2013, des commémorations à la gloire d’Allende
Les hommages appuyés au gouvernement de l’Unité populaire et à sa politique se sont multipliés en septembre. Ils mettent en avant la fin courageuse du président de l’Unité populaire Allende, pour mieux masquer sa responsabilité dans la contre-révolution et pour effacer de la conscience des travailleurs la leçon essentielle de cette tragédie : la nécessité de se défier de l’armée, de la police et d’écraser impitoyablement la contre-révolution. Le Parti de gauche affirme : « le président chilien a donné sa vie pour défendre son idéal de justice sociale et de partage » . Sa maison-mère déclare :
Le Parti socialiste s’associera mercredi 11 septembre 2013 aux cérémonies de commémoration du 40ème anniversaire de la mort du président Salvador Allende et du renversement du gouvernement d’unité populaire du Chili.
Quoique hostile au PS, Le Monde diplomatique est sur le même terrain avec son dossier Il y a quarante ans, le coup d’État contre Salvador Allende. Dans ce mensuel, se retrouvent sociaux-démocrates protectionnistes, chrétiens tiers-mondistes, staliniens défroqués, renégats du trotskysme, nostalgiques du gaullisme et charlatans keynésiens, fédérés contre le libéralisme (mais pas contre le protectionnismes), contre la finance (mais pas contre le capitalisme dans son ensemble), contre l’impérialisme américain (mais surtout pas contre l’impérialisme français),
Quelques heures avant sa mort, au cours d’une ultime allocution radiophonique, Allende déclare : « Ils ont la force, ils pourront nous asservir ; mais on n’arrête pas les mouvements sociaux, ni par le crime ni par la violence ». (Le Monde diplomatique, septembre 2013)
Ce résumé lapidaire de la politique d’Allende, président de la république élu au titre de l’Unité populaire, nous apprend au moins deux choses : premièrement que c’est en connaissance de cause qu’Allende refusa de faire appel à la mobilisation des masses et deuxièmement qu’il préférait l’asservissement par la bourgeoisie à la prise du pouvoir du prolétariat.
Bien sûr que la violence de la bourgeoisie acculée arrête les mouvements sociaux si elle n’est pas prévenue ou contrée par la violence des exploités ! L’armée, la police, les services secrets et les fascistes sont faits pour cela, comme le démontre la phrase suivante du même dossier.
Débute alors l’une des dictatures les plus brutales qu’ait connues l’Amérique latine : plus de trois mille morts, près de trente-huit mille personnes torturées et des centaines de milliers d’exilés. (Le Monde diplomatique, septembre 2013)
Ce qui prouve que, contrairement à ce qu’affirme le titre, ce n’est pas contre Allende qu’a eu lieu le coup d’État de Pinochet de septembre 1993, mais au premier chef contre la classe ouvrière et toutes ses organisations. À la suite du putsch, les syndicats et partis politiques de la classe ouvrière seront dissous, les militants syndicaux et politiques, les membres et les organisateurs des cordons industriels, des collectifs populaires de contrôle du ravitaillement et des prix (JAP), les dirigeants des conseils paysans et les militants paysans seront par dizaines de milliers licenciés, emprisonnés, torturés, assassinés.
C’était la revanche abjecte de la minorité capitaliste sur une révolution de la majorité laborieuse qui s’est produite en dépit de l’Unité populaire et qui est restée sans direction révolutionnaire.
1969, la formation de l’Unité populaire pour empêcher la révolution
Le Chili d’il y a 40 ans est un pays dominé, avec une bourgeoise nationale profondément subordonnée au capital étranger. Il s’est vu assigner au sein de l’économie mondiale un rôle de producteur de matières premières agricoles et minières. La grande propriété foncière exploitant des paysans pauvres est consolidée (700 propriétaires accaparaient 55 % des terres exploitables). La bourgeoisie chilienne, incapable de développer l’économie nationale dans un cadre mondial impérialiste, tout en exploitant férocement son prolétariat urbain et rural, livre le pays au pillage.
