35 ans de prison pour Bradley Manning, un avertissement à tous les ennemis du capitalisme impérialiste
Le 21 août 2013, un tribunal militaire américain a condamné le soldat Bradley Manning pour « espionnage, trahison de secrets, fraude informatique et vol » à une peine de prison de 35 ans. Le « crime » de cet analyste des informations militaires fut de rendre publiques des informations sur la nature criminelle de l’action militaire américaine contre l’Irak au nom de la « guerre contre le terrorisme » et sur les violations des droits de l’homme par les agents du gouvernement américain sur toute la planète. Initialement, le gouvernement des capitalistes américains et leur état-major entendait condamner Manning à mort sous l’accusation « d’aide à l’ennemi ». Mais les accusations étaient si absurdes et ont suscité tant d’indignation publique, de même que les conditions inhumaines de détention auxquelles il a été soumis, que même le juge militaire, la colonelle Denise Lind, a été contrainte d’en tenir compte.
Le 14 août, un Manning tremblant, presque en larmes, visiblement cassé, a présenté une auto-accusation humiliante devant le tribunal militaire de Fort Meade, tribunal antidémocratique et à huis clos, qui porte clairement les marques de la mise en scène d’un procès-spectacle.
Je regrette que mes actions aient blessé des gens, qu’elles aient blessé les États-Unis. Je comprenais ce que je faisais et les décisions que j’ai prises… Je regrette les conséquences de mes agissements. Quand je reconsidère mes décissions, je me demande comment j’ai bien pu penser que je pouvais changer le monde mieux que les autorités compétentes, alors que je n’étais qu’un analyste débutant ? Je sais que je peux et veux m’améliorer. J’espère que vous me donnerez l’opportunité de le prouver, non en paroles, mais en pratique, si je peux retrouver une place efficace dans la société.
Auparavant, Manning a passé trois ans en isolement carcéral, ses geôliers lui ont fait subir des journées d’interrogatoires, l’ont privé de sommeil, l’ont dénudé, l’ont dépouillé de ses lunettes, avec la claire intention de briser sa volonté.
La prétendue déclaration du Manning est en fait une mise en garde du gouvernement de la puissance impérialiste la plus forte à tous les opposants au système d’exploitation. 35 ans de prison pour le jeune Manning, qui ne pouvait plus supporter devant sa conscience d’être spectateur des crimes de son gouvernement impérialiste, 3 ans de prison pour les tortionnaires d’Abou Ghraib (comme Lynndie England) : le message de la justice de classe capitaliste est clair : sans l’assentiment de l’impérialisme, rien ne doit changer ; celui ou celle qui se dresse contre lui sera écrasé ; ceux qui torturent et assassinent au compte de l’impérialisme sont seulement punis pour la forme, pour éviter que le cynisme de la classe dominante éclate de façon trop évidente.
La traque d’Edward Snowden, qui a levé le voile sur une partie des activités de la DSA (qui espionne sur ordre d’Obama des dizaines de millions d’Américains), et l’intimidation des États qui étaient disposés à lui accorder le droit d’asile, le refus d’autorisation de survol pour l’avion du président bolivien Evo Morales par les gouvernements du Portugal, d’Espagne, de France et d’Italie ; le siège de Julian Assange à l’ambassade équatorienne à Londres depuis un an et les menaces policières et judiciaires de l’État britannique contre le Guardian, le journal qui a publié les révélations de Snowden, le harcèlement du journaliste brésilien Miranda, compagnon d »un journaliste du Guardian, à l’aéroport Heathrow de Londres, les menaces de mort de plus en plus ouvertes dans les grands médias américains contre les « traîtres », tout ces faits montrent que les gouvernements impérialistes, en particulier celui des États-Unis, crachent sur leurs « valeurs démocratiques » et que l’État policier est pour eux une option de plus en plus tentante pour exercer le pouvoir.
Entre eux, les « services de renseignement » se font les coups les plus tordus, mais ils ont toujours su s’entendre contre ceux qui combattent pour la liberté et l’égalité.
