Une situation insupportable pour les postiers
Après France Telecom-Orange, l’autre branche de l’ancienne administration des PTT, La Poste connait à son tour une vague de suicides. Ses personnels, victimes de la surcharge de travail, de l’augmentation des cadences, de la pression commerciale, ont perdu leurs repères. La multiplication des petits chefs, les objectifs inatteignables, les promotions au profil, les mobilités contraintes, le harcèlement… ont généré un climat délétère qui provoque suicides, dépressions, arrêts maladie (en augmentation, y compris chez les non-fonctionnaires, les plus jeunes donc à priori plus résistants). Les accidents du travail sont en augmentation et plus graves. Bref, il y a une souffrance au travail dans tous les services. Une situation que dénoncent aussi bien les syndicats de postiers que celui des médecins du travail ou que les cabinets d’expertise. À cela, il faut ajouter les salaires en berne (point d’indice gelé pendant 7 ans pour les fonctionnaires et augmentations dérisoires pour les contractuels). Une situation dans laquelle les salariés de nombreux autres secteurs peuvent se reconnaître, ceux des hôpitaux publics par exemple !
Pour les usagers, le service ne cesse de se dégrader : fermetures de bureaux, délais d’attente interminables au téléphone, retards de livraison (courrier et colis), etc.
Le grand capital veut en finir avec le service public et les statuts qui subsistent
Les objectifs que poursuit la bourgeoisie, c’est élargir la sphère du capital, en éclatant d’anciens services publics, en les transformant en entreprises, puis en les rentabilisant pour qu’elles produisent des marchandises (biens matériels ou services vendus sur le marché) et surtout du profit (en permettant de réaliser la plus-value résultant de l’exploitation de la force de travail). Ce besoin a été fort bien exposé dans le rapport de la Cour des comptes de décembre 2016 concernant La Poste en tant qu’entreprise qui est détenue par l’État.
Ce rapport exhorte la direction de l’entreprise à accélérer les réformes nécessaires mais, conscient du danger que représente le personnel de cette ex-administration et, déplorant que le rythme de transformation soit si « fortement dépendant des relations sociales », il l’engage aussi à obtenir l’adhésion des personnels (c’est-à-dire l’aide des syndicats). Au passage, il salue la façon dont les dirigeants de La Poste ont géré la situation créée par « le suicide de deux salariés sur leur lieu de travail en 2012 » qui a « catalysé une contestation… du rythme et de l’intensité des changements internes », en mettant en place une « commission du Grand Dialogue » qui a « contribué à résoudre ce conflit mais [qui] s’est traduit par une pause dans les réorganisations industrielles et les réductions d’effectifs ». La Cour « appelle La Poste et ses actionnaires à accélérer les transformations en cours » et à « poursuivre résolument la décrue des effectifs et la réorganisation des deux réseaux que sont le réseau des bureaux de poste et celui d’acheminement du courrier et des colis », et engage l’entreprise à « accentuer ses efforts de maîtrise des rémunérations ». Enfin, le rapport de la Cour des comptes rappelle que « Les missions de service public confiées à La Poste sont le fruit d’une histoire et doivent pouvoir évoluer ».
La direction de La Poste à la manœuvre
Bonne élève, la direction de La Poste n’a pas attendu ce rapport pour bouleverser en profondeur l’organisation du travail à la distribution avec dès 2006 (année de la privatisation des CCP), son projet facteur d’avenir. Les tournées ont été flexibilisées sous le terme de « sécabilité ». Les jours considérés comme étant de plus faible trafic (le lundi et le mardi) ou lorsqu’un salarié est absent, un certain nombre de tournées sont découpées et réparties sur les collègues présents. Par ailleurs, en anticipant tous les 18 ou 24 mois, la baisse du volume de courrier attendue pour les années à venir, La Poste diminue par avance les effectifs.
