Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus… À chaque pas, les faits nous rappellent que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang et notre cerveau, que nous sommes en son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage nous avons sur les autres espèces de connaître ses lois et de pouvoir les appliquer judicieusement. (Friedrich Engels, « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », 1876, Dialectique de la nature, Éditons sociales, p. 180-181)
Réunion au sommet des représentants des pollueurs militaires et capitalistes
La Conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP21) s’est tenue au Bourget du 30 novembre 2015 au 11 décembre 2015, sous l’état d’urgence, alors que les manifestations prévues à cette occasion étaient interdites et que des militants pour le climat étaient assignés à résidence. Elle a abouti in extremis à un accord que Laurent Fabius qualifia d’« ambitieux et équilibré », « juste, durable, dynamique et juridiquement contraignant » (Le Monde, 12 décembre 2015). Celui-ci fut quasi-unanimement salué comme une avancée historique, ainsi François Hollande affirma :
Le 12 décembre 2015 restera une grande date pour la planète. A Paris, bien des révolutions se sont déroulées, mais aujourd’hui, c’est la plus belle des révolutions, la plus pacifique, la révolution pour le changement climatique. (Le Monde, 12 décembre 2015)
Le texte se présente sous la forme d’un accord formé d’un préambule et de 29 articles (divisés en paragraphes numérotés), précédé d’une décision en 140 points. Comme le montrera l’examen de son contenu, l’accord n’est pas aussi « ambitieux » et « juridiquement contraignant » que ne l’affirme son initiateur, ce sera à nouveau du « trop peu, trop tard ». Mais l’ONU sait masquer sa servilité et l’indigence de sa politique grâce à sa maîtrise de la langue de bois, notamment par un verbiage alignant tous les poncifs du « politiquement correct » :
Les Parties reconnaissent que l’action pour l’adaptation devrait suivre une démarche impulsée par les pays, sensible à l’égalité des sexes, participative et totalement transparente, prenant en considération les groupes, les communautés et les écosystèmes vulnérables, et devrait tenir compte et s’inspirer des meilleures données scientifiques disponibles et, selon qu’il convient, des connaissances traditionnelles, du savoir des peuples autochtones et des systèmes de connaissances locaux, en vue d’intégrer l’adaptation dans les politiques et les mesures socioéconomiques et environnementales pertinentes, s’il y a lieu. (article 7, paragraphe 5)
L’institution sait aussi se parer de toutes les vertus humanitaires et démocratiques qu’elle n’a jamais fait respecter. Tout est dans le conditionnel :
Les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations. (Préambule)
Limiter le réchauffement à moins de 2 °C ?
L’Accord de Paris se donne pour objectif « la riposte mondiale à la menace des changements climatiques […] en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C » (article 2). Il est ouvert à la signature du 22 avril 2016 au 21 avril 2017, et il entrera en vigueur 30 jours après avoir été entériné par 55 parties représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, donc probablement en 2017.
Comme le remarque Sylvestre Huet dans Libération du 29 décembre 2015 (« La chaleur fait des vagues »), il est trop tard pour 1,5 °C. En effet, la température a déjà augmenté d’environ 1 ° depuis la période préindustrielle, le potentiel de réchauffement des gaz à effet de serre déjà contenus dans l’atmosphère se monte à 0,3 ° par rapport à aujourd’hui, et l’usage de technologies moins polluantes fera disparaître les particules fines réfléchissantes qui actuellement refroidissent le climat de 0,3 °. Donc, même si l’humanité cessait du jour au lendemain, d’émettre le moindre gaz à effet de serre, on aurait dépassé 1,5 ° en 2100.
