Entre 20 et 80 milliards d’euros de fraude par an
Un des mythes prônés par la classe dominante est que l’État est neutre et que tous les citoyens contribuent à ses dépenses en fonction de leur capacité.
L’enquête internationale de plusieurs journaux (« Paradise Papers ») a permis de mieux connaître l’étendue de l’évasion fiscale. D’après les calculs de l’économiste français Gabriel Zucman, professeur à l’université de Berkeley (États-Unis), 350 milliards d’euros échappent chaque année aux administrations fiscales. Ces pertes se chiffrent à 100 milliards de dollars par an pour les pays dominés (un tiers de ce montant suffirait à lui seul pour financer les soins de santé essentiels de leur population et éviter 8 millions de morts par an), 120 milliards d’euros pour l’Union européenne dont 20 milliards pour la France. Selon SUD-Finances publiques, la fraude fiscale et sociale en France représente au bas mot entre 60 et 80 milliards d’euros par an (alors que le déficit budgétaire de l’État était de 70 milliards d’euros en 2016).
Même si tous les revenus étaient déclarés au fisc, les impôts « progressifs » (qui prennent plus en proportion aux riches qu’aux pauvres) sont minoritaires : l’impôt sur le revenu représente 23,9 % des ressources de l’État français, l’impôt sur les sociétés 9,5 %.
Les autres, les impôts officiellement « proportionnels » se targuent de prendre la même proportion aux riches et aux pauvres. En fait, ils prennent une part plus grande de leur revenu aux pauvres, car les riches ne sont pas forcés de tout dépenser et sont les seuls à pouvoir épargner massivement. Ce sont ces impôts qui l’emportent nettement : la TVA à elle seule constitue 48,6 % des recettes de l’État et il faut y ajouter la taxe sur les produits énergétiques qui rapporte 3,5 % des recettes. En outre, sous des prétextes variables, le droit fiscal comprend délibérément des exceptions (les « niches fiscales ») qui profitent aux riches.
La fiscalité moderne, dont les impôts indirects sur les objets de première nécessité forment le pivot, renferme en soi un germe de progression automatique… L’influence délétère que ce système exerce sur la situation des salariés s’est accompagnée historiquement de l’expropriation massive et forcée des paysans, des artisans et des autres éléments de la petite-bourgeoisie. (Karl Marx, Le Capital, livre I, 1867, ch. 31)
Macron, comme Trump au même moment aux États-Unis, défend une platitude aussi vieille que la bourgeoisie selon laquelle il faut que les capitalistes soient toujours plus riches. En effet, ce sont eux qui peuvent investir, si cela leur chante, et embaucher, s’ils le jugent profitable.
Il ne faut pas que le capital soit taxé comme avant, le risque doit être récompensé. Nous voulons créer les richesses avant de les redistribuer. (Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, La Tribune, 27 septembre)
Par conséquent, le budget de l’État 2018 prévoit qu’ils contribueront moins et, symétriquement, que les dépenses qui profitent à la population laborieuse seront limitées.
La baisse des prélèvements sur le capital
Du côté recettes, le premier budget du gouvernement Macron-Philippe, voté par la majorité LREM (306 députés) ainsi qu’une partie des députés MODEM (47) et LR (12), contient :
• La réforme de la taxe d’habitation. La TH sur la résidence principale va être progressivement supprimée sur trois ans pour 80 % des ménages, avec un coût pour les finances publiques estimé à trois milliards d’euros en 2018, 6,6 milliards en 2019 et 10,1 milliards en 2020.
• L’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les « revenus du capital » d’un taux de 30 %. Il s’appliquera à tous les revenus de capitaux mobiliers, jusqu’ici soumis au barème de l’impôt sur le revenu, ainsi qu’aux nouveaux plans d’épargne logement et à l’assurance vie, pour la fraction des encours supérieure à 150 000 euros. Le gouvernement a chiffré le coût de sa mise en place à 1,3 milliard d’euros en 2018 et 1,9 milliard d’euros en 2019.
• La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au champ déjà très réduit, remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’IFI, applicable au seul patrimoine immobilier, ne devrait rapporter que 900 millions d’euros par an, soit 3,2 milliards de moins que l’ISF qui était acquitté par plus de 340 000 contribuables.
