Le 15 janvier 1936 la plupart des organisations ouvrières, Parti socialiste (PSOE), Union générale des travailleurs (UGT), Parti communiste espagnol (PCE), Fédération nationale des jeunesses socialistes, Parti syndicaliste, Parti ouvrier d‘unification marxiste (POUM) constituait une alliance avec les formations bourgeoises (Gauche républicaine d’Azaña, Union républicaine de Martinez Barrio et Gauche catalane de Companys) à laquelle se rallieront par la suite les nationalistes basques. Au lendemain des élections aux Cortès remportées par ce Frente popular le 16 février, Azaña forme un gouvernement avec les seuls « républicains » bourgeois que les partis ouvriers soutiennent [voir Révolution Communiste n°19].
L’intensification de la lutte de classes
Loin de s’en remettre au gouvernement, les masses donnent aussitôt l’assaut aux prisons où croupissaient 30 000 ouvriers et paysans depuis la répression de la Commune des Asturies d’octobre 1934. Les paysans commencent à s’emparer des terres et à se les partager. Les masses imposent les libertés démocratiques. Les grèves éclatent pour la réintégration des ouvriers licenciés et s’étendent. Des comités sont édifiés dans les entreprises. Des églises et des couvents, symboles des privilèges de l’Église et de la chape de plomb cléricale, flambent. Le gouvernement de Front populaire est débordé, il réprime, rétablit la censure, mais il est impuissant ; les partis et syndicats réformistes courent après les masses pour les contenir, prêchent la patience et demandent la soumission au gouvernement bourgeois.
À Madrid le 1er juin, les travailleurs du bâtiment déclenchent une grève pour arracher leurs revendications, dont la réembauche des ouvriers réprimés, la réduction de la journée de travail, l’augmentation des salaires ; 60 000 à 100 000 y participeront. Ils s’organisent, élisent un comité de grève centralisé. Ils subissent les attaques de la Phalange fasciste qui mène ses raids contre les ouvriers, massacre des paysans qui ont chassé les propriétaires terriens, assassine des militants ouvriers et s’efforce de répandre la terreur dans les quartiers populaires. Les travailleurs du bâtiment se procurent des armes et affrontent les fascistes. Le gouvernement bourgeois craint plus les prolétaires que la Phalange à la solde de l’état-major. L’UGT, directement liée au front populaire, appelle à arrêter la grève.
Le coup d’État militaire de Franco se heurte à la seule résistance du prolétariat
Dès le résultat des élections de février et l’entrée dans l’arène des masses mobilisées pour obtenir satisfaction, le corps des officiers prépare un coup de force militaire. Le gouvernement le couvre, proclamant la loyauté de l’armée :
Le gouvernement de la république a appris avec tristesse et indignation les attaques injustes auxquelles sont soumis les officiers de l’armée. (Communiqué, 18 mars 1936)
Le 17 juillet 1936, le soulèvement militaire éclate au Maroc et Franco appelle l’armée à l’étendre à toute l’Espagne. Les gangs fascistes rejoignent immédiatement les militaires. Le gouvernement se dépêche de minimiser la gravité de la situation, allant jusqu’à publier le 18 une déclaration annonçant qu’un « vaste mouvement antirépublicain a été étouffé et n’a trouvé aucune assistance dans la péninsule ».
Les organisations ouvrières demandent au gouvernement de distribuer les armes à la population mais avalent son refus : « Le gouvernement commande, le front populaire obéit » (Communiqué commun PSOE-PCE, 18 juillet). Le même soir, les deux centrales syndicales, la CNT et l’UGT, se prononcent pour la grève générale mais sans l’organiser, sans proposer de plan pour battre les fascistes. Le 19 juillet, quand les combats s’engagent, le gouvernement remet courageusement… sa démission. Les chefs républicains assurent les généraux de leur modération et sont prêts à pactiser. Ils se hâtent de leur proposer « un compromis », un gouvernement que dirigerait Martinez Barrio.
