En février 1917, après des années de souffrances infligées par la première guerre inter-impérialiste, la révolution européenne débute dans la Russie autocratique, alliée de la France et de la Grande-Bretagne. Les ouvrières de Petrograd se soulèvent et rallient les soldats. Les travailleurs s’arment. La révolution détrône Nicolas II. Le pays, renouant avec la révolution de 1905, se couvre de conseils de travailleurs et de soldats, les « soviets » [voir Révolution communiste n° 23].
Malgré tout, le Parti menchevik (PM) et le Parti socialiste révolutionnaire (PSR) majoritaires dans les soviets remettent le pouvoir au prince Lvov, à l’Union du 17 octobre, au Parti constitutionnel démocrate (PKD) et au Parti « travailliste » de Kerensky qui n’ont joué aucun rôle dans la chute du tsar. Sous l’impulsion de Lénine, le Parti bolchevik (PB), qui avait hésité en mars, prône à partir de la mi-avril la révolution socialiste et la remise du pouvoir aux soviets [voir Révolution communiste n° 24].
En mai, les partis socialistes conciliateurs (PSR et PM) forment un gouvernement de coalition présidé par Kerensky avec le PKD. Ce gouvernement de type front populaire refuse d’accorder l’autodétermination aux peuples opprimés, poursuit la guerre impérialiste, refuse d’accorder la terre aux paysans, tente de rétablir la discipline sur le front, de sauver la propriété privée dans les villes et les campagnes, calomnie et réprime en juillet le Parti bolchevik.
Mais l’impuissance du gouvernement de Kerensky à mener la guerre et à rétablir l’ordre pousse les classes dominantes, capitalistes et propriétaires fonciers, à soutenir en août la tentative de coup d’État du général Kornilov. Le PB sort de la clandestinité et prend la tête du front unique des travailleurs qui disperse la contre-révolution [voir Révolution communiste n° 25].
Août 1917, le Parti bolchevik gagne la majorité du soviet de Petrograd
Vu que la situation a basculé en faveur du prolétariat et que les organes de double pouvoir ont été revitalisés, le Parti bolchevik propose une dernière fois un compromis au Parti menchevik et au Parti socialiste révolutionnaire qui, ayant été majoritaires au 1er congrès panrusse des soviets, détiennent toujours le « Comité central exécutif des soviets ».
Le compromis consistera en ceci : les bolcheviks, sans demander de participer au gouvernement – ce qui est impossible à un internationaliste sans la réalisation intégrale des conditions de la dictature du prolétariat et des paysans pauvres – s’abstiendront de mettre immédiatement en avant la revendication du transfert du pouvoir au prolétariat et aux paysans pauvres, et des méthodes de lutte révolutionnaire pour la réalisation de cette revendication. La condition, qui est évidente, n’est nullement nouvelle. Pour les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, ce serait la pleine liberté de propagande et la convocation de l’Assemblée constituante sans délais. Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, en tant que bloc gouvernemental, consentiraient alors à former un gouvernement exclusivement responsable devant les soviets, à condition de faire passer tout le pouvoir aux soviets également. Cela constituerait une nouvelle condition. Aucune autre condition ne saurait, je pense, être posée par les bolcheviks, confiants qu’une pleine et entière liberté de propagande et la réalisation immédiate d’une nouvelle démocratie dans la composition et le fonctionnement des soviets pourraient assurer d’elles-mêmes une avancée pacifique de la révolution, une issue pacifique de la lutte du parti à l’intérieur des soviets. (Lénine, Au sujet des compromis, 6 septembre 1917, OEuvres, Progrès, t. 25, p. 335)
Mais, une fois de plus, le PM et le PSR refusent de rompre avec la bourgeoisie et d’assumer le pouvoir au nom des soviets. En continuant à participer au gouvernement provisoire non élu avec le Parti constitutionnel démocrate, ils aggravent leur impopularité.
