La situation des travailleurs de La Redoute illustre à elle seule tous les problèmes politiques que la classe ouvrière doit régler pour se dégager de l’impasse dans laquelle les appareils politiques et syndicaux l’ont plongée.
Voilà donc une entreprise, La Redoute, plus que centenaire, qui a largement rapporté à ses propriétaires. Le dernier d’entre eux, M. Pinault, n’est pas à plaindre : d’après le magazine Challenges, la fortune de la famille Pinault se monterait en 2013 à 11 milliards d’euros. Mais la distribution a évolué et l’entreprise n’est aujourd’hui plus rentable. En effet, les normes capitalistes du secteur sont désormais celles des nouveaux venus dans le commerce en ligne, avec des conditions d’exploitation des salariés dans les entrepôts géants beaucoup plus performantes, des équipements électroniques sophistiqués, etc.
Après un premier plan de 678 suppressions d’emplois en 2008, la filiale du groupe Printemps-Pinault-Redoute, devenu depuis Kering, est mise en vente en 2009. Le groupe Kering est si soucieux de se débarrasser de ce qui est devenu pour lui un boulet qu’il offre de céder l’entreprise pour un euro symbolique. En 2013, des repreneurs, eux-mêmes cadres de l’entreprise, annoncent qu’ils feront affaire moyennant un plan préalable de réorganisation et de suppressions d’emplois. La maire de Lille et présidente de la communauté urbaine de Lille, Martine Aubry, qui s’en va répétant « l’emploi, l’emploi, l’emploi » dans sa campagne municipale, avait rencontré le PDG de Kering en novembre 2013.
Le président Pinault nous a dit clairement « La Redoute a un savoir-faire qui permet sa pérennité et son avenir industriel ». Il a dit « je choisirai le repreneur en fonction de cette pérennité, de la solidité industrielle et des effets sur l’emploi », c’est un message que nous entendons… Nous n’avons pas souhaité parler de plan social car nous considérons que nous sommes avant la cession… Les salariés, avant de rentrer dans un plan social, doivent être convaincus que ce projet ait une pérennité. (Le Nouvel observateur, 12 novembre 2013)
La social-démocratie soutient les licenciements
Forts de la confiance ainsi témoignée par cette éminente représentante de la social-démocratie, Kering et les repreneurs potentiels vont leur chemin pendant que grèves, pétitions et manifestations se succèdent. Le 14 janvier, les plans de licenciements sont rendus publics : 1 178 suppressions de postes sur 3 487 salariés, plus encore 172 autres sur 569 salariés dans le secteur des relais-colis, avec l’engagement de la société-mère Kering de poser 520 millions d’euros sur la table pour financer plan social et réorganisation. Martine Aubry s’adresse alors en ces termes aux salariés :
Le nombre de suppressions de postes qui a été annoncé est un choc, même si le nombre de préretraites adoucit un peu les choses. Il est clair qu’il fallait sans doute en passer par une réduction des effectifs. Malheureusement, nous nous attendions à un chiffre de cet ordre. Ceux qui avaient été annoncés par les porteurs de projets financiers étaient plus importants encore. Maintenant, il faut un plan industriel qui convainque chacun et un plan d’accompagnement social qui rende moins douloureuses ces suppressions de postes. (La Voix du Nord, 14 janvier 2014)
Les directions syndicales finissent le travail au compte du patronat
Les directions syndicales n’avancent pas la revendication « aucun licenciement, maintien de tous les emplois », mais orientent le combat pour l’obtention de bonnes indemnités de licenciement, comme partout (y compris quand il s’agit de LO comme à PSA Aulnay).
Faire autrement impliquerait d’ouvrir une perspective politique, d’en appeler à tous les travailleurs, et pas seulement ceux de La Redoute : plus de 60 000 entreprises, de moins de 10 salariés à plusieurs centaines, ont fermé leurs portes en 2013. Le même nombre est prévu pour 2014. Une lutte contre tout licenciement impliquerait un combat d’ensemble contre le gouvernement et le patronat sur la ligne « pas un seul licenciement, expropriation des entreprises qui licencient, dehors le gouvernement des patrons, pour un gouvernement des travailleurs ». Mais les directions syndicales se gardent bien de franchir les bornes du dialogue social convoqué par Hollande comme avant lui Sarkozy. Ainsi la CGT de La Redoute a-t-elle défendu la plateforme suivante :
Aucun licenciement contraint ; en cas de licenciement, une indemnité de 100 000 euros ; en cas d’externalisation de salariés vers une entreprise sous-traitante (ce qui équivaut à un licenciement), une indemnité de 100 000 euros également.