Qu’en est-il des 2 ° ? L’Accord de Paris repose essentiellement sur l’amélioration de ce qu’on appelle la « contribution prévue déterminée au niveau national » (CPDN) de chaque partie (État ou groupe d’États), c’est-à-dire son engagement détaillé et chiffré de réduction des émissions. Les parties devront actualiser d’ici 2020 leur CPDN, et ensuite tous les 5 ans ; chaque nouvelle contribution devra présenter une « progression » par rapport à la précédente, mais celle-ci n’est pas quantifiée, donc une amélioration minimale se conformera au texte. Par ailleurs les parties sont aussi invitées à communiquer au secrétariat d’ici 2020 « leurs stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre à long terme ». Pour évaluer la mise en oeuvre de l’accord, la Conférence des Parties procèdera à son premier bilan mondial en 2023 et tous les cinq ans par la suite.
Or les CPDN de la quasi-totalité des parties ne sont pas compatibles avec l’objectif de limitation du réchauffement à 2 °, en moyenne elles donneraient environ 2,7 °. L’organisation Climate Action Tracker a évalué 32 CPDN, qui couvrent 81 % des émissions, et seuls 5 petits États couvrant 0,4 % des émissions sont classés suffisants : Bhoutan, Costa Rica, Éthiopie, Gambie et Maroc.
Les climatologues s’entendent sur le fait qu’il faut agir sans délai, et ne pas attendre 2020. Comme le dit Jean Jouzel, ancien vice-président du Comité scientifique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) :
Ma déception, c’est le pré-2020 (date d’entrée en vigueur de l’accord). C’est essentiel d’agir aussi avant 2020 et il n’y a pas de réelle ambition sur ce point-là. L’accord n’impose pas de révision des engagements actuellement pris par les pays (qui placent le monde sur une trajectoire de trois degrés) avant 2025. Ce sera trop tard pour le 1,5°C et très difficile pour le 2 °. Le seul espoir, c’est qu’il y a une invitation à remonter l’ambition avant 2020, mais c’est une simple invitation… (Goodplanet Info, 12 décembre 2015)
L’inconséquence des politiques prévues d’ici 2030 a été montrée en ce qui concerne les projets de développement de centrales au charbon (« The Coal Gap: planned coal-fired power plants inconsistent with 2°C and threaten achievement of INDCs », Climate Action Tracker, 1 décembre 2015). Même sans construire de nouvelles centrales, en maintenant seulement celles qui existent, en 2030 on dépasserait de 150 % le plafond compatible avec l’objectif de limitation du réchauffement à 2 °, mais en construisant toutes celles qui sont prévues, on le dépasserait de 400 %, les centrales rejetant alors 12 gigatonnes de CO2 par an. En fait, au lieu de diminuer, la capacité des centrales au charbon augmenterait de 40 % d’ici 2030 ! L’organisation préconise d’annuler tous les projets de construction de nouvelles centrales au charbon, de ne plus délivrer de nouvelles autorisations, d’anticiper le démantèlement des anciennes centrales, et finalement de complètement décarboner le secteur de l’énergie d’ici 2050.
Il a beaucoup été question de justice et d’équilibre entre pays dominants et dominés. Ainsi il est demandé « fermement » aux « pays développés d’amplifier leur aide financière » dans l’objectif de contribuer collectivement pour 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. Mais on peut supposer que dans un contexte de crise économique, les différents États impérialistes se rejetteront mutuellement la balle, comme lors de la COP15 à Copenhague en 2009. Par ailleurs, pour aider les pays les plus faibles à mettre en place des mesures d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique, l’article 11 prévoit la mise en place d’un « renforcement des capacités » auquel « toutes les parties devraient coopérer » ; celui-ci « devrait être impulsé par les pays […] et représenter un processus efficace, itératif, participatif, transversal et sensible à l’égalité des sexes. » Comprenne qui pourra !
Quand un accord international est conclu, la question se pose des mécanismes pour contrôler sa mise en œuvre et sanctionner ceux qui ne respectent pas leurs engagements. Ici, il n’est question que d’approches flexibles, non accusatoires, non intrusives et non punitives.