Le prolétariat chilien est à un niveau d’organisation équivalent aux prolétariats européens. Au cours de son histoire, il a constitué des partis qui se réclament tous du marxisme (PS, PCCh, MIR…) et des syndicats dont le principal, la CUT, est dirigé par le Parti communiste chilien. Au milieu des années 1960, ouvriers et paysans engagent de grandioses combats. La montée des luttes impose au gouvernement du principal parti bourgeois, le Parti démocrate-chrétien (la DC) de promettre « réforme agraire » et « chilenisation » des ressources minières. En attendant, les possédants réagissent avec violence et, dès 1966, commanditent un massacre : l’armée commandée par le colonel Pinochet tue 14 ouvriers de la mine de cuivre El Salvador.
Les luttes sociales s’amplifient et amènent la division de la DC. Les dirigeants du Parti socialiste et du PCCh, dont la politique dépend de la bureaucratie privilégiée et conservatrice de l’URSS, proposent une alliance électorale à la bourgeoisie et la perspective d’un « gouvernement populaire ». Donc, plus de division entre les classes, pas d’union de la classe ouvrière et de la petite paysannerie contre la bourgeoisie, mais du « populaire » à tout va, l’alliance des classes exploitées avec les (ou une partie des) classes dominantes, donc la subordination de celles-là à celles-ci.
Ainsi naît en décembre 1969 l’Unidad Popular, coalition de type front populaire entre les partis traditionnels de la classe ouvrière chilienne -le PS et le PCCh- respectueux de la légalité bourgeoise, et des partis ou des bouts de partis bourgeois : le Parti radical, vieux parti réactionnaire lié à la bourgeoisie nationale et à l’oligarchie financière (qui pèse 20 % dans les élections jusqu’à la victoire de l’Unité populaire, ensuite 13 puis 3 %) changé miraculeusement en parti « de gauche » dans un congrès de 1969 et par son intégration dans l’UP. L’UP inclut le MAPU (Mouvement d’action populaire unitaire) et l’API (Action populaire indépendante), deux scissions de la DC. Elle est soutenue par les deux centrales, la Fédération syndicale nationale et la Centrale unique des travailleurs.
Le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), un parti castriste dans lequel l’organisation trotskyste (POR) a été liquidée par le SUQI pabliste, suspend la guérilla rurale et apporte son soutien critique à l’UP.
1970, l’Unité populaire au pouvoir
Le candidat de l’Unité populaire l’emporte à l’élection présidentielle de 1970. Allende est confirmé président par un congrès alors dominé par la DC et le Parti national. Allende (dirigeant du PS) et Corvalan (dirigeant du PCCh) avalisent tous les garde-fous pour enserrer le mouvement dans la légalité bourgeoise. Allende signe ainsi pour devenir président, un « statut des garanties constitutionnelles » qui protège la propriété privée et les forces armées de la bourgeoisie :
Le régime de la propriété et le fonctionnement de ces moyens d’information ne pourront être modifiés que par une loi. Leur expropriation ne pourra être réalisée qu’en vertu d’une loi approuvée par chaque Chambre à la majorité des membres en exercice… La force publique est uniquement et exclusivement constituée par les forces armées et le corps des carabiniers…
Par contre, le vote des soldats promis par le programme de l’UP ne sera jamais octroyé… Le ministre de la Défense, dirigeant du Parti radical, annonce d’emblée la couleur :
Je ne permettrai pas que les partis politiques s’introduisent dans les rangs des Forces armées, quelles que soient les circonstances.
Le gouvernement saisit le journal du MIR, El Rebelde, en septembre 1971 pour avoir réclamé des droits démocratiques pour les soldats.
Non que l’UP n’ait rien fait en faveur des ouvriers et des paysans. Dans les tout premiers temps, des augmentations de salaires furent accordées, des entreprises nationalisées (mais payées à bon prix à leurs actionnaires), le blocage des prix instauré, l’amnistie politique accordée. C’est le moins que pouvait faire l’UP face à l’ampleur de la mobilisation.