La Russie tout entière apprenait à lire ; elle lisait de la politique, de l’économie, de l’histoire, car le peuple avait besoin de savoir. Dans chaque ville, presque dans chaque village, sur tout le front, chaque fraction politique avait son journal… Des milliers d’organisations distribuaient des milliers de brochures et en inondaient les armées, les villages, les usines, les rues… Et quel rôle jouait la parole !… On tenait des meetings dans les tranchées, sur les places de villages, dans les fabriques. Quel admirable spectacle que les 40 000 ouvriers de Poutilov allant écouter les orateurs sociaux-démocrates, socialistes-révolutionnaires, anarchistes et autres, également attentifs à tous et indifférents à la longueur des discours ! (Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, janvier 1919, ESI, p. 37-38)
Grâce à cette démocratie qui règne en Russie, bien supérieure au parlementarisme bourgeois (sans parler de la censure et de la répression qui règnent en France au même moment), les soviets des centres urbains passent, un après l’autre, aux bolcheviks. Le 31 août, le soviet de Petrograd adopte, pour la première fois une résolution pour tout le pouvoir aux soviets. Dans la semaine qui suit, ceux de Moscou, de Kiev et des principales agglomérations lui emboîtent le pas. Le 9 septembre, le soviet de Petrograd condamne la coalition du PSR et du PM avec le PKD. Le 23 septembre, le soviet de Petrograd élit comme président Trotsky, rallié au Parti bolchevik avec toute son organisation.
Lénine, qui est passé dans la clandestinité en juillet, estime le moment venu de mettre à bas l’ancien appareil d’État.
« Le pouvoir aux soviets », cela signifie une refonte radicale de tout l’ancien appareil d’État, appareil bureaucratique qui entrave toute initiative démocratique ; la suppression de cet appareil et son remplacement par un appareil nouveau, populaire, authentiquement démocratique, celui des soviets, c’est-à-dire de la majorité organisée et armée du peuple, des ouvriers, des soldats et des paysans ; la faculté donnée à la majorité du peuple de faire preuve d’initiative et d’indépendance non seulement pour l’élection des députés, mais encore dans l’administration de l’État, dans l’application de réformes et de transformations sociales. (Lénine, Une des questions fondamentales de la révolution, 14 septembre 1917, OEuvres, t. 25, p. 400)
Neutres ou hostiles à la révolution en février, les paysans subissent la conscription, la crise économique et les pénuries. À la remontée révolutionnaire urbaine des soldats et ouvriers s’ajoute désormais la guerre des paysans pauvres contre les grands propriétaires. Le gouvernement PKD-PSR-MP défend le propriété privée en suspendant la question agraire à l’élection de l’Assemblée constituante et en envoyant des cosaques restaurer l’ordre. Dès juillet, les saisies de terres, de fermes par les simples paysans vont croissant. Reliés aux villes par les soldats-paysans des garnisons révolutionnaires, les paysans pauvres contournent les chefs de village et les prêtres orthodoxes qui leur prêchent la résignation depuis des siècles. La paysannerie laborieuse partage la terre pour vivre. Le PB, seul, soutient le mouvement. Grâce aux revendications radicales de paix et de partage de la terre, la classe ouvrière conquiert le soutien de la masse des paysans des villages et du front.
Ce qui caractérise toute révolution, c’est que la conscience des masses évolue très vite : des couches sociales toujours nouvelles acquièrent de l’expérience, passent au crible leurs opinions de la veille, les rejettent pour en adopter d’autres, écartent les vieux chefs et en prennent de nouveaux, vont de l’avant. (Trotsky, L’Avènement du bolchevisme, février 1918, Maspero, p. 49)
Septembre 1917, la Conférence démocratique du gouvernement PKD-PSR-PM
Toute grande décision entraîne un débat dans un parti ouvrier révolutionnaire. Zinoviev, Kamenev et une partie du comité central du PB hésitent. Ils veulent attendre le prochain congrès des soviets, toujours repoussé comme l’Assemblée constituante, par les chefs mencheviks et populistes. Début septembre, Zinoviev écrit dans la Pravda qu’il ne faut pas faire une insurrection, craignant le sort de la Commune de Paris.
