Dans les années 1930, les grands propriétaires fonciers, au premier rang desquels se tient l’Église catholique qui rafle aussi banques et mines, accaparent la quasi-totalité des terres. La bourgeoisie industrielle, liée à cette aristocratie féodale et accrochée à la monarchie, cède depuis la fin de la 1re guerre mondiale ses parts de marché aux capitalistes anglais et français qui détiennent une grande partie des entreprises espagnoles. La caste des officiers est pléthorique, bouchers entrainés par quatorze années de guerre coloniale pour s’emparer du Maroc. À l’autre pôle de cette société capitaliste arriérée, des paysans (70 % de la population) affamés et illettrés (à 45 %), menant des luttes atrocement réprimées et un prolétariat jeune, peu nombreux mais très combatif. Cette Espagne entre en ébullition.
La chaîne du capitalisme risque de nouveau de se rompre à son maillon le plus faible : c’est au tour de l’Espagne. (Trotsky, La révolution espagnole et les tâches communistes, 24 janvier 1931)
Le mouvement ouvrier
La classe ouvrière espagnole a l’expérience de grèves politiques, contre les gouvernements réactionnaires, pour les salaires, la réduction de la journée de travail, les libertés démocratiques, dont les droits des minorités nationales opprimées. Mais elle est essentiellement aux mains des anarchistes et des sociaux–démocrates.
La Confédération nationale du travail (CNT) est la plus puissante organisation ouvrière et paysanne, à la fois parti et syndicat, rassemblant des centaines de milliers de travailleurs. Elle est traversée de courants révolutionnaires mais aussi réformistes. Cette influence constitue une singularité : à l’échelle internationale, le marxisme a gagné la majorité dans les pays industrialisés, il a mené le prolétariat de Russie à la conquête du pouvoir, il a démontré qu’il est la théorie du prolétariat victorieux et Proudhon, Bakounine, idéologues de la petite-bourgeoisie impuissante entre les classes fondamentales de la société capitaliste, ont perdu depuis longtemps la bataille politique. Cependant, le caractère essentiellement rural de l’Espagne, la taille relativement faible des centres industriels et leur création tardive expliquent la force de ce courant. La Fédération anarchiste ibérique (FAI) en est la principale expression politique à l’échelle du pays.
Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) collabore avec la bourgeoisie, comme tous les partis de la 2e Internationale qui ont capitulé en 1914 (vote en faveur de la coalition menée par la Grande Bretagne et la France) et sont irrémédiablement passés du côté de la défense des intérêts du capital. Il est bien implanté dans les Asturies comme la centrale syndicale UGT (Union générale des travailleurs) qu’il dirige.
Au début des années 1930, le Parti communiste d’Espagne (PCE) ne compte que quelques centaines de membres. Il prend ses ordres chez Staline et a peu d’influence. Il a connu des scissions à sa droite, le Bloc ouvrier et paysan (BOC) dirigé par Maurin, expression locale de l’opposition « boukharinienne » dont l’effectif est plus important que le PCE et à sa gauche, la Gauche communiste d’Espagne (ICE) est constituée en 1932, en lien avec l’Opposition de gauche internationale (OGI dite « trotskyste ») qui devient en 1933 la Ligue communiste internationaliste. Les principaux dirigeants de l’ICE sont Nin, Andrade et Munis. Elle publie la revue Comunismo et le journal El Soviet [voir http://grupgerminal.org/?q=node/253].
Trotsky et le secrétariat international de l’OGI ont combattu jusqu’à l’été 1933 pour que les militants fidèles au bolchevisme restent au sein et en direction du PCE aussi longtemps que nécessaire (et possible) pour séparer les révolutionnaires des staliniens. Mais l’impatience a prévalu. L’ICE intervient dans l’UGT, à Madrid, dans les Asturies, en Catalogne. C’est cependant une petite organisation.
La collaboration de classes pour sauver l’État bourgeois
En mai 1930, la contestation part des universités, est relayée par des grèves ouvrières dans les principales villes, sur fond de famine dans les campagnes. Le roi congédie le général Primo de Rivera au profit d’un autre général chargé de gommer les traits les plus visibles de la dictature, qui lâche du lest un jour et réprime le lendemain sans rétablir le calme cher aux capitalistes pour assurer le profit.
