La bourgeoisie ne parvient pas à stabiliser la situation. Comme en Égypte, la classe ouvrière et la jeunesse restent combatives. Cette énergie révolutionnaire, faute d’un parti ouvrier révolutionnaire, ne parvient pas à se concentrer sur la question du pouvoir des travailleurs dont toutes les organisations ouvrières existantes se refusent à ouvrir la perspective. Dans une situation politique bloquée depuis des mois et devant la paralysie des institutions dont la bourgeoisie semble s’accommoder, la direction de la centrale syndicale UGTT, qui joue un rôle politique croissant de conciliation entre les classes, s’inquiète. Son secrétaire général déclarait :
Quand un peuple n’a plus confiance dans ses élites, les choses deviennent vraiment graves. Si par malheur on ne trouve pas d’issue à cette crise, le peuple furieux pourrait investir la rue, comme en ce 17 décembre 2010. Il n’épargnerait alors personne, ni société civile, ni pouvoir. (La Presse, 25 septembre 2013)
Et pourtant, les bureaucrates qui dirigent l’UGTT ne ménagent pas leurs efforts pour débloquer la situation afin de rétablir un fonctionnement « démocratique » des institutions accaparées par les islamistes. Après l’assassinat de Mohamed Brahmi le 26 juillet (qui vient lui-même après celui de Chokri Belaïd le 6 février), tous deux dirigeants du Front populaire, bloc de formations nationalistes et de partis ouvriers (dont le Parti des travailleurs maoïste), la direction de l’UGTT a proposé que tous les partis s’unissent pour former un gouvernement d’union nationale. La centrale syndicale a pris langue avec l’UTICA, l’organisation patronale, et ils ont proposé une « feuille de route » pour cet objectif, qui a été acceptée par 31 partis, tant les islamistes au pouvoir que l’opposition bourgeoise avec le soutien du Front populaire et les éloges de l’impérialisme.
Mais depuis des mois, en dépit d’un accord purement verbal, Ennahda, l’organisation tunisienne des Frères musulmans qui contrôle le gouvernement, se refuse à mettre en œuvre l’essentiel du plan : démissionner pour laisser place à un gouvernement « apolitique » de techniciens, achever la rédaction de la constitution et voter une loi électorale pour les prochaines législatives et présidentielle. Ennahda entend gagner du temps, mettre ses hommes en place dans tout l’appareil d’Etat et poursuivre une politique d’austérité (réduction des dépenses publiques, blocage des salaires pour 2014, etc.)
C’est ce que la classe ouvrière et les masses ne sauraient accepter longtemps : grèves, manifestations de toutes sortes, déferlement dans tout le pays, et la bureaucratie de l’UGTT a le plus grand mal à empêcher que les forces concentrées du prolétariat n’entrent en mouvement à Gafsa, dans l’industrie des phosphates. La révolution sociale est ce que craint la direction de l’UGTT qui n’ouvre comme perspective aux masses que la collaboration de classe avec les partis bourgeois regroupés autour du principal d’entre eux, Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie), très respectueux des institutions, dans lequel s’est liquidé l’ancien parti stalinien (PCT-Ettajdid). Le Front populaire affirme vouloir participer au « dialogue national » de tous les partis pour sauver « la démocratie », en fait préserver l’État bourgeois tout en écartant le parti clérical.
La classe ouvrière, la jeunesse, les masses laborieuses qui rejettent le pouvoir des islamistes, tout comme le chômage et la misère qui s’accroissent, représentent la seule force à même de débloquer la situation. De grands combats de classe se préparent.
15 novembre 2013