Les putschistes, eux, ne perdent pas de temps. Ils veulent une victoire rapide et entendent utiliser la force la plus brutale pour « régénérer l’Espagne », en fait pour écraser le mouvement ouvrier révolutionnaire, éradiquer définitivement la révolution sociale. À Séville, le général Queipo de Llano, connu comme fasciste, dont le gouvernement a refusé l’arrestation, démet les autorités civiles et les officiers qui ne se rallient pas. Seuls les quartiers ouvriers de la ville ont tenté de résister, avec très peu d’armes et beaucoup de courage. La répression a fait 20 000 morts ; dans le quartier de San Julian, les hommes ont été rassemblés dans la rue et massacrés au couteau, le faubourg de Triana est frappé au canon. Dans presque toute l’Andalousie (à Cadix, Algésiras, Cordoue, Grenade), le coup d’État militaire l’emporte parce que le gouvernement et les autorités se portent garants de la loyauté de l’armée et refusent de distribuer les armes à la population. Frappés par surprise, les travailleurs sont écrasés après une résistance acharnée mais improvisée. Les organisations ouvrières et paysannes sont interdites, les militants tués ou emprisonnés, la population laborieuse soumise à la pire des dictatures.
Mais là où le prolétariat parvient à se dégager de la chape bourgeoise, les putschistes sont battus. À Gijon, les ouvriers du port, renforcés par les métallos de La Felguera, ne se laissent aucunement endormir par la déclaration de loyauté de la garnison. Ils encerclent les casernes et contraignent les militaires à se rendre. Ces derniers venaient de passer aux putschistes… À Santander, la grève générale est effective dès l’annonce du soulèvement, les casernes sont encerclées et vidées sans grands combats. À San Sebastian, quand les gardes civils essaient de se soulever, les ouvriers sont prêts, la ville couverte de barricades. Les marins, organisés clandestinement en « conseils », alertent tous les équipages des navires de guerre qui s’emparent de tous les bâtiments sans exception, arrêtent ou exécutent les officiers.
Et dans les deux plus grandes villes d’Espagne, à Barcelone et à Madrid, le coup d’État, grâce à la détermination ouvrière, essuie aussi un revers éclatant. Dans la capitale de la Catalogne, le gouvernement de la Généralité (Région) a refusé de distribuer les armes demandées par la CNT, mais dès le 18, les travailleurs s’organisent pour en obtenir : fusils de chasse, dynamite sur les chantiers, armes des bateaux du port, harangues aux gardes d’assaut qui finissent par donner des fusils. Quand les premières troupes sortent des casernes dans la nuit du 18 au 19 juillet, elles sont submergées par une foule immense qui charge, malgré les terribles pertes. Après deux jours de combats, le général putschiste se rend. La colonne CNT-FAI de Durruti et celle du POUM dirigée par Grossi et Arquer marchent vers Saragosse et sur leur passage, libèrent l’Aragon. À Madrid, aucune caserne n’a encore bougé que des milices ouvrières, armées avec les moyens du bord, essentiellement dirigées par la CNT et appuyées sur un réseau de cheminots et de postiers UGT qui assure le renseignement, patrouillent dans les rues et organisent la résistance. Quand enfin des armes sont distribuées, elles s’avèrent inutilisables, sans les culasses stockées dans la caserne de la Montaña, aux mains de putschistes. Le 20 juillet, la population laborieuse madrilène, des milliers d’hommes et de femmes montent à l’assaut de la caserne. Plusieurs fois les militaires hissent le drapeau blanc pour mieux tirer à la mitrailleuse sur la foule. Mais les portes sont enfoncées, les armes et les officiers lancés par les fenêtres. Toutes les casernes tombent. Des colonnes ouvrières partent de la capitale passée aux mains du prolétariat en arme et reprennent Tolède, Alcala, Siguënza, Cuenca.
La révolution prolétarienne commence
Les opprimés ont infligé une défaite aux franquistes dans la majeure partie de l’Espagne, pas pour les beaux yeux des « démocrates républicains » qui refusaient de donner les armes, la terre, le pain, pas pour les entendre de nouveau pérorer au parlement, mais pour changer enfin le sort de ceux qui produisent toutes les richesses. La révolution sociale commence. Les prolétaires dans les villes et les campagnes s’organisent en une multitude de comités qui prennent en charge la production, le ravitaillement, les transports, les communications. Ils brûlent les cadastres, les titres de propriété, les archives judiciaires, les couvents et les églises. Ils chassent les capitalistes et propriétaires fonciers, s’emparent des terres, des usines et des bureaux. Ils réquisitionnent les maisons des riches, les hôtels et restaurants de luxe qui servent dorénavant à loger et nourrir la population laborieuse. Ils assument sans faiblesse les tâches de maintien de l’ordre révolutionnaire contre les franquistes et leurs alliés, sans armée ni police permanentes, ni tribunaux. Les prolétaires d’Espagne ont spontanément retrouvé les formes du pouvoir ouvrier, de la Commune de Paris aux soviets russes, aux conseils allemands.
