La persistante instabilité de l’économie mondiale
Depuis l’éclatement de la crise capitaliste en 2007-2008 et la récession (une baisse du PIB mondial durant 6 mois) en 2009 – la première depuis 1945 – l’économie mondiale a connu une reprise de la croissance économique, avec +4 % du PIB mondial en 2010 – ce qui est loin des chiffres de croissance pré-crise – puis a ralenti en 2011-2012. La croissance ne devrait pas dépasser 2 % en 2013, le chiffre le plus bas depuis le début des années 1990.
Les puissances économiques nouvelles – le Brésil, l’Indonésie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud, parfois désignés comme les Brics – qui ont porté la croissance économique mondiale ces dernières années montrent des signes de fléchissement. La croissance économique chinoise, qui serait restée supérieure à 9 % en 2009, lorsque la plupart des autres pays voyaient leur PIB baisser, s’est réduite à moins de 8 % en 2012, une tendance qui devrait se poursuivre en 2013. Au Brésil, le taux de croissance pour 2012 n’est que de 1 %, contre 7,5 % en 2010. En Inde, la croissance, qui fut de 8 % en moyenne entre 2006 et 2011, n’atteindra pas 5 % en 2013, pour la première fois depuis dix ans… À cela s’ajoutent les attaques spéculatives dont les monnaies de ces pays sont victimes. Depuis début 2013, la roupie indienne a perdu près de 25 % de sa valeur face au dollar, le real brésilien a perdu 20 %… à tel point que leurs banques centrales ont été contraintes de relever leur taux directeur ou de dépenser leurs réserves de devise pour racheter leur monnaie sur les marchés des changes, afin d’en soutenir le cours.
Les puissances économiques anciennes, quant à elles, ne sont pas au mieux. La zone euro sort à peine d’une longue récession. Depuis 2008, elle a perdu 2,2 % de son PIB. Après avoir continuellement diminué depuis fin 2011 – la plus longue récession depuis la dernière guerre mondiale –, le PIB de la zone euro a augmenté de 0,3 % au deuxième trimestre 2013. Ce chiffre repose essentiellement sur l’Allemagne (0,7 %) et dans une moindre mesure sur la France (0,5 %). Les premières victimes de la crise (Grèce, Espagne, Italie, Irlande) sont toujours en dépression, alors que les Pays-Bas sombrent dans la récession.
L’économie française stagnante…
La France n’a plus la puissance économique qu’elle a eue par le passé, ce dont le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a fait état en remarquant que « depuis 20 ans, le France a perdu de la compétitivité » (Le Figaro, 15 mai 2013).
En parité de pouvoir d’achat, le PIB de la France en 2010 est le 9e mondial, ce qui en fait un impérialisme de second rang. Le capitalisme français représente 2,9 % du PIB mondial, contre 4,3 % en 1973 ; il est en perte d’influence, tout comme l’ensemble des vieux impérialismes, et il prend même du retard face à son vieux rival allemand.
Sa part dans les exportations mondiale était de 4,7 % en 200, elle est passée à 2,1 % en 2012. (l’Allemagne de 8,6 à 7,9 %, la Chine de 3,9 à 11 %).
En 2012, les implantations internationales en France ont chuté de 13 % par rapport à l’année passée, ce qui la place à la troisième place européenne en la matière, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne ; « les investisseurs étrangers pourraient désormais classer la France parmi les localisations secondaires, aux côtés de l’Italie et de l’Espagne » (Le Monde, 6 juin 2013). Il en découle que son rôle dans la politique mondiale tend à décliner aussi.