Dès lors, des couches de la bourgeoisie basculent dans l’opposition à la monarchie discréditée et signent ensemble le pacte de San Sebastian. En octobre, elles s’adjoignent la social-démocratie (PSOE) et l’UGT, des groupes nationalistes bourgeois catalans et galiciens. Ce front populaire qui ne revendique pas encore l’appellation agite l’idée d’un putsch de la « fraction républicaine » de l’armée appuyé par « une grève pacifique » dans les grandes villes. Ce plan foireux sera décommandé à plusieurs reprises, des conjurés y laisseront la vie, le prolétariat de Barcelone entamera seul une grève générale parce que l’alliance bourgeoise républicaine se gardera de lancer le mot d’ordre de grève générale à Madrid, bien plus effrayée par la radicalité de la mobilisation ouvrière vue en Catalogne que par la monarchie.
Après des mois de crise politique, de contestation ouvrière, paysanne, étudiante, de tentatives de coups d’État militaires, les élections municipales du 12 avril 1931 donnent une victoire nette aux républicains bourgeois dans les grandes villes. La population laborieuse déferle en gigantesques manifestations et la république est proclamée deux jours après le scrutin. Les prolétaires, ouvriers et paysans, y voient le moment enfin arrivé de la satisfaction des revendications.
Les partis bourgeois et leur allié social-démocrate, au contraire, n’ont pas l’intention de changer les rapports sociaux. Ils veulent un État bourgeois moderne, capable d’offrir au capitalisme national les garanties de son développement. Leur gouvernement provisoire est dirigé par Alcala-Zamora, toujours catholique mais plus monarchiste depuis… mai 1930 ; il comprend toute la gamme des républicains bourgeois : conservateurs (Maura), radicaux (Lerroux), radicaux-socialistes et Action républicaine (Azaña), catalanistes et autonomistes galiciens, socialistes de l’aile droite du PSOE (Prieto) et de l’aile gauche (Caballero, déjà conseiller d’État du dictateur sanglant Rivera, ce qui qualifie cette aile gauche). L’armée, l’Église, les juges, les hauts fonctionnaires, les propriétaires des terres et des usines restent en place, le roi lui-même s’exile sans abdiquer ! Aux masses, Azana et Caballero prêchent la patience jusqu’aux élections législatives de juin.
La réaction relève aussitôt la tête et ce sont les travailleurs des villes et des campagnes qui essaient de la lui couper, en incendiant des églises et des couvents, de Madrid à l’Andalousie, tandis que le gouvernement décrète la loi martiale et envoie l’armée pour défendre la curaille. Les paysans occupent les terres, les grèves ouvrières se multiplient. Toutes les organisations syndicales et politiques du prolétariat grossissent.
La « République des travailleurs de toutes les classes »
Les élections aux Cortès (parlement) donnent une large majorité à la coalition républicaine entre partis bourgeois et parti socialiste. Le gouvernement qui en provient, peu avare de déclarations sur « l’intérêt supérieur de l’Espagne », s’attelle à la rédaction d’une constitution garante de la propriété privée, incapable de renvoyer le clergé à ses prières, de distribuer massivement les terres, de traiter équitablement les nationalités opprimées. Une fois de plus, la bourgeoisie montre qu’est passée l’époque historique où elle brisait les carcans hérités du féodalisme. Républicaine ou pas, c’est une classe exploiteuse qui a le prolétariat pour ennemi principal. Sa « loi de défense de la république » limite le droit de grève, de réunions et de manifestations, soumet la presse à la censure ; sa loi régissant les associations réclame que partis et syndicats remettent aux autorités la liste de leurs adhérents. C’est bien entendu contre les classes exploitées, le prolétariat et les petits paysans, que la république bourgeoise gouverne.
Écrasement, au cours de l’année 1932, par l’armée ou les gardes d’assaut nouvellement créés d’insurrections locales dirigées par les anarchistes, de luttes d’ouvriers agricoles et de paysans ; emprisonnement de milliers de prolétaires révolutionnaires alors que l’armée complote : le général Sanjurjo a tenté de soulever la garnison à Séville pour rétablir la monarchie et a été battu par le soulèvement spontané de la population. La « loi sur les associations » ne touche pas la Confédération espagnole des droites autonomes (CEDA) qui se constitue alors, rassemblant monarchistes et fascistes comme Gil Robles, préparant la revanche contre les ouvriers et les paysans qui, eux, restent sans état–major.
La coalition républicaine ne satisfait ni la bourgeoisie qui lui reproche d’être incapable de museler la main d’œuvre, ni le prolétariat qui n’a vu aucune de ses aspirations vitales réalisées. Après des mois de demi–mesures et de crises politiques, en octobre 1933, les Cortès sont dissoutes et les élections donnent une large majorité aux organisations réactionnaires.