Mais ces mesures ponctuelles se heurtent très vite à la réaction de la bourgeoisie qui n’a, elle, aucunement l’intention d’être pacifique et de laisser menacer sa domination par les masses exploitées sans réagir. Les banques bloquent le crédit, le patronat désorganise la production par des lock-out, liquide les augmentations par la hausse des prix, les latifundiaires affament les villes en stockant les récoltes et en vendant leurs troupeaux à l’étranger.
Il ne s’agit pas de telle ou telle réforme gouvernementale, souvent annulée par le sabotage des possédants et des exploiteurs, mais de qui doit diriger la société, du combat de classe jusqu’au bout pour résoudre la question du pouvoir, de l’État.
Le 7 décembre 1971, Fidel Castro venu soutenir le bloc avec la bourgeoisie qui respecte la légalité bourgeoise accuse les masses (pas l’UP, pas Allende, pas le PCCh) d’être en retard sur la bourgeoisie.
1971-1972, face à la mobilisation des masses, la bourgeoisie locale se déchaîne, l’impérialisme américain finance la contre-révolution
Plus les masses se radicalisent, se mobilisent et s’organisent pour obtenir satisfaction à leurs revendications, plus la bourgeoisie chilienne – aidée par l’argent de la CIA et des « multinationales » américaines – se déchaîne et plus les dirigeants de l’Unité populaire s’opposent aux masses et protègent le pouvoir bourgeois. La bourgeoisie multiplie provocations, grèves patronales, appelle ouvertement à la guerre civile dans ses journaux, arme les nervis fascistes de Patrie et liberté, assassine militants paysans et ouvriers, fomente des coups d’État qui sont autant de préparations à celui du général Pinochet.
En mars 1972, un complot militaire est déjoué. Le général impliqué, Canales, est muté mais conserve son grade ! Et c’est à cette période qu’Allende juge bon de faire entrer un militaire dans son gouvernement avec le portefeuille des mines.
L’UP s’oppose aux actions des exploités et des opprimés, voire exerce à leur encontre la violence de l’appareil répressif des exploiteurs et des oppresseurs. Par exemple, le 12 mai 1972, la réaction appelle à une manifestation « pour la liberté » (sic) à Valparaiso. La CUT, le MIR, les PCCh et PS locaux ripostent par une contre-manifestation le même jour. Alors que la manifestation réactionnaire est autorisée, celle du mouvement ouvrier est interdite. Le président lui-même intervient pour tenter de la décommander. En fait, elle a tout de même lieu, et la police l’attaque. Un étudiant est tué par balle et un pêcheur, poursuivi par la police dans un immeuble et jeté par une fenêtre, restera paralysé à vie. Il y a une quarantaine de blessés.
Le 11 octobre 1972, le syndicat des transporteurs routiers appelle à la grève générale illimitée contre le gouvernement de l’UP… Les commerçants de détail, l’ordre des architectes, celui des médecins, des avocats, entrent dans la « grève » qui devient une mobilisation des de la petite bourgeoisie urbaine à l’initiative du grand capital… En riposte, surgissent et se multiplient alors les « cordons industriels », des assemblées générales élisent leurs délégués d’usine qui se coordonnent par quartiers, constituent des « coordinations ouvrières locales », prennent contact avec les JAP, les « juntes des voisins ». Ils organisent la distribution, prennent en main la production, etc. C’est le double pouvoir qui naît.
En dépit de l’absence de direction prolétarienne révolutionnaire, de type du Parti bolchevik dans la Russie de 1905 et de 1917, la mobilisation des masses ne faiblit pas. Les travailleurs s’organisent de plus en plus dans des structures autonomes contre les patrons, les latifundiaires, les flics, les fascistes, la hiérarchie militaire, mais aucun parti ne trace une autre voie, celle de la révolution et du pouvoir des travailleurs..
L’UP s’oppose de plus en plus aux masses
En 1972, Carlos Matus, nouveau ministre de l’Économie, annonce des augmentations des prix d’articles de première nécessité, spécialement alimentaires, oscillant entre + 30 % et 200 % …
Allende confie le 21 janvier à un militaire, le général Bachelet, la distribution…
Aux mineurs du cuivre qui tentent de défendre leur niveau de vie contre l’énorme inflation, Allende répond en janvier 1973 :
Ceux de Chiquimata agissent comme de véritables banquiers monopolistes demandant de l’argent pour remplir leurs poches sans se préoccuper en rien de la situation du pays… c’est la morale révolutionnaire qui fait défaut.