• La suppression de la taxe à 3 % sur les dividendes.
• L’annulation de l’élargissement de la taxe sur les transactions financières. Il n’y aura pas d’extension de la taxe sur les transactions financières (TTF) aux transactions infra-journalières au 1er janvier 2018.
• La hausse du prix du gazole. Une augmentation de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) de 2,6 centimes par litre est prévue chaque année durant quatre ans.
La hausse des dépenses liées au maintien de l’ordre et aux interventions militaires
L’appareil judiciaire et carcéral, la police et l’armée de métier sont traités de manière différente des autres administrations. Pour celles-ci, austérité et coupe des effectifs ; pour celles-là, recrutement accru et largesses budgétaires.
Le budget entérine une réduction de 1,7 milliard d’euros du montant des aides personnelles au logement.
Le nouveau Grand plan d’investissement apportera aux « entreprises » 13,1 milliards d’euros au nom de la « compétitivité sur l’innovation ».
Les salaires des travailleurs de la fonction publique seront bloqués (gel du point d’indice) et l’État économisera aussi avec le rétablissement du jour de carence de Sarkozy.
Si 1 870 emplois seront créés dans les secteurs de l’Armée, de la Justice et de la Sécurité, en revanche sur l’ensemble des autres ministères et des opérateurs de l’État comme Pôle emploi, ce sont 4 988 emplois qui seront supprimés en 2018. Seront particulièrement amputés les ministères de l’Économie et de l’Écologie.
Le budget de « la justice » augmentera de 3,9 % en 2018, celui de « la défense » de 5,6 %, celui de « l’intérieur » de 7 %. Macron a prévu de recruter sur le quinquennat 1 000 gardiens de prison, 10 000 gendarmes et policiers.
Officiellement, les tribunaux et les prisons reçoivent plus de 7 milliards d’euros, la police nationale et la gendarmerie presque 13 milliards d’euros, les trois armées plus de 34 milliards d’euros, au total les dépenses « régaliennes » s’élèvent à 2,5 % du PIB. Encore sont-elles sous-estimées car elles omettent les polices municipales, les subventions aux groupes de l’armement, les dépenses affectées à la recherche scientifique qui visent en fait à perfectionner les moyens d’espionnage et de destruction, etc. En outre, bien que les douanes soient rattachées au ministère de l’Économie, une bonne partie de leur personnel sert à la répression, notamment à la chasse aux immigrés.
Le mouvement ouvrier face au budget
Si les organisations issues de la classe ouvrière défendaient les intérêts des travailleurs salariés, elles auraient dû combattre ensemble par tous les moyens contre un tel budget. Il n’en a rien été parce que les principales d’entre elles sont sociales-patriotes : elles acceptent le mythe d’un intérêt national et d’un État au-dessus des classes.
L’État n’est rien d’autre que le pouvoir total organisé des classes possédantes, des propriétaires fonciers et des capitalistes en face des classes exploitées, des paysans et des ouvriers. (Friedrich Engels, La Question du logement, 1872)
La CFDT a refusé de condamner le projet de budget 2018 du gouvernement Macron-Philippe. La direction de la CGT l’a fait, mais sans point de vue de classe (elle l’explique par des idées erronées, un « attachement idéologique »). Elle attribue les choix gouvernementaux, comme celle de FO, à l’étranger.
Le PLF prévoit que le déficit public (État, collectivités territoriales, sécurité sociale) soit ramené en 2018 à 2,6 % du PIB (contre 2,9 % en 2017) cela afin de respecter les engagements vis à vis de l’Europe. (FO, Budget 2018, 29 septembre)
Le budget 2018 confirme les choix annoncés par le tandem Macron-Philippe : respect des traités européens et attachement idéologique au libéralisme économique. Conformément au discours libéral, l’obsession de ce budget est de réduire le « poids des prélèvements obligatoires » et les dépenses publiques. (CGT, Budget 2018, 2 octobre)
Le prolétariat n’a aucun intérêt à défendre les « prélèvements obligatoires ». Il doit faire en sorte que le fardeau des impôts et des cotisations sociales soit transféré des producteurs aux exploiteurs.