Bieno negro (1934–1935)
Suit une période de répression accrue contre les ouvriers et les paysans, de licenciements des syndiqués, de baisse des salaires. L’Église et l’armée recouvrent tous leurs privilèges. Dopés par l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, par l’écrasement du prolétariat autrichien sous Dollfuss, comme les Ligues à Paris en 1934, les fascistes de la Phalange dont le chef, Primo de Rivera fils, est un adorateur de Mussolini, paradent dans les rues, attaquent les journaux et les locaux des organisations prolétariennes, tirent à l’université. Lerroux, chef du Parti radical républicain qui a été ministre sous Azana, chapeaute le gouvernement durant ces deux années noires où la corruption des sommets atteint des records, pendant que les latifundiaires affament les ouvriers agricoles.
Une partie de la direction du PSOE traite Lerroux comme un moindre mal par rapport à la CEDA, une autre cherche à se préparer à l’affrontement qu’elle voit arriver et tient des discours enflammés pour la révolution. Dans les faits, la politique du PSOE entrave à chaque occasion la résistance ouvrière et paysanne. Ainsi en avril 1934, c’est la détermination de la classe ouvrière madrilène qui bloque le rassemblement annoncé des troupes de Gil Roblès, alors que l’indécision des dirigeants réformistes lui laissait le champ libre ; au mois de juin, les ouvriers agricoles massivement en grève pour les salaires, à l’appel de leur fédération, pourtant membre de l’UGT, sont vaincus région par région parce que la confédération refuse son soutien, n’organise jamais la solidarité des travailleurs des villes. 7 000 sont emprisonnés.
Les bouches social–démocrates justifient les capitulations par la nécessité de réserver les forces pour empêcher les restaurationnistes et les fascistes de prendre le pouvoir, alors que le développement de la lutte de classe, les victoires arrachées à la réaction, au contraire, affaiblissent d’autant ce camp. Mais le prolétariat s’impatiente. Lassé par les années de collaboration de classe menée par le PSOE, par les actions anarchistes isolées et toujours défaites, le prolétariat aspire légitimement à l’unité de ses rangs pour vaincre. L’agitation que les militants de l’ICE développent pour la réalisation du front unique des organisations ouvrières contre la bourgeoisie (Allianza obrera) rencontre un grand écho. Le BOC s’y rallie. Le PSOE et l’UGT signent des accords avec d’autres organisations syndicales et politiques, pour une Alliance antifasciste. Les staliniens qui ont livré en Allemagne le prolétariat aux nazis en désignant les sociaux–démocrates comme l’ennemi principal se tiennent à l’écart de l’Alliance ouvrière qu’ils conspuent, poursuivent un cours sectaire qui fait obstacle aux mobilisations ouvrières. Les anarchistes dénoncent tout accord autre qu’à la base.
La majorité du PSOE affirme que le parti déclenchera l’insurrection avec l’UGT si la CEDA accède au gouvernement. Mais lorsque cela arrive, le 4 octobre 1934, les sociaux–démocrates se dérobent. Au lieu de l’insurrection annoncée, ils appellent à une « grève générale pacifique ». La CNT refuse de se joindre à un mouvement dirigé par l’UGT. À Barcelone, elle prend même publiquement position contre la grève, tandis que les autonomistes catalans, courtisés par le groupe local de l’ICE, à l’opposé du bolchevisme, négocient rapidement la fin du mouvement. La population laborieuse se mobilise malgré tout dans les principales villes du pays. À Madrid, une foule immense déferle et réclame des armes. Elle est laissée sans consignes ni perspectives jusqu’au lendemain. Le gouvernement reprend la main, emprisonne des centaines de militants et, peu reconnaissant envers les pleutres, il fait arrêter les « dirigeants » socialistes dans la capitale.
Une véritable insurrection ouvrière a lieu dans les Asturies
Mais dans la région minière du nord de l’Espagne, l’insurrection a véritablement lieu, sous le commandement de l’Alliance ouvrière des Asturies qui regroupe toutes les organisations ouvrières, CNT comprise. Le PCE la dénonce furieusement le 4 octobre :
Travailleurs, ne vous laissez pas abuser par le chemin de l’unité. Vos chefs vous trahissent. L’Alliance ouvrière est le nerf de la contre-révolution. À bas l’Alliance ouvrière de la trahison ! (cité par Manuel Grossi, L’Insurrection des Asturies, 1935)
Et s’y rallie le 5, sur ordre de Moscou, tandis que les combats ont commencé depuis la ville minière de Mieres où les armes ont été distribuées aux ouvriers, mineurs en tête, maniant la dynamite. Ils prennent casernes et mairies, à Oviedo, Gijon ; en trois jours, la majeure partie de la région est aux mains des insurgés, appuyés par des grèves massives dans les mines de charbon, les chemins de fer. Les comités révolutionnaires constitués organisent les milices ouvrières armées, la défense de la population face à la garde civile, une Armée rouge est bâtie dans laquelle des dizaines de milliers de prolétaires, ouvriers de la ville et de la campagne, s’engagent. La fabrication des armes dans les usines, la libération de tous les prisonniers politiques, la chasse aux pillards, la répartition de la nourriture, la distribution de la terre aux paysans, l’accaparement des réserves de la Banque de la capitale Oviedo : en deux semaines, les organes du pouvoir ouvrier, les comités du peuple armé règlent plus de questions que des années de république bourgeoise. À l’échelle d’une région est décrétée la fin de la propriété privée, la république sociale.