Lénine, qui est dans la clandestinité depuis la répression de juillet, multiplie des lettres pressantes au comité central. Le front se disloque, l’armée allemande avance, menaçant Petrograd. Au contraire des journées de juillet, la majorité est acquise au PB dans les deux capitales. Les délégations de soldats affluent au soviet de Petrograd pour exiger la paix. Durant tout le mois de septembre, les masses ouvrières et paysannes se détournent des partis de la « démocratie socialiste » qui restent au gouvernement bourgeois. Pour Lénine, le Parti bolchevik doit décider l’insurrection :
Il s’agit de rendre claire aux yeux du parti la tâche qui lui incombe : mettre à l’ordre du jour l’insurrection armée à Petrograd et à Moscou (et dans la région), la conquête du pouvoir, le renversement du gouvernement. (Lénine, Les bolcheviks doivent prendre le pouvoir, 14 septembre 1917, OEuvres, t. 26, p. 12)
Les efforts de Lénine restent sans effet dans un premier temps. Le 28 septembre, le Comité central rejette sa demande.
Une nouvelle « conférence démocratique » convoquée mi-septembre par le gouvernement doit préparer les élections de l’Assemblée constituante, jusqu’alors repoussées par les gouvernements provisoires. Kerensky et le gouvernement espèrent en tirer la légitimité pour contenir la révolution. Dans le Parti bolchevik, Trotsky propose de boycotter la conférence mais perd de quelques voix.
La conférence du gouvernement se tient à la mi-septembre. Le PM et le PSR veulent qu’elle soit consacrée au sauvetage de la coalition, au rétablissement de l’ordre bourgeois. Mais la pression des masses est telle que la Conférence elle-même rejette dans un premier temps l’alliance avec le PKD. Il faut d’innombrables manoeuvres pour qu’un pré-parlement, « soviet de la République », soit nommé et qu’un nouveau gouvernement soit désigné. Deux semaines plus tard, le PB sort du pré-parlement.
Le Parti socialiste-révolutionnaire, sous la pression contradictoire des paysans pauvres et des soldats des grandes villes, scissionne. Le PSR de droite soutient le gouvernement, le PSR de gauche se rapproche du PB.
Octobre 1917, la préparation de l’insurrection
Lénine, entre autres, rédige des thèses pour la conférence du PB de Petrograd.
La participation de notre parti au « préparlement » est une erreur manifeste et une déviation de la voie de la révolution prolétarienne… Tout le travail des bolcheviks en six mois de révolution, toutes les critiques qu’ils ont formulées contre les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, contre leur « politique de conciliation » et contre la transformation des soviets en parlotes, exigent des bolcheviks qu’ils observent ce mot d’ordre en toute conscience, avec une fermeté marxiste ; malheureusement, dans les instances les plus élevées du parti, on constate des hésitations, une sorte de crainte devant la lutte pour le pouvoir, une propension à substituer à cette lutte des résolutions, des protestations et des congrès. Toute l’expérience des deux révolutions, celle de 1905 comme celle de 1917, de même que toutes les décisions du Parti bolchevik, toutes ses déclarations politiques depuis de longues années aboutissent au fait que le soviet de députés ouvriers et soldats ne peut être qu’un organisme insurrectionnel, qu’un organe du pouvoir révolutionnaire. Sinon les soviets ne sont que de vains hochets qui conduisent infailliblement à l’apathie, à l’indifférence, au découragement des masses légitimement écoeurées par la répétition perpétuelle de résolutions et de protestations… La prise du pouvoir par les soviets se ramène au problème de l’insurrection victorieuse. (Lénine, Thèses pour la conférence du 8 octobre, 29 septembre-4 octobre 1917, OEuvres, t. 26, p. 140-142)
Le 10 octobre, le comité central du Parti bolchevik adopte la motion de Lénine pour l’insurrection. Parmi les présents, seuls Kamenev et Zinoviev votent contre.
Cette idée épouvantait tant Kamenev et Zinoviev qu’ils n’hésitèrent pas à violer la discipline du parti. Tout de suite après la séance du 10 octobre, ils adressèrent une longue circulaire à tous les membres du parti. (Carmichael, Histoire de la révolution russe, 1964, Gallimard, p. 274)
Le parti révolutionnaire prépare la prise du pouvoir au sein des soviets, des quartiers, des usines et des régiments révolutionnaires. Le congrès des soviets de la région Nord convoque, sur proposition du soviet de Petrograd, le 2e congrès des soviets le 25 octobre. Arrivant du front, les délégués des soldats se rangent du côté des bolcheviks. Les régiments de Petrograd qui avaient réprimé les bolcheviks en juillet deviennent neutres ou mieux, sont convaincus de servir la révolution.
