Le capitalisme français se porte toujours aussi mal. La croissance nulle du premier trimestre 2014 vient doucher les espoirs d’un retournement économique distillés par Hollande et son gouvernement. Dans le même temps, le PIB de l’Allemagne augmentait de 0,8 %. Telle est la racine de la multiplication éperdue des cadeaux du gouvernement Hollande-Valls aux capitalistes (ce qui rejette du PS son électorat) comme de l’écho qu’a obtenu la campagne réactionnaire du parti fascisant FN (contre les immigrés, pour sortir le capitalisme français de l’euro et de l’Union européenne).
Le président et son premier ministre attaquent les travailleurs au compte de la bourgeoisie
Après avoir obtenu la confiance le 8 avril, Valls demandait le 29 à l’Assemblée nationale le vote de son plan intitulé « programme de stabilité budgétaire 2015-2017 ». Après avoir rappelé les 30 milliards d’euros d’allègements de cotisations diverses au patronat au titre du pacte de responsabilité, il a défendu la nécessité de faire 50 milliards d’économies dans la Sécurité sociale et les salaires des travailleurs de la fonction publique d’ici à 2017 pour parvenir à un déficit budgétaire de 3 % du PIB et diminuer le poids de la dette aujourd’hui d’environ 1800 milliards d’euros.
Et de conclure :
Je veux parler clair : ce gouvernement ne demande pas de vote « à blanc », une indication. Le résultat du vote de cet après-midi conditionne à la fois la légitimité du gouvernement, sa capacité à gouverner avec sa majorité, et, surtout la crédibilité de la France.
Les dépenses de l’État devront diminuer de 18 milliards, celles des collectivités territoriales de 11 milliards, l’assurance maladie abandonnera 10 milliards et les prestations sociales 11 milliards.
Bien qu’il bénéficie du soutien complet des appareils politiques et syndicaux du mouvement ouvrier, le gouvernement ne peut pourtant avancer qu’en masquant l’ampleur des attaques à venir : en effet, le détail des 50 milliards d’économies est bien loin d’être totalement affiché. Une chose est sûre, l’austérité n’est pas pour l’armée dont l’état-major a menacé de démissionner ni les groupes capitalistes vendeus de moyens de destruction.
Il n’y aura pas de remise en cause de la loi de programmation militaire 2014-2019. Il n’y a pas d’inquiétudes à avoir pour son application, parce qu’il en va de la défense de notre pays. (Valls, Le Figaro, 23 mai)
En tout cas, 50 milliards de coupes dans les dépenses publiques au détriment des salariés sur à peine 3 ans, voilà un objectif que Sarkozy lui-même n’avait osé fixer. Si Valls adopte un ton bonapartiste, c’est qu’il s’agit d’un objectif qui exige de rassembler toutes les forces de la bourgeoisie et d’y associer les partis d’origine ouvrière et les organisations syndicales.
Le Parti socialiste s’aligne
Il s’agit d’une saignée sans précédent. Hollande et le gouvernement venant de se faire désavouer par les travailleurs et les jeunes aux élections municipales en rejet de leur politique toute entière dévouée à la bourgeoisie, les sondages annonçant le même échec aux européennes, une centaine de députés PS ont éprouvé un peu de vague à l’âme. Ils ont donc écrit à Valls pour limiter les dégâts.
Au-delà de 35 milliards, nous croyons que reculs sociaux et mise à mal des services publics seront inéluctables. (Libération, 17 avril)
D’accord sur le fond, mais tout de même, monsieur le bourreau, tapez un peu moins fort et laissez-nous faire croire à nos électeurs aux vieilles lunes des bienfaits du déficit !
Bon prince, Valls a alors consenti à faire un geste pour les pauvres, lâchant quelques millions, en acceptant de ne pas geler les retraites en dessous de 1 200 euros. Voilà pour la carotte qui a suffi pour calmer les velléités d’une soixantaine d’entre eux.