Mais le zèle de la direction va encore plus loin, et aujourd’hui elle tente de récupérer les 20 minutes de pause sur le temps de travail auxquelles ont droit les facteurs (pour 6 h 30 de travail par jour, sur 6 jours). Elle envisage d’imposer une pause méridienne d’au moins 45 mn (une pause repas) qui serait ainsi hors temps de travail. Ce qui permettrait de supprimer 1 emploi sur 20.
Déjà, l’entreprise La Poste a supprimé l’équivalent de 18 emplois par jour entre 2013 et 2015. Sur la même période, ce sont 2 412 emplois qui ont été supprimés dans les centres financiers de La Banque Postale, soit 13 % des effectifs.
En 2016, 7 023 emplois (équivalent agent année) ont été supprimés, soit 80 000 en 10 ans. La précarité est en forte hausse : 3 355 CDD de plus en 2016 et une force de travail variable (heures supplémentaires, CDD, intérim) qui représente 12 % du volume des effectifs.
Les employés de La Poste ne travailleraient pas assez !
C’est du moins ce qu’on entend régulièrement et plus particulièrement en cette période pré-électorale. C’est que capitalisme français veut réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires, en finir avec leur statut, s’en prendre à leur régime de retraite en l’alignant sur celui des salariés du privé, reculer l’âge de la retraite pour tous (ce qui signifie en réalité amputer les revenus de tous ceux qui sont sorti de la vie active) et revenir aux 39 h (voire plus). Il n’est plus question pour le capital de laisser la moindre garantie à une quelconque catégorie de salarié, ce qui pourrait être un point d‘appui pour d’autres. La précarité pour tous !
On veut nous faire croire qu’il n’y aurait plus assez de courrier pour occuper un nombre de postiers pléthorique (voir tout le bruit fait autour des facteurs formés pour faire passer le permis de conduire).
Sur le terrain, la réalité est tout autre.
À la distribution, les incessantes restructurations et réductions d’effectifs ont entraîné un allongement des tournées que de nombreux facteurs ne peuvent terminer dans les temps (sans que leurs heures supplémentaires soient payées) et que de nombreuses autres tournées restent à découvert (à tour de rôle). Pourtant, attachés à leur travail, nombreux sont les préposés qui embauchent avant l’heure.
Au service des colis, les tournées sont parfois si chargées que les collègues ne peuvent emporter tous les paquets dans leurs véhicules.
Dans le réseau des bureaux de poste où les automates les ont partiellement remplacés, les guichetiers sont devenus des commerciaux avec des objectifs à atteindre. À terme, une partie de ces lieux d’accueil du public devraient être externalisée tandis qu’une autre partie se verraient mutualisée avec des administrations.
À la Banque postale, la spécialisation des centres de chèques (crédit, successions, RH, risque, réclamations, production, gestion) avec récupération d’emplois à la clé, l’externalisation de certaines activités et la transformation progressive en simple plate-forme téléphonique consacrée principalement à la vente (carte bancaires, assurance…), font qu’il devient de plus en plus difficile de traiter les réclamations et les demandes des usagers (devenus des « clients »). C’est la raison pour laquelle la direction a choisi de segmenter la « clientèle » selon sa « surface financière » et de ne plus s’occuper des plus pauvres. C’est aussi pourquoi elle doit recourir régulièrement à des CDD d’1, 2 ou 3 mois ou faire appel à de l’intérim pour résorber les retards. Partout, les procédures ont été simplifiées à l’extrême au mépris de la qualité du service.
La complicité des bureaucraties syndicales
L’aide apporté par les fédérations syndicales est parfois directe, c’est le cas lors de chaque restructuration, de chaque attaque, de la CFDT depuis qu’elle a exclu ses « moutons noirs », mais c’est aussi parfois le cas de FO qui vient de ratifier en début d’année l’accord minoritaire conclu en fin d’année 2016 entre La Poste et la CGC, la CFTC et la CFDT, lui permettant d’obtenir les 30 % nécessaire à sa validation.
