La bourgeoisie américaine ne peut plus continuer comme avant
L’élection de Trump a été indirectement le produit de la crise de la bourgeoisie américaine sur le terrain économique. En 2016, le taux de croissance des États-Unis n’a pas dépassé 1,6 % au lieu de 2,6 % en 2015, son déficit commercial avec la Chine atteint 350 milliards de dollars. Depuis la consolidation de la crise de 2008, la croissance américaine est certes continue, mais molle, loin des taux de croissance antérieurs à 4 % ou 5 %. Cette situation économique incertaine est allée de pair avec la poursuite de l’érosion des positions de la première puissance impérialiste mondiale, obligée de composer avec les interventions d’autres puissances, comme en Syrie.
Plus directement, l’élection de Trump a exprimé la crise de la représentation politique de la bourgeoisie américaine, traditionnellement partagée entre le Parti républicain et le Parti démocrate, dont les directions étaient usées l’une comme l’autre, d’où l’apparition aux primaires de candidats qui leur étaient hostiles, le vieux démocrate de gauche Sanders d’un côté (même si Clinton l’avait emporté) et le capitaliste Trump de l’autre. Républicain lui-même, c’est pourtant contre l’appareil et les caciques du Parti républicain que Trump s’est imposé, en promettant sur une ligne populiste, protectionniste et xénophobe, antichinoise et prorusse, de « rendre sa grandeur à l’Amérique ».
Brouillon, incohérent, imprévisible, Trump a donné et donne encore des sueurs froides à la bourgeoisie américaine qui n’a de cesse de le domestiquer, de le canaliser, en essayant d’utiliser au mieux ses dispositions réactionnaires et son inculture crasse.
Et elle y parvient par la pression des grands groupes capitalistes (bien représentés au gouvernement), des hauts fonctionnaires de Washington (qu’il vitupérait durant la campagne électorale) et de l’état-major. Mieux même, elle le tient désormais en laisse : les multiples casseroles que Trump a tôt fait de laisser trainer derrière lui, depuis ses liens troubles d’affairiste avec la Russie, ses démêlés avec les enquêtes du FBI sur son compte, l’implication de sa famille et de son entourage dans diverses opérations juteuses à l’ombre du pouvoir, tout cela, loin de faire de Trump le président antisystème, en fait au contraire son obligé. Le président s’est donc coulé dans le moule de l’aile droite du Parti républicain.
Le protectionnisme à l’épreuve des faits
Moins d’une semaine après son installation, Trump dénonçait le traité transpacifique TPP, censé contenir l’influence grandissante de la Chine dans cette région du monde, au grand dam des alliés des EU, comme le Japon ou l’Australie. Ce qui permettait à la Chine de se présenter en championne du libre-échange au forum de Davos qui suivait de peu cette annonce… Trump déclarait également qu’il voulait dénoncer le traité de l’Alena supprimant les barrières douanières entre les EU, le Canada et le Mexique. Pour Trump, ce traité aurait entrainé la délocalisation de millions d’emplois au Mexique. Mais ce sont bien les capitalistes étasuniens, notamment dans l’automobile, qui ont profité ainsi de la main-d’œuvre meilleur marché au Mexique, pour y faire monter leurs voitures et les revendre ensuite aux EU.
Si Trump a le soutien dans cette affaire d’une partie des démocrates comme de l’AFL-CIO du côté syndical, il se heurte donc en même temps aux intérêts d’une fraction notable de la bourgeoisie américaine. Plus généralement, le protectionnisme n’est pas l’option des secteurs décisifs de la bourgeoisie, celle des grands groupes capitalistes transnationaux, pas plus aux EU qu’en France, en Allemagne et même au Royaume-Uni. La dénonciation du traité s’est donc transformée en rediscussion du traité. Montant au créneau, le sénateur républicain McCain a prévenu des « conséquences désastreuses » pour les EU que pourraient entrainer la révision du traité. Quant au Canada, dont les exportations de bois aux EU viennent d’être taxées de 20 % et dont le constructeur d’avions Bombardier est accusé de vendre à perte aux EU, celui-ci est bien décidé à défendre ses industries et le Premier ministre canadien a rappelé que le Canada constituait le premier marché pour les exportateurs étasuniens. À bon entendeur, salut !