Côté bâton se tenait Jean-Christophe Cambadélis, nouveau secrétaire du PS nommé de facto par l’Elysée, jugé plus compétent en mise au pas et manœuvres que Harlem Désir. À juste raison puisque Cambadélis joua en 1984 un grand rôle dans l’exclusion du Parti communiste internationaliste de ceux qui s’opposaient au parlementarisme de la direction Lambert et à la liquidation dans le MPPT-PT-POI. Puis il est passé en 1986 avec l’Unef, syndicat conquis de haute lutte par les militants trotskystes après 1968, au PS, où la soupe promettait d’être meilleure et où il devint un fidèle de Strauss-Kahn. Cambadélis, après avoir fait adopter une motion de soutien au plan Valls par le bureau national du PS pour ficeler le vote des députés, s’est fait plus insistant :
Je ne veux pas brandir de menace, mais j’insiste : personne n’a intérêt à s’enfermer dans une posture qui deviendrait une impasse… Si à chaque vote, des élus socialistes votent contre, on n’est plus dans une défiance plus ou moins organisée, mais dans une sécession.
C’est donc fort de ce dispositif et peu menacé dans sa majorité par une opposition en carton-pâte que Valls a pu se payer le luxe de revendiquer haut et fort sa politique devant l’Assemblée nationale, en multipliant les « j’assume » d’un chef de guerre de la bourgeoisie. 41 députés PS se sont abstenus et 3 seulement ont voté contre, comme 12 députés du Front de gauche.
Le Parti de gauche veut enfermer les travailleurs dans le cadre du capitalisme et de l’État bourgeois
Après le vote, Mélenchon a fait grand cas des 41 députés socialistes qui ont persisté dans l’abstention :
Ces socialistes-là ont un rôle historique aujourd’hui. S’ils s’autonomisent, c’est eux qui recréeront la possibilité d’un dialogue à gauche et d’un autre gouvernement qui ait une politique de gauche… En cas de groupe autonome, il y a quatre composantes qui pourraient dialoguer : ces socialistes, le front de gauche, les écologistes et le MRC de Jean-Pierre Chevènement. Il y a une majorité de rechange à celle de Manuel Valls. (i-Télé, 3 mai)
Tous les espoirs du Front de gauche, qui est déjà un mini-front populaire, reposent sur son élargissement au MRC nationaliste bourgeois, au parti bourgeois écologiste EELV et à une hypothétique scission du PS. En guise de « rôle historique », les parlementaires socialistes veulent seulement ne pas couler avec Hollande et continuer à tromper les travailleurs pour garder leurs postes lucratifs.
Maintenant la Gauche continuera à défendre des solutions concrètes et réalistes pour redresser notre pays dans la justice et réorienter de toute urgence la construction européenne… La situation économique appelle une nouvelle étape de redistribution des richesses qui redonne du pouvoir d’achat aux Français et alimente le carnet de commande des entreprises pour créer à nouveau des emplois. (Maintenant la gauche, 30 avril)
Regrouper les citoyens actifs, intellectuels, militants associatifs, politiques et syndicaux qui veulent aider la gauche à redevenir une force de propositions et d’action au service de la justice et de l’égalité sociale. (Manifeste des socialistes affligés, 11 mai)
Le ciment idéologique de cette soi-disant alternative est l’illusion de la social-démocratie et du stalinisme des « trente glorieuses » dans la capacité de l’État bourgeois à réguler le capitalisme. En fait, durant cette période d’accumulation intense du capital (basée sur la destruction de l’Europe et du Japon par la guerre), la bourgeoisie pouvait accorder des miettes de la croissance aux producteurs. Mélenchon comme Montebourg s’arcboutent dans le « patriotisme économique » et la confiance dans l’État bourgeois français.
Si les libre-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe. Ne croyez pas, qu’en faisant la critique de la liberté commerciale, nous ayons l’intention de défendre le système protectionniste… En général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. (Karl Marx, Discours sur le libre-échange, 9 janvier 1848)
Un décret protectionniste pour tenter de sauver le capital national, pas pour servir la classe ouvrière
La mise en vente d’Alstom est significative de l’affaiblissement du capitalisme français par rapport à ses principaux concurrents.
