Après l’université et l’école, le tour du collège
Réforme des collèges. Et si elle avait raison ? (Libération, 12 mai)
Le carnaval réactionnaire déchaîné par l’UMP et le FN, Valeurs actuelles et Le Figaro, Pierre Nora et Alain Finkelkraut contre la « réforme » du collège doit-il conduire les travailleurs, en particulier ceux du collège et ceux qui sont parents de collégiens ou de futurs collégiens, à la soutenir ?
L’enseignement public souffre. Il est victime de la crise capitaliste et des restrictions budgétaires. Les collèges sont touchés de plein fouet dans les ghettos créés par le capitalisme en crise, où règnent le chômage, la pauvreté et l’économie souterraine.
L’ex-président Sarkozy et l’ancienne majorité UMP-UDI ont valorisé les prêtres contre les enseignants, ont imposé la conception du « socle commun de compétences » en guise de formation commune à tous les jeunes (enseignement élémentaire + collège). Pour la bourgeoisie décadente, pas besoin de formation ambitieuse : pour la masse des futurs travailleurs, un « socle » minimal suffit. Sarkozy et l’UMP ont délibérément accentué l’apartheid en supprimant la carte scolaire. Les fonds sociaux destinés aux élèves pauvres ont été divisés par deux en dix ans. Puisque Sarkozy et l’UMP-UDI donnaient moins de savoir et de culture aux enfants du peuple, ils avaient supprimé 77 000 postes dans l’Éducation nationale. Le 8 octobre 2014, Sarkozy a encore dit qu’il fallait diminuer de 30 % l’effectif des professeurs.
Mais le président Hollande et le gouvernement PS-PRG servent aussi le capitalisme français. Ils ont poursuivi le blocage des salaires des travailleurs de l’enseignement public et le financement public des établissements privés (8 milliards d’euros de subventions dissimulées à l’Église catholique). Ils ont poursuivi la destruction des camps de Roms qui entraîne la déscolarisation des enfants.
Hollande et la majorité parlementaire PS ont poursuivi les attaques contre l’enseignement public : décret Peillon sur les rythmes scolaires de janvier 2013, loi Peillon sur la « refondation » de l’école de juin 2013, loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013, décret Vallaud-Belkacem sur les obligations de service des professeurs du secondaire d’août 2014… Toutes les directions fédérales syndicales se sont associées à l’élaboration de ces mesures.
Le gouvernement s’en prend maintenant au collège. Le 11 mars, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem présente le projet en Conseil des ministres. Le 10 avril, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) ratifie les projets de décret et d’arrêté.
La ministre a tenu, lors de son intervention devant le CSE, à remercier l’ensemble des partenaires et représentants car chacun a contribué à définir le cadre du collège en 2016. (Vallaud-Belkacem Communiqué de presse, 10 avril)
Tous « les partenaires » ont en effet contribué depuis deux ans et demi à ce projet. Certaines organisations de salariés, d’étudiants et de parents (Unsa, Sgen-Cfdt, Fcpe, Unl, Unef) sont allées jusqu’à voter, avec les hauts fonctionnaires et le Medef, ces mesures qui diminuent le droit des enfants des travailleurs à la formation et qui attaquent les travailleurs de l’enseignement public.
Accentuer l’inégalité scolaire
Le projet défendu par Valls et Vallaud-Belkancem poursuit la logique de Sarkozy et de Fillon, celle du « socle commun » de 2005 : l’école et le collège, où vont tous les enfants, n’ont à délivrer qu’un minimum de « compétences ». En fait, il s’agit d’assurer la future « employabilité » à bon marché du plus grand nombre pour les tâches d’exécution. Le seul changement de Hollande et Valls est d’avoir ajouté « connaissances ».
Le nouveau socle commun de connaissances et de compétences et les nouveaux programmes qui en découleront et entreront en application à la rentrée 2016 ont été entièrement repensés. (Ministère de l’Éducation nationale, Collège, mieux apprendre pour mieux réussir, 1.1, p. 7)
Le latin (et le grec), l’allemand (ou l’arabe, l’italien…) ne font pas partie du « socle » minimaliste. Le gouvernement veut aussi alléger les programmes et les rendre en partie facultatifs. Avec sa roublardise habituelle, il prétend y associer les enseignants eux-mêmes.