Trotsky organise l’insurrection. Pour que du congrès des soviets sorte un gouvernement ouvrier et paysan, décision est prise de prendre les points névralgiques de la capitale, de contrôler la garnison, d’affronter les forces de répression restées fidèles à Kerensky. Ce dernier n’est pas dupe. Mais toutes ses initiatives se heurtent aux masses. Le gouvernement veut envoyer au front les deux-tiers de la garnison gagnés à la révolution car son seul salut est d’opposer au nom de la patrie l’arrière et le front.
Les soldats abordaient la question d’une façon plus directe. Aller au front maintenant, au tard de l’automne, se résigner à une nouvelle campagne d’hiver – non, cette idée-là ne leur entrait pas dans la tête. La presse patriotique ouvrit immédiatement la fusillade sur la garnison : les régiments de Petrograd, engraissés dans l’oisiveté, trahissent encore une fois le front. Les ouvriers s’interposèrent en faveur des soldats. Ceux des usines Poutilov furent les premiers à protester contre l’évacuation des régiments. La question ne cessait d’être à l’ordre du jour non seulement dans les casernes, mais même dans les usines. Cela relia plus étroitement les deux sections du Soviet. Les régiments soutinrent dés lors avec un empressement tout particulier la revendication de l’armement des ouvriers. (Trotsky, Histoire de la révolution russe, 1930-1932, Seuil, t. 2, p. 463)
Arracher la paix immédiatement implique de suivre le Parti bolchevik.
Octobre 1917, l’insurrection donne le pouvoir aux soviets
Le Parti menchevik propose de créer un organe pour organiser la défense de Petrograd contre la menace allemande grandissante, le Comité militaire révolutionnaire (CMR). Le CMR est investi par le Parti bolchevik et l’Union de propagande anarcho-syndicaliste. Par contre, les mencheviks et les populistes le boycottent car il conteste l’autorité de l’état-major. En effet, au nom du soviet de Petrograd, le CMR prend possession du maximum d’arsenaux et décide les mouvements de troupe.
Une conférence illégale des comités de soldats se tient le 18 octobre, les derniers régiments hostiles de la Forteresse Pierre et Paul sont retournés le 19 octobre par Trotsky, son arsenal passe sous le contrôle du CMR. Le Parti bolchevik déclare le 22 octobre « journée du soviet de Petrograd ».
Le soviet procédait avec calme et sang-froid, sans prêter l’oreille aux vociférations de « l’opinion publique » et de la grande bourgeoisie. Le 22 octobre fut le jour de parade de l’armée prolétarienne. Tout s’y passa excellemment. Malgré tous les avertissements venus de droite et prétendant que le sang coulerait à flot dans les rues, les masses populaires accoururent en foule aux meetings du soviet de Petrograd. (Trotsky, L’Avènement du bolchevisme, 1918, p. 80)
Le PB décide l’insurrection pour la nuit du 24 au 25, veille du congrès des soviets. Les points névralgiques tombent entre les mains des gardes rouges et des régiments ralliés au CMR : imprimeries, postes, ponts, centrale électrique, casernes, Banque d’État, gares, arsenaux, routes… 10 000 ouvriers et soldats suffisent à cette tâche.
Le gouvernement Kerensky tente de contre-attaquer. L’état-major donne l’ordre au navire de guerre L’Aurore de se placer devant le Palais d’hiver, où siège le gouvernement PKD-PSR-PM, pour le protéger. Mais les marins de L’Aurore choisissent le CMR et tirent un coup de semonce sur le bâtiment. Dans la nuit du 25 au 26 octobre, les ministres sont arrêtés, Kerensky s’enfuit dans une voiture fournie par l’ambassade des États-Unis. L’insurrection ne coûte que quelques morts et blessés. Les officiers qui prêtent serment de ne pas prendre les armes contre le pouvoir des soviets sont relâchés. Évidemment, ils ne tiendront pas parole. Le 25 octobre au matin, le CMR publie son bulletin de victoire :
Tous les témoins de l’époque rendent hommage à l’énergie et à l’habileté déployées à ce moment-là par Trotsky et aux services qu’il rendit à la cause de la révolution. Mais la stratégie d’ensemble de la révolution avait été dirigée par Lénine grâce à son outil d’élection, l’aile bolchevik du Parti ouvrier social-démocrate russe. (Carr, La Révolution bolchevique, 1950, Minuit, p. 105)
Il en est autrement à Moscou, où le parti est dirigé par Boukharine.
