À Calais, à Grande-Synthe et sur le littoral du nord de la France, le gouvernement français a délibérément créé une crise humanitaire. Dans la sixième puissance économique mondiale, un pays qui a la capacité logistique, l’ingénierie et les moyens de répondre en quelques heures aux besoins vitaux des milliers de migrants précaires, il n’aurait dû y avoir qu’une tension sanitaire et sociale facilement résorbable. Au lieu de cela, les autorités ont fait le choix de ne pas répondre de manière adaptée. De laisser ces personnes dans des conditions d’insalubrité maximale, avec des difficultés pour se laver, boire, manger, se soigner et se loger.
Entre 2014 et 2015, à Calais, les migrants sont passés de quelques centaines à plusieurs milliers. Leur profil a changé : augmentation du nombre des mineurs, souvent isolés, mais aussi des femmes et des familles. Avant 2014, tout migrant tentant de se reposer voyait son lieu de répit instantanément détruit. Puis sont apparus des camps improvisés de grande taille, sans accès à l’eau potable et aux soins. Les morts violentes par accidents, les maladies en lien avec la grande précarité s’y sont multipliées, touchant des populations souvent jeunes et atteintes de souffrances psychologiques graves.
À cette réalité dramatique, la réponse des autorités a d’abord été de nuire, en se focalisant sur la destruction des lieux de vie – et donc, par ricochet, des liens sociaux. Des réponses étatiques aux besoins vitaux ont ensuite vu le jour. Mais elles ont toujours été sous-calibrées au regard des besoins, par peur, notamment, du mythe de « l’appel d’air ». Ainsi le politique justifie-t-il sa stratégie d’insuffisance, alors même que des milliers de personnes vivent dans des conditions inhumaines. Les autorités ont parfois poussé le vice jusqu’à appliquer des mesures administratives restrictives en matière de construction, compliquant ainsi le travail de mise à l’abri des associations.
En proposant des murs et une réduction des voies légales de protection à des migrants fuyant la plupart du temps leur pays pour des raisons de vie ou de mort, l’Europe fait incontestablement preuve d’une faillite morale et d’un déclin d’humanité. La France, par sa gestion de Calais, ne fait pas exception.
Jean-François Corty, directeur des opérations internationales de Médecins du monde