Au 19e siècle, la bourgeoisie britannique et sa rivale française se partagent la péninsule indochinoise, la Thaïlande servant de tampon entre les deux puissances colonisatrices. La 3e République bourgeoise transforme « l’Indochine française » en un capitalisme dominé.
Les rapports entre les classes sociales sont les suivants : d’un côté un prolétariat neuf (mines, grandes sociétés de dragage, travaux publics, électricité, ciment, distillerie, transport) durement exploité, une classe paysanne exploitée, spoliée, formant les ¾ de la population ; de l’autre, la bourgeoisie européenne et chinoise remorquant la bourgeoisie indigène et domestiquant une partie de la petite bourgeoisie à l’aide d’un appareil militaire et administratif… (Ta Thu Thau, La Vérité n° 32, 18 avril 1930)
Avec la Deuxième guerre mondiale, l’impérialisme japonais en prend le contrôle en 1940, en tolérant tout un temps l’administration du régime de Vichy. En 1945, l’armée japonaise, désormais sur la défensive, proclame l’indépendance formelle du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Grâce à la dislocation de l’appareil répressif français et à la retraite militaire japonaise, la révolution sociale éclate en 1945 dans les villes et les campagnes du Vietnam. Le Viet Minh (Ligue pour l’indépendance du Vietnam), constitué en 1941 par le Parti stalinien indochinois avec la bourgeoisie nationale, tente de la faire refluer, défend la propriété privée, prétend limiter le mouvement des masses à la seule indépendance politique.
Le Viet Minh proclame l’indépendance de tout le Vietnam à Hanoï et s’en prend aux paysans pauvres du nord de l’Annam et du Tonkin qui s’emparent des terres et aux mineurs des Charbonnages du Tonkin qui ont élu des conseils ouvriers. Les chefs staliniens Hô Chi Minh, Duong Bach Mai et Tran Van Giau calomnient et liquident physiquement l’expression politique du prolétariat vietnamien, les communistes internationalistes de la 4e Internationale (le groupe La Lutte et la Ligue des communistes internationalistes).
Le parti stalinien sème des illusions sur l’impérialisme « démocratique » alors que le gouvernement MRP-PS-PCF veut clairement rétablir l’oppression coloniale. En riposte, les ouvriers de Saigon déclenchent la grève générale et toute l’agglomération se soulève. La République française riposte par une répression féroce avec l’aide des troupes britanniques. Hô signe un accord avec l’envoyé de De Gaulle, Jean Sainteny, ancien de la Banque de l’Indochine, le 6 mars 1946. Le traité fait du Vietnam « un État libre… faisant partie de l’Indochine française et de l’Union française » et exige que « le gouvernement du Vietnam se déclare prêt à accueillir amicalement l’armée française ».
Le 7 mars, grand meeting devant le théâtre de Hanoi où Vo Nguyen Giap puis Hô Chi Minh tentent d’apaiser la stupeur de la population à la nouvelle de l’accord. (Ngo Van, Viêt-Nam 1920-1945, Nautilus, 2000, p. 368)
Les troupes du général Leclerc entrent à Hanoï sans un coup de fusil. Mais, à Haiphong, la population s’insurge ; la ville est aussitôt bombardée par l’armée française.
Comme le Parti communiste chinois en 1946, le Vietminh, en réalité le PCV, n’avait plus d’autre recours : ou être liquidé physiquement, ou combattre les armes à la main. C’est alors seulement que le Vietminh appela les Vietnamiens au combat. La guerre d’Indochine commençait. (Stéphane Just, La Vérité n° 588, septembre 1979)
L’armée française se trouve confrontée à une guerre de partisans à l’échelle de toute l’Indochine. Le PCF fait partie du gouvernement colonialiste jusqu’en 1947 et le PS-SFIO jusqu’en 1951. Si le PCF prend la tête des actions contre la guerre d’Indochine à partir de 1948, il la cantonne à la lutte « pour la paix » et refuse de faire campagne pour l’indépendance.
