Les commémorations de la défaite du mouvement révolutionnaire chilien se sont multipliées. Hommages appuyés au gouvernement de l’Unité Populaire chilienne et à sa politique par la presse bourgeoise ou par les organisations et partis qui continuent à prôner « les voies pacifiques au socialisme » ou la lutte pour la « démocratie ».
Tous mettent en avant la fin courageuse du président de l’Unité Populaire Allende pour mieux masquer sa responsabilité dans la liquidation tragique de « l’Octobre chilien ». Il est du rôle des marxistes d’établir les raisons de cette défaite. Il n’y avait au Chili de 1969 à 1973 aucun parti révolutionnaire pour rappeler l’expérience antérieures des fronts populaires chiliens et mondiaux, ce qui eut évité au prolétariat de recommencer cette expérience tragique. Nous allons dans les limites de ce texte essayer d’analyser les circonstances de cet événement.
Il y a 40 ans, le Chili était un pays assez riche, avec une bourgeoise nationale profondément subordonnée au capital étranger. Il s’est vu assigner au sein de l’économie mondiale un rôle de producteur de matières premières agricoles et minières. La grande propriété foncière exploitant des paysans pauvres s’y est consolidée (700 propriétaires accaparaient 55% des terres exploitables). La bourgeoisie chilienne, incapable de développer l’économie nationale dans un cadre mondial impérialiste, livre le pays au pillage.
Le prolétariat chilien est au même niveau que les prolétariats européens. Il possède syndicats (dont le principal, la CUT est aux mains du PC chilien), partis, traditions politiques. Au milieu des années 1960 ouvriers et paysans engagent de grandioses luttes de classes. La montée des luttes impose au gouvernement de la très réactionnaire Démocratie Chrétienne (DC) de promettre « réforme agraire » et « chilénisation » des ressources. Mais dans les faits la bourgeoisie réagit avec violence contre les masses et dès 1966 commandite un des premiers massacres de travailleurs ( l’armée dirigée par le colonel Pinochet tue14 ouvriers de la mine de cuivre « El Salvador »).
Les luttes s’amplifient et amènent la dislocation de la DC. Les dirigeants du PC chilien, le plus stalinien des partis d’Amérique Latine, devant la menace d’affrontement direct avec l’état chilien, propose une alliance électorale et la perspective d’un « gouvernement populaire » : c’est la vieille et éprouvée politique de front populaire, coalition entre les partis ouvriers et des partis bourgeois initiée par Staline dans les années trente, appliquée au Chili.
Ainsi naît l’Unité Populaire, coalition entre les partis traditionnels de la classe ouvrière chilienne -le PS et le PC chiliens- respectueux de la légalité bourgeoise, et des partis ou des bouts de partis bourgeois : le Parti Radical, vieux parti bourgeois réactionnaire lié à la bourgeoisie nationale et à l’oligarchie financière ( qui pèse 20 % dans les élections jusqu’à la victoire de l’unité populaire et ensuite 13 puis 3%) changé miraculeusement en parti « de gauche » dans un congrès de 1969 et par son intégration dans l’UP. L’UP comptera aussi dans ses rangs le MAPU et l’API issues de la DC et le PSD. Le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) apportera son soutien critique à l’Unité Populaire.
Donc plus de division de classes dans tout cela, plus d’unité de la classe ouvrière et de la petite paysannerie contre la bourgeoisie, mais du « populaire » à tout va, l’alliance des classes exploitées avec les (ou une partie des) classes dominantes.
