires massives violemment réprimées par l’armée, mais les généraux firent un nouveau coup d’État le 18 septembre. Ils convoquèrent des élections en 1990, mais comme celles-ci furent gagnées par l’opposition d’Aung San Su Kyi, ils n’en reconnurent pas le résultat.
La Birmanie a une frontière commune de 2 000 kilomètres avec la Chine. La réaction politique en Birmanie a été facilitée par la restauration du capitalisme par les anciennes bureaucraties staliniennes en Chine, au Laos, au Vietnam. La junte s’est appuyée sur l’impérialisme chinois, qui lui-même ne l’a défendue qu’en échange de l’accès aux ressources et de débouchés à ses marchandises. Parallèlement, la Chine a tout fait pour repousser les tentatives d’implantation des groupes capitalistes européens, américains, coréens, japonais. Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, à partir de 2002, elle a empêché les sanctions contre la Birmanie qui visaient à ouvrir le marché à ses rivaux. L’État chinois a construit des routes visant à relier l’intérieur de son territoire à l’océan Indien à partir de la seconde moitié des années 1990, jusque dans les régions montagneuses de Birmanie. Premier fournisseur et client du Myanmar, la Chine a également tiré profit des abondantes ressources naturelles de la Birmanie : minerais, gaz, pétrole, bois, nickel, cuivre, gaz et énergie hydroélectrique (par le biais de la construction de centrales hydrauliques).
La dictature birmane s’est illustrée par son utilisation systématique des pires violations des droits humains : travail forcé, travail des enfants, viol et esclavage sexuel, torture, enrôlement d’enfants soldats, déportations, etc. Elle a systématiquement persécuté les minorités nationales. Les généraux mégalomanes ont façonné le pays à leur guise : en 1989 ils renommèrent le pays (« Myanmar »), ses provinces et plusieurs villes, et dans les années 2000, ils se construisirent une nouvelle capitale sur mesure, Naypyidaw.
Replâtrage constitutionnel et recrudescence des conflits ethnico-religieux
Suite au mouvement de contestation de 2007 (la soi-disant « révolution de safran ») et aux critiques internationales, la dictature entreprit une série de réformes donnant l’apparence de démocratie tout en laissant le pays aux rênes de l’armée. En 2008, elle fit approuver une nouvelle constitution par un référendum frauduleux (donnant officiellement une participation de 98 % et 94 % de votes favorables). Celle-ci instaura un parlement bicaméral où un quart des sièges sont nommés par l’armée et les trois quarts sont élus par le peuple. Les militaires engagèrent des négociations avec Aung San Suu Kyi en vue de la formation d’un nouveau gouvernement plus présentable.
L’ouverture politique ne contribua pas à apaiser les conflits ethniques et religieux, bien au contraire. Les moines bouddhistes qui animèrent la soi-disant « révolution de safran » de 2007 impulsent dans tout le pays le nationalisme et l’islamophobie, tel Ashin Wirathu, surnommé le « Ben Laden bouddhiste », qui traite les musulmans de violeurs et de sauvages, et organise une campagne nationale « 969 » (nombre lié aux attributs du Bouddha) pour « acheter bouddhiste » et boycotter les commerces tenus par des musulmans.
L’armée n’est pas en reste, elle encourage les bandes pogromistes et se livre elle-même à des massacres et persécutions chaque fois que l’occasion se présente. En juin 2012, prenant prétexte du viol et du meurtre d’une femme bouddhiste par trois Rohingya, des nervis nationalistes Rakhine se livrèrent à des massacres et pillages à l’encontre des musulmans, qui peu après ripostèrent par des massacres. L’armée envoyée sur place se rangea du côté des nationalistes Rakhine, les encourageant à défendre « leur race et leur religion ». Une seconde vague de violence survint en octobre. En 2013 les moines bouddhistes du mouvement « 969 » de Wirathu se lancèrent dans de virulents discours antimusulmans et appels au boycott.
