Où va le camarade Pablo ?

Marcel Bleibtreu

juin 1951

 

Préambule

La clarté dans la discussion naît de l’affirmation des thèses divergentes d’une part et de la polémique d’autre part ; les deux méthodes ne s’opposent pas mais sont étroitement complémentaires. Ne pas affirmer ses thèses, faire une guérilla d’amendements partiels lorsque les principes sont en jeu ou, pire encore, se limiter à la polémique sur les points faibles de la thèse adverse est le propre des tendances qui n’ont ni principes, ni conscience de leurs devoirs envers notre parti mondial de la révolution. Nous pensons quant à nous que la méthode qui a présidé à la discussion internationale sur les problèmes posés par les démocraties populaires, chaque thèse étant exposée complètement par divers camarades (nous parlons des camarades de la majorité qui s’affirma au IIe Congrès mondial contre les tendances révisionnistes qui se sont effondrées depuis après nous avoir combattu par des attaques de biais – prototype Haston), est la bonne méthode.

Nous pensons en particulier que les dix thèses de Germain, « Que faut-il modifier et que faut-il maintenir dans les thèses du IIe Congrès mondial sur la question du stalinisme ? » (nous disons bien les « Dix thèses » et non leur étrange avant-propos), représentent un document positif parfaitement opportun dans la discussion pour le congrès mondial et qui, par sa clarté, se dispense fort bien de polémique contre les points de vue exprimés à diverses reprises par Pablo : ainsi doit débuter une discussion saine. Mais pour qu’elle reste saine, il n’est pas permis de s’arrêter là. Les points litigieux doivent être mis en pleine lumière, ce que seule peut faire la polémique.

C’est le but de ce texte qui s’adresse à toute notre internationale, spécialement à tous nos camarades dirigeants de l’internationale, pour leur dire fraternellement et sans détour le danger que représente toute une série d’affirmations nouvelles pour le programme, l’action et l’existence même de notre internationale. Nous disons, attention, l’égratignure peut devenir plaie, puis gangrène. Nous ne prétendons pas à l’infaillibilité, nous ne pensons pas que nos thèses soient exemptes de nombreuses insuffisances, nous ne nous sentons pas le droit de faire la leçon à aucun de nos camarades, mais nous leur disons : « Alerte, notre navire est dérouté, il est urgent de faire le point et de rectifier le cap ».

Dans son texte « Où allons-nous ?», le camarade Pablo éclaire d’un jour cru les tendances révisionnistes incluses dans le projet de thèses du SI, mais masqué dans la résolution de compromis du 9e plénum.

Dès les premières lignes, la violence de ton de ce document surprend, d’autant plus que nous ignorons quels membres du CEI et du SI étaient pris à partie… en janvier 1951. Nous ne connaîtrons sans doute jamais le nom des destinataires, « ces gens qui désespèrent du sort de l’humanité », ni ceux qui ont écrit que « la pensée de l’internationale semble se disloquer », ni ceux qui « pleurent à chaudes larmes » (que Pablo veut croire sincères), ni ceux qui « rapetissent l’histoire à leur mesure », ni ces carriéristes du trotskysme « qui voudraient que le socialisme se réalise dans le délai de leur courte vie pour être récompensés de leurs efforts pour la révolution ».

La théorie des « blocs », et des « camps » fait son entrée dans l’internationale

« L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lutte des classes », lit-on dans cette vieillerie poussiéreuse qu’est le Manifeste communiste. Mais il faut marcher avec son temps et reconnaître franchement avec Pablo que « la réalité sociale objective pour notre mouvement est composée essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien ». Séchez vos larmes et écoutez : l’essence même de la réalité sociale est composée du régime capitaliste (!) et du monde (?) stalinien. Nous pensions que la réalité sociale était l’opposition des classes fondamentales : prolétaires et bourgeois.

Erreur, car désormais le régime capitaliste, qui précisément englobe ces deux classes, devient un tout qui s’oppose… au monde stalinien.

Le terme de monde est bien obscur, direz-vous ; mais il offre de grandes commodités et permet de classer les Etats et les groupes sociaux suivant le critère suprême : leur « nature » stalinienne ou non stalinienne. Ainsi l’Etat né de la troisième révolution chinoise (dont, rappelons-le, l’économie a gardé jusqu’à présent une structure capitaliste) est rangé par Pablo dans le monde stalinien. Nous reviendrons sur cette question. D’un autre côté, l’État ouvrier yougoslave (où l’économie est étatisée et planifiée en quasi-totalité) s’est exclu du monde stalinien et, comme il ne peut rester en dehors de la réalité sociale objective, il glisse insensiblement, objectivement dans le camp ennemi (avec armes, bagages et dictature du prolétariat !).

Pour dissiper toute équivoque quant à sa conception de l’histoire contemporaine, Pablo poursuit :

Du reste, qu’on le veuille ou non, ces deux éléments (le régime capitaliste et le monde stalinien) constituent la réalité sociale objective tout court, car l’écrasante majorité des forces opposées au capitalisme se trouve même actuellement dirigée ou influencée par la bureaucratie soviétique.

