L’accord signé le 21 avril
Le Kolèktif pou la Gwiyann Dékolé (Collectif pour que la Guyane décolle), les quatre parlementaires guyanais, les présidents de la collectivité territoriale et de l’association des maires ont ratifié, sous l’égide du préfet représentant le gouvernement Hollande, un accord qui a mis fin au mouvement entamé le 16 mars.
Le document intègre « le plan d’urgence » de 1,86 milliard d’euros adopté en conseil des ministres le 5 avril qui avait été rejeté par les grévistes, comme très insuffisant. Quant aux 2,1 milliards d’euros de mesures réclamées supplémentaires, les signataires ont accepté de s’asseoir dessus en paraphant qu’un jour c’est sûr, la question serait étudiée…
L’État s’engage à ce que ces mesures fassent sans délai l’objet d’un examen prioritaire… pour programmer un plan additionnel d’investissement et de fonctionnement. (Le Monde, 24 avril 2017)
Par contre, la « zone franche sociale et fiscale » négociée par les patrons, sur dix ans pour les entreprises jusqu’à 50 salariés (et au-delà si 51 % détenus par des personnes physiques) sera inscrite dans la loi lors de la prochaine session parlementaire :
• exonérations de cotisations jusqu’à 2,8 SMIC tout de suite, puis jusqu’à 4 000 euros mensuels, dans tout le secteur privé, quelle que soit l’activité ;
• aucun impôt sur les bénéfices, sans limite de montant, si investissement dans l’entreprise pendant 5 ans ;
• exonération de taxes sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la cotisation foncière des entreprises et les taxes sur le foncier bâti et non bâti.
Ces cadeaux au patronat renforcent le capital contre le travail, comme d’autres mesures du « plan d’urgence » : augmentation du contingent de policiers et de gendarmes, construction d’une cité judiciaire à Cayenne et d’une prison à Saint-Laurent-du-Maroni. Ils ponctionnent la Sécurité sociale, s’opèrent au détriment des immenses besoins en matière de santé, d’instruction, de logement, de transports publics qui ont légitimement motivé l’explosion de colère.
Une colonie baptisée département
Un taux de pauvreté à 44 %, un taux de chômage des jeunes à 50 % (22 % pour l’ensemble de la population), une mortalité infantile trois fois supérieure à la moyenne nationale, quatre fois plus de bénéficiaire du RSA et de la CMU-C qu’en métropole, des prix à la consommation supérieurs de 12 % (jusqu’à 45 % pour les produits alimentaires, essentiellement importés), des milliers d’enfants non scolarisés, 40 % d’illettrisme, 12 % de détenteurs du bac, une absence d’eau potable pour 20 % de la population, en particulier la plus discriminée (Amérindiens et Businenge que l’administration française classait en « primitifs » jusqu’au recensement de 1961 et excluait de toute citoyenneté), un accès chaotique à l’électricité sur une bonne partie du territoire, un taux de suicide entre 10 et 20 fois supérieur à la moyenne française… La population laborieuse de Guyane continue de payer les conséquences de l’exploitation coloniale (esclavage, pillage des ressources minières, du bois, liquidation de l’agriculture vivrière…) et de la survie du mode de production capitaliste (chômage de masse, violence due au pourrissement de pans entiers de la société livrés à la drogue, organisation de la pénurie dans les services publics de santé, surprofits générés par le lancement de satellites qui engraissent une minorité quand la majorité manque même du nécessaire).
Elle s’est massivement mobilisée, cinq semaines durant, pour l’amélioration de ses conditions d’existence, mais n’a pu imposer la défense de ses seuls intérêts qui ont été dilués et trahis dans la « défense de la Guyane ».