Les directions syndicales signataires invoquent l’embauche de 3 000 facteurs, mais l’accord ratifie en fait une baisse d’effectif (puisque ce sont 6 000 départs en retraite qui sont annoncés), cautionne le principe des réorganisations permanentes en mettant fin aux « réorganisations tous les deux ans », accepte la pause méridienne, entérine la flexibilisation des moyens de remplacement qui n’avait pas cours légal en la réglementant.
L’aide des directions syndicales est parfois moins directe, mais tout aussi efficace, par l’acceptation de la CGT et de SUD de négocier les plans contre les travailleurs, par le refus d’appeler à la grève générale, par la dispersion de la combativité par les « journées d’actions », les grèves sectorielles et éclatées. La complicité découle de la scandaleuse cogestion de l’entreprise par les bureaucraties syndicales : 2 représentants de la CGT, 2 CFDT, 2 SUD, 1 FO siègent (moyennant rémunération) au conseil d’administration du groupe.
Le conseil d’administration de La Poste est composé de 21 membres. Il définit la politique générale et les orientations de l’activité du groupe. (legroupe.laposte.fr/profil/la-gouvernance/le-conseil-d-administration)
Pourtant, les salariés de la Poste ne sont pas résignés
Malgré les coups, les personnels ne sont pas résignés, en témoignent l’augmentation du nombre de journées de grève de 60,62 % en 2016 et les nombreuses luttes locales contre les suppressions d’emplois et pour les conditions de travail qui ont eu lieu, notamment à la distribution.
De même, avec les autres salariés, les postiers ont été présents dans la rue contre le projet de loi Hollande-Valls-El Khomri. Quand ils sont sollicité, les postiers répondent présents, mais au fil du temps, les travailleurs de La Poste, comme ceux d’Orange, des hôpitaux, de la SNCF ou du privé, ont été démoralisés par les journées d’action impuissantes qui les ont conduit à la défaite.
La construction d’une authentique organisation révolutionnaire est nécessaire
Pour en finir avec la régression sociale, le chômage, la précarité, l’aggravation des conditions de travail, les salaires de misère, la baisse du pouvoir d’achat, le recul de l’âge de la retraite et la diminution des pensions, l’étranglement des services publics, il faut défendre les revendications ouvrières :
- augmentation uniforme de tous les salaires et salaire minimum à 1 800 euros…
- embauches de tous les chômeurs et diminution du temps de travail par le partage du travail entre toutes les mains ouvrières,
- contrôle des travailleurs et de la population sur la production, le transport et le crédit,
- expropriation des grands groupes capitalistes,
- autodéfense des grèves et des manifestations contre la police et les groupes fascistes,
- gouvernement des travailleurs
Pour la poste et les télécommunications, il faut en particulier :
- levée des sanctions contre les militants syndicaux et réintégration de Yann Le Merrer,
- un seul service postal avec la réintégration des filiales, l’intégration des services privés de messagerie et de colis, avec un même statut pour les personnels, celui de fonctionnaire d’État,
- un seul service de télécommunications expropriant et unifiant les entreprises de téléphonie et d’Internet (Orange, Bouygues, Free, SFR…), les hébergeurs de site, etc. avec un même statut pour les personnels, celui de fonctionnaire d’Etat.
Mais ces revendications sont inacceptables pour la direction de la Poste, pour le capital. Il faudra pour les imposer s’en prendre à lui, c’est à dire finalement l’exproprier et donc prendre le pouvoir. Pour mener la lutte des classes, il est indispensable de construire un parti ouvrier révolutionnaire, de rassembler dans les syndicats des fractions lutte de classe, de surmonter l’éclatement syndical par une seule confédération syndicale démocratique, d’imposer des AG qui décident vraiment et qui désignent des organes élus centralisés dans chaque ville, tous les départements et à l’échelle nationale pour mener la lutte.