Qui sont les fauteurs de guerre ?
Les monarchies islamistes sunnites d’Arabie, du Koweït, du Qatar, des EAU, de Bahreïn, ainsi que la théocratie d’Iran, sont toujours en place. Plusieurs États d’Afrique du nord et d’Asie de l’ouest se sont effondrés : Irak, Syrie, Libye, Yémen… et de nouveaux États apparaissent (Kurdistan du Sud, EI). Les guerres et les bombardements, les persécutions des minorités nationales et religieuses, le renforcement de l’oppression des femmes et le totalitarisme s’expliquent d’abord par le sous-développement, la domination impérialiste, les interventions militaires des États-Unis et de leurs alliés, les rivalités entre ceux-ci et le nouvel impérialisme russe, le conflit entre des puissances régionales (Iran, Arabie saoudite, Turquie…) mais aussi par l’échec des révolutions de 2011 qui auraient pu y mettre un terme.
Amorcée par les manifestations de masse de la jeunesse iranienne en 2009, presque tous les gouvernements d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont fait face à une poussée révolutionnaire en 2010 et 2011. Faute d’une internationale ouvrière et de partis révolutionnaires pour les mener au pouvoir, les masses ont été trahies par leurs organisations politiques et syndicales (qui les ont mis à la remorque d’une fraction ou d’une autre de la bourgeoisie) ou mystifiées par les formations islamistes (Frères musulmans : FM-PLJ, Ennahda… ; salafistes : Al-Nour, Ansar-al-charia… ; djihadistes : EEIl, Al-Nosra, AQPA…).
Avec l’appui des grandes puissances, les classes dominantes de la région ont repris l’initiative en menant une contre-révolution, soit par une transition « démocratique » et sous couvert de « constituante » (Tunisie et Égypte, 2011), soit par la répression (Iran, Irak, Maroc, Algérie, Turquie), soit par l’immixtion militaire de puissances régionales (Arabie Saoudite à Bahreïn, 2011, au Yémen, 2015) ou de puissances impérialistes (États-Unis, France et Grande-Bretagne en Libye, 2011), soit par une guerre civile entre deux camps bourgeois comme en Libye et en Syrie depuis 2011, comme en Irak depuis 2005. La guerre civile en Irak, conséquence des deux invasions impérialistes menées au nom de la démocratie, alimente un conflit réactionnaire de dimension régionale qui se présente comme une guerre de religion entre deux branches de l’islam.
De 2003 à 2008, pendant l’occupation américaine, une guerre interconfessionnelle entre sunnites et chiites a ensanglanté l’Irak, un conflit sans précédent dans la longue histoire des relations entre les deux grandes communautés musulmanes de ce pays : des centaines de milliers de morts, en grande majorité chiites, et un processus de fragmentation territoriale. (Pierre-Jean Luizard, Le Piège Daech, 2015, La Découverte, p. 8)
La région est plus que jamais soumise à un conflit entre grandes puissances impérialistes : la Russie et la Chine d’un côté, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne de l’autre. Parfois, ces grands pays dominant économiquement et militairement la planète se mettent d’accord, par exemple en instaurant un embargo contre le développement de l’industrie nucléaire en Iran. Mais, le plus souvent, leurs alliances et leurs confrontations servent à se disputer et se repartager des zones d’influence et des richesses (gaz et pétrole notamment), chaque gouvernement défendant les intérêts de ses grandes multinationales.
Ce qui caractérise notamment le capitalisme actuel, c’est la domination des groupements monopolistes constitués par les plus gros entrepreneurs. Ces monopoles sont surtout solides lorsqu’ils accaparent dans leurs seules mains toutes les sources de matières brutes, et nous avons vu avec quelle ardeur les groupements capitalistes internationaux tendent leurs efforts pour arracher à l’adversaire toute possibilité de concurrence, pour accaparer, par exemple, les gisements de fer ou de pétrole, etc. (Vladimir Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916, ELE, p. 98)
Pour la domination mondiale, les grandes puissances s’affrontent rarement directement, comme lors des guerres mondiales de 1914 et 1939. En général, vu les risques, elles rivalisent plutôt par l’intermédiaire de gouvernements vassaux et dépendants d’elles. C’est le cas en Libye, en Syrie et en Irak où les puissances régionales se font la guerre, chacune soutenue par un camp impérialiste différent.