L’ « Unidad Popular » au pouvoir
Le mouvement social s’accroissant, l’Unité Populaire est portée au pouvoir. Allende est confirmé président par un congrès alors dominé par les démocrates-chrétiens et les conservateurs. Dès le début de lUP, Allende et Corvalan (sénateur communiste de l’assemblée, dirigeant du PC chilien) placent tous les garde-fous pour enserrer le mouvement dans la légalité bourgeoise. Allende signe ainsi pour devenir président, un «statut des garanties constitutionnelles» qui protège la propriété privée et les forces armées de la bourgeoisie : «Le régime de la propriété et le fonctionnement de ces moyens d’information ne pourront être modifiés que par une loi. Leur expropriation ne pourra être réalisée qu’en vertu d’une loi approuvée par chaque Chambre à la majorité des membres en exercice…./….La force publique est uniquement et exclusivement constituée par les forces armées et le corps des carabiniers….». Par contre le vote des soldats promis par le programme de l’UP ne sera jamais octroyé…
Non que l’UP n’ait rien fait en faveur des ouvriers et des paysans. Dans les tout premiers temps, des augmentations de salaires furent accordées, des entreprises nationalisées (rachetées à bon prix comme l’indique Allende), le blocage des prix instauré, l’amnistie politique accordée. C’est le moins que pouvait faire l’UP face à l’ampleur de la mobilisation. Mais ces mesures ponctuelles se heurtent très vite à la réaction de la bourgeoisie qui n’a elle aucunement l’intention d’être pacifique et de laisser entamer ses profits sans réagir. Les banques stoppent le crédit, le patronat désorganise la production par des lock-out, les latifundiaires affament les villes en stockant les récoltes et en vendant leurs troupeaux à l’étranger, la super-inflation, arme aux mains de la bourgeoisie, liquide les augmentations etc.. Tout le monde peut comprendre qu’il ne s’agit pas ici de telles ou telles revendications, vite reprises, mais de qui doit diriger la société, du combat de classe jusqu’au bout pour résoudre la question du pouvoir, de l’État.
Face à la mobilisation des masses, la bourgeoisie locale se déchaîne, l’impérialisme américain finance la contre-révolution
Nous assistons alors à un mouvement parallèle, plus les masses virent à gauche, se mobilisent et s’organisent de manière indépendante pour obtenir satisfaction à leurs revendications, plus la bourgeoisie chilienne – aidée par l’argent de la CIA et des « multinationales » américaines – se déchaîne et plus les dirigeants de l’Unité Populaire s’opposent aux masses et protègent le pouvoir bourgeois. L’unité populaire doit faire face à un combat de classe qui se radicalise, non pacifique, ce qui était prévisible. La bourgeoisie multiplie provocations, grèves patronales, appelle ouvertement à la guerre civile dans ses journaux subventionnés par la CIA, assassine militants paysans et ouvriers, fomente des coups d’État qui sont autant de préparations à celui du général Pinochet. Comment réagit le gouvernement ? En mars 1972 par exemple, une tentative de coup d’État est déjouée. Le général impliqué, Canales, est muté mais conserve son grade !! Et c’est à cette période qu’Allende juge bon de faire entrer un militaire dans son cabinet avec le portefeuille des mines. Et puis encore : le 12 mai, la droite appelait à une manifestation « pour la liberté » à Valparaiso. La CUT, le MIR, les PC et PS locaux appelèrent cette fois à une contre-manifestation le jour même. Alors que la manifestation de droite fut autorisée, celle de gauche fut interdite. Le président lui-même intervint pour la décommander. En fait, elle eut tout de même lieu, et la police l’attaqua violemment. Un étudiant fut tué par balle et un pêcheur, militant du MAPU, poursuivi par la police dans un immeuble et jeté par une fenêtre, restera paralysé à vie. Il y eut une quarantaine de blessés. La violence de la classe dominante est acceptable, mais pas les actions en défense des opprimés.
Certains comme les dirigeants du MIR mettent (et continuent à mettre) cela sur le compte des erreurs ou de la mollesse de l’UP. Ils refuseront de s’opposer (malgré quelques critiques sur les revendications) de front aux dirigeant de l’UP, abandonnant le combat politique naissant des ouvriers et des paysans contre l’UP au profit de secteurs marginaux par rapport à la question politique de l’heure (paysans pauvres, bidonvilles, étudiants, pobladores..).Ils s’orienteront rapidement vers des actions gauchistes, menées avec résolution et succès : expropriations, prises d’otages, résistance armée aux latifundiaires et occupation de terres, etc.