Le gouvernement Radicaux–CEDA envoie le général Franco qui commande les troupes coloniales et s’adjoint la Légion étrangère espagnole pour écraser l’insurrection. Des phalangistes de toutes les sacristies les accompagnent. Les quartiers ouvriers sont bombardés au canon, mitraillés. Isolée, manquant de munitions, la résistance héroïque dure jusqu’au 20 octobre. La répression a fait 3 000 morts, des milliers de blessés, 40 000 arrestations.
La résistance ouvrière sans direction révolutionnaire
Rejetés dans l’opposition, les dirigeants du PSOE gauchissent le discours, effrayés par le sort que le fascisme leur réserve. Le Parti socialiste capte alors une audience accrue dans la classe ouvrière, surtout dans ses couches les plus jeunes, les plus hardies qui ne portent pas sur leurs épaules le poids des trahisons passées. Dialectiquement, ces militants, ces travailleurs exercent une pression sur les organisations et les différenciations en leur sein apparaissent. L’année 1934 voit une radicalisation du discours des dirigeants connus du PSOE, à commencer par Caballero, et encore plus de ses jeunesses (JSE).
Trotsky se bat aussitôt pour que l’ICE intervienne résolument dans ces processus, pour gagner les meilleurs combattants au bolchevisme et construire le parti révolutionnaire. Il conseille l’entrée dans le PSOE et les JSE, drapeau déployé. La direction Nin-Andrade rejette cette proposition, qualifiée d’opportuniste et repousse des mois durant les appels de dirigeants du PSOE et des jeunesses socialistes.
La jeunesse socialiste a rompu définitivement avec le réformisme social-démocrate et elle entend, d’accord avec la jeunesse socialiste de France, de Belgique, de Suisse, de Tchécoslovaquie, d’Angleterre et d’Autriche, entreprendre la reconstruction du mouvement de la jeunesse sur la base la plus pure du marxisme révolutionnaire. La direction internationale nécessaire pour obtenir la victoire n’existe pas. La Seconde et la Troisième Internationales ont perdu leur rôle dirigeant. À la suite de la victoire d’Hitler, un nouveau mouvement a pris naissance. Nous croyons qu’il est nécessaire et urgent de le faire aboutir. Retournons à Marx et à Lénine. Unissons la jeunesse prolétarienne dans une Internationale qui ait rompu avec les erreurs du passé. (JSE, 10 février 1935)
En fait, la direction Nin-Andrade refuse de se tourner vers les masses et poursuit ses tractations avec les nationalistes catalans et surtout le Bloc ouvrier et paysan avec lequel l’ICE fusionne, rompant définitivement avec la Ligue communiste internationaliste. En septembre 1935, avec divers autres petits groupes, les partisans de Maurin et de Nin fondent le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) de 8 000 membres. Les conséquences de cette faute politique majeure ne se font pas attendre.
Le PSOE retourne à sa politique d’alliance avec la bourgeoisie, pourvu qu’elle soit républicaine et antifasciste. Il signe en janvier 1936 un accord pour les élections aux Cortès, fixées au 16 février 1936, avec la Gauche républicaine d’Azana, l’Union républicaine de Barrio et le Parti national républicain.
Les staliniens font main basse sur les Jeunesses socialistes (JSU), éteignent les ferments révolutionnaires et se renforcent. Les armes que Moscou commence à livrer et le tournant à 180° du Kremlin qui commande aux partis staliniens de passer de la politique sectaire du social–fascisme à l’opportunisme des alliances larges ouvrent au PCE un espace, ce que la constitution du POUM a facilité.
