Le 14 novembre 2017, l’armée a pris le contrôle des rues d’Hararé, capitale du Zimbabwe, et séquestré le président Robert Mugabe (93 ans) dans sa propre résidence. Le 21 novembre, ce dernier annonçait sa démission pour devancer la procédure de destitution lancée contre lui par Emmerson Mnangagwa. Dirigeant du parti ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique), tout comme Mugabe, Mnangagwa, après avoir été nommé à la tête du comité central du parti, devenait président par intérim le 22 novembre, en attendant la tenue d’élections en 2018, où il s’affirme comme le grand favori.
Si l’immense majorité de la population du Zimbabwe pâtit d’un faible niveau de vie (à peine 2,43 $ par jour en moyenne par habitant en 2015), le pays ne manque pas de richesses naturelles. Il possède de nombreuses ressources minières (diamant, cobalt, or, platine…) et un énorme potentiel agricole : 50 % de son PIB provient de l’agriculture (blé, tabac, arachides), à tel point qu’il est souvent nommé le grenier à blé de l’Afrique. Les luttes de pouvoir interne de ces derniers mois trouvent leur explication aussi dans les stratégies d’accaparement par la junte militaire de ces richesses, et de la gestion de celles-ci par les puissances impérialistes.
Le président Robert Mugabe avait, au début des années 2000, mené une brutale « réforme agraire » pour élargir sa base sociale. Il avait encouragé l’expropriation violente 4 500 fermiers blancs à qui la propriété avait été garantie à la fin de l’apartheid de l’ex-Rhodésie, pour les redistribuer à ses partisans, afin de redorer son blason suite à l’échec d’un référendum constitutionnel. La production agricole a brutalement chuté, passant de 2,9 milliards de dollars en 2001 à 880 millions en 2008, selon la Banque mondiale.
Ce qui pourrait s’apparenter à un coup d’État contre le plus ancien dictateur de la planète, ministre puis président du Zimbabwe depuis l’indépendance en 1980, les évènements survenus en novembre dernier révèlent un processus de restauration d’une faction du parti au pouvoir par un coup de force militaire, avec des implications qui dépassent très largement les frontières de cet État.
Alors qu’Emmerson Mnangagwa, vice-président, avait été écarté du pouvoir le 6 novembre par le président Mugabe, il a pu compter sur l’aide des généraux et des vétérans de la guerre de libération, dont il est lui-même issu, pour gagner le combat d’une lutte de faction interne au sein du ZANU-PF. Au cours des dernières années, une lutte de succession pour le pouvoir était à l’œuvre entre les proches de Mugabe, en particulier son épouse, Grace Mugabe, autour de la « Génération 40 » (une fraction de quadragénaires capitalistes) et le « Team Lacoste », la vieille garde de la guerre d’indépendance. Après de nombreux limogeages de dignitaires de haut rang du parti, dont celui de Mnangagwa, un certain nombre de hauts gradés militaires, dont le général Constantine Chiwenga, se sont empressés de reprendre le contrôle du pays.
Emmerson Mnangagwa, appelé aussi le « Crocodile » (du nom du gang du même nom qui menait la guérilla dans le bush pendant les années 1960), et Chiwenga sont des connaissances de longue date. En 1983, Mnangagwa, et Chiwenga étaient déjà à la manœuvre lors de la répression qui se déchaîna dans le Matabeleland pour écraser l’opposition d’un parti nationaliste rival, le ZAPU (Union du peuple africain du Zimbabwe), faisant 20 000 morts. Les deux partis nationalistes se distinguaient par leur appui international : le ZANU de Mugabe s’était lié à la Chine de Mao, le Zapu de Joshua Nkomo était soutenu par l’URSS. Après dix années de guerre civile, la ZANU et la ZAPU fusionnèrent pour former le ZANU-PF.
La Chine est devenue capitaliste au début des années 1990. Elle reste une destination de « l’investissement direct à l’étranger » (la deuxième en 2017, selon la CNUCED). Mais ses groupes capitalistes achètent aussi des entreprises étrangères ou fondent des filiales, si bien qu’elle était en 2017 la deuxième origine des IDE. La Chine profite d’un certain avantage dans l’accès aux ressources minières du Zimbabwe (28 % des exportations, 1er investisseur économique) qu’elle monnaye contre formation et équipement militaires. Mais l’impérialisme chinois avait affaire à des rivaux européens et américain qui souhaitaient libéraliser l’économie à leur profit. Quatre jours avant le coup, le 10 novembre, le général Chiwenga est allé consulter le ministre chinois de la Défense, Chang Wanquan.