Mais la mobilisation des masses ne faiblit pas, même si elle se situe dans un premier temps sur le terrain du soutien au gouvernement. En effet, si la classe ouvrière a fait mouvement dans les débuts vers l’UP, elle s’organise de plus en plus dans ses structures autonomes contre sa politique de défense des patrons, des latifundiaires etc .., mais sans rompre avec elle. Elle organise des comités de vigilance, des comités de contrôle de l’approvisionnement (JAP) et les fameux cordons industriels rassemblant syndicats et usines combatives. Son but ? Organiser la production, la distribution désorganisées par la bourgeoisie, lutter contre la spéculation et le stockage, contrôler les commerçants. Qu’en disent et que font les dirigeants de l’UP ?
L’Unidad Popular s’oppose de plus en plus aux intérêts et à la mobilisation des masses
– Nationalisations ? En 1972, face à la mobilisation des travailleurs mais aussi de la bourgeoisie, le PC chilien, en la personne de son dirigeant Orlando Millas, propose de …. « stabiliser pour avancer » . Et son projet de loi, qui prévoyait de dénationaliser 43 entreprises et d’envisager d’en rendre 123 autres au patronat sous prétexte de ne pas effrayer la petite-bourgeoisie, est retiré après une forte mobilisation des cordons industriels …
– Encadrement des prix ? Ravitaillement ? Toujours en 1972 Carlos Matus, nouveau ministre de l’Économie annonce des réajustements des prix d’articles de première nécessité, spécialement alimentaires oscillant entre 30% et 200% …
…La population laborieuse, les JAP des quartiers pauvres, réclament l’établissement de cartes de rationnement et le droit de continuer à distribuer eux-mêmes les denrées. Bien que le ministre de l’Économie, Fernando Flores, du MAPU, se soit déclaré publiquement en faveur de cette carte de rationnement Allende, devant la charge de la droite parlementaire, charge le 21 janvier …un militaire, le général Bachelet, assisté de quatre autres officiers supérieurs, de s’occuper de la distribution…
…Aux mineurs du cuivre qui engagent une action pour défendre leur niveau de vie contre l’énorme inflation, Allende répond en Janvier 1973 «Ceux de Chiquimata agissent comme de véritables banquiers monopolistes demandant de l’argent pour remplir leurs poches sans se préoccuper en rien de la situation du pays…..c’est la morale révolutionnaire qui fait défaut » Cité par Alain Labrousse : L’expérience chilienne : réformisme ou révolution Ed du Seuil 1972
– Occupation des terres par les paysans ? Au cours d’une rencontre entre le président Allende et les représentants de cinq fédérations paysannes, Anselmo Cancino, délégué élu du conseil paysan de la province de Linarès, se fait prendre à partie en ces termes par le président :
« ALLENDE : Occuper des terres, c’est violer un droit. Et les travailleurs doivent comprendre qu’ils font partie d’un processus révolutionnaire, que nous sommes en train de réaliser avec le minimum de souffrances, le minimum de morts, le minimum de faim. Pensez y. Si on agissait de la même façon avec les entreprises importantes que nous voulons nationaliser ‑ il y a 35 000 entreprises ‑ qu’est ce qui se passerait si nous avions l’intention de les contrôler toutes ?
CANCINO : Le changement, companero presidente…
ALLENDE : Non, le chaos. J’ai l’obligation de vous montrer que vous vous trompez. Le problème ne réside pas seulement dans la forme de propriété, mais aussi dans la production. Il y a des pays socialistes comme la Bulgarie dans lesquels un grand pourcentage de la terre appartient au secteur privé » Cité par S Just : Fronts populaires d’hier et d’aujourd’hui Stock 1977….