Tout pour les capitalistes !
Autre exemple du polissage des prétentions populistes de Trump, la réforme fiscale est devenue parfaitement conforme aux intérêts de la bourgeoisie : elle réduit le nombre de tranches d’imposition pour les ménages de 7 à 3 en plafonnant le taux d’impôt maximal à 35 % au lieu de 39,6 %, elle baisse le taux maximal sur les grandes entreprises de 35 % à 15 %, l’un des plus bas de l’OCDE, et elle institue de larges déductions fiscales en cas de rapatriement aux EU des bénéfices faits à l’étranger ! Là encore, les intérêts supérieurs de la grande bourgeoisie ont parlé et les taxes aux frontières pour les entreprises américaines délocalisées et rapatriant leur production aux EU, dont Trump avait fait grand cas dans sa campagne, ont été finalement écartées.
Tout aussi significatif, le démantèlement des mesures de protection de l’environnement, présenté soi-disant pour défendre l’emploi des mineurs de charbon, mais dont les mines ne sont de toute façon plus rentables, qui laisse en réalité libre cours à toutes les compagnies pétrolières !
Trump avait juré d’en finir avec l’Obamacare, système de santé qui assure une couverture médicale à des millions d’américains grâce au financement des compagnies d’assurance par l’argent public, mais il s’est une première fois cassé les dents au Congrès, se heurtant aux démocrates, mais aussi à une partie des républicains, les uns le jugeant trop timide et les autres trop hardi. Des milliers de travailleurs et de jeunes s’étaient rassemblés devant les permanences des membres du Congrès pour les dissuader de voter avec Trump. Cependant, un deuxième texte, à peine édulcoré, vient de passer de justesse au Congrès. Rétablissant une liste de maladies ou d’affections préexistantes permettant aux assurances privées de refuser leur concours, il pourrait aboutir, s’il est également voté au Sénat, à priver de couverture plus de 14 millions d’Américains. Le système n’est donc pas démantelé mais les compagnies d’assurance n’assureront plus que les bien-portants.
La pression sur les immigrés illégaux
Trump avait promis de construire un mur sur la frontière mexicaine pour lutter contre l’immigration clandestine et garanti que cela ferait disparaître le trafic de drogue. Mais le financement de ce mur, estimé entre 12 et 15 milliards de dollars, n’a pas franchi la barre du Congrès dans la loi budgétaire pour clôturer 2017.
Au-delà des questions de coûts et des oppositions nombreuses d’ordre démocratique et humanitaire, une raison plus prosaïque a contribué à repousser ce projet aux calendes grecques : nombre d’entreprises américaines, essentiellement de construction ou agricoles, utilisent à leur profit la main-d’œuvre illégale, donc sans droit, qui traverse la frontière mexicaine. Il y a environ 11 millions de travailleurs illégaux aux EU, dont un peu plus de la moitié sont d’origine mexicaine. En Californie, par exemple, 40 % des travailleurs agricoles, 14 % des travailleurs dans le secteur de la construction sont des immigrés illégaux. Ainsi, si Trump n’a pas son mur, il est parvenu à accentuer la pression sur les immigrés illégaux en intimant l’ordre à la police de les traquer partout, même s’ils sont installés et travaillent depuis des années aux EU. Il lui sera évidemment impossible d’expulser les 11 millions d’illégaux comme il l’a promis dans sa campagne, mais la peur qu’il sème divise le prolétariat et rend cette fraction de la classe ouvrière encore plus fragile, taillable et corvéable à merci. C’est tout bénéfice pour la bourgeoisie.