La dégradation de la démocratie aux mains de la bourgeoisie impérialiste
La bourgeoisie naissante, au temps où elle était rebelle, quand elle affrontait le féodalisme, la monarchie absolue et la religion d’État, proclamaient des valeurs universelles : la liberté et l’égalité. Pour s’imposer, elle n’hésitait pas à recourir à la violence, voire à la terreur. Il en fut ainsi lors des révolutions des Pays-Bas et de Grande-Bretagne au 17e siècle, aux États-Unis et en France au 18e siècle. Même à cette époque, quand elle était révolutionnaire, elle tendait à estomper l’universalisme au profit du patriotisme ; elle limitait les libertés et l’égalité par le respect de l’esclavage, du patriarcat et, par-dessus tout, de la propriété privée ; elle réprimait sauvagement les travailleurs et les peuples opprimés en lutte pour l’égalité et la liberté. Dans deux de ces pays, la bourgeoisie est allée jusqu’à restaurer la monarchie, qui est incompatible avec la démocratie et l’égalité.
Depuis le 19e siècle et l’apparition d’une nouvelle classe révolutionnaire, le prolétariat, qui la menace, la bourgeoisie renie sa propre histoire, exacerbe le chauvinisme, recourt à la religion, renforce son appareil répressif (armée, polices, justice, prisons, services secrets…).
La force publique se renforce à mesure que les contradictions de classe s’accentuent à l’intérieur de l’État et que les États limitrophes deviennent plus grands et plus peuplés… (Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1891)
Dans les États-Unis qui se parent de la démocratie depuis le 18e siècle, la bourgeoisie et son État ont profité des attentats de 2001 (conçu par un ancien agent de la CIA) pour laisser tomber le masque de la légalité. Avec la « loi pour unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » (USA Patriot Act), l’administration Bush a créé un dispositif juridique qui autorise les arrestations arbitraires, la mise au secret des suspects, le mouchardage sans contrôle, bref les instruments d’un État fort, d’un État militaro-policier. La prison de Guantánamo, une enclave coloniale sur le territoire de Cuba, séquestre, en violation du droit international, 170 prisonniers depuis 12 ans. Il est établi que la CIA a fait arrêter et torturer à l’étranger. En outre, par décision du président démocrate Obama, les services secrets américains peuvent exécuter légalement dans le monde entier des ennemis des « États-Unis », y compris des citoyens américains.
En Grande-Bretagne, le pays qui affiche les plus longues traditions démocratiques, l’État espionne pour son compte et héberge aussi des installations d’espionnage américaines. Le gouvernement du travailliste Tony Blair a développé en 2001 et 2005 les « lois de prévention du terrorisme » (Prevention of Terrorism Acts), adoptées en 1974 pour suspendre les droits fondamentaux au nom de la lutte contre les indépendantistes irlandais et contre ceux qui s’opposaient en Grande-Bretagne à l’occupation militaire en Irlande du Nord.
En France, le pays de la révolution bourgeoise la plus profonde, ce n’est que par des moyens inférieurs que les services secrets se distinguent de leurs collègues et rivaux américains. L’armée a utilisé systématiquement la torture contre les combattants vietnamiens et algériens, avant de l’enseigner aux armées bourgeoisies d’Amérique latine. Les unités spéciales de la gendarmerie et de la police contre le terrorisme ont déjà servi à exécuter des militants kanaks (GIGN, sur ordre du socialiste Mitterrand) et à réprimer des grévistes (GIGN contre des postiers, GIPN contre des marins).
En Allemagne, où la fin de l’absolutisme a été le sous-produit de la révolution prolétarienne de 1918-19, le gouvernement a réactivé la législation spéciale des années 1976-77. La police a visiblement protégé un groupe nazi qui assassinait depuis des années des Turcs.
La persécution des immigrés musulmans -ou passant pour tels- a été aggravée par tous les gouvernements. Au nom de la « lutte contre le terrorisme », les gouvernements impérialistes ont soutenu longtemps les dictatures de Moubarak, Ben Ali, Kadhafi, Saddam Hussein Al-Assad père et fils et soutiennent les monarchies absolues du Golfe. Au nom de la « lutte contre le terrorisme », l’impérialisme chinois réprime au Xinjiang, l’impérialisme russe a écrasé la Tchétchénie, les impérialismes occidentaux sont intervenus en Irak, en Libye, au Mali.
Un peuple qui en opprime un autre ne saurait s’émanciper, Le pouvoir qui sert à écraser l’autre peuple se tourne toujours contre lui-même. (Engels, Une proclamation polonaise, 17 juin 1874)
Dans tous les pays impérialistes, des mesures spéciales visent les citoyens musulmans. La tendance à restreindre les libertés démocratiques accompagne le déclin historique de la bourgeoisie.