Les tentatives du gouvernement central et de ses représentants dans les régions pour exercer effectivement le pouvoir se heurtent aux organes édifiés par les masses en lutte qui seuls jouissent de la confiance populaire. L’État bourgeois se décompose mais la forme non coordonnée, non centralisée des comités donne un caractère local, morcelé, au pouvoir ouvrier. Pour liquider définitivement l’appareil étatique qui sert la bourgeoisie, il faut un gouvernement ouvrier central, émanation des organes prolétariens. Il est indispensable pour planifier efficacement l’activité économique, coordonner les approvisionnements et la lutte militaire, prendre les réserves des banques, empêcher le sabotage des ennemis de la révolution. Car la situation de double pouvoir ne peut durer ; si le prolétariat ne construit pas sa dictature, alors la vieille classe bourgeoise qui domine depuis si longtemps annulera les conquêtes révolutionnaires.
Le 20 juillet, Companys, président de la Généralité de Catalogne, la région où le prolétariat industriel est le plus nombreux et le plus organisé, avec une écrasante majorité pour la CNT et une bonne implantation du POUM, rencontre les dirigeants anarchistes. Il sait qu’après la victoire des milices ouvrières sur les factieux, les comités exercent le pouvoir réel en Catalogne et que son gouvernement est fantoche, mais l’entretien va le rassurer :
Nous aurions pu choisir d’être seuls, imposer notre volonté absolue, déclarer caduque la Généralité et instituer à sa place un vrai pouvoir du peuple. Mais nous ne croyions pas à la dictature quand elle s’exerçait contre nous et nous ne la désirions pas quand nous pouvions l’exercer nous-mêmes à l’encontre de la majorité. La Généralité resterait à son poste avec le président Companys à sa tête et les forces populaires s’organiseraient en milices pour continuer la lutte pour la libération de l’Espagne. Ainsi fut créé le Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne, dans lequel nous fîmes entrer tous les partis politiques libéraux et ouvriers. (Santillan, Mémoires 1897-1936)
Ainsi, ni les anarchistes, ni aucune autre organisation ouvrière, pas plus à Barcelone qu’ailleurs, ne vont appeler à l’édification du « vrai pouvoir du peuple » et les institutions bourgeoises minées par la lutte révolutionnaire du prolétariat vont être renforcées par les directions traîtres.
Les organisations ouvrières par l’égide du front populaire remettent en selle l’État bourgeois
Le front populaire s’active à le préserver, à le renforcer, à le reconstruire. Le 4 septembre 1936, Largo Caballero forme un nouveau gouvernement auquel participent directement cette fois, le PSOE, le PCE, l’UGT, et six ministres des partis bourgeois. Son programme affiché est de « d’abord gagner la guerre ». La confédération syndicale CNT contrôlée par les « antiautoritaires » de la FAI ne rejoint pas immédiatement le gouvernement bourgeois, mais elle reconnaît son autorité. Le gouvernement Frente popular s’emploie à détruire les comités et les milices, à défendre la propriété privée, à reconstituer la police et une armée « républicaine » sous commandement unique, à bafouer les minorités nationales de l’Espagne et à affirmer son droit à coloniser le Maroc. Ce « programme » revient à renforcer les franquistes et donc à perdre la guerre.
Faute d’un parti révolutionnaire, d’un parti de type bolchevik, il ne rencontre pas de résistance organisée. À Valence, le Comité exécutif populaire se rallie au nouveau gouvernement. À Barcelone, tous les partis, y compris le POUM issu de la fusion des communistes de droite et des anciens communistes de gauche, forment un gouvernement dirigé par les nationalistes catalans. Le 31 octobre c’est au tour du Conseil d’Aragon de reconnaître l’autorité du gouvernement central. Finalement, le 4 novembre, la CNT dirigée par les anarchistes entre au gouvernement.