Au cours d’une rencontre entre le président et les représentants de cinq fédérations paysannes, Anselmo Cancino, délégué élu du conseil paysan de la province de Linarès, se fait prendre à partie en ces termes :
Allende : Occuper des terres, c’est violer un droit. Et les travailleurs doivent comprendre qu’ils font partie d’un processus révolutionnaire, que nous sommes en train de réaliser avec le minimum de souffrances, le minimum de morts, le minimum de faim. Pensez-y. Si on agissait de la même façon avec les entreprises importantes que nous voulons nationaliser ‑ il y a 35 000 entreprises ‑ qu’est ce qui se passerait si nous avions l’intention de les contrôler toutes ?
Cancino : Le changement, camarade président…
Allende Non, le chaos. J’ai l’obligation de vous montrer que vous vous trompez. Le problème ne réside pas seulement dans la forme de propriété, mais aussi dans la production. Il y a des pays socialistes comme la Bulgarie dans lesquels un grand pourcentage de la terre appartient au secteur privé.
Lors des obsèques d’un paysan assassiné le 22 octobre 1971 par les bandes armées d’un propriétaire, le dirigeant du MIR, Miguel Enriquez, témoigne :
Trois carabiniers prêtèrent main forte aux propriétaires ; le gouverneur… fut appelé trois fois dans l’espoir qu’il s’entremettrait. Mais il n’en fit rien, il s’abstint, il ne bougea pas. Il accepta que les propriétaires tiraillent pendant trois heures contre les paysans… Un paysan a été assassiné, et le ministre de l’Intérieur, après avoir laissé faire des heures, en profite pour condamner les occupations des grands domaines par les paysans.
Allende annonce la constitution d’un nouveau gouvernement d’union nationale avec des représentants de la CUT où il fait entrer en masse les militaires ; en confiant aux militaires l’Intérieur, le Ravitaillement et les Mines. Allende les place en première ligne… là même où la classe ouvrière s’est dotée d’organismes soviétiques. L’objectif du gouvernement est de disloquer le réseau d’« organes de fait » que le prolétariat a bâti en réponse à la bourgeoisie. Le PCCh s’acharne à dissoudre les organes autonomes de la classe ouvrière en les plaçant sous l’autorité de la bureaucratie syndicale. Corvalan déclare dans une entrevue au journal Chile Hoy :
Nous sommes donc partisans des commandos communaux, des conseils paysans, des cordons industriels, des JAP, etc., mais nous estimons que ces nouvelles organisations, qui sont des formes de pouvoir populaire, tout en maintenant leur indépendance, ne peuvent néanmoins être conçues et orientées contre la politique du gouvernement Allende. Dans le cas particulier des cordons industriels, nous les concevons comme partie intégrante de la CUT, comme organisation de base de la CUT, et non comme organisations parallèles et divisionnistes du mouvement syndical.
Les dirigeants du MIR, liés à la bureaucratie cubaine, n’y voient pas une trahison, mais des erreurs ou de la mollesse. Ils orientent leurs militants courageux vers des actions radicales : expropriations, prises d’otages, résistance armée aux latifundiaires et occupation de terres, etc. Mais ils refusent de s’opposer de front à la politique de capitulation de l’UP, pour privilégier l’intervention dans les bidonvilles, abandonnant de fait la classe ouvrière qui tente faire face à la bourgeoisie, malgré la direction de la CUT, le PS et le PCCh.
1972, l’UP s’appuie sur l’état-major contre la révolution prolétarienne montante
Le 21 octobre, paraît au Journal officiel une loi sur le contrôle des armements. Élaborée et présentée par le sénateur DC Carmona, cette loi sera votée en l’absence des députés du PCCh et du PS, arrivés curieusement en retard à la séance (qui peut croire cela venant de vieux routiers du parlementarisme bourgeois, et pourquoi Allende n’a-t-il pas opposé son veto par la suite ?). La loi laisse à l’autorité militaire le pouvoir, sur simple dénonciation, de perquisitionner chez des particuliers et dans les entreprises, pour y chercher des armes (à feu, coupantes ou contondantes).