La ministre a souhaité engager, du 11 mai au 12 juin 2015, une large consultation pour recueillir les réactions et les suggestions de la communauté pédagogique et éducative. (Ministère)
Il met en concurrence les collèges, chacun étant libre de 20 % de la dotation horaire.
Cet impératif doit nous conduire à améliorer la façon de transmettre pour les professeurs et d’apprendre pour les élèves en donnant aux équipes une marge de manœuvre de 20 % du temps d’enseignement… Ce temps dédié à un apprentissage différent par le travail en petites groupes, des enseignements pratiques interdisciplinaires ou un accompagnement individuel est au cœur de la nouvelle organisation du collège. (Ministère de l’Éducation nationale, Collège, mieux apprendre pour mieux réussir, 1.1, p. 3)
Le « travail en petits groupes » n’est mis en avant que pour embrouiller les parents (il n’occupe que quelques lignes dans la brochure du ministère, 2.2, p. 13). La preuve est que sont supprimés les rares dédoublements, au lieu de les généraliser. L’axe du collège du « socle » minimum, ce sont les EPI (les « enseignements pratiques interdisciplinaires » de la 5e à la 3e) qui occupent trois pages de la plaquette (1.2, p. 8 à 10). L’entourloupe est que un « projet interdisciplinaire » n’est pas forcément plus pratique, plus actif pour les élèves, qu’un enseignement disciplinaire, surtout quand celui-ci est en petit effectif.
Le but est ailleurs : tant l’organisation que les contenus de ces « nouvelles modalités d’enseignement » seront définis collège par collège.
Les équipes pédagogiques choisiront à l’intérieur de leurs programmes les contenus des nouveaux thèmes de travail des enseignements pratiques interdisciplinaires et leurs modalités de prise en charge par des enseignants de plusieurs matières. (Collège, mieux apprendre pour mieux réussir, p. 14)
Un tel projet accentuerait la concurrence entre établissements. Il impliquerait que les horaires ne soient plus communs, que les enseignements ne soient plus identiques pour tous les élèves, permettant ainsi d’aller progressivement vers des collèges pour riches et pour pauvres.
Enfin, conformément à la prescription par Hollande d’une minute de silence obligatoire le 8 janvier, le gouvernement veut renforcer l’embrigadement des élèves.
Des actions relatives à la formation du futur citoyen et à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité sont inscrites systématiquement dans les projets d’établissement… Les projets d’établissement détaillent par ailleurs les modalités de la participation active des élèves aux commémorations patriotiques… (4.2, p. 19)
Diviser et soumettre les enseignants
Le candidat Hollande avait promis 60 000 postes durant son mandat. En novembre 2014, sur les 31 627 embauches réalisées depuis le début du quinquennat, seules 4 000 correspondent à des emplois de titulaires, pérennes. Les 28 000 autres concernent des stagiaires.
Liée à la diminution des heures disciplinaires, l’organisation des « enseignements pratiques interdisciplinaires » introduirait la polyvalence des enseignants de collège. En outre, ils seraient tenus de participer à de multiples réunions au lieu de se former et de préparer leur enseignement. Ils ne pourraient plus choisir de participer librement aux concertations qui les intéressent. Ils ne pourront plus être protégés par les décrets statutaires de 1950 car ceux-ci ont été annulés par le décret du 20 août 2014, avec l’appui des bureaucrates Snes-FSU, Sgen-CFDT et Se-Unsa.
Pour Hollande, Valls et Vallaud-Belkacem, il n’y a pas assez d’argent pour augmenter les salaires des travailleurs de l’enseignement public. Par contre, le projet gouvernemental veut créer une couche intermédiaire de petits chefs payés pour servir la hiérarchie, espionner et mettre au pas leurs collègues, inculquer aux collégiens les « valeurs de la République ».