Impôt fortement progressif. (Manifeste du parti communiste, 1847) ; Abolition de tous les impôts indirects et transformation de tous les impôts directs en un impôt progressif. (Parti ouvrier, Programme d’Amiens, 1880)
De même, la classe ouvrière n’a aucun intérêt à voir augmenter toutes les dépenses publiques. La CGT et FO refusent de dénoncer le financement de plus en plus ruineux de l’État policier et du militarisme. Il faut dire que, comme toutes les centrales syndicales, CGT et FO syndiquent les policiers. De même, quand ils sont au pouvoir, les partis réformistes renforcent le coûteux État bourgeois et en vivent.
La République parlementaire, enfin, se vit contrainte, dans sa lutte contre la révolution, de renforcer par ses mesures de répression les moyens d’action et la centralisation du pouvoir gouvernemental. Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d’État comme la principale proie du vainqueur. (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852)
Les partis prêts à gérer le capitalisme français (PS, LFI, PCF, Générations…) ont certes dénoncé l’injustice sociale du projet de budget 2018 mais ils ne s’y sont pas opposés en pratique. Ils se sont bornés à des effets de manche à l’Assemblée et, encore plus ridiculement dans le cas du PCF, à une dérisoire pétition au président.
Le Parti « socialiste » veut donner la « priorité aux PME » et leur faire cadeau de 250 millions d’euros supplémentaires (Nouvelle gauche, Contre-projet, 4 octobre). Le PS ne met pas du tout en cause le militarisme et l’État policier.
La dépense publique sert la croissance et l’emploi. La réduire de manière trop importante serait préjudiciable à la bonne santé conjoncturelle du pays. (PS, Budget 2018, 19 septembre)
Le Parti « communiste » prétend que le budget est dicté par l’étranger et non par la bourgeoisie française.
L’objectif est triple : baisser le « coût du travail » au lieu de s’attaquer au coût du capital, baisser les prélèvements obligatoires finançant les services publics pour laisser s’envoler les prélèvements financiers, et satisfaire ainsi aux conditions exigées par la Bundesbank, Berlin et la BCE. (PCF, Budget 2018, 27 septembre) ; Au lieu de suivre les cures d’austérité imposées par la Commission européenne. (PCF, Contre-projet, 25 octobre)
Le PCF ne met pas en cause les dépenses guerrières et policières, mais il demande seulement qu’elles soient étendues aux autres « services publics ».
En outre, il propose de donner 8 milliards d’euros supplémentaires aux « TPE, PME, artisanat, industrie » (PCF, Contre-projet, 25 octobre, p. 3).
LFI n’a rien contre sur le militarisme et l’État policier qui font pour lui partie des « services publics » fournis par un État qui serait « au service de l’intérêt général ».
Nouvelle baisse des effectifs en vue. Le service public garant de l’intérêt général sera encore fragilisé. (LFI, Budget 2018, 18 octobre)
Le parti antidémocratique et patriotique de Mélenchon veut faire des cadeaux supplémentaires « aux entreprises »… pour 8 milliards d’euros ! (LFI, Contre-projet, 2 novembre, p. 34). LFI recruterait au total 12 000 flics et matons (plus que Macron !) et rémunérerait mieux les militaires.
Des créations d’emplois s’imposent dans… la police et la justice. (LFI, Contre-projet, 2 novembre, p. 25) ; Mission défense : augmentation des soldes et renouvellement du matériel : 1,2 milliard d’euros (p. 42)
Pour la rupture avec la bourgeoisie et la mise en cause de l’État bourgeois, les travailleuses et les travailleurs conscients doivent s’organiser et se battre dans les syndicats, les lieux de travail de vie et de formation :
À bas le budget 2018 !
Annulation de la dette publique ! Abolition des impôts qui renchérissent la consommation des biens et services de base (TVA, etc.) ! Suppression de toutes les niches fiscales !
Fiscalité progressive sur les revenus élevés et les gros patrimoines ! Contrôle des comptes des grands groupes par leurs travailleurs, ceux des banques et du fisc !
Pas de rémunération d’élu au-dessus du salaire d’une travailleuse qualifiée ! Fermeture des bases militaires à l’étranger ! Licenciement des corps de répression et de l’armée de métier ! Armement du peuple comme en 1789, en 1848, en 1871 et en 1944 !
1 décembre 2017