Depuis leurs bases militaires (dont celle d’Al-Anad au Yémen), les drones étasuniens assassinent leurs opposants : 122 assassinats ciblés depuis 2002.
Le Yémen à feu et à sang
Le Yémen est le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Il est situé à l’entrée stratégique de la Mer rouge conduisant au Canal de Suez par où passent 40 % du trafic maritime mondial. Mais au contraire de ses voisins, il n’a que très peu de pétrole : les réserves devraient même s’épuiser d’ici 2020 alors que son exportation représente plus de 70 % des revenus du pays. En 2014, deux tiers des 26 millions d’habitants dépendaient pour survivre de l’aide dont le principal bailleur est l’Arabie saoudite. 41 % des foyers seulement avaient l’électricité, 30 % n’avaient pas d’eau potable. Le taux de chômage officiel est de 18 % (estimé officieusement à 40 % en 2012) ; le travail au noir est courant et la jeunesse est promise à la misère. 1 jeune sur 2 de plus de 15 ans est analphabète. Au moins 50 % des enfants sont en situation de malnutrition et le salaire moyen est approximativement de 80 dollars par mois. Les droits démocratiques sont réduits à rien, les mariages forcés sont encore admis.
En janvier 2011, des manifestations demandent la démocratie, la fin de la corruption et le départ de Saleh, le militaire arrivé au pouvoir en 1978. La répression, la mainmise de clans tribaux, les fausses oppositions entre partis bourgeois ont fini par faire refluer la vague révolutionnaire. Après des mois de répression et de négociations pour maintenir l’État bourgeois en place, Saleh a cédé sa place en novembre 2011. Conservant son immunité, il a confié la présidence à son bras droit et vice-président Hadi, ancien général devenu le nouvel homme de main de l’impérialisme au Yémen. La « transition démocratique » a permis à Hadi d’être l’unique candidat de l’élection présidentielle où il fut élu avec 99,8 % des suffrages le 27 février 2012.
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Hadi fait face à la dislocation de l’État et de l’armée. Face à ce pouvoir affaibli, se dressent trois mouvements islamistes : Ansar Allah (Partisans de Dieu, chiites), Al-Islah (sunnite façon Frères musulmans) et AQPA (sunnite façon djihadiste).
Dans les années 1990, l’unification des deux Yémen, Nord et Sud, pousse le gouvernement yéménite à s’allier avec le parti islamiste Al-Islah, à la fois tribal et islamiste. À la fin de la décennie, le gouvernement n’a plus besoin d’Al-Islah et les islamistes rejoignent progressivement l’opposition. (Anne-Clémentine Larroque, Géopolitique des islamismes, 2014, PUF, p. 96)
Constitué en 1990 dès le retour des combattants djihadistes d’Afghanistan, AQPA a participé à la contre-révolution depuis 2011 en tuant aveuglément lors de nombreux attentats. C’est cette branche yéménite d’Al- Qaïda qui a revendiqué les assassinats contre la rédaction de Charlie Hebdo. AQPA a souvent été toléré contre les houthistes qu’AQPA condamne pour leur chiisme. Le 16 avril, les bandes islamo-fascistes d’AQPA ont pris le contrôle de Moukalla (200 000 habitants) et de son aéroport, l’armée régulière fuyant, comme l’armée irakienne à Mossoul, face à l’EI. La guerre civile et l’intervention saoudienne donnent l’occasion à AQPA d’imposer l’ordre fasciste. Pourtant, des manifestations hostiles à AQPA ont eu lieu le 4 mai dernier.