Les dirigeants du parti centriste qui qualifiaient Trotsky d’opportuniste parce qu’il voulait utiliser la crise dans la social–démocratie pour forger un parti révolutionnaire prolétarien, qui criaient à la collusion avec le PSOE, s’alignent lamentablement sur l’alliance avec la bourgeoisie républicaine, signent le programme du Front populaire dont les staliniens font l’apologie depuis deux mois.
Le programme du Front populaire
Dans son préambule, ce « bloc des gauches » présente l’« accord politique » qui lie les signataires comme « conforme aux intérêts nationaux de la République ». Les frontières de classes sont masquées, ces messieurs sont prêts à servir la république bourgeoise.
Le chapitre 1, « comme présupposé indispensable de la paix publique », annonce une loi de « large amnistie des délits politiques et sociaux commis antérieurement à novembre 1935 ». Le Front populaire annulera « des délits », il ne rendra pas justice aux prolétaires, aux combattants, aux réprimés. Il met sur le même plan victime et bourreau, dédouanant par avance les exactions légales : « une loi concédant aux familles des victimes causées par les forces révolutionnaires ou par les actes illégaux de l’autorité et de la force publique au cours de la répression la réparation adéquate du dommage causé aux personnes ». Le POUM a justifié son ralliement par cette « loi d’amnistie ». Les prolétaires, plus avancés que le POUM, ouvriront les prisons bien avant qu’elle soit votée.
Le chapitre 2 nous apprend que « les partis coalisés rétabliront le règne de la constitution » et que « le principe de l’autorité est affirmé dans toute sa vigueur ». Sans commentaire…
Au chapitre 3, « les républicains n’acceptent pas le principe de la nationalisation de la terre et de sa remise gratuite aux paysans » et au chapitre 4, il est question de « l’intérêt général de l’économie », autre façon d’écrire qu’il ne faut pas attendre de mesures contre la classe exploiteuse. Le chapitre 5 confirme : « Les républicains n’acceptent pas l’allocation de chômage demandée par les représentants ouvriers. »
Chapitre 6 : « Les partis républicains n’acceptent pas les mesures de nationalisation des banques proposées par les partis ouvriers. »
Chapitre 7 : « La République telle que la conçoivent les partis républicains n’est pas une république dirigée par des motifs sociaux ou économiques de classe, mais un régime démocratique animé par des motifs d’intérêt public et de progrès social… Les partis républicains n’acceptent pas le contrôle ouvrier demandé par la délégation du Parti socialiste. »
Au chapitre 8 qui traite de l’enseignement dans son point 1, aucune mesure précise pour liquider l’emprise du clergé catholique. L’Église, comme l’armée, jamais nommées, sont « oubliées » dans l’accord électoral qui se clôt par un coup de chapeau à la caverne des brigands (Lénine) : « La politique internationale sera orientée dans le sens de l’adhésion aux principes et aux méthodes de la Société des nations. »
Le 15 janvier 1936, ce catalogue bourgeois est ratifié par la Gauche républicaine, l’Union républicaine, le Parti socialiste ouvrier espagnol, l’Union générale des travailleurs, le Parti communiste d’Espagne, la Fédération nationale des jeunesses socialistes, le Parti syndicaliste, le Parti ouvrier d’unification marxiste.
Le POUM trahit les leçons que le marxisme a tirées, depuis 1848, de la nécessité pour le prolétariat de constituer son propre parti, contre la bourgeoisie et non en collaboration avec elle. L’ancienne direction Nin–Andrade de l’ICE rompt avec la politique d’Alliance ouvrière qui lui avait permis de se développer en aidant le mouvement révolutionnaire des masses à s’organiser indépendamment et contre la classe exploiteuse et ses partis républicains.
Le POUM justifie sa capitulation devant le Front populaire et le stalinisme qui l’impulse dans le monde entier par l’impossibilité d’obtenir des députés sans participer à une coalition électorale. Mais il s’est mis lui–même en position de faiblesse en refusant l’entrée dans le PSOE et les Jeunesses où les forces révolutionnaires rassemblées auraient pu dénoncer le front populaire et combattre pour le front unique ouvrier. Cela aurait permis la jonction avec la base anarchiste, traditionnellement anti–élections, alors que les sommets de la CNT et la FAI, s’ils n’ont pas appelé à voter Front populaire, n’ont pas donné leur consigne habituelle d’abstention, n’ont pas mené de campagne indépendante. Utiliser la bataille électorale pour que le programme de la révolution sociale atteigne les plus larges masses, voilà ce qui aurait dû prévaloir chez les révolutionnaires.
Le 16 février 1936, la coalition de Front populaire remporte les élections aux Cortès, avec une légère avance en voix et une très large majorité de sièges (plus de 60 %).