La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. (Marx, Contribution à la critique de « La philosophie du droit de Hegel », 1843)
Une religion attribue l’existence de l’univers, de la société et de chaque être humain à des divinités ou à un dieu. Ceux-ci jouissent des superpouvoirs qui font de tous les superhéros des nains de jardin. À l’intérieur des sociétés humaines, ce sont pourtant des êtres humains comme les autres (incapables de faire pleuvoir, sans parler de foudroyer les ennemis de leur dieu) qui vivent de la religion, tandis que les autres travaillent pour eux. Ce sont les prêtres. Ceux d’une même religion forment un clergé qui a une structure calquée sur la hiérarchie sociale. Chaque clergé impose, quand il le peut, son monopole, ses tabous et ses lubies archaïques à tout le reste de la société.
Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso. Il s’est opposé à tout. C’est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas ; appliqué à Campanella vingt-sept fois la question pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création ; persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait. De par Josué, il a enfermé Galilée, de par saint Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. Découvrir la loi du ciel, c’était une impiété ; trouver un monde, c’était une hérésie. C’est lui qui a anathématisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion. Oh ! oui, certes, qui que vous soyez, qui vous appelez le Parti catholique, et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons ! Voilà longtemps déjà que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande : qu’est-ce que vous me voulez ? Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l’esprit humain. (Hugo, Discours, 1850)
En général, cet appareil est subordonné à la classe dominante de la société et sa doctrine légitime l’exploitation des autres classes comme la subordination des femmes aux hommes.
Les prêtres ne peuvent avoir aucune autorité sur les maîtres de maison, à moins qu’on ne prouve que celui qui donne les gages doit obéir à celui qui les reçoit. (Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764)
Certains inventent ou s’imaginent que les divinités s’adressent à eux en particulier. On les appelle « bouddhas » ou « prophètes ».
Apparition : la vision se passe au dedans, et n’est qu’un effet de l’imagination ; l’apparition suppose un objet au-dehors. Les cerveaux échauffés et vides de nourriture sont sujets à des visions. (Diderot, Encyclopédie, 1751)
La plupart de ces gourous échouent à convaincre leurs contemporains et sont donc tués par le ridicule…
Il faut convenir que c’est un méchant métier que celui de prophète. Pour un seul qui, comme Élie, va se promener de planète en planète dans un beau carrosse de lumière, traîné par quatre chevaux blancs, il y en a cent qui vont à pied, et qui sont obligés d’aller demander leur dîner de porte en porte. (Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764)
Bien qu’irréalistes, les religions sont une expression des sociétés réelles qui les engendrent. Voici, entre autres, selon un livre sacré pour les trois familles de religion issues les unes des autres au Proche-Orient (les judaïsmes, les christianismes, les islams), un ordre de leur dieu rapporté par leur prophète Moïse :
Lorsque tu iras à la guerre contre tes ennemis, si l’Éternel les livre entre tes mains, et que tu leur fasses des prisonniers, peut-être verras-tu parmi les captives une femme belle de figure, et auras-tu le désir de la prendre pour femme, tu l’amèneras dans l’intérieur de ta maison. Elle se rasera la tête et se fera les ongles, elle quittera les vêtements qu’elle portait quand elle a été prise, elle demeurera dans ta maison, et elle pleurera son père et sa mère pendant un mois. Après cela, tu iras vers elle, tu l’auras en ta possession, et elle sera ta femme. Si elle cesse de te plaire, tu la laisseras aller où elle voudra, tu ne pourras pas la vendre pour de l’argent ni la traiter comme esclave, parce que tu l’auras humiliée. (« Deutéronome », ch. 21, Bible)
Un tel dessein n’est-il pas plus choquant que tout dessin ? N’est-ce pas ce que font Daesh et Boko Haram ? Ce dieu approuve la guerre, la polygamie et le viol, pourvu que le violeur laisse pleurnicher un peu la victime. Tout montre que ces propos sont le fantasme ou la justification d’un être humain qui vivait il y a environ 2 800 ans. À l’évidence, il était de sexe masculin, hétérosexuel et non esclave.
De nombreux imams s’efforcent de convaincre l’opinion française que l’islam est une religion tolérante et pacifique ; inversement, les nationalistes et les xénophobes prétendent que la religion musulmane est par nature agressive. La religion musulmane n’est pas différente des autres : toutes préconisent la paix sociale et le respect de la propriété à l’intérieur de leur société ; toutes justifient la violence contre les autres religions et contre les pauvres qui s’en prendraient aux nantis. « Dieu bénisse l’Amérique et tous ceux qui la défendent », conclut le président américain Bush en annonçant l’attaque de l’Irak en 2003 sous prétexte d’armes de destruction massives.
Si aucun dieu n’existe, le succès d’une religion a des causes bien réelles : l’incompréhension des phénomènes naturels si importants pour l’existence ; la consolation des opprimés et des exploités par un paradis chimérique ou une réincarnation avantageuse ; la résistance face à des oppresseurs d’une autre religion… Par conséquent, il ne suffit pas de recourir à la raison pour en finir avec l’irrationalité, religieuse ou autre (raciste, par exemple).
Feuerbach ne voit pas que « l’esprit religieux » est lui-même un produit social et que l’individu abstrait qu’il analyse appartient en réalité à une forme sociale déterminée. (Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845)
La croyance a aussi des effets bien réels : un frein à la lutte sociale, la consolidation du patriarcat, la satisfaction matérielle et honorifique du clergé, la culpabilisation individuelle des adeptes de la secte… La classe bourgeoise, quand elle se heurtait aux survivances du féodalisme, était confiante dans la science et était volontiers séculaire (interdisant tout monopole à une religion particulière), voire laïque (séparant l’État de la religion). Sa vraie religion, c’était le profit. Mais, confrontée au prolétariat et à la menace d’une révolution sociale, la bourgeoisie régresse dans le cléricalisme et l’obscurantisme. Par exemple, le maréchal Pétain a rétabli le catholicisme en religion d’État, le général De Gaulle allait à la messe et finançait l’Église catholique, le PS Mitterrand consultait une voyante et a demandé des funérailles religieuses, l’UMP Sarkozy a expliqué que les prêtres l’emportaient sur les enseignants, le PS Hollande veut payer plus d’imams « républicains »…
Les Lumières et le XIXe siècle eurent la folie de penser que la raison n’était pas seulement nécessaire, mais aussi suffisante pour résoudre tous les problèmes. Aujourd’hui, il serait encore plus fou de décider, comme certains le voudraient, que sous prétexte qu’elle n’est pas suffisante, elle n’est pas non plus nécessaire. (Jacob, La Statue intérieure, 1987)
À notre époque, il revient à la classe ouvrière, en rassemblant tous les opprimés, de reprendre le flambeau de la liberté d’expression, de la laïcité, de la recherche scientifique désintéressée.
Nous réclamons la séparation complète de l’Église et de l’État, afin de combattre la religion avec des armes purement et exclusivement d’idées : notre presse et notre propagande. (Lénine, Socialisme et religion, 1905)
La révolution socialiste mondiale, en donnant pour la première fois à l’humanité le contrôle de la production et de la répartition, permettra de faire dépérir toutes les superstitions.