La défense des lanceurs d’alerte et des libertés démocratiques est une responsabilité du mouvement ouvrier
Ni Edward Snowden, ni Bradley Manning, ni Julian Assange ne sont des militants du mouvement ouvrier, et encore moins des révolutionnaires. Pour les communistes internationalistes, leurs révélations n’étaient pas vraiment une surprise – sans connaître tous les détails, nous avons toujours insisté sur le caractère répressif de l’État capitaliste, mis en garde contre les illusions dans la légalité bourgeoise et dénoncé les machinations des services secrets et des polices politiques. Cette clairvoyance est le résultat de la théorie marxiste de l’État.
L’histoire du XIXe siècle et du XXe siècle nous a montré, même avant la guerre, ce qu’était la fameuse démocratie pure sous le régime capitaliste. Les marxistes ont toujours répété que plus la démocratie était développée, plus elle était pure, plus aussi devait être vive, acharnée et impitoyable la lutte des classes, et plus apparaissait purement le joug du capital et la dictature de la bourgeoisie. L’affaire Dreyfus de la France républicaine, les violences sanglantes des détachements soudoyés et armés par les capitalistes contre les grévistes dans la république libre et démocratique d’Amérique, ces faits et des milliers d’autres semblables découvrent cette vérité qu’essaye en vain de cacher la bourgeoisie, que c’est précisément dans les républiques les plus démocratiques que règnent en réalité la terreur et la dictature de la bourgeoisie, terreur et dictature qui apparaissent ouvertement chaque fois qu’il semble aux exploiteurs que le pouvoir du capital commence à être ébranlé. (1er congrès de l’IC, Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 4 mars 1919)
Quelles que soient les convictions politiques ou philosophiques de Manning, Snowden et Assange, le mouvement ouvrier doit exprimer sa solidarité avec tous ceux qui dévoilent les pressions, les manipulations, l’espionnage, les meurtres des États impérialistes, ainsi qu’avec les journalistes qui publient ces révélations sur les machinations de l’appareil d’État bourgeois.
Un des premiers actes du Conseil révolutionnaire des commissaires du peuple (Sovnarkom) en Russie en 1917 a été l’abolition de la diplomatie secrète et la divulgation de tous les documents du tsarisme, y compris les documents de l’Okhrana, la police politique. La censure, la suppression de l’information critique, la chasse aux anti-impérialistes visent toujours, dans le système capitaliste, le mouvement ouvrier, et spécialement l »avant-garde révolutionnaire, même si elle est officiellement dirigée contre les éléments « déloyaux » des forces armées ou de des services secrets.
Manning, Snowden et Assange sont haïs par tous les gouvernements impérialistes parce qu’ils ont présenté devant le grand public et donc les masses laborieuses des preuves irréfutables qu’aujourd’hui, comme toujours, les impérialistes espionnent et ont des mains sanglantes.
Contrairement à la petite bourgeoisie libérale, les travailleurs ne doivent pas avoir l’illusion que les lanceurs d’alerte comme Manning, Assange Snowden… peuvent rendre l’appareil militaire et d’espionnage plus transparent et démocratique. Malgré les affabulations des crétins réformistes qui présentent l’État comme neutre, les travailleurs ne doivent accorder aucune confiance à l’armée bourgeoise, à la police bourgeoise, à la justice bourgeoise, aux services secrets bourgeois.
Le prolétariat, en alliance avec les autres classes exploitées, doit briser l’appareil d’État bourgeois et doit le remplacer par son armement et ses propres instrument de pouvoir démocratique – la dictature du prolétariat,
La Commune de Paris ne fut pas une révolution pour transférer le pouvoir de l’État d’une fraction de la classe dirigeante à une ‘autre, mais une révolution pour briser cet horrible appareil de classe lui-même. (Marx, Premier essai de rédaction de La guerre civile en France, avril 1871)
Pour tous les travailleurs, les persécutions et les condamnations des lanceurs d’alerte, les restrictions aux libertés démocratiques sont autant de menaces et de dangers. Par conséquent, nous demandons que toutes les organisations de masse des travailleurs du monde entier exigent :
- La libération immédiate de Bradley Manning, la cessation de la persécution des lanceurs d’alerte,
- La restitution de Guantanamo à Cuba, la fermeture de toutes les bases américaines, britanniques, françaises et russes à l’étranger,
- L’arrêt immédiat de la persécution contre les militants et sympathisants de mouvements de libération nationale, de défense des travailleurs immigrés et des organisations ouvrières,
- La dissolution de tous les services de renseignement, l’examen et la publication de leurs fichiers et documents par des comités des organisations ouvrières, qui détruiront leur équipement d’espionnage, la confiscation de leurs fonds pour indemniser leurs victimes et leurs familles.
24 août 2013
Collectif révolution permanente