…Lors des obsèques d’un paysan assassiné Le 22 octobre 1971 par les bandes armées d’un propriétaire, le dirigeant du MIR, Miguel Enriquez, raconta : « Trois carabiniers prêtèrent main forte aux propriétaires ; le gouverneur (…) fut appelé trois fois dans l’espoir qu’il s’entremettrait. Mais il n’en fit rien, il s’abstint, il ne bougea pas. Il accepta que les propriétaires tiraillent pendant trois heures contre les paysans (…) Un paysan a été assassiné, et le ministre de l’Intérieur, après avoir laissé faire des heures, en profite pour condamner les occupations des grands domaines par les paysans » (idem)
– Occupation des usines par les ouvriers ? Le 21 octobre, en pleine effervescence contre-révolutionnaire, paraît au Journal officiel une loi sur le contrôle des armements. Élaborée et présentée par le sénateur démocrate‑chrétien Carmona, cette loi sera votée en l’absence des députés du P.C. et au P.S, arrivés en retard à la séance si l’on en croit les journalistes (qui peut croire cela venant de vieux routiers du parlementarisme bourgeois, et pourquoi Allende n’a t-il pas opposé son veto par la suite?). La loi laisse à l’autorité militaire le pouvoir, sur simple dénonciation, de perquisitionner chez des particuliers et dans les entreprises, pour y chercher des armes (à feu, coupantes ou contondantes) qui demeurent interdites « sauf autorisation de l’autorité compétente ». Résultat : l’armée entame une tournée de toutes les usines occupées, en déloge les travailleurs par la force, arrête les militants et rend les usines à leur patron dans le secteur privé. Après quinze jours de perquisitions donnant lieu à des manœuvres de guerre civile et faisant un mort à Punta Arenas (des « erreurs » d’après le PC), quelle est la réaction du gouvernement ? Aucune, mais Allende constitue le 9 Août un second « cabinet militaire » de « sécurité nationale ».Le général Carlos Prats devient ministre de la Défense et le commandant en chef de la marine Raúl Montero, ministre du Budget, le commandant des forces aériennes Ruiz Danyau, ministres des Travaux publics et le général des Carabiniers José María Sepúlveda, ministre des Terres et de la Colonisation.
– Blocage de l’outil de production par les patrons ? Prompt à se mobiliser contre les organes de « fait » constitués par les paysans et les ouvriers, le gouvernement de l’U.P. recule devant la tentative de sabotage quasi insurrectionnelle fomentée par la bourgeoisie chilienne le 11 Octobre 1972 quand le syndicat des transporteurs routiers appelle à la grève générale illimitée contre le gouvernement de l’UP… Les commerçants de détail, l’ordre des architectes, celui des médecins, des avocats, entrent dans la « grève » qui devient une mobilisation de la petite bourgeoisie et des professions libérales à l’initiative du grand capital chilien… Le patronat entre alors directement dans la danse et multiplie provocations et sabotages pour arrêter la production et rendre effectif le lock-out. La riposte du gouvernement est timide et limitée : réquisition de camions, réouverture des commerces, saisie de stocks. C’est la réaction prompte et vigoureuse de la classe ouvrière qui fera reculer précipitamment la bourgeoisie : surgissent et se multiplient les « cordons industriels », des Assemblées Générales élisent leurs délégués d’usine qui se coordonnent par quartiers, constituent des « coordinations ouvrières locales », prennent contact avec les JAP , les « juntes des voisins ». Ils organisent la distribution, prennent en main la production etc … C’est l’Octobre chilien.