Boukharine, en septembre, fut nettement moins radical que Lénine. Avec le reste du comité central, il vota pour rejeter (et bruler) les lettres de Lénine exigeant une insurrection immédiate. (Cohen, Bukharin and the Bolshevik Revolution, 1971, Oxford UP, p. 58)
Constituant tardivement un comité révolutionnaire militaire, le Soviet de Moscou laisse la contre-révolution s’organiser. Le parlement municipal (Douma) se réunit avec tous les partis sauf les élus bolcheviks et proclame un « comité de salut public » opposé au soviet à majorité bolchevik. Le siège du soviet étant en centre ville, donc éloigné des faubourgs ouvriers, se trouve encerclé le 25 octobre par les élèves-officiers et la jeunesse bourgeoise en armes.
À Moscou, la lutte fut plus sévère : des indécisions dans le camp adverse avaient permis aux « blancs » de chasser du Kremlin les troupes bolcheviks… (Coquin, La Révolution russe, 1962, Les Bons Caractères, p. 120)
Pendant 6 jours, le prolétariat et les soldats révolutionnaires affrontent les forces contre-révolutionnaires et finissent par les vaincre.
Les premières mesures du pouvoir ouvrier et paysan
Le 2e congrès des soviets se réunit à Petrograd le soir du 25 octobre.
Il était difficile d’imaginer une assemblée plus différente du soviet de février ou du précédent congrès de juin. Peu d’intellectuels, encore moins d’officiers ; ce n’était que soldats en vareuse défraîchies, paysans barbus en bottes et en touloupes, ouvriers mal rasés… (Coquin, La Révolution russe, 1962 p. 113)
Le congrès comporte 650 députés : 390 bolcheviks, 150 socialistes-révolutionnaires de gauche, 80 mencheviks, 60 socialistes-révolutionnaires de droite. À l’annonce de la chute du Palais d’Hiver et du ralliement des régiments envoyés par Kerensky sur Petrograd, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de droite quittent le congrès.
Le congrès avalise l’insurrection et prend le pouvoir.
S’appuyant sur la volonté de l’immense majorité des ouvriers, des soldats et des paysans, s’appuyant sur l’insurrection victorieuse des ouvriers et de la garnison qui s’est accomplie à Petrograd, le congrès prend en mains le pouvoir… (Lénine, Aux ouvriers, aux soldats et aux paysans, 25 octobre 1917, OEuvres, t. 26, p. 253)
Il prend immédiatement un décret sur la terre.
Lénine avait employé une partie de sa nuit à rédiger le décret sur la terre. Ce seul décret allait rendre le nouveau pouvoir invincible en lui assurant la sympathie de millions de paysans. Lénine y comptait. « Si seulement, disait-il dans la matinée du 26, nous avons le temps de promulguer cette loi, qu’on essaie, après, de nous l’arracher ! ». Dans la rédaction de ce texte décisif, Lénine s’était inspiré de deux cent quarante-deux mandats des soviets ruraux, concordant avec le programme agraire du Parti socialiste révolutionnaire. Ainsi, ce dont les socialistes-révolutionnaires n’avaient cessé de parler, les bolcheviks le faisaient, dépossédant du coup le parti gouvernant d’hier du programme qui légitimait son influence sur les campagnes. (Serge, L’An I de la révolution russe, 1925-1928, La Découverte, p. 97)
Un deuxième décret porte sur la proposition d’une paix immédiate entre tous les belligérants. Il se conclut sur un appel aux classes ouvrières de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne.