Le chef d’établissement pourra s’appuyer sur des coordonnateurs de discipline, de cycle, de niveau ainsi que des référents… Les indemnités de mission peuvent aller jusqu’à 3 750 euros par an. (Collège, mieux apprendre pour mieux réussir, p. 14)
Contre la liberté pédagogique, les enseignants devraient se soumettre aux projets décidés sous le contrôle du chef d’établissement. De plus, les chefs d’établissements seraient chargés en partie de la formation des enseignants de toutes les disciplines.
Comment arracher le retrait du projet ?
Le «socle » minimum pour le collège ne répond ni aux revendications des travailleurs de l’enseignement public, ni aux besoins d’instruction de la jeunesse. S’il s’applique, le lycée et l’école seront aussi affectés. S’il est retiré grâce à la mobilisation des travailleurs, la porte est ouverte à l’annulation de toutes les mesures contre l’enseignement public. Le combat pour le droit de tous les jeunes à la formation et les revendications des enseignants font partie de la lutte pour le socialisme qui mettra fin au chômage et réduira les inégalités. Sans révolution sociale, la santé et l’enseignement publics se dégraderont. Pour émanciper l’école, il faut émanciper la société, ce qui nécessite d’en finir avec la propriété privée des moyens de production.
Le 10 avril, au Conseil supérieur de l’éducation, les représentants de la Fsu, majoritaire chez les professeurs du secondaire, n’ont pas exigé le retrait du projet gouvernemental d’appauvrissement de l’enseignement et de mise au pas des travailleurs de l’enseignement public. Ils ont sollicité de la ministre… le report du vote et la prolongation de la discussion.
Le Snes-Fsu, avec l’intersyndicale [Snalc, Cgt, Fo, Sud…], représentant au total presque les 3/4 des personnels, a demandé que le vote de la réforme soit repoussé et que les discussions soient reprises d’urgence. (SNES, Compte rendu, 10 avril)
Les bureaucrates ont même regretté, à mots couverts, que le gouvernement n’ait pas fait mieux gober son projet aux professeurs.
Je voudrais aussi rappeler qu’à aucun moment, les personnels n’ont été directement consultés, qu’aucun dispositif n’a été imaginé pour leur permettre de s’approprier le projet présenté aujourd’hui et d’en débattre. (Roland Hubert, Déclaration du Snes-Fsu au CSE, 10 avril)
La direction PCF du Snes, à cause de l’opposition massive de la base, n’a pu approuver publiquement un projet qu’elle a pourtant contribué à préparer discrètement durant plus de deux ans.
Le Snes-Fsu, le Snep-Fsu, le Snalc-Fgaf, le Snlc-Fo, le Snetaa-Fo, la Cgt Éduc’action et Sud Éducation appellent à « débattre des conditions de l’amélioration du collège » et à une journée symbolique de grève le 19 mai. Mais qui peut croire que, le 19 mai au soir, le gouvernement retirera son projet ?
Les travailleurs de l’enseignement public doivent s’organiser, au sein de chaque syndicat et au-delà des syndicats, pour préparer la grève générale, l’élection de comités, leur centralisation au sein d’une coordination nationale :
- Retrait du projet contre le collège ! Boycott par tous les représentants syndicaux de tous les organismes qui préparent l’attaque gouvernementale (Conseil supérieur de l’éducation, Conseil supérieur des programmes) ou l’appliqueraient (CA des collèges) !
- Augmentation des salaires de tous les travailleurs de l’enseignement public ! Mesures pour retenir et attirer les professeurs expérimentés et agrégés dans les collèges des zones habitées par les ouvriers, les employés, les artisans, les paysans, les chômeurs ! Titularisation des précaires !
- Pas plus de 15 élèves par classe dans les collèges des quartiers populaires et des zones rurales pauvres ! Options pour tous les collèges ! Création de tous les postes nécessaires de professeurs, de CPE, d’infirmiers… !
- Expulsion de l’Église catholique des collèges ! Expropriation de tous les collèges privés !
- Rétablissement des décrets de 1950 ! Liberté pédagogique des enseignants ! Aucun embrigadement étatique des collégiens !