Résultat : l’armée entame une tournée de toutes les usines occupées, en déloge les travailleurs par la force, arrête les militants et rend les usines à leur patron dans le secteur privé. Après quinze jours de perquisitions donnant lieu à des manoeuvres de guerre civile et faisant un mort à Punta Arenas, quelle est la réaction du gouvernement ?
Allende constitue le 9 août un second gouvernement avec l’état-major. Le général Carlos Prats devient ministre de la Défense, le commandant en chef de la marine Raúl Montero, ministre du Budget, le commandant des forces aériennes Ruiz Danyau, ministres des Travaux publics et le général des Carabiniers José María Sepúlveda, ministre des Terres et de la colonisation.
Allende et son gouvernement de plus en plus militaire (et associant à la fin directement les dirigeants syndicaux) se placent en défenseurs de la propriété privée d’une poignée de possédants contre la masse des exploités et des opprimés. Cette attitude, qui se double d’une grande duplicité – les dirigeants du PS et du PCCh se réclamant du socialisme (et même du « léninisme » pour le second) – culmine dans la défense du pouvoir bourgeois au plus haut niveau.
En 1971, dans une adresse au parlement, Allende étale son crétinisme parlementaire :
Les sceptiques disent qu’un Parlement qui a si bien servi les intérêts des classes dominantes ne pourra pas changer et devenir le Parlement du peuple chilien. D’après eux, les forces armées et les carabiniers, soutiens de l’ordre institutionnel que nous avons dépassé, n’accepteraient pas de garantir la volonté du peuple et de construire le socialisme dans notre pays. Ils oublient la conscience patriotique, la tradition professionnelle, et la soumission au pouvoir qui sont propres à nos forces armées et à notre police.
À tout bout de champ, Allende opposera aux occupations de terres et d’usines la légalité, la constitution et l’État de droit. Mais il s’agit de la légalité bourgeoise et de l’État bourgeois. L’appareil stalinien œuvre pour boucher définitivement l’horizon des masses. Le 25 mai 1972, le PCCh déclare que l’État doit rester intact et que les travailleurs doivent s’y résigner :
Nous pensons qu’il n’existe actuellement aucune possibilité de modifier cette légalité, ces institutions, par aucun moyen, ni par une voie légale, ni par une voie illégale.
Or, l’expression ultime de l’État bourgeois est la police, l’armée professionnelle. Le PS et le PCCh vont jusqu’au coup proclamer la neutralité de l’armée de métier chilienne directement formée à la torture par l’armée française, subventionnée et entraînée par l’impérialisme américain. Les achats de matériel militaire aux États-Unis passent de 3,2 millions de dollars en 1970 à 13,5 millions de dollars en 1972.
Allende nomme, le 23 août 2013, le général Augusto Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées.
Le PCCh et le PS se relaient pour assurer de leur loyauté à l’égard de l’appareil répressif de l’État bourgeois et du caractère pacifique de la « gauche » :
La gauche n’est pas armée, c’est la droite qui l’est. La gauche est contre la guerre civile, elle est pour le dialogue. (Volodia Teitelbolm, dirigeant du parti stalinien, El Siglo, quotidien du PCCh, 11 juillet 1973)
Nous avons fait confiance, nous faisons confiance et nous continuerons à faire confiance aux forces armées. Le programme de l’UP établit qu’il n’y aura pas d’autres forces armées, et je l’ai répété pour ma part à satiété, que celles prévues par la constitution et les lois. (Allende, El Siglo, 8 juillet 1973)
« Unis, l’armée et le peuple ne seront jamais vaincus », scande le service d’ordre du PCCh dans les manifestations tout au long de 1973.
Faire croire que l’armée interviendra contre la bourgeoisie, c’est déjà grave. S’opposer jusqu’au dernier moment à l’armement des travailleurs qui viennent offrir leur aide au gouvernement et réclament des armes (une semaine avant le coup d’État, ils manifestent à 800 000 devant le palais de la Moneda, siège du gouvernement), livrer aux généraux les soldats qui prennent le parti des travailleurs, c’est pire.