Sur la ligne de la bureaucratie russe dirigée par Staline qui craint comme la peste la révolution socialiste européenne et qui cherche à ménager les impérialismes britanniques et français en face de la menace nazie sur l’URSS, l’appareil stalinien du PCE est le plus acharné défenseur de l’ordre bourgeois. Il le justifie au nom d’une prétendue étape bourgeoise de la révolution, qui est la reprise pure et simple de la thèse du Parti menchevik en 1917 :
La révolution qui se déroule dans notre pays est la révolution démocratique bourgeoise… En cette heure historique, le PC fidèle à ses principes révolutionnaires et respectueux de la volonté du peuple se place aux côtés du gouvernement qui exprime cette volonté, aux côtés de la République, aux côtés de la démocratie. Le gouvernement espagnol est un gouvernement issu du triomphe électoral du 16 février et nous le soutenons et le défendons parce qu’il est le représentant légal du peuple en lutte pour la démocratie et la liberté. (Dolores Ibarruri, Mundo Obrero, 30 juillet 1936)
En outre, le PCE bénéficie de l’aide de l’URSS qui a commencé à livrer des armes en octobre, c’est-à-dire quand la légalité bourgeoise, l’État bourgeois s’est redressé. De même, les brigades internationales sont politiquement contrôlées par l’Internationale communiste stalinisée. Celle-ci a dépêché sur place ses émissaires, dont l’italien Togliatti, les français Duclos et Marty.
Grâce à l’appui de la direction de l’UGT, du PCE et du PSOE, et aussi de la FAI bakouniniste et du POUM centriste, le Front populaire réussit à faire refluer le mouvement des masses dans presque toute l’Espagne.
Le prolétariat catalan se heurte à l’Esquerra catalana et au Frente popular
Au printemps 1937, la situation politique n’est plus la même qu’en juillet et septembre 1936. L’État bourgeois est en pleine réédification : une armée républicaine est reconstituée, la police fonctionne à nouveau, les conseils municipaux ont repris leurs fonctions contre les comités et les masses sont refoulées par le gouvernement. Les tribunaux bourgeois sont rétablis. Les provocations succèdent aux provocations.
Mais en Catalogne et sur le front d’Aragon, les ouvriers restent majoritairement armés. Alors, les gouvernements républicains, dont celui de la Généralité de Catalogne, au lieu de se concentrer contre les franquistes, comme ils le prétendent, s’engagent dans une véritable guerre civile, à l’arrière, contre la classe ouvrière.
Dans le cadre de la restauration de l’ordre bourgeois, le POUM, qui se prononce pour la révolution, est exclu du gouvernement de la Généralité de Catalogne. Comorera, chef du PSUC (appendice du PCE fusionné au PSOE en Catalogne), ministre du ravitaillement, dissout les comités ouvriers qui achetaient aux paysans les produits alimentaires, laisse le champ libre aux spéculateurs et trafiquants. L’inflation s’accélère, les queues s’allongent devant les commerces des quartiers ouvriers de Barcelone, tandis que les riches s’empiffrent dans les restaurants des quartiers bourgeois.
En avril 1937, un détachement de carabiniers arrache à une patrouille ouvrière de la CNT le contrôle des douanes de Puigcerda, tandis qu’à Barcelone, des gardes d’assaut procèdent au désarmement des ouvriers dans les rues. Les carabiniers et les bandes staliniennes multiplient les campagnes de diffamation contre les opposants à la politique du front populaire, les expéditions punitives et les assassinats de dirigeants ouvriers dans les villes de Catalogne.
Les travailleurs de la CNT avaient perdu beaucoup des leurs pour reprendre aux troupes fascistes le central téléphonique de Barcelone. Depuis le 19 juillet 1936, ce centre des télécommunications est dirigé par un comité UGT-CNT. Le contrôle de la Telefonica exprimait la persistance d’éléments de double pouvoir. En particulier, le comité CNT-UGT était en mesure de connaître les communications gouvernementales et toutes celles avec l’étranger.