Le gouvernement PS-PRG vient de prendre un décret, qui élargit les possibilités de l’État de s’opposer à une acquisition par une entreprise étrangère dans 5 nouveaux domaines, l’eau, la santé, l’énergie, les transports et les communications. Pour le ministre de l’économie Montebourg :
Le choix que nous avons fait, avec le premier ministre, est un choix de patriotisme économique. Ces mesures de protection des intérêts stratégiques de la France sont une reconquête de notre puissance. C’est la fin du laisser-faire. (Le Monde, 15 mai)
La « fin du laisser-faire » rejoindra sans doute la « mise au pas de la finance » de Sarkozy en 2009. En aucun cas, ce décret ne constitue une quelconque protection pour les travailleurs. Non seulement le gouvernement qui l’a édicté s’en prend à eux tous les jours, mais il annonce qu’ils devront « faire des efforts ».
Se protéger dans la mondialisation n’exclut pas de faire des efforts sur soi-même. Rétablir notre propre compétitivité, surveiller nos coûts de production pour qu’ils ne dérapent pas, est aussi nécessaire que de disposer de moyens de négociation quand il y a risque de démantèlement de nos entreprises stratégiques. (Arnaud Montebourg, Le Monde, 15 mai)
Ce décret est un pas supplémentaire sur le chemin du protectionnisme et du nationalisme qui ne fera qu’approfondir la crise du capitalisme français et, s’il se généralisait, plongerait le capitalisme mondial dans la dépression, tant les systèmes de production et de commerce sont devenus interdépendants.
C’est la raison pour laquelle le Medef, qui craint des mesures de rétorsion des autres bourgeoisies, reste dubitatif :
Ce décret est une réponse tactique à un problème stratégique : comment faire pour développer des champions français et européens qui peuvent partir à la conquête du monde ? (Pierre Gattaz, Challenges, 15 mai)
La seule protection pour les travailleurs d’Alstom serait l’expropriation immédiate sans indemnité ni rachat de la totalité de l’entreprise, l’ouverture des livres de comptes, le contrôle ouvrier sur la gestion et la production de tout le groupe.
Au contraire, la direction de la CGT emboîte le pas du gouvernement, tout en trouvant qu’il n’en fait pas assez :
Si nous pouvons reconnaître un volontarisme et des aspects positifs dans ce dispositif, il n’en demeure pas moins comme ne protégeant pas suffisamment les entreprises industrielles et les emplois menacés par les opérations spéculatives et boursières. Des secteurs stratégiques pour l’économie française ne figurent pas dans ce décret, comme la sidérurgie par exemple… (CGT, Communiqué, 16 mai)
Jean-Claude Mailly, de FO, est ravi :
Ça ne nous pose aucun problème, ça va dans le bon sens. (AFP, 15 mai)
La confiance dans l’État bourgeois et le poison du nationalisme sont largement diffusés par les bureaucrates alors qu’ils divisent et affaiblissent le prolétariat.
Le chauvinisme de la bourgeoisie sert, au moyen d’armées permanentes, à perpétuer les luttes internationales, à asservir dans chaque pays les producteurs en les dressant contre leurs frères de chaque autre pays ; c’est un moyen d’empêcher la coopération internationale des classes laborieuses, première condition de leur émancipation. (Karl Marx, Première esquisse d’une adresse de l’Association internationale des travailleurs sur la Commune de Paris, avril 1871)
Le résultat des élections européennes confirment l’échec du PS et du Front de gauche
Avec le vote du plan Valls, le gouvernement bourgeois tente de refaire le retard de la classe dominante française sur ses concurrentes en durcissant les coups contre la classe ouvrière et la jeunesse.