Le Vietminh est aidé militairement à partir de 1949 par l’URSS et la Chine (à la frontière nord du Vietnam) où le PCC a renversé le Guomindang. Le PCI se renomme Parti des travailleurs du Vietnam en 1951. Pour gagner les paysans, il adopte en 1952 un programme d’expropriation, abandonnant la ligne de « la démocratie » qui garantissait la propriété privée. Le PTV suit l’exemple du Parti « communiste » chinois qui, confronté à l’intervention militaire américaine en Corée en 1950, renie le bloc avec la bourgeoisie nationale, dépossède les capitalistes et lance les paysans pauvres sur les propriétaires fonciers.
Le gouvernement Joseph Laniel (membre du Conseil national de la résistance durant la Deuxième guerre mondiale) qui réprime la grève générale des postiers en France en 1953, est aidé financièrement et militairement par les États-Unis pour écraser le « communisme » en Indochine avec une armée qui utilise le napalm depuis 1951 et qui est essentiellement composée de mercenaires (il y a peu d’appelés du contingent, contrairement à ce fera la 4e République plus tard en Algérie).
Dien Bien Phu est une petite plaine située au nord-ouest du Viêt Nam, à proximité des frontières chinoise et laotienne. Le général Navarre et son état-major choisissent d’en faire une base terrestre et aérienne pour bloquer l’offensive du général Giap. En novembre 1953, des parachutistes français en chassent les troupes du PCV. L’ancienne piste d’atterrissage construite par les Japonais durant la Seconde guerre mondiale est rénovée. S’ensuit un acheminement massif d’hommes, de matériel, d’armes et de munitions.
De son côté, le PCV fait acheminer des canons et du matériel lourd en pièces détachées. Le transport est réalisé à dos d’homme ou par bicyclettes sur une route tracée à travers la jungle et les flancs des montagnes qui entourent Dien Bien Phu. Il enverra régulièrement des patrouilles pour tester les défenses françaises avant l’assaut. L’armée coloniale tente de faire de même, mais n’y parvient guère. L’attaque vietnamienne débute le 13 mars 1954 par une intense préparation d’artillerie.
Ayant subi des pertes importantes, le général Giap observe une pause pour réorganiser ses unités et reconstituer ses stocks de munitions. Parallèlement, le commandement français décide aussi l’envoi de renforts. Giap opte pour une tactique de harcèlement du camp retranché. Les actions d’encerclement et d’étouffement se poursuivent durant tout le mois d’avril. Les artilleurs vietnamiens détruisent la piste d’atterrissage. Désormais, les avions français et américains doivent larguer les renforts, les approvisionnements et les munitions aux assiégés. La surface du camp ayant considérablement diminué, une part de plus en plus importante du ravitaillement parachuté tombe au-delà des lignes, chez l’ennemi. Après 57 jours de combat, le camp retranché de Dien Bien Phu tombe, le 7 mai 1954.
La victoire de Dien Bien Phu clôt la 1e guerre d’Indochine qui a causé 500 000 morts vietnamiens. Elle tend à détacher le prolétariat de France de sa bourgeoisie et elle sonne le glas du colonialisme direct dans le monde entier.
Le PCF et le PS-SFIO soutiennent le nouveau gouvernement français de Mendès-France (Parti radical) qui préserve l’armée coloniale, divise l’Indochine et réaffirme la domination française sur l’Afrique du Nord (le ministre de l’Intérieur, Mitterrand, déclare en novembre : « L’Algérie, c’est la France »). Les accords de Genève du 20 juillet 1954, sur décision de la bureaucratie de Moscou et de celle de Pékin, séparent le Vietnam en deux et n’accordent rien aux combattants cambodgiens.
La République démocratique du Vietnam doit céder aux pressions de l’Union soviétique et surtout de la Chine, l’une et l’autre acquises, dès l’arrivée de Mendès-France à Genève, à l’idée d’un partage du pays. (Daniel Hémery, Ho Chi Minh, p. 115)
La 2e guerre d’Indochine débute aussitôt, le relais étant pris par l’impérialisme américain. L’armée de l’impérialisme français se tourne, elle, vers l’Algérie où elle va appliquer les méthodes apprises au Vietnam : le recrutement de supplétifs locaux, la déportation des villageois soupçonnés de sympathie pour les indépendantistes, la torture et l’assassinat des combattants.