La différence avec la révolution russe est évidente. D’une classe ouvrière prête au combat, mobilisée, les dirigeants et soutiens de l’Unité populaire ont fait une masse impuissante qui a été désarmée et martyrisée, alors qu’en Russie le Parti bolchevik a conduit la classe ouvrière au pouvoir.
2013, les réformistes veulent toujours livrer les masses désarmées à l’appareil répressif de l’État bourgeois
40 ans après, les mêmes forces sociales et politiques sont présentes au Chili et dans le monde. Dans chaque pays capitaliste, l’état-major, la police, les services secrets, les hauts fonctionnaires, les grands medias, les partis bourgeois « démocratiques », les partis fascistes, continuent de servir la minorité exploiteuse. Dans chaque pays, les partis « réformistes » et les bureaucraties syndicales continuent de trahir la majorité laborieuse.
Dans la plupart des pays, les partis traditionnels d’origine ouvrière, les partis « socialistes » ou « communistes », issus du travaillisme, de la sociale-démocratie ou du stalinisme, protégés par les organisations centristes, continuent à sévir. S’ils gèrent tranquillement dans les périodes calmes les affaires du capital, ils se retrouvent en cas d’intense mobilisation pour monter des fronts populaires, faire obstacle aux masses, les contenir, les enfermer dans le cadre des institutions et de la légalité bourgeoises. Voire réprimer des travailleurs comme le gouvernement PKD-PSR-Parti menchevik en Russie en juillet 1917, le gouvernement SPD-USPD en Allemagne en 1919, le PCE en Espagne en 1937, comme le gouvernement PS-PCCh-PR au Chili en 1973, comme le gouvernement ANC-SACP-COSATU en Afrique du Sud en 2012…
Les « réformistes » ne sont pas les auteurs de réformes qui renforceraient la démocratie, amélioreraient le sort des travailleurs et prépareraient le socialisme. Ce sont des traîtres.
Voilà pourquoi, au Chili, le PS et le PCch n’ont rien appris. Ils prétendent que la bourgeoisie chilienne n’a rien à voir dans le coup sanglant et la dictature militaire. Ce ne serait même pas l’armée chilienne qui a perpétré le coup d’État, mais une poignée de « généraux félons » inspirés de l’étranger.
Comme en Afrique du Sud, les partis ouvriers bourgeois aspirent à la « réconciliation » nationale. Les partis bourgeois, pour la plupart, affectent de regretter les violations des droits de l’homme commises durant la dictature. Mais c’est pour s’en prendre à la « violence » en général et surtout aux risques de violence révolutionnaire. Ainsi, la candidate de la Coalition pour le changement (des principaux partis bourgeois : RN, UDI), Matthei, déclare-t-elle : « Jamais on ne doit utiliser la violence pour arriver au pouvoir ». Bien sûr, puisque que c’est la bourgeoisie qui a le pouvoir.
Le Parti socialiste chilien a rejeté officiellement le marxisme, a mis sur pied la « Concertation des partis pour la démocratie » avec des partis bourgeois. Il a respecté la constitution de Pinochet et participé à quatre gouvernements bourgeois. Le PCCh vient de rejoindre le front populaire du PS.
En France, les organisations et partis qui continuent à prôner « les voies pacifiques au socialisme » ou, plus souvent, une « démocratie » ou une « révolution citoyenne » qui serait distincte de la dictature du prolétariat sont tout autant incapables de tirer les leçons de la tragédie chilienne.
Chili: 40 ans après, l’Unité populaire d’Allende toujours d’actualité. (L’Humanité, 15 septembre 2013)
Le NPA lui emboîte le pas.
L’expérience chilienne résulte d’une alliance exceptionnelle de toutes les classes populaires contre l’oligarchie terrienne et financière, subordonnée aux intérêts de l’impérialisme américain. (Revue l’anticapitaliste, septembre 2013)
L’action véritable des sociaux-démocrates et des staliniens est totalement dissimulée. Le Parti radical, parti de la bourgeoisie, devient « un parti populaire ». Pas un mot sur la responsabilité de l’UP, pas un mot sur la nécessité d’un parti ouvrier révolutionnaire qui permette aux masses de s’émanciper de leurs dirigeants traîtres, qui aide l’auto-organisation des masses, qui arme le peuple, qui prépare l’insurrection dès qu’il obtient la confiance de la majorité du prolétariat.