Le lundi 3 mai, sous les ordres de Rodriguez Salas, commissaire à l’ordre public, membre du PSUC-PCE, trois camions de gardes d’assaut pénètrent à l’intérieur du central téléphonique et tentent de s’en emparer. À l’initiative des comités et militants locaux, la classe ouvrière de Barcelone se mobilise, les prolétaires prennent le contrôle de la plus grande partie de la ville. Les barricades sont rejointes par le POUM, l’aile gauche de la CNT et le groupe de la 4e Internationale. Celui-ci distribue l’appel suivant :
Aucun compromis ! Désarmement de la Garde nationale républicaine et des gardes d’assaut réactionnaires. C’est le moment décisif. Plus tard il sera trop tard. Grève générale dans toutes les usines, sauf celles qui sont liées à la poursuite de la guerre, jusqu’à la démission du gouvernement réactionnaire. Seul le pouvoir ouvrier peut assurer la victoire. Armement total de la classe ouvrière ! Vive l’unité d’action CNT-FAI-POUM ! Vive le front révolutionnaire du prolétariat ! Comités de défense révolutionnaires dans les ateliers, les usines et les districts ! (section bolchevik-léniniste d’Espagne, 4 mai 1937)
La CNT-FAI apporte son soutien au Front populaire, le POUM l’imite
Alors que les masses se tournent vers eux, les dirigeants anarchistes de la CNT interviennent au compte du gouvernement catalan et du front populaire. La FAI négocie un compromis avec Companys si bien que les milices ouvrières se retirent du central téléphonique. La direction de la CNT appelle les travailleurs à abandonner les barricades et à retourner au travail.
Les tragiques événements qui ont eu lieu dans notre ville pendant les dernières 48 heures ont empêché que la totalité des ouvriers de Barcelone se rendent à leur travail. Le conflit qui a motivé cette situation anormale est préjudiciable pour la cause du prolétariat et a été heureusement résolu par les représentants des partis et organisations anti-fascistes réunis au Palais de la Généralité. Ainsi, il est donc ordonné aux travailleurs de la CNT et de l’UGT, sans exception d’aucune sorte, de reprendre le travail. (Communiqué UGT-CNT, 4 mai 1937)
La FAI dénonce même le groupe des « Amis de Durruti » qui veut poursuivre la lutte. Les chefs anarchistes bloquent les colonnes du POUM et de la CNT qui convergent vers Barcelone pour aider les ouvriers. Les dirigeants anarchistes exhortent sans relâche les travailleurs à déposer leurs armes. Le POUM s’aligne sur la CNT qui capitule devant le front populaire qui sert la bourgeoisie espagnole :
Le prolétariat de Barcelone a montré sa volonté inébranlable de ne pas tolérer la moindre provocation contre-révolutionnaire. Une fois débarrassés de l’ennemi par la magnifique réaction de la classe ouvrière, la « retraite » s’imposera. (Comité exécutif du POUM, 4 mai 1937)
Le prolétariat, une fois de plus, malgré l’énergie dont il fait preuve, est laissé sans direction révolutionnaire, sans stratégie, sans issue. Le 5 mai, Garcia Oliver, ministre anarchiste du gouvernement Caballero, dépêché sur place, déclare :
Camarades : pour l’unité anti-fasciste, pour l’unité prolétarienne, pour ceux qui sont tombés dans la lutte, ne vous laissez pas entraîner par les provocations. Tous ceux qui sont morts aujourd’hui sont mes frères, je m’incline devant eux et je les embrasse. Ce sont des victimes de la lutte antifasciste et je les embrasse tous sans distinction.
Pendant ce temps, dans toute la Catalogne et dans toute l’Espagne, l’offensive contre-révolutionnaire se développe. Le gouvernement central Frente popular fait croiser devant le port une partie de la marine de guerre, aux côtés de croiseurs britanniques et français. Il détache du front de Jarama une colonne motorisée de 5 000 gardes d’assaut. Il nomme le général Pozas, du PCE, commandant des troupes de Barcelone. Le PSUC-PCE commence à assassiner des militants de la CNT et de la FAI, tels le militant italien Camillio Berneri et le secrétaire du Front de la jeunesse révolutionnaire Alfredo Martinez. Il occupe, en en chassant les milices ouvrières, la principale gare de Barcelone.
Chaque « succès » des dirigeants anarchistes pour ramener « le calme » va se solder par une avance des forces de la Généralité et des staliniens qui reprennent le terrain conquis par les ouvriers. Les ministres anarchistes vont jusqu’à voter la censure gouvernementale des journaux révolutionnaires, dont les leurs !
L’appareil stalinien calomnie, emprisonne, torture et assassine
Sur les barricades, les ouvriers anarchistes déchirent Solidaridad Obrera, l’organe de la CNT, levant leurs poings ou leurs fusils en direction des postes de radio, où parlaient leurs dirigeants, les Mariano Vasquez, les Garcia Oliver, les Federica Montseny. Sous le feu toujours plus nourri de la police et des troupes du PSUC, ils tiennent pendant deux jours. Mais le 7 mai, des troupes du gouvernement national entrent dans Barcelone, ouvrant la voie aux représailles, aux arrestations, aux tortures et aux assassinats des révolutionnaires.