L’histoire retiendra que, le 15 novembre 2017, a eu lieu à Harare le premier coup d’État africain réalisé avec l’approbation, voire les encouragements, de la Chine. (Jeune Afrique, 8 janvier 2018)
Le lâchage de Mugabe par les dirigeants chinois n’est pas sans rapport avec le programme d’indigénisation lancé par le pouvoir zimbabwéen au cours de la dernière décennie. Plusieurs lois de révision sur l’indigénisation, entrées en vigueur début 2016, ont modifié les règles de propriété des entreprises au capital supérieur à 500 000 dollars jugées d’intérêt national, lesquelles devaient être détenues majoritairement par des Zimbabwéens et non des étrangers. Cette politique d’indigénisation, comme la nationalisation de l’industrie du diamant, faisait courir de gros risques à une partie des investissements miniers de la Chine, et pouvait conduire à la faillite de nombreuses petites sociétés appartenant à des expatriés chinois. La Chine avait misé longtemps sur le vieux dictateur. Son maintien devenant de plus en plus problématique, il devenait urgent de propulser un remplaçant.
Si Mugabe n’a pas trouvé de soutien du côté de la Chine, les États-Unis n’ont pas semblé non plus très contrarié par son éviction du pouvoir si l’on s’en tient aux déclarations de son secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines : « C’est une transition vers une nouvelle ère pour le Zimbabwe ; c’est vraiment ce que nous espérons » (Donald Yamamoto, 17 novembre 2017). Les États-Unis, du temps de Bush et Obama, avaient misé sur le MDC (Mouvement pour le changement démocratique) de Morgan Tsvangirai. Le MDC, paralysé par ses dissensions et sans implantation dans les campagnes, n’a jamais pu mener les réformes libérales souhaitées par les puissances occidentales. Depuis plusieurs mois, les dirigeants du MDC et les partisans de Mnangagwa discutaient de la formation d’un gouvernement de transition après le départ de Mugabe.
Le MDC est un parti bourgeois avec une influence sur le syndicalisme (un cas fréquent dans les pays dominés mais qui se rencontre aussi aux États-Unis). C’était l’argument des opportunistes de l’ISO (Organisation socialiste internationaliste) pour participer au MDC bourgeois. Le SWP britannique soutenait le MDC. Depuis, l’ISO dit qu’il faut rompre avec ce parti pour « construire un nouveau mouvement des travailleurs » comme si le MDC en avait été un autrefois.
Sous couvert de lutter contre la corruption au sein de l’État, les nouveaux dirigeants veulent imposer le départ à la retraite à partir de 65 ans, afin d’éliminer les loyalistes de Mugabe et asseoir le pouvoir de la nouvelle faction militaire. Le président Mnangagwa lors de son discours d’investiture, le 24 novembre 2017, envisageait de restituer les propriétés agricoles aux blancs spoliés par Mugabe. La politique d’indigénisation sera elle aussi très assouplie, puisqu’à partir d’avril 2018, elle ne concernera plus que les industries d’extraction de platine et de diamants.
Comme premier geste de bonne volonté envers les hommes d’affaires, M. Mnangagwa a offert une amnistie de trois mois à ceux qui ont illégalement exporté des capitaux à l’étranger, s’ils les rapatrient. (The Economist, 3 décembre 2017)
D’autres mesures sont favorables aux capitalistes comme l’exemption d’impôts sur les sociétés pour cinq ans, ou la réduction des dépenses sociales avec l’élimination de 3 000 postes dans les services à la jeunesse. Comme toujours, la véritable cible des programmes d’austérité est la classe ouvrière. Le plafonnement de recrutement a conduit 3 500 infirmières diplômées au chômage, et nombre d’emplois perdus concernent les secteurs essentiels à la population, comme l’enseignement et la santé.
Mnangagwa réunit donc toutes les conditions pour satisfaire l’appétit des impérialistes : « Nous sommes déterminés à éliminer toute incohérence politique du passé pour faire du Zimbabwe une destination attrayante pour le capital » (20 décembre).
Le reproche du MDC de Tsvangirai soutenu par les Etats-Unis est que les mesures d’austérité et de libéralisation de l’économie ne vont pas assez loin et il pousse Mnangagwa plus à droite encore. Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que cette reconfiguration du pouvoir au Zimbabwe avec le concours de l’armée, utilisera tous les moyens pour réprimer l’opposition sociale et politique qui ne tardera pas à se manifester lorsque ces plans s’opposeront aux intérêts de la classe ouvrière, des travailleurs en formation et des pauvres des villes comme des campagnes.
Pour y faire face, il faut que les syndicats rompent avec l’État et les partis politiques de la bourgeoisie (ZANU-PF, MDC). Il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire indépendant de toutes les fractions de la bourgeoise, pour prendre la tête de tous les exploités et opprimés afin d’ouvrir la perspective d’un gouvernement ouvrier et paysan capable d’exproprier la grande propriété foncière ainsi que le grand capital national ou étranger, ouvrir la voie des États-Unis socialistes d’Afrique.