De même, LO n’explique jamais la racine des trahisons par les directions traditionnelles de la classe ouvrière, la corruption par la bourgeoisie des appareils du mouvement ouvrier, car cela mettrait en cause son incorporation à la bureaucratie de la CGT et son rôle de flanc-garde de la bureaucratie du PCF.
Par conséquent, elle se refuse à condamner la stratégie de front populaire, le bloc des partis ouvriers chiliens avec les débris de la bourgeoisie contre la révolution prolétarienne.
Le suicide d’Allende, préférant se donner la mort plutôt que d’organiser la lutte du peuple qui l’avait soutenu, reste aussi le symbole de l’impasse du réformisme. (Lutte ouvrière, 13 septembre 2013)
Il faut dire que LO pratique déjà des alliances du type UP à l’échelle municipale. Inévitablement, LO en viendra à les pratiquer à l’échelle nationale.
Les « fronts populaires » d’une part, le fascisme de l’autre, sont les dernières ressources politiques de l’impérialisme dans la lutte contre la révolution prolétarienne. (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Pas plus que le NPA, LO ne dit ce qui a fait défaut à la classe ouvrière chilienne et comment la révolution peut vaincre. Non seulement LO tourne le dos à la revendication démocratique de l’armement du peuple, mais elle réclame périodiquement plus de policiers.
Pour la destruction de l’État bourgeois par la révolution socialiste
Il a manqué au Chili dans les années 1960 et 1970 un parti révolutionnaire, même réduit au départ. Un parti qui dégage une avant-garde et éduque les masses contre les illusions du front populaire et empêche ainsi leur désarroi quand celui-ci s’est dressé ouvertement contre elles. Il a manqué un parti qui s’appuie sur les fondements de la Révolution russe : la classe ouvrière s’organisant elle-même, entraînant derrière elle les masses paysannes et petites-bourgeoises. Un parti qui se serait investi dans la généralisation et la centralisation des organes autonomes de la classe ouvrière et du peuple (JAP, cordons industriels, commandos communaux), pour qu’ils postulent au pouvoir, pour un gouvernement ouvrier contre le gouvernement militarisé de coalition avec la bourgeoisie. Un parti qui aurait poussé à l’organisation militaire et à l’armement général du prolétariat et des autres travailleurs (et non à la guérilla substitutive) contre toutes les bandes armées du capital. Un parti qui aurait permis à la classe ouvrière de se replier en bon le cas échéant et l’aurait conduite au combat victorieux dès que possible.
Il faut construire, au Chili, en France, partout, le parti mondial de la révolution socialiste. Le Collectif révolution permanente ne prétend pas être cette internationale ouvrière, mais il se bat pour la construire. Le Groupe marxiste internationaliste ne prétend pas être le parti ouvrier révolutionnaire en France, mais il se bat pour le construire.
Les grands mouvements qui ont débuté avec la crise capitaliste mondiale rebattent les cartes et posent à nouveau la question brûlante du manque d’organisation communiste révolutionnaire.
Aux groupes qui se réclament de la révolution socialiste, aux fractions qui, dans les partis et les syndicats, cherchent la voie de l’internationalisme, nous disons : regroupons-nous dans ce pays et dans le monde sur la base du programme communiste, délimité des sociaux-patriotes, des bureaucrates et de leurs larbins pacifistes. Aux jeunes et aux travailleurs qui ne veulent pas subir de nouvelles défaites, nous disons : rejoignez-nous pour unifier, radicaliser et démocratiser les syndicats, pour construire ensemble l’internationale et le parti qui renverseront la bourgeoisie, pour édifier, lors de la prochaine crise révolutionnaire, les conseils qui assureront une véritable démocratie pour la majorité et qui permettront d’aller vers le socialisme et le communisme.