Les ouvriers de ces pays ont rendu les plus grands services à la cause du progrès et du socialisme : les magnifiques exemples du mouvement chartiste en Angleterre ; une série de révolutions historiques d’une importance majeure réalisées par le prolétariat français ; enfin la lutte héroïque contre la loi d’exception et un long effort de ténacité et de discipline, qui constitue un exemple pour les ouvriers du monde entier, effort tendant à former des organisations prolétariennes de masse en Allemagne. Tous ces exemples d’héroïsme prolétarien et d’initiative historique sont pour nous la garantie que les ouvriers de ces pays accompliront les tâches qui leur incombent aujourd’hui, qu’ils libéreront l’humanité des horreurs de la guerre et de ses conséquences ; que ces ouvriers, par leur activité multiple, décisive, par leur énergie sans réserve nous aideront à mener avec succès jusqu’au bout la lutte pour la paix et, en même temps, la lutte pour l’affranchissement des masses laborieuses et exploitées de tout esclavage et de toute exploitation. (Lénine, Décret sur la paix, 26 octobre 1917, OEuvres, t. 26, p. 258)
Ce même décret reconnaît le droit des peuples opprimés de l’ancien empire russe à disposer d’eux-mêmes.
Le troisième décret établit un nouveau gouvernement, intitulé, sur suggestion de Trotsky, Conseil des commissaires du peuple dont les 15 membres avaient connu l’exil ou la prison. À partir de décembre, le PSR de gauche participe à ce gouvernement.
Le congrès désigne aussi un nouveau Comité exécutif central des soviets : 71 du PB, 29 du PSR de gauche.
Conclusion : la question du parti ouvrier révolutionnaire
Un an après la révolution d’octobre, Lénine tire les leçons :
Le bolchevisme a popularisé dans le monde entier l’idée de la « dictature du prolétariat »… Il a montré par l’exemple du pouvoir des soviets que même dans un pays arriéré, les ouvriers et les paysans pauvres, même les moins expérimentés, les moins instruits, les moins accoutumés à l’organisation, ont pu durant une année, au milieu de difficultés inouïes, en luttant contre les exploiteurs (qu’épaulait la bourgeoisie du monde entier), sauvegarder le pouvoir des travailleurs, instaurer une démocratie infiniment supérieure et plus large que toutes les démocraties antérieures du monde, et inaugurer le travail créateur de dizaines de millions d’ouvriers et de paysans pour la réalisation pratique du socialisme. En fait, le bolchevisme a puissamment aidé au développement de la révolution prolétarienne en Europe et en Amérique, plus qu’aucun parti n’a réussi à le faire jusqu’à ce jour dans aucun pays… Tout cela ne suffit-il pas pour la victoire complète du socialisme ? Évidemment non. Un seul pays ne peut faire davantage. (Lénine, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, octobre-novembre 1918, OEuvres, t. 28, p. 303-304)
Peu après la victoire de la révolution russe, les défaites de la révolution dans un pays plus développé, l’Italie, et dans le plus avancé d’Europe, dont le prolétariat était le plus organisé du monde, l’Allemagne, ont prouvé qu’il est nécessaire de bâtir un parti ouvrier ouvertement et fermement révolutionnaire bien avant que la révolution éclate, ce qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une internationale ouvrière.
L’apparition des organes ouvriers et populaires, qui a lieu aussi en Italie et en Allemagne, crée les conditions de la révolution socialiste mais ne suffit pas.
L’organisation à l’aide de laquelle le prolétariat peut non seulement renverser l’ancien régime, mais se substituer à lui, ce sont les soviets… Les soviets sont les organes de préparation des masses à l’insurrection, les organes de l’insurrection et, après la victoire, les organes du pouvoir. Cependant, les soviets, par eux-mêmes, ne tranchent pas la question. Selon le programme et la direction, ils peuvent servir à diverses fins. Un programme est donné aux soviets par le parti. Si les soviets, dans les circonstances d’une révolution – et, hors d’une révolution, ils sont généralement impossibles – s’emparent de toute la classe, à l’exception des couches tout à fait arriérées, passives ou démoralisées, le parti révolutionnaire est à la tête de la classe. Le problème de la conquête du pouvoir ne peut être résolu que par la combinaison du parti avec les soviets ou bien avec d’autres organisations de masses équivalant plus ou moins aux soviets. (Trotsky, Histoire de la révolution russe, t. 2, p. 545-546)
30 novembre 2017