À la mi-2011, en raison notamment des signes de ralentissement de l’économie mondiale, l’économie française se mit à stagner et, en octobre 2011, l’activité diminua de nouveau. Le taux de croissance fut nul en 2012. Plus inquiétant encore pour la bourgeoisie française, le taux de profit en France – estimé par le taux de marge (le rapport entre l’excédent brut d’exploitation, c’est-à-dire le profit dégagé, et la valeur ajoutée, c’est-à-dire la richesse supplémentaire issue de la production) – a atteint en 2012 son minimum depuis 1985, à 27,9 %, soit 2,5 points de moins que la moyenne 1988-2007. L’investissement des entreprises en 2012 diminuait de 1,9 %, la production industrielle reculait de 2,2 %… Depuis 2008, l’investissement des entreprises a baissé de 7,8 %, l’investissement public de 8,2 %. En 2012, le pouvoir d’achat baissait, de 0,9%, pour la première fois depuis 1984. L’activité ne reculait pas plus en raison du maintien du niveau de consommation (+1,4 %), qui n’est pas lié à la hausse des revenus, encore moins des salaires, mais à la désépargne. Le taux d’épargne, qui avait atteint un sommet à 17 % en 2011, a chuté à 15,6 % en 2012.
Pour 2013 le gouvernement n’a cessé de réduire sa prévision de croissance, d’abord 1,7 % puis 1,2 % puis 0,8 % puis 0,3 % et enfin 0,1 % – « il ne sert à rien d’afficher des objectifs s’ils ne peuvent pas être atteints » (Hollande, Le Monde, 12 février 2013) – tout en rejetant la responsabilité sur la conjoncture internationale en invoquant « la chute de la demande européenne » (Hollande, Le Figaro, 15 mai 2013), et en jugeant s’être mieux tiré d’affaire que les autres, puisque la France aurait été « moins impactée que ses voisins » (idem).
…avec pour conséquence un renforcement de l’armée salariale de réserve
En 2012, le nombre de chômeurs augmentait de 18,3 % ; depuis 2008, il a augmenté de 55 %. Le taux de chômage de catégorie A (les personnes qui n’ont pas exercé d’activité rémunérée au cours du mois de référence), qui était de 7,5 % en 2008, de 10,2 % en 2012, devrait atteindre 11,2 % en 2013, égalant ainsi le record de 1994-1997.
Cette hausse du chômage s’accompagne également d’une hausse de la précarité dans le travail. En plus de la casse du code du travail résultant de l’ANI, de la facilitation des licenciements (1,2 million de ruptures conventionnelles), 84,3 % des embauches se faisaient en CDD dans les entreprises de 50 salariés et plus au premier trimestre 2013.
Ces chiffres s’accompagnent naturellement d’un creusement des inégalités. En 2012, 8,6 millions de personnes en France vivent en-dessous du seuil de pauvreté – il équivaut à 964 € par mois, c’est-à-dire 60 % du revenu médian –, un triste record depuis 1945. Cela correspond à 14 % de la population. 6,2 % des travailleurs – soit 1,5 million – vivent dans cette situation ; c’est également le cas de 40 % des immigrés en situation régulière. 2,1 millions de personnes vivent même en situation d’extrême pauvreté – un revenu inférieur à 642 € par mois, soit 40 % du revenu médian.
En outre 12,6 % des habitants n’ont pas accès « aux principaux droits fondamentaux, comme l’accès à un logement, au système de santé, au système bancaire, au système éducatif ou à la formation », soit une pauvreté « en conditions de vie » (Rapport du gouvernement sur la pauvreté en France, p. 16, décembre 2012). 3,5 millions de personnes déclarent souffrir du froid dans leur logement, 15 % d’entre eux ont renoncé aux soins pour des raisons financières. Il apparaît donc que 26,6 % de la population souffre de pauvreté monétaire ou de pauvreté « en conditions de vie ».
À l’opposé, les 500 premières fortunes de France ont vu leur patrimoine augmenter de 25 % en 2012 – de 300 % sur les dix dernières années–, pour un total de 330 milliards d’euros, ce qui représente 15 % du PIB national et 10 % du patrimoine financier du pays. En d’autres termes, un dixième de la richesse nationale est entre les mains d’un cent millième de la population.
C’est précisément cette classe bourgeoise que la politique économique du gouvernement PS –EELV-PRG cherche à satisfaire, comme toutes les oppositions parlementaires, celle du FN et de l’UMP, comme celle du PCF et du PdG.