Ansar Allah, le parti islamiste chiite que les médias bourgeois appellent « Houthis » du nom de son dirigeant Abdel Malik Al-Houthi, s’appuie sur la minorité zaydite, 30 % des Yéménites, surtout au nord-ouest. L’État central a refusé depuis 2004 toute autonomie régionale. En septembre 2014, les Houthis ont pris le contrôle de la capitale, Sanaa, et ont fait tomber le gouvernement en janvier 2015. Les milices d’Ansar Allah ont ensuite menacé Aden, grand port stratégique où le président Hadi avait été contraint de trouver refuge avant de fuir en Arabie saoudite.
Le 25 mars, la monarchie saoudienne a déclenché l’opération « Tempête décisive », avec le soutien de 9 autres pays (États-Unis, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats arabes unis, Maroc, Soudan, Égypte, Jordanie). Avec le soutien logistique des États-Unis, Salman a coalisé les armées des pays à dominante sunnite, la branche majoritaire de l’islam. La coalition militaire autour de l’Arabie saoudite s’oppose au puissant voisin iranien qui soutient, en sous-main, le parti houthiste. Cette intervention a été validée par l’ONU le 14 avril alors que les bombardements avaient déjà fait des centaines de morts et des milliers de blessés. Le Conseil de sécurité de l’ONU a voté la résolution 2216 demandant un embargo sur les armes, des sanctions ciblées contre les Houthis et leur retrait des zones qu’ils contrôlent.
Mais les Houtis ont tenu le choc : ils gardent Sanaa et menacent toujours les forces loyalistes à Aden. Après un mois de bombardements, plus de 1 200 morts et 5 000 blessés, Ryad a annoncé une pause le 21 avril.
L’impérialisme soumet l’Iran à ses conditions
Le 2 avril 2015 à Lausanne, les diplomates iraniens ont signé un « pré-accord » pour que soient levées les sanctions et l’embargo contre leur pays. Depuis 2006, le pouvoir des mollahs est soumis à un embargo restreignant les revenus du pays (particulièrement celui de la vente du pétrole) par le groupe « P5+1 », c’est-à-dire les puissances impérialistes mondiales ayant un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, France) auxquelles s’ajoute l’Allemagne qui, peu à peu, rejoue un rôle politique et même militaire dans cette région.
Cet accord n’est pas basé sur la confiance, mais sur des vérifications sans précédent : si l’Iran triche, le monde le saura. (Obama, 4 avril 2015)
Ce pré-accord encore secret est entièrement à l’avantage des puissants de ce monde. Il conditionne la levée de l’embargo à la soumission de l’Iran sur son énergie nucléaire pendant les quinze prochaines années. Durant cette période, Téhéran doit réduire à 6 000 ses centrifugeuses d’enrichissement de l’uranium (l’Iran en a 19 000), enrichir l’uranium à des fins uniquement civiles, réduire de 10 000 à 300 kilos son stock d’uranium, montrer patte blanche à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui aura accès à toutes les infrastructures du pays. Enfin, une fois toutes ces conditions assurées, les sanctions seront suspendues.
Toutefois, cet accord n’est pas du goût des alliés historiques des États-Unis. Netanyahou, premier ministre israélien, a jugé « négatif » le texte malgré les déclarations d’Obama. Bras armé de l’impérialisme dans la région, Israël est né en 1948 de la guerre d’expropriation des terres palestiniennes. Son armée et sa police oppriment et répriment tous les jours. L’armée sioniste mène régulièrement des guerres sanglantes contre les Palestiniens comme à Gaza durant l’été 2014. Unique détenteur de la bombe atomique dans la région grâce à l’aide de la France, le gouvernement sioniste veut en garder le monopole et s’inquiète de l’influence régionale de l’Iran, dont l’allié au Liban, le Hezbollah, lui a tenu tête en 2000.
De même, l’Arabie saoudite s’inquiète de la convergence entre Téhéran et Washington en Irak et en Syrie où les troupes iraniennes interviennent sur le terrain en concertation avec les opérations américaines de bombardement.