– Organisation autonome de la classe ouvrière et des paysans ? Comment réagit l’UP à cet Octobre chilien ? Le gouvernement d’Allende va t-il engager le fer contre la bourgeoisie qui tente clairement le coup de force contre lui ? Va t-il profiter du rapport de forces nouveau créé par la mobilisation des masses ? Va t-il prendre la tête des comités pour les coordonner et les unifier à l’échelle nationale. Non ! Il annonce la constitution d’un nouveau gouvernement d’union nationale avec des représentants de la CUT et où il fait entrer en masse les militaires ; en confiant aux militaires l’Intérieur, le Ravitaillement et les Mines, Allende les place en premières lignes… là même où la classe ouvrière s’est dotée d’organismes soviétiques. L’objectif du gouvernement est de disloquer le réseau d’ « organes de fait » que le prolétariat a bâti en réponse à la bourgeoisie. Le PCC combat pour la dissolution des organes autonomes de la classe ouvrière et pour leur intégration dans la CUT : Corvalan déclare dans une interview au journal Chile Hoy «…. Nous sommes donc partisans des commandos communaux, des conseils paysans, des cordons industriels, des J.A.P., etc., mais nous estimons que ces nouvelles organisations, qui sont des formes de pouvoir populaire, tout en maintenant leur indépendance, ne peuvent néanmoins être conçues et orientées contre la politique du gouvernement Allende. Dans le cas particulier des cordons industriels, nous les concevons comme partie intégrante de la C.U.T., comme organisation de base de la C.U.T., et non comme organisations parallèles et divisionnistes du mouvement syndical. »((idem)
Nous pourrions ainsi multiplier les exemples de l’attitude du gouvernement d’unité populaire, complaisant envers la réaction, la bourgeoisie et dur, violent envers les masses qui combattent pour leurs revendications et cherchent à s’organiser contre le pouvoir bourgeois. Il assez clair qu’ Allende et son gouvernement de plus en plus militaire (et associant à la fin directement les dirigeants syndicaux) se placent en défenseurs de la propriété privée d’une poignée de possédants contre la masse des exploités et des opprimés. Cette attitude, qui se double d’une grande duplicité – les dirigeants du PS se réclamant du socialisme, ceux du PC de la révolution et du « léninisme » – culmine dans la défense du pouvoir bourgeois au plus haut niveau.
Ne touchez pas à notre État !!
– Le pouvoir d’État ? Bien que Marx ait établi après l’échec de la commune qu’il fallait « briser » la machine de l’État qui ne peut jamais être que l’État de la classe dominante (Allende devait bien être au courant) et que Lénine et les bolchéviks aient expressément montré, écrit, dit que l’armée était au service de la bourgeoisie et qu’il fallait la détruire (Corvalan devait bien être au courant) et bien qu’un document de l’UP édité en complément de son programme précise en 1970 : « […]. Ces forces, et tout le peuple à leurs côtés, en mobilisant tous ceux qui ne sont pas compromis avec le pouvoir des forces réactionnaires, nationales et étrangères, c’est-à-dire grâce à l’action unitaire et combative de l’immense majorité des Chiliens, pourront briser les structures actuelles et avancer dans la voie de leur libération. », le gouvernement et les partis de l’UP feront tout pour protéger l’état. En 1971, dans une adresse au parlement Allende expose l’enjeu de la bataille dans laquelle son gouvernement est engagé : « Les sceptiques disent que cela est impossible. Ils disent qu’un Parlement qui a si bien servi les intérêts des classes dominantes ne pourra pas changer et devenir le Parlement du peuple chilien. D’après eux, les forces armées et les carabiniers, soutiens de l’ordre institutionnel que nous avons dépassé, n’accepteraient pas de garantir la volonté du peuple et de construire le socialisme dans notre pays. Ils oublient la conscience patriotique, la tradition professionnelle, et la soumission au pouvoir qui sont propres à nos forces armées et à notre police […]. » A tout bout de champ, Allende opposera aux occupations de terres et d’usines la légalité, la constitution et l’Etat de droit. Mais il s’agit de la légalité et de l’Etat de droit bourgeois. Corvalan œuvre pour boucher définitivement l’horizon des masses. Le 25 mai 1972, il déclare :« Nous pensons qu’il n’existe actuellement aucune possibilité de modifier cette légalité, ces institutions, par aucun moyen, ni par une voie légale, ni par une voie illégale » Corvalan, Chili, les communistes dans la marche au socialisme, Éditions sociales, p. 263.