Un gouvernement au service de la bourgeoisie, contre les travailleurs
Comme en témoigne Michel Sapin, Ministre du travail, en évoquant un État « totalement en faillite » (Radio J, 27 janvier 2013), en écho au chef du précédent gouvernement – « je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite » (François Fillon, Europe 1, 21 septembre 2007) –, la politique économique se situe dans la continuité de la précédente, sans modification significative.
Le gouvernement est aux côtés du capital, qu’il appelle pudiquement « entreprises » : « Président des entreprises pour notre pays, oui. ». (François Hollande, TF1, 16 septembre) ; « les entreprises doivent se sentir entièrement soutenues » (Jean-Marc Ayrault, Les Échos, 18 avril 2013). Elles le sont effectivement, comme en témoignent 5,7 milliards d’euros de cadeaux déjà dégagés du Crédit d’impôt compétitivité-emploi– sans aucune contrepartie. La part de la valeur ajoutée des entreprises consacrée aux impôts et cotisations sociales – elle est de 25,4 % en 2012, contre 26 % en 2006 – pourrait chuter à 24 % avec le CICE.
Le FMI – « les autorités ont fait des progrès significatifs » (Le Point, 4 juin 2013) – et le patronat français – « j’ai toujours soutenu l’approche de François Hollande sur toutes les questions économiques et sociales car c’est une approche de dialogue, de concertation réelle » (Laurence Parisot, Les Échos, 18 juin 2013) – ne s’y sont pas trompés. Après avoir allégé les entreprises de moins de 50 salariés de l’obligation de publier leurs comptes, le gouvernement envisage encore des aides aux entreprises à hauteur d’un milliard par an en 2014 et en 2015. Les PDG des 98 plus grandes entreprises de France ont exigé 60 milliards d’économies. Précisément la loi de programmation 2013-2017 prévoit 60 milliards de baisse des dépenses publiques.
En revanche, les travailleurs, dont des centaines de milliers ont été victimes de plans sociaux, sont moins bien lotis par ce que le gouvernement se refuse à nommer l’austérité, sous prétexte qu’« il faut aller voir en Espagne ce qu’est l’austérité, il faut aller voir au Portugal ce qu’est l’austérité » (Jean-Marc Ayrault, RTL, 12 avril 2013), en écho à François Fillon – « ce que nous faisons n’a rien à voir avec ce que font d’autres pays européens, je pense à l’Italie, à l’Espagne, au Portugal, à l’Irlande, sans parler de la Grèce » (TF1, 24 août 2011).
La prétendue austérité budgétaire ne s’applique pas aux patrons, ni aux services secrets, à la police, aux prisons ou aux interventions militaires. Les gouvernements de la zone euro ont tous foulé aux pieds les règles de déficit de l’Union européenne en 2009. Ils s’en souviennent, quand cela les arrange, pour diminuer les dépenses publiques qui profitent surtout aux travailleurs et augmenter les prélèvements qui pèsent surtout sur les travailleurs.
Nous avons à donner des gages de sérieux budgétaire en 2014 et notamment des économies qui devront être faites dans tous les budgets, de l’État, des collectivités locales, de la Sécurité sociale, pour que nous puissions continuer à réduire nos déficits publics. (François Hollande, Le Monde, 23 février 2013)
Selon l’OFCE, une institution keynésienne, ramener le déficit à 3 % en 2014 amputerait 2,6 points de PIB en 2013 et 2 points en 2014, du fait de la contraction à la fois de la demande intérieure et de la demande extérieure résultant de la restriction budgétaire. Cette institution prétend donc pouvoir limiter les effets de la crise avec une relance de la demande, ce qui n’est qu’illusion, tant la seule possibilité pour en finir avec les crises est d’en finir avec le capitalisme.