Pour les élections de 2015, 700 000 électeurs des ethnies non reconnues comme les Rohingya se virent retirer leurs cartes d’identité provisoires, donc furent privées du droit de vote. Pire, alors que les musulmans forment 5 % de la population, aucun des grands partis en lice, y compris la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, ne présenta le moindre candidat musulman ; la LND avoua avoir cédé aux pressions des ultra-nationalistes bouddhistes. Ce parti gagna les élections haut la main, et ainsi d’Aung San Suu Kyi devint en mars 2016 « Conseillère d’État », équivalent de premier ministre (la Présidence lui est interdite à cause de son mariage avec un citoyen britannique, décédé en 1999).
Pour la façade, son gouvernement constitua en août 2016 une commission sur l’État de Rakhine, présidée par Kofi Annan (ancien secrétaire général de l’ONU), ne comportant aucun Rohingya parmi ses membres, et ne mentionnant pas le mot Rohingya dans son mandat. Il n’en sortit rien.
La fille du fondateur de l’armée birmane s’est toujours bien gardée de dire ou faire quoi que ce soit qui remettrait en cause cette institution centrale du pays. Elle considère les Rohingya comme des immigrés du Bangladesh et attribue les problèmes dans l’État de Rakhine aux « terroristes » musulmans. Dans un message du 5 septembre 2017 au président turc Erdogan, elle qualifia de « fausses informations » et de « sommet d’un immense iceberg de désinformation » les dénonciations des atrocités commises dans cette région ; au passage, elle lui dit qu’elle faisait face au même problème que lui avec le PKK au Kurdistan.
Une nouvelle insurrection rohingya
Après la défaite en 1961 de leur insurrection pour le rattachement au Pakistan oriental, les islamistes de l’Arakan ont mené des luttes armées sporadiques, la plus importante fut celle de l’Organisation de solidarité rohingya, active dans les années 1980 et 1990. Cela n’aboutit qu’à une répression accrue de la part de l’armée et à l’hostilité accrue des bouddhistes. Pire encore, lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971-1972, certains islamistes de l’Arakan soutinrent le Pakistan, ce qui contribua à aliéner les Rohingya de leurs voisins bengalis.
En 2016, une nouvelle insurrection armée vit le jour. Le 9 octobre, des centaines d’insurgés attaquèrent un poste frontière près du Bangladesh, et le 11 ils tuèrent quatre soldats. Ce nouveau groupe, appelé Harakah al-Yaqin (Mouvement de la foi), formé vers 2013, se renomma ensuite Armée rohingya du salut de l’Arakan (ARSA), se proclamant un mouvement purement national combattant le régime birman oppressif, sans visée religieuse et n’ayant rien à voir avec l’islamisme. En réalité, son ancien nom Harakah al-Yaqin et ses pratiques contredisent cette assertion : ses chefs ont le titre d’émir, ses recrues prêtent serment sur le Coran, il sollicite les théologiens musulmans pour qu’ils rédigent des fatwa (édits religieux) légitimant sa lutte armée, ses dirigeants viennent de la communauté rohingya d’Arabie Saoudite, et on les soupçonne d’avoir aussi des liens avec le Pakistan.
Le 25 août 2017, l’ARSA mena une attaque coordonnée contre 30 postes de police et un camp de l’armée, ce qui donna à l’armée et aux bandes pogromistes antimusulmanes un prétexte pour intensifier les massacres et incendier les villages Rohingya. Le 9 septembre, l’ARSA proclama unilatéralement un cessez-le-feu d’un mois pour permettre aux réfugiés de fuir vers le Bangladesh. Le gouvernement refusa ce cessez-le-feu, sous prétexte que « nous n’avons pas la politique de négocier avec des terroristes. »
La lutte armée, face à la soldatesque génocidaire et aux fascistes bouddhistes, est légitime. Mais la direction bourgeoise et cléricale de l’ARSA divise les Rohingya, repousse la majorité de la population birmane dans les bras de la junte, facilite l’isolement international et l’appui de l’impérialisme chinois à la junte.