Le prolétariat n’a jamais dirigé le mouvement
Alors que la grande majorité des salariés, des chômeurs, des jeunes en formation, des paysans travailleurs ou petits commerçants a participé à la grève générale et aux blocages, a tenu les piquets, les barrages, elle a été expulsée de la direction du mouvement, ce que manifeste l’absence de revendications ouvrières affirmées contre les prétentions patronales à baisser la valeur de la force de travail, à diviser les prolétaires du fait de l’ethnie ou de la nationalité. La force de la classe ouvrière de Guyane a été contenue par l’alliance entre les organisations patronales et la direction de l’UTG (Union des travailleurs guyanais qui réunit 37 syndicats). Elle a été enchaînée au Kolèktif d’union nationale qui a servi à masquer les classes antagoniques et les intérêts diamétralement opposés des patrons guyanais et des ouvriers guyanais qu’ils exploitent. Il comprenait le Medef, la FNSEA, des élus locaux de Rassemblement Guyane (lié à LR), l’UTG et les « 500 frères contre la délinquance ». Cette milice bourgeoise qui ne dit pas son nom, cagoulée et entièrement masculine, composée de membres de « services de sécurité » publique et privée dont le porte-parole est un flic, demandait l’éradication des squats, la suspension de l’asile politique, le renvoi dans leur pays des détenus étrangers, la transformation de l’hôpital de St Laurent en hôpital international pour que les enfants qui y naissent ne soient plus enregistrés comme nés sur le territoire français et donc éligibles à la nationalité française, le maintien sur place des gendarmes mobiles affectés en renfort, plus de commissariats et de prisons.
Les directions des syndicats de l’UTG, ni aucune organisation politique, n’ont appelé les grévistes sur les lieux de travail et d’études, leurs soutiens dans les villes et les villages à élire leurs propres représentants, seule façon de faire entendre les revendications ouvrières. Ils ont été laissés aux mains des « socioprofessionnels » et des flics masqués. Les collectifs que les travailleurs, les chômeurs, les petits paysans, les lycéens ont spontanément constitués sont restés fermés sur eux-mêmes, non coordonnés, sans capacité d’évincer ceux qui se sont servis de la mobilisation populaire pour négocier à leur profit avec le gouvernement.
Quand les parlementaires remis en selle et le Kolèktif ont signé l’accord du 21 avril, ils ont aussi signé la fin du mouvement, sans se préoccuper de savoir si ceux qui ont été parmi les initiateurs de la grève avaient obtenu satisfaction. Ainsi, les travailleurs d’EDF et du Centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR), à Cayenne, qui n’ont rien obtenu, se retrouvent aujourd’hui seuls face à leurs directions.
Même s’il n’a jamais perdu la main, le Medef local n’a pas beaucoup aimé la puissance de la grève générale, les manifestations de dizaines de milliers (une première en Guyane), le refus plusieurs fois imposé du protocole Hollande-Bareigts ; visiblement, la direction de l’UTG non plus qui pousse les travailleurs sur des voies sans issue, loin des méthodes de luttes ouvrières :
À Cayenne, le porte-parole du collectif, Davy Rimane, s’est félicité de l’accord. « On a réussi à ce que le protocole paraisse au journal officiel. Maintenant on pourra travailler avec ce document et aller en justice si on n’est pas satisfaits », a-t-il expliqué. (Le Kotidien, 3 mai 2017)
Agent de la collaboration de classes, la direction de l’UTG se prépare à participer aux états généraux dont l’objectif sera évidemment de « faire décoller » les profits en Guyane et donc de ne pas répondre aux revendications ouvrières, pour en finir avec le chômage, pour l’augmentation des salaires contre la vie chère, pour l’amélioration des conditions de travail, pour que le droit à l’instruction et à la santé soit garanti, pour un hébergement décent pour tous, pour l’égalité de traitement entre tous ceux qui veulent vivre sur ce coin de Terre.
Les élus, le collectif et l’État conviennent de l’élaboration, à venir, du projet Guyane issus des états généraux qui portera des ambitions à plus long terme pour la Guyane. (Le Monde, 24 avril 2017)
Heureusement, le sort d’un Guyanais va peut-être s’améliorer grandement : Davy Rimane, secrétaire général de l’UTG, se présente aux élections législatives, « sans étiquette »…
Pour l’indépendance de la classe ouvrière
Le prolétariat en Guyane a montré sa détermination, sa capacité à se rassembler, à faire grève et à manifester ; il n’est pas responsable de l’impasse dans laquelle les bureaucraties syndicales et les nationalistes petits-bourgeois l’ont coincé, en protection du capital et du gouvernement à son service.
En militant pour la rupture des organisations ouvrières avec le patronat et l’État bourgeois, à commencer par le boycott des états généraux, pour la transformation des comités encore actifs en véritables outils de la lutte ouvrière, les travailleurs et les jeunes les plus conscients peuvent se regrouper pour construire la direction politique qui a fait défaut.
Le GMI et le CoReP saluent leur combat et leur proposent de les aider dans cette tâche, pour le pouvoir des travailleurs.
24 mai 2017