Sous prétexte d’atteindre 3 % de déficit budgétaire – et 0,5 % de « déficit structurel », le gouvernement Hollande-Ayrault prend des mesures anti-ouvrières, avec notamment 6 milliards de hausse de la TVA, avec une baisse des crédits de fonctionnement des ministères de 7 % en 2013, de 4 % en 2014, de 4 % en 2015, la « révision générale des politiques publiques » ayant été troquée pour la « modernisation de l’action publique ». Depuis le début du quinquennat, 28 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés…
Le prétendu « ennemi de la finance »
L’État français détient encore 100 % de la Poste, 100 % de la SNCF, 84 % d’EDF, 37 % de GDF Suez… Même si les conquêtes sociales de ces entreprises ont été considérablement rognées, les capitalistes les trouvent intolérables, ainsi que l’idée que la propriété publique pourrait être plus efficace que la propriété privée et l’anarchie capitaliste. Dans toute l’histoire du pays, le gouvernement ayant le plus privatisé entre 1997 et 2002 regroupait le PS et le PCF. Le gouvernement actuel poursuit la besogne. Il a déjà cédé 3,12 % du capital de Safran, 3,66 % du capital d’EADS, 9,5 % du capital d’Aéroports de Paris :
Nous envisageons que dans un certain nombre d’entreprises publiques où le taux de participation de l’État est très important nous puissions dégager une partie pour financer de l’investissement. (Jean-Marc Ayrault, TF1, 5 mai 2013)
Le candidat Hollande prétendait lors de sa campagne que son ennemie était « la finance » et qu’il saurait éviter les crises financières en séparant les activités de dépôt et les activités d’investissement des banques.
Pourtant, Hollande poursuit les libéralités de Sarkozy aux banques en difficulté : ainsi, le groupe Dexia a déjà coûté 12 milliards d’euros aux contribuables français et belges.
Même si la séparation des activités n’empêcherait absolument pas le retour d’une crise bancaire, comme le prouve l’exemple des États-Unis en 2008, puisque les groupes à l’origine de la crise financière étaient spécialisés : par exemple, Lehmann Brothers était une banque d’affaires. Inversement les groupes européens du continent, sur le modèle de la « banque universelle », avaient mieux résisté. Mais, face aux réclamations des banquiers français, reçus solennellement à l’Élysée le 9 juillet, le gouvernement a édulcoré son projet si bien que la loi limite à 5 % l’activité des banques devant être soumise à une telle séparation.
Tous les réformateurs du capitalisme trompent les travailleurs et les enchaînent à leurs exploiteurs
Une fois au pouvoir, le PS a flexibilisé le temps de travail et les salaires, il s’apprête à porter un nouveau coup aux retraites, avec la complicité des bureaucraties syndicales et des autres partis réformistes.
Il faut d’autres réformes ! (Solidaires, 26 août 2013)
La CGT considère qu’une réforme est nécessaire. (Thierry Lepaon, Lettre à Jean-Marc Ayrault, 26 août 2013)
Début juillet, le PdG, le PCF, le NPA, certains militants du PS, les directions CGT et FSU… signaient un texte intitulé « Ensemble défendons nos retraites », qui visait à protéger le gouvernement. Dans ce texte, il n’est pas question d’abroger les attaques de 1993, 2003, 2007 et 2010, mais de les « remettre en cause » ; il n’est pas question de lutter pour la diminution du temps de travail et l’échelle mobile mais de demander un « partage de la richesse produite » ; il n’est pas question de revenir sur les exonérations patronales, mais de se lamenter sur « la récession qui… diminue les cotisations patronales »…
Mais aucune « relance » n’est satisfaisante à la fois pour les capitalistes « français » et pour les prolétaires « français » qui seraient unis face aux menaces étrangères.
Toute politique économique, dans le cadre du capitalisme pourrissant, qu’elle soit « libérale » ou « keynésienne », qu’elle soit libre-échangiste ou protectionniste, débouche sur la précarité, l’allongement du temps de travail et de la vie de travail, les attaques contre les travailleurs immigrés, l’impôt supporté avant tout par le peuple, l’inflation, le militarisme et, pour finir, sur la guerre .
La seule politique en défense des intérêts ouvriers, c’est la rupture de la collaboration de classe, dont l’exigence du retrait de la contre-réforme contre les retraites, l’échelle mobile des salaires et des heures de travail. Il faut rompre l’enchaînement sans fin des gouvernements bourgeois pour faire place à un gouvernement ouvrier qui arme les travailleurs, qui collectivise les moyens de production et les banques et planifie en fonction des besoins de la population.
15 septembre 2013