La censure est établie. Le gouvernement monopolise les émetteurs radio. Une police spéciale est constituée, le Service des investigations militaires (SIM), que contrôle le PCE, en particulier Carrillo et Lister, et le NKVD russe. Il n’y a plus de milices mais une armée nationale. Des tribunaux spéciaux sont institués. La presse stalinienne traite les poumistes de « fascistes » et les accuse d’oeuvrer avec les services secrets de Mussolini et Hitler. Le 28 mai, le nouveau gouvernement républicain Negrín interdit l’organe du POUM, La Batalla. Le 16 juin, les dirigeants du POUM sont arrêtés. Pendant des jours, les agents du NKVD torturent Andrés Nin, fondateur de l’Internationale syndicale rouge du temps de Lénine et ancien opposant communiste de gauche à Staline, pour lui arracher des « aveux » analogues à ceux des dirigeants du Parti bolchevik lors des « procès de Moscou ». La résistance de Nin fait échouer les plans pour « démontrer » la collusion des « trotskystes » du POUM avec les fascistes, si bien que les agents de Staline l’assassinent. Plus d’un militant bolchevik combattant pour la révolution espagnole est liquidé. Parmi eux, Kurt Landau, militant autrichien, ancien secrétaire de l’Opposition de gauche, le militant polonais Freund (dit Moulin), le militant tchèque Erwin Wolff, ancien secrétaire de Trotsky…
La mise au pas des travailleuses et des travailleurs de Barcelone pave la voie à Franco
Les journées de mai 1937 ont vu les masses de Catalogne créer en quelques heures l’ensemble des conditions qui auraient pu permettre à la classe ouvrière de renverser le courant et reprendre l’offensive face à Franco, renforcé non seulement par les armes allemandes, mais surtout par la défense de la propriété privée par le Front populaire et le désarmement du prolétariat révolutionnaire.
Au moment décisif, le POUM et la CNT-FAI ont capitulé de nouveau devant le Frente popular, faute d’être bâtis sur le programme du marxisme, celui de l’alliance ouvrière et paysanne contre toute soumission à la bourgeoisie, celui de la confiance dans la capacité du prolétariat à s’émanciper, celui de l’insurrection ouvrière contre le pouvoir bourgeois. Une république ouvrière et paysanne de Catalogne basée sur les milices et les comités ouvriers aurait pu étendre la révolution et ainsi, affaiblir considérablement l’armée franquiste en appelant au contrôle ouvrier sur les entreprises, à la confiscation des terres par les ouvriers agricoles et les paysans pauvres, à l’indépendance du Maroc.
Mais le gouvernement Negrín, épaulé directement par le NKVD, rend les terres aux propriétaires fonciers, rétablit la liberté du commerce, désarme les milices. Le front populaire, ce bloc entre les partis bourgeois « démocratiques », les partis réformistes et les anarchistes, porte tous ses efforts « sur le front de la propriété », si bien que le front militaire s’effondre, inéluctablement. En janvier 1939, Barcelone tombe.
L’écrasement de Barcelone porte un coup terrible au prolétariat mondial mais lui donne aussi une grande leçon. Le mécanisme du front populaire en tant que système de duperie et de trahison des masses exploitées a été complètement dévoilé. Le mot d’ordre de « défense de la démocratie » a révélé une fois de plus son essence réactionnaire et, en même temps, son caractère creux. La bourgeoisie veut perpétuer le règne de son exploitation, les ouvriers veulent se libérer de l’exploitation. Telles sont les tâches réelles des classes fondamentales de la société moderne. (Léon Trotsky, La Tragédie espagnole, janvier 1939)
En mars, c’est au tour de Madrid. Le prolétariat d’Espagne est écrasé pour plus de trente ans. La division des rangs ouvriers face au fascisme en Allemagne, le bloc du PS-SFIO et du PCF-SFIC avec le Parti radical et l’étouffement de la grève générale en France [voir Révolution communiste n° 18], le barrage du Frente popular contre la révolution espagnole et l’écrasement de l’insurrection de Barcelone permettent à Franco de s’emparer du pouvoir, puis à Hitler et Mussolini d’ouvrir la deuxième guerre inter-impérialiste en Europe, qui déchaînera encore plus de barbarie capitaliste que la première.