– L’expression ultime de l’État bourgeois : la police et l’armée. C’est là qu’est le dernier rempart d’une bourgeoisie incapable d’enrayer la révolution en marche par ses propres forces sociales et c’est là que va résider l’effort le plus continu des dirigeants du PS et du PC chilien. Ils vont jusqu’au bout essayer de faire croire à la neutralité de l’armée de métier chilienne qui était directement subventionnée et formée par l’impérialisme US, ce que tout le monde savait. Allende et Corvalan se relaient pourtant pour assurer – contre toute évidence – de leur loyauté et du caractère pacifique de la « gauche » : « La gauche n’est pas armée, c’est la droite qui l’est. La gauche est contre la guerre civile, elle est pour le dialogue » Volodia Teitelbolm, dirigeant du PC chilien dans El Siglo, quotidien du PC, 11 juillet 1973
« Nous avons fait confiance, nous faisons confiance et nous continuerons à faire confiance aux forces armées .Le programme de l’UP établit qu’il n’y aura pas d’autres forces armées, et je l’ai répété pour ma part à satiété, que celles prévues parla constitution et les lois ».Allende Déclaration à El Siglo du 8 Juillet 1973
« Unis, l’armée et le peuple ne seront jamais vaincus » scandait le service d’ordre du PC Chilien dans les manifestations tout au long de 1973.
Faire croire que l’armée interviendra contre la bourgeoisie, c’est déjà grave, mais s’opposer jusqu’au dernier moment à l’armement des travailleurs qui viennent offrir leur aide au gouvernement et réclament des armes (une semaine avant le coup d’Etat, ils manifestent à 800 000 devant le palais de la Moneda siège du gouvernement) alors que le gouvernement a été mis au courant par l’URSS de la préparation du « Golpe », qu’est-ce? Une erreur ?
Des commémorations intéressées : on prend les mêmes et on recommence ?
40 ans après le coup d’État de Pinochet, les mêmes forces sociales sont présentes au Chili et dans le monde. Les partis politiques qui les représentent continuent de s’affronter. En particulier, en l’absence de partis révolutionnaires, les partis traditionnels d’origine ouvrière, les partis « socialistes » et les partis « communistes », issus de la social-démocratie ou du stalinisme, continuent à sévir. S’ils gèrent tranquillement dans les périodes sociales calmes les affaires du capital, ils se retrouvent en cas d’intense mobilisation pour monter des fronts populaires d’alliance avec les partis bourgeois et faire obstacle aux masses, les contenir, les enfermer dans le cadre des institutions et de la légalité bourgeoise. Ils ne conçoivent la mobilisation des travailleurs que pour assurer leurs positions dans la société bourgeoise. S’ils réussissent, au besoin en lâchant quelques revendications que la bourgeoisie reprendra plus tard, les affaires reprennent leur cours, c’est l’alternance gauche/droite (comme après Mitterrand) . S’ils ne réussissent pas, c’est le coup d’état, militaire ou fasciste.
Les commémorations de ces partis sont claires : En cas de mobilisation révolutionnaire des masses, il faut reproduire l’expérience chilienne.
Pour les « socialistes » aujourd’hui à propos de l’évolution politique chilienne depuis le coup d’état : « Ce processus a permis l’alliance entre le pôle socialiste et le pôle démocrate-chrétien {….} Quarante ans après le putsch, le passé sensible entre socialistes et démocrates-chrétiens semble relativement dépassé. Pourtant, la perspective des commémorations du coup d’État militaire montre que cet événement continue à diviser les Chiliens à plusieurs niveaux » Réception et mémoire du coup d’Etat au Chili NOTE n° 186 – Fondation Jean-Jaurès – 9 septembre 2013
Pour les « communistes » : « Chili: 40 ans après, l’Unité Populaire d’Allende toujours d’actualité » titre de l’humanité du 15 Septembre 2013
Et ils appliquent !! Les socialistes participent depuis 20 ans aux quatre gouvernements présidentiels au sein de la Concertation des partis pour la démocratie regroupant des partis bourgeois et le PS. Quand aux restes du parti « Communiste » chilien, il accompagne ce mouvement de « réconciliation » : « Lors de la traditionnelle soupe au congres que les communistes chiliens offrent à la presse le jour de l’an, le dirigeant a communiqué que des gestes très importants de la Démocratie chrétienne ouvrent des possibilités d’unité pour l’opposition. En effet, la direction du Pc Chilien est invitée à participer de la réunion nationale organisée en janvier par la Démocratie chrétienne, autour du thème des alliances politiques. » http://el-siglo2.blogspot.f
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Et jusqu’aux gauchistes de tous poils, par exemple notre NPA national pour qui : « L’expérience chilienne résulte d’une alliance exceptionnelle de toutes les classes populaires contre l’oligarchie terrienne et financière, subordonnée aux intérêts de l’impérialisme américain. » Magnifique! Les positions exactes du PC et du PS chiliens sont totalement dissimulées. Le Parti Radical, parti de la bourgeoisie devient un parti populaire !! On comprend mieux pourquoi dans le même document, le Parti Radical est même carrément gommé car outre le PS et le PC « L’Unité populaire comprenait enfin deux autres partis, d’origine chrétienne, le Mouvement d’action populaire unifié (Mapu) et la Gauche chrétienne. ». site du NPA http://npa29quimper.over-blog.fr/article-35937066.html. 11 septembre 2009.
