La lubie réformiste de la campagne pour les 15 dollars de l’heure
Depuis l’automne 2015 au Québec, il y a une campagne intense en faveur de l’augmentation du salaire minimum à 15$/heure. Cette campagne a été initiée par le groupe Alternative socialiste (AS), qui est la section québécoise du Comité pour une internationale ouvrière (CIO). Il a réussi à rallier quelques syndicats et groupes communautaires (1).
Le taux actuel du salaire minimum au Québec étant de 11.25$/heure, 15 représenterait sans aucun doute une augmentation non négligeable. Néanmoins, le fait qu’un groupe qui se revendique du «trotskysme» comme AS en fasse son axe principal est très problématique. C’est une revendication qui, isolée, reste trade-unioniste.
Contrairement au programme de transition de la IVe Internationale de 1938, AS ne cherche en aucune manière à faire le pont entre les besoins élémentaires de la classe ouvrière et la nécessité de la révolution socialiste. Au niveau des revendications, on mentionne que «Notre but consiste à donner confiance aux travailleurs et aux travailleuses en activant leur potentiel de lutte» (2), mais sans dimension transitoire, sans faire aucune référence à la révolution socialiste, ni même un gouvernement ouvrier. C’est du pacifisme et du réformisme, pas du bolchevisme. La première phrase du premier numéro du premier journal trotskyste canadien était la suivante :
«The Vanguard» est publiée à partir de la conviction que le problème de l’humanité découle de la décomposition de la société capitaliste et que sa solution passe par le développement de la révolution prolétarienne. (Ligue communiste, The Vanguard, novembre 1932)
Alternative socialiste est une organisation pseudo-trotskyste profondément embourbée dans l’opportunisme et le réformisme. Sur son site web (www.alternativesocialiste.org) la campagne du 15$ occupe une place très importante, mais comme toutes les autres luttes élémentaires et sectorielles. Leur réponse à la montée du nationalisme identitaire et anti-immigrant au Québec est d’unir la classe ouvrière toutes origines confondues pour obtenir cette augmentation salariale (3). Rappelons que l’organisation-sœur d’AS en Grande-Bretagne, le Socialist Party (SPEW), refuse de se prononcer pour l’ouverture des frontières aux travailleurs étrangers et a soutenu le Brexit.
AS est membre du parti petit-bourgeois Québec solidaire (QS) qui se rapproche idéologiquement de la France insoumise (LFI), un mouvement sans démocratie interne, réformiste et social-impérialiste. L’organisation-sœur française d’AS (GR) a d’ailleurs soutenu la candidature hyper-chauvine de Mélenchon (qui ne se réclame pas du socialisme, mais de «la Nation», dont le drapeau était tricolore) contre celles de LO et du NPA.
Le but de la 4e Internationale était de supplanter toutes les bureaucraties syndicales et politiques, de créer un parti mondial de la révolution socialiste et un parti de type bolchevik dans tout le Canada.
Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation prérévolutionnaire en situation révolutionnaire, c’est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat, sa couardise petite-bourgeoise devant la grande bourgeoisie, les liens traîtres qu’elle maintient avec celle-ci, même dans son agonie. (QI, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
La politique d’AS vise, en se conciliant des bureaucraties syndicales, à fonder un parti réformiste de plus, un parti ouvrier bourgeois au Québec et au Canada pour concurrencer le NPD comme LFI concurrence en France la PS et le PCF. Dans sa plateforme (4), il est question vaguement de «socialisme» et de «révolution», mais jamais de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire, ni d’armement du prolétariat, ni d’insurrection, ni de dictature du prolétariat.
AS prône un «Québec indépendant et socialiste», comme les révisionnistes du léninisme-trotskysme l’ont toujours fait depuis l’époque de la Ligue socialiste ouvrière (pabliste) dans les années 1960. C’est avant tout le capitalisme qui est responsable de l’oppression du Québec, des peuples autochtones et des immigrés. C’est pourquoi les marxistes révolutionnaires défendent sans condition leur droit à l’autodétermination des nations opprimées, jusqu’à et y compris la séparation. Mais ils ne se prononcent pas pour la séparation, sauf exception. Suite au renversement du capitalisme et à la création d’États ouvriers, les frontières dépérissent, la question nationale doit disparaître progressivement de l’ordre du jour en même temps que les causes de l’oppression nationale sont éliminées. L’appel à un «Québec indépendant et socialiste» n’est rien d’autre que l’adaptation au nationalisme bourgeois et petit-bourgeois.
La campagne pour le 15$/heure organisée par Alternative socialiste est similaire à celle que leurs confrères américains de Socialist Alternative (SAlt) ont mené à Seattle il y a quelques années (5). Le 1er janvier 2017, le taux du salaire minimum horaire a grimpé à 15$ après avoir été entériné officiellement par le conseil municipal en juin 2014. Kshama Sawant (SAlt) avait réussi à se faire élire conseillère municipale en 2013 mais sur une base réformiste, un programme limité à trois points compatibles avec le Parti démocrate. D’ailleurs, sa perspective opportuniste était de créer un «parti des 99 %» de la population.
Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore mûres pour le socialisme ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe. Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. (QI, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Au Québec, AS a obtenu l’appui de directions syndicales comme la CSN-Construction ou l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre, techniciens de l’image, artistes et métiers connexes. Le parti Québec solidaire a aussi déposé une motion pour hausser le salaire minimum à 15$ l’heure à la fin du mois d’avril 2016. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec a également repris cette revendication (6). Comme nous l’avons mentionné plus haut, il n’y a absolument rien de mal à vouloir améliorer les conditions des sections les moins nanties et les plus vulnérables de la classe ouvrière, car ceux et celles qui travaillent au salaire minimum occupent en général des emplois précaires dans des conditions plutôt difficiles, comme la vente au détail. Mais une revendication de cette nature ne devrait pas être séparée de la lutte plus globale contre le chômage, contre les bureaucraties syndicales, pour le renversement du capitalisme et la construction du socialisme mondial. Nous pouvons être certains que si les patrons acceptent de satisfaire cette demande isolée des autres revendications comme ce fut le cas à Seattle, ils s’arrangeront pour nous faire payer ailleurs afin de compenser la baisse du taux de profit.
Pour unifier les travailleurs, on ne peut se contenter du salaire minimum. Il faut que tous les salaires soient augmentés de manière à compenser les pertes de pouvoir d’achat depuis la crise capitaliste de 2008 et soient alignés automatiquement sur la hausse des prix (échelle mobile des salaires). Cette revendication doit s’accompagner de la lutte pour pour partager le travail entre tous et toutes, embaucher les chômeurs et baisser le temps de travail à 32h maximum (échelle mobile des heures de travail).
La IVe Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme «minimum», dans la mesure où elles ont conservé quelque force de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications partielles «minimum» des masses se heurtent aux tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent – et cela se produit à chaque pas -, la IVe Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. Le vieux «programme minimum» est constamment dépassé par le programme de transition dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne. (QI, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Il faut regrouper les militants communistes internationalistes dispersés aux dépends des partis réformistes NPDQ et QS, des organisations semi-réformistes du type AS et des sectes (7).
Montréal, 27 décembre 2017, Philippe Valois
(2) https://15plus.org/revendications/
(4) http://alternativesocialiste.org/index.php/plate-forme/
(6) https://ftq.qc.ca/actualites/15-lheure-cest-possible/