De fil en aiguille, alors que les syndicats réclament encore 40 000 euros d’indemnités et 1500 euros par année d’ancienneté, ainsi que 36 mois de congés reclassement, les repreneurs proposent comme dernière offre 15 000 euros d’indemnités de départ et 750 euros par année d’ancienneté de un à dix ans, 1 000 euros de onze à vingt ans et 1 200 euros au-delà dans la limite de 24 mois de salaire. Avec un ultimatum qui prend fin au 21 mars à 14 h : ou bien les syndicats de l’entreprise signent cet accord, ou bien Kering reprend son offre de 520 millions et met la société en faillite. Aubry exhorte les syndicats à accepter les propositions de la direction pour :
Redresser cette entreprise pour qu’elle retrouve un avenir… Ce que je dis aux syndicats c’est : ce plan social, vous avez obtenu beaucoup, continuez à y travailler aujourd’hui mais n’oubliez pas qu’une fois prises les mesures pour ceux qui partent, l’essentiel c’est de redresser La Redoute. M. Pinault va mettre plus de 300 millions d’euros au-delà du plan social pour investir et compenser les pertes. (France bleu Nord, 10 mars 2014)
Seule la CFE-CGE se prononce pour la signature, CGT et SUD sont contre. Les adhérents de la CFDT votent contre, malgré la position favorable de leurs directions locale et nationale.
Vendredi 21 mars, devant les grilles de l’entreprise, une partie des salariés manifestent contre la signature tandis qu’une autre partie manifeste pour la signature. Constatant l’absence d’un accord majoritaire avec les syndicats, les repreneurs annoncent qu’ils s’en remettent désormais au tribunal de commerce et que la mise en faillite est en vue. Les travailleurs se retrouvent ainsi coincés et divisés entre ceux qui pensent qu’il faut en rester là au risque de tout perdre et ceux qui espèrent pouvoir encore obtenir de meilleures indemnités. Finalement, la direction nationale de la CFDT décide le 24 mars de valider l’accord contre sa base. De bout en bout, c’est le patronat qui a mené la danse.
Tandis que PCF et PdG vantent la relance et un capitalisme débarrassé de ses tares
Le Parti communiste français et le Parti de gauche ont déclaré leur solidarité avec les travailleurs de La Redoute et se sont associés à leurs actions. Mais quelle ligne défendent-ils ? Pour le PCF du Nord :
Nos entreprises, nos PME, nos TPE ont besoin avant tout d’être défendues face au dumping social et fiscal mais elles ont surtout besoin de commandes et de travail.
Pour le PdG :
Après avoir pompé les caisses de La Redoute sans investir, le groupe Kering et François Pinault retirent leurs billes et ce sont les salariés qui vont payer la facture. Les retards dans la modernisation technologique ou dans le passage au e-commerce ne peuvent être imputés aux salariés qui par leur travail ont fait la fortune du patronat du textile depuis un siècle.
Les entreprises sont à nous, dit le PCF. Depuis quand ? Pourquoi les licenciements, alors? Comme ni l’un ni l’autre n’ouvre la perspective d’en finir avec le capitalisme, le PCF enfourche le cheval du protectionnisme et de la relance par l’État, tandis que le PdG s’imagine meilleur capitaliste que Pinault lui-même, lequel, sans doute aveuglé par une politique à courte vue, aurait scié la branche où il était assis en refusant d’investir…
Ce ne serait donc pas le capitalisme à son stade pourrissant qui porterait inexorablement la régression sociale ; il suffirait d’opposer, aux « licenciements boursiers » et à la « rigueur », le déficit budgétaire et de conseiller à messieurs et mesdames les patrons d’augmenter les salaires et de privilégier « l’investissement productif » pour soutenir l’économie nationale.
Mais comme une augmentation salariale, en même temps qu’elle accroîtrait temporairement le pouvoir d’achat, augmenterait inévitablement les coûts, rendant les entreprises moins compétitives, il faudrait éviter que les consommateurs achètent les marchandises de « l’étranger », d’où les campagnes pour le patriotisme économique. Comme s’il était possible de cultiver sous serre un capitalisme français bien protégé des concurrents extérieurs ! Quant à l’investissement, il a toujours pour but, dans le capitalisme de procurer du profit (et non de satisfaire les besoins), donc les capitalistes le réalisent là où leur taux de profit est le meilleur, comme le font les entreprises du CAC 40, dont Kering dont 2/3 des effectifs sont basés hors de France. Mais ces fables reprises en chœur tiennent lieu de substitut à la lutte contre la bourgeoise française et à la véritable rupture avec Hollande. Elles n’ouvrent aucune perspective pour les travailleurs et font le lit du nationalisme chauvin, poison pour la classe ouvrière.
Face au soutien éhonté au patronat et aux trahisons successives, les résultats au premier tour des élections municipales à Lille et Roubaix sont éloquents : Aubry perd à Lille plus de 10 % de voix par rapport à 2008 et l’abstention frôle les 53 % ! À Roubaix, siège de La Redoute, l’abstention dépasse les 60 % et, comme l’y résume un anonyme interrogé par France 3 : « on s’en tamponne le coquillard des élections en ce moment, avec ce qui se passe là ! »