Et dans une interview d’un dirigeant étudiant chilien, pas vraiment commémorative car du 14 décembre 2011 mais instructive, l’interviewer NPA s’intéresse surtout, comme le MIR d’autrefois, aux «activistes du peuple mapuche », aux «rôle des femmes au sein de votre mouvement», à «vos réflexions et vos luttes aux enjeux écologiques». Pas un mot sur le bilan de l’Unité Populaire, sur le prolétariat et les paysans dans leur ensemble, sur la politique générale actuelle du gouvernement et la trahison historique et actuelle du PS et du PC .
Maintien du pouvoir bourgeois ou révolution ?
Allende, Corvalan, le Parti Socialiste chilien, le Parti Communiste chiliens ont choisi. Aujourd’hui tous les «lieutenants ouvriers de la classe capitaliste» comme les appelait Lénine, malgré l’expérience plus que centenaire de l’impossibilité de faire coexister les intérêts de la classe bourgeoise et des travailleurs, ont choisi : le maintien du système en place coûte que coûte. Et le soutien critique apporté par le MIR à cette politique a fini de désorienter les masses qui cherchaient la voie de la révolution..
Il a manqué au Chili dans les années 1960 et 1970 un parti révolutionnaire, même réduit. Un parti qui dégage une avant-garde et éduque les masses contre les illusions du Front Populaire et empêche ainsi leur désarroi quand celui-ci s’est dressé ouvertement contre elles. Il a manqué un parti qui s’appuie sur les fondements de la Révolution Russe : la classe ouvrière s’organisant indépendamment du pouvoir bourgeois, des dirigeants traîtres des partis ouvriers et des syndicats et entraînant derrière elle les masses paysannes et petite-bourgeoises. Un parti qui, au bon moment, celui de l’ « Octobre chilien » par exemple, aurait proposé et se serait investi dans la centralisation des organes autonomes de la classe ouvrières (JAP, cordons industriels, commandos communaux) et qui aurait combattu pour l’unité de tous les travailleurs (syndiqués, non syndiqués, membres du PS et du PC….) et de leurs organisations pour un gouvernement ouvrier contre le gouvernement militarisé de coalition avec la bourgeoisie. Un parti qui aurait poussé à l’organisation militaire et à l’armement général du prolétariat (et non à l’organisation d’opérations armées minoritaires et marginales) de la classe ouvrière contre l’armée du capital. Un parti qui aurait permis à la classe ouvrière de se replier en bon ordre en cas d’insuffisante préparation et l’aurait conduite au combat dès que nécessaire.
La différence avec la révolution russe est bien sûr évidente. D’une classe ouvrière prête au combat, mobilisée, les dirigeants et soutiens de l’Unité populaire chilienne ont fait une classe impuissante qui a été désarmée et martyrisée, alors qu’en Russie le parti bolchevik a conduit la classe ouvrière au pouvoir. Car la différence est là : qui doit prendre le pouvoir ?
Le Groupe Marxiste Internationaliste se réclame du marxisme et de la Révolution Communiste. Il se bat pour construire ce parti sur les seules bases possibles : le marxisme révolutionnaire. Nous ne nous prétendons pas être le parti, nous appelons à le construire. Les grands mouvements qui sont annoncés par la crise capitaliste rebattrons les cartes et reposerons la question du parti révolutionnaire. C’est pour cela que nous vous appelons à nous rejoindre