Le militarisme impérialiste aux commandes
Et il en va ainsi de nombre d’initiatives, de déclarations tonitruantes de Trump qui soit se perdent dans les sables, soit sont redimensionnées par l’appareil politique de l’État bourgeois américain pour s’ajuster aux nécessités de la classe capitaliste entière et surtout du grand capital. L’affirmation de la puissance militaire et la réactivation des alliances stratégiques en font partie. Ainsi, le décret interdisant l’entrée de voyageurs comme de réfugiés en provenance de pays à majorité musulmane comme la Libye, l’Iran, l’Irak, le Soudan, etc. a-t-il été immédiatement bloqué. Les protestations massives contre ce décret ont bien sûr joué leur rôle, mais sans doute aussi en coulisses la nécessité de ménager l’Irak et de faire des affaires au Proche-Orient.
À peine installé, Trump qui prétendait que les EU ne joueraient plus au gendarme du monde, a lâché la bride à ses généraux qui ont lancé plusieurs opérations, discrètement ou de manière retentissante, en Somalie, au Yémen en soutien à l’Arabie Saoudite, en Afghanistan où la plus grosse bombe conventionnelle jamais utilisée à été larguée, en Syrie avec le bombardement de près de 60 missiles de croisières, à 1,5 million de dollars pièce, en envoyant enfin un porte-avion et son escorte croiser en direction de la Corée du nord, tout ceci avec l’appui explicite ou tacite du Parti démocrate. Trump a d’ailleurs proposé « une hausse historique » des crédits militaires pour 2018 avec une augmentation de 9 %, soit 54 milliards de dollars, compensée par une baisse équivalente de tous les engagements et programmes d’aides internationales des EU.
Ce militarisme croissant trouve son prolongement dans les choix diplomatiques que vient d’affirmer Trump en abandonnant la fiction ONU de deux États sur le territoire de la Palestine pour laisser les mains encore plus libres à la bourgeoisie israélienne, en décidant d’appuyer sans retenue aucune la monarchie réactionnaire d’Arabie Saoudite, engendrant au passage d’énormes contrats de fournitures militaires. En remettant l’Iran au centre de « l’axe du mal », en soutenant totalement la politique de colonisation d’Israël contre les Palestiniens, en menaçant enfin la Corée du nord d’une possible intervention militaire, Trump signifie que la bourgeoisie américaine se prépare à utiliser à nouveau sa puissance militaire pour affirmer sa place.
Pour un parti révolutionnaire aux États-Unis
L’arrivée de Trump au pouvoir a immédiatement déclenché de puissantes manifestations de protestation, en défense des immigrés, des minorités, des femmes, de l’environnement, de la couverture médicale, du droit aux études etc., témoignant d’une potentialité de combat de la jeunesse et de fractions de la classe ouvrière. Mais c’est le Parti démocrate qui, pour l’essentiel, tire les ficelles, ouvertement ou indirectement. Le parti bourgeois continue à dominer les grands syndicats et les confédérations. La stalinisation du parti communiste à la fin des années 1920 et la destruction politique de la section américaine de la 4e Internationale à la fin des années 1950 n’ont pas été surmontées et lui laissent les mains libres. Bernie Sanders, sans rompre avec le Parti démocrate, car il vise à le redresser, a créé son propre mouvement, « Our Revolution », dont l’objectif, bien loin de toute révolution, est de « réclamer la démocratie au nom de tous les travailleurs… ».
Face aux menaces de guerre impérialiste, aux multiples attaques contre les travailleurs et les jeunes dans tous les domaines, économique, social, des libertés publiques, de l’environnement etc. la classe ouvrière et la jeunesse des EU ont plus que jamais besoin d’un parti révolutionnaire qui brise leur dépendance avec la bourgeoisie américaine qu’entretiennent le Parti démocrate, ses divers satellites, les directions syndicales. Ce parti ordonnerait tous les luttes pour les revendications ouvrières comme pour les libertés démocratiques et le respect des Noirs, autour du combat pour en finir avec capitalisme, pour un gouvernement ouvrier, pour la destruction de l’État bourgeois, pour les États-Unis socialistes de toute l’Amérique. Contre le militarisme et les immixtions incessantes à l’étranger, contre la xénophobie et le racisme, le drapeau de ce parti doit être celui de la solidarité ouvrière et de l’internationalisme.
25 mai 2017