De son côté, la Russie a indiqué, quelques jours après l’accord et malgré l’opposition des États-Unis, qu’elle livrerait à l’Iran les missiles S-300, vente d’armes de 800 millions de dollars gelée depuis 2007. Un accord de coopération militaire a été signé en 2015 entre Moscou et Téhéran qui soutiennent tous deux le camp d’Al-Assad en Syrie.
Le gouvernement Hollande joue sa carte comme les autres puissances
Alors que Washington voit son hégémonie mondiale bousculée par l’émergence chinoise et l’agressivité russe, les autres impérialismes de seconde zone tentent d’en profiter. C’est ainsi que François Hollande a joué le représentant commercial du secteur de l’armement français. Menant des raids aériens meurtriers en Irak avec l’appui de son porte-avions, le gouvernement français a vendu 24 avions de chasse Rafale en février à l’Égypte et 24 autres le 4 mai au Qatar. Mieux, Hollande a été l’invité d’honneur du Conseil de coopération du Golfe (CCG) composé des 6 monarchies réactionnaires de la région dont l’Arabie Saoudite qui devrait prochainement signer des contrats de plusieurs milliards d’euros avec la France.
Si on peut allier la diplomatie et des actions pour l’emploi dans nos régions, j’en suis très heureux. (Hollande, 5 mai 2015)
La diplomatie française impérialiste ne dit pas un mot non plus de la fameuse « démocratie » en vendant des avions de guerre au général Al-Sissi, dictateur remplaçant de Moubarak en Égypte. Pourtant son gouvernement mène une répression féroce depuis des mois contre les militants ouvriers et contre les islamistes, allant jusqu’à la peine de mort pour les chefs des Frères musulmans.
Pour une internationale ouvrière ! États-Unis socialistes du Proche-Orient !
Contre le gouvernement français qui mène la guerre contre les peuples du Moyen-Orient, la responsabilité des partis et syndicats ouvriers est d’appeler au retrait des troupes françaises, à la fermeture de ses bases militaires à l’étranger, à l’annulation de tous les contrats d’armement, à l’ouverture des frontières aux migrants du Proche-Orient.
La solution pour que tous les peuples de la région vivent en paix passe inéluctablement par la défaite de l’impérialisme. Ce système mondial de domination de quelques grands groupes et de quelques pays conduit le monde entier à sa perte. C’est lui le coupable créateur de l’Etat colonisateur de la Palestine, des gouvernements despotiques, des mouvements fascistes et religieux qui mettent la région à feu et à sang. Pour parvenir à l’éradiquer totalement, les travailleurs d’Europe de l’ouest, de Chine, de Russie, du Japon et des États-Unis ont la possibilité de défaire leurs propres gouvernements. Ce serait une aide précieuse pour que la classe ouvrière et les paysans pauvres du Moyen-Orient posent la question de leur propre pouvoir, réussissent à exproprier par la révolution les capitalistes et ouvrent la perspective de la Fédération socialiste de la Méditerranée.
Le mouvement révolutionnaire au Proche-Orient aura nécessairement comme mots d’ordre d’arracher les droits démocratiques, le droit d’organisation pour la classe ouvrière, les mêmes droits pour les femmes, le droit aux études et aux soins, la lutte contre le chômage et la pauvreté, la réforme agraire pour les paysans pauvres, l’indépendance vis-à-vis de l’impérialisme, la destruction de l’État sioniste pour faire place à une Palestine laïque et pluriethnique, le droit à l’auto-détermination pour tous les peuples (Kurdes notamment).
Mais la bourgeoisie juive, arabe, turque, perse et kurde s’oppose aux revendications démocratiques les plus élémentaires des exploités et des opprimés. Seule la révolution ouvrière par l’expropriation de la minorité exploiteuse sera capable de toutes les garantir. Pour que cette révolution soit victorieuse, pour qu’un gouvernement ouvrier et paysan soit au pouvoir dans chaque pays, il faut à la classe ouvrière une internationale révolutionnaire. Ses mots d’ordre pour le pouvoir ouvrier et paysan dans chaque pays ouvriront la perspective des États-Unis socialistes du Proche-Orient, fossoyeurs de l’impérialisme, du sionisme et de l’islamisme barbares.