Le PCF et le PdG accusent l’Union européenne pour défendre leur propre bourgeoisie ; ils s’en prennent à l’impérialisme américain pour protéger leur propre impérialisme. Les chefs syndicaux de la CGT, de FO et de la FSU leur emboîtent le pas. Pas plus que le PS, le PdG et le PCF, les bureaucraties syndicales n’exigent le retrait du plan Valls, l’interdiction des licenciements, l’expropriation de Bouygues et d’Alstom.
Le 15 mai, tous les fonctionnaires furent appelés à une journée d’action par les directions syndicales qui ne demandaient même pas le retrait du plan Valls. Le communiqué se concluait par la demande de « négociations ». En réalité, les négociations des attaques n’ont jamais cessé : le 12 mars dernier, syndicats de la fonction publique et gouvernement sont tombés d’accord pour un calendrier de concertations devant se dérouler jusqu’en mars 2015. Selon le vice-président du Medef, toutes les organisations syndicales discutent de l’application du « pacte de responsabilité » dans 17 branches (Les Échos, 28 mai). Le « dialogue social » se poursuit pour que les coups continuent à pleuvoir.
LO prêche qu’il suffirait aux travailleurs de faire peur à la bourgeoisie pour que tout aille mieux. Le NPA a reproché récemment son chauvinisme au Front de gauche, alors qu’il le cautionne depuis sa création. LO et NPA se refusent à combattre les bureaucraties syndicales qui négocient les licenciements et la flexibilité ; au contraire, leurs militants s’y intègrent de plus en plus. Comme d’habitude, les auxiliaires centristes des bureaucraties syndicales ont soutenu la diversion du 15 mai.
Ni le NPA, ni LO, ni le POI ne démasquent les trahisons des partis et des bureaucrates syndicaux sociaux-patriotes.
Les partis ouvriers bourgeois se sont constitués dans tous les pays capitalistes avancés. Sans une lutte décisive et implacable sur toute la ligne contre ces partis, ces groupes, ces tendances, il ne saurait être question ni de lutte contre l’impérialisme, ni de marxisme, ni de mouvement ouvrier socialiste. (Vladimir Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, octobre 1916)
L’incapacité de tous les partis ouvriers de tracer la voie de la révolution sociale internationale, la gestion loyale du capitalisme par des gouvernements du PS (avec ou sans le PCF), la mise en accusation persistante par le PCF, le PdG et le NPA de l’Union européenne (qui n’est que le masque commun de l’impérialisme allemand et de l’impérialisme français) expliquent les résultats des élections européennes :
• l’abstention massive avec plus de 57 % des inscrits, sans compter 4 % de votes blancs et nuls,
• la victoire préoccupante du FN avec 25 % des votes [sur le FN, voir Révolution communiste n° 5],
• le score miteux du PS (14 % des suffrages),
• les faibles scores du PCF et du PdG (6 % des voix pour le Front de gauche),
• les résultats dérisoires de LO et du NPA (qui se présentaient de manière séparée).
Comment sortir de la collaboration de classes et du piège nationaliste ?
Pour se défendre, il faut la rupture du dialogue social, l’unité des organisations politiques du mouvement ouvrier et des organisations syndicales pour le retrait du plan Valls, l’interdiction des licenciements, la diminution du temps de travail, l’expropriation des grands groupes capitalistes, l’autodéfense, la libre circulation des prolétaires et des jeunes du monde entier…
Imposer ces revendications nécessite le regroupement des travailleurs et des jeunes en comités d’action sur les lieux de travail, d’étude et de vie. Ce gouvernement doit être chassé, mais par les travailleurs, pour le remplacer par un gouvernement à eux, un gouvernement ouvrier qui ouvrira la perspective des États-Unis socialistes d’Europe.
Renverser la bourgeoisie implique de construire un véritable parti ouvrier, communiste et international, contre tous les sociaux-patriotes qui divisent les rangs des travailleurs ainsi que les multiples sectes routinières qui vivotent sur leur périphérie.
28 mai 2014