L’article 13 prévoit un cadre de transparence « afin de renforcer la confiance mutuelle et de promouvoir une mise en oeuvre efficace » ; celui-ci « accorde aux pays en développement qui en ont besoin, compte tenu de leurs capacités, une certaine flexibilité », il « doit être mis en œuvre d’une façon qui soit axée sur la facilitation, qui ne soit ni intrusive ni punitive, qui respecte la souveraineté nationale et qui évite d’imposer une charge excessive aux Parties. » Les « pays développés » soumettront les informations pertinentes au minimum tous les deux ans, mais « les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement pourront soumettre ces informations comme ils le jugent bon ». Les dictateurs corrompus qui fournissent aux pays impérialistes tout le pétrole ou l’uranium dont ils ont besoin, et qui achètent en retour les armements les plus sophistiqués, pourront dormir tranquilles : l’ONU ne se formalisera pas outre mesure de leurs mensonges et tricheries.
Les grandes puissances impérialistes (États-Unis, Chine, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Russie, Japon…) pourront aussi rechigner dans la mise en œuvre de leurs engagements, l’ONU ne les accusera pas et ne les punira pas.
Il est institué un mécanisme pour faciliter la mise en oeuvre et promouvoir le respect des dispositions du présent Accord et en promouvoir le respect. Celui-ci fonctionne d’une manière qui est transparente, non accusatoire et non punitive. (article 15)
Les dirigeants impérialistes freinent l’action contre le réchauffement climatique
Maxime Combes compare le texte définitif de l’Accord de Paris avec une version antérieure(« Accord à la COP21 : même sur une planète morte, le commerce international devra se poursuivre sans entraves », Bastamag, 11 décembre 2015) ; il remarque deux « simplifications », à savoir deux paragraphes supprimés. L’un traite de la limitation des émissions du commerce maritime et aérien international, non comptabilisé dans le bilan des pays, qui représente environ 8 % du total des émissions mondiales. L’autre concerne le transfert gratuit de technologies climatiques des pays développés vers ceux en développement.
Le même article présente ensuite un document interne de la Commission européenne, mis à jour par l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory. Celui-ci précise la position défendue par l’UE à la COP21 : le commerce international et la propriété intellectuelle relèvent de l’OMC, donc la COP21 ne doit pas s’en mêler, il ne faut pas en discuter et aucune décision les concernant ne peut être acceptée. Ce sont donc bien les impérialismes européens qui ont exigé ces « simplifications ». Le profit passe avant le climat.
Notons également que le Sénat des États-Unis avait empêché la ratification du protocole de Kyoto en 1998, et il est fort possible que le Sénat ou la Chambre des Représentants refuse de ratifier l’Accord de Paris. Les pays impérialistes sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, le pillage des pays dominés et les matières premières à bon marché sont à la base du développement du capitalisme mondial et de la richesse des bourgeoisies des pays dominants. Ces bourgeoisies sont donc déterminées à sacrifier le climat sur l’autel du profit [voir Révolution communiste n° 14].
La défense conséquente de l’environnement s’oppose au profit, à la propriété privée des moyens de production et à l’anarchie du marché, elle exige de s’attaquer à ceux-ci afin de prendre en compte l’équilibre naturel et les besoins des populations.
Or, tous les gouvernements et tous les partis qui les composent, tant ceux ouvertement bourgeois que ceux qui se réclament de l’écologie ou ceux issus du mouvement ouvrier, défendent le capitalisme, mode de production anarchique guidé par la maximisation du profit et l’accumulation incessante du capital. Ils ne peuvent donc pas empêcher efficacement le réchauffement climatique. Seule la classe ouvrière peut le faire, en prenant le pouvoir, expropriant le capital et en réorganisant la société sur base de la satisfaction des besoins sociaux des populations et de l’équilibre entre la nature et l’humanité.
Sans prise de pouvoir par la classe ouvrière à l’échelle internationale, on remarquera bien avant 2030 que l’objectif de la COP21, à savoir la limitation du réchauffement à moins de 2 °C d’ici 2100, ne sera pas atteint. Alors on verra les bourgeoisies de tous les pays tenter par tous les moyens de faire payer par les travailleurs les dégâts causés par le capitalisme.