Ainsi le critère « social » tout court de Pablo apparaît bien être la nature politique (stalinienne ou non stalinienne) des Etats et des groupements humains. Il ne nous donne pas de précision au sujet de cette infime minorité restante qui n’est ni dirigée ni influencée par la bureaucratie. Admettons que c’est l’exception qui confirme la règle. Quelle est donc cette infime minorité de forces anticapitaliste bien que non staliniennes ? Nous ne pensons pas qu’il puisse s’agir des millions de prolétaires des USA, de l’Angleterre, du Canada, de l’Allemagne, etc., qui ne sont ni influencés ni dirigés par le stalinisme. Il faut donc conclure que les prolétariats des pays les plus avancés du monde ne constituent pas « des forces opposées au capitalisme ». Ils sont étiquetés, classés dans le tiroir « régime capitaliste ».

L’étiquette est plus difficile à mettre sur le mouvement d’émancipation des masses d’Afrique du Nord, d’Afrique noire, de Madagascar, des Indes, de Ceylan, d’Indonésie, mouvement qu’on ne peut considérer ni comme une minorité infime ni comme appartenant au monde stalinien.

Ainsi, bon gré mal gré, les classes, les Etats, les nations doivent entrer pêle-mêle dans l’un ou l’autre camp (régime capitaliste et monde stalinien) et, ajoute Pablo faisant sienne la thèse de Jdanov, le rapport des forces sociales internationales est, « pour schématiser, le rapport de forces entre deux blocs ». Ce que Pablo appelle schématiser, c’est en réalité tout confondre, tout embrouiller, arriver à un gâchis invraisemblable. On ne peut abandonner un instant la ligne de classe dans l’analyse des situations sans arriver à de tels « schémas », à de telles bouillies pour les chats. Quoi ? Le rapport de forces international est le rapport de forces entre les deux blocs. Nous voilà bien avancés. La réalité sociale contemporaine étant les deux blocs, le rapport des forces sociales est tout à naturellement… le rapport de forces entre les deux blocs ! Cette logique est irréprochable, car elle exprime une tautologie.

Vous interprétez mal ce que dit Pablo, nous dira-t-on ; il veut parler du rapport de forces international entre les classes qui, schématiquement, est le rapport entre les blocs. Mais que vient faire ici cette vieille idée de classes ? Où Pablo donne-t-il dans son texte une analyse tant soit peu sérieuse de la situation du prolétariat international ? S’il avait tenté de le faire, il ne serait certainement pas arrivé à cette étonnante idée de « blocs » ni à définir la force du prolétariat international par celle du fameux « monde stalinien ». De plus, il s’explique lui-même de façon parfaitement claire sur le rôle respectif de Staline et du prolétariat révolutionnaire à l’intérieur même du « monde stalinien ». Pour lui :

L’élan révolutionnaire des masses dressées contre l’impérialisme s’ajoute comme une force supplémentaire aux forces matérielles et techniques qui le combattent.

Voilà qui est en effet parfaitement clair : les forces de la révolution, ce sont celles du monde stalinien. Mais dans ce monde stalinien il y a les forces principales : ce sont les forces matérielles et techniques, l’industrie soviétique, les divisions de l’Armée rouge ; et il y a les forces supplémentaires, la garde territoriale en quelque sorte, qui viennent s’ajouter à ces forces techniques. L’élan révolutionnaire de quatre cents millions de travailleurs chinois, des Vietnamiens, des Coréens et de tous les travailleurs du « monde stalinien », c’est la garde territoriale du bastion socialiste dirigé par Staline.

Voilà à quelle conclusion il faut arriver nécessairement quand la conception petite-bourgeoise du « bloc » entre Etats se substitue à l’analyse de la réalité de classe mondiale (celle du prolétariat mondial face à la bourgeoisie impérialiste mondiale), à la seule réalité du monde actuel. Qu’on le veuille ou non, sur la base de cette conception, on ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de Jdanov dont la thèse repose sur le postulat suprême : la pierre de touche des révolutionnaires, c’est la fidélité à l’Union soviétique et à son chef Staline. La conception petite-bourgeoise des blocs aboutit nécessairement au choix entre Staline (avec ou sans réserve) et Truman (avec ou sans réserve). Le sens dans lequel se fait le choix dépend seulement de la pression dominante. En Europe centrale et occidentale, la petite bourgeoisie tend à pencher dans un sens « neutraliste », c’est-à-dire d’adaptation à la bureaucratie stalinienne qui lui semble parée du prestige de la force et de nombreuses « victoires » en Asie, dans le « glacis », etc., et dont les « forces matérielles et techniques » l’impressionnent par leur proximité.

Les marxistes avaient pris l’habitude de partir du critère de classe. C’est ce critère de classe qui a permis à Léon Trotsky et à la IVe Internationale de combattre le révisionnisme sur la question de l’URSS et de ranger l’État ouvrier dégénéré dans le camp du prolétariat international. Aujourd’hui, il nous faudrait renverser le marxisme, le remettre sur sa tête hégélienne, les pieds brandis vers le ciel de « la vie », de la « réalité sociale objective tout court » (la pire des abstractions en l’occurrence) et dans cette position incommode classer telle fraction de classe, tel Etat, telle force technique, dans l’un ou l’autre « bloc », régime capitaliste ou monde stalinien.

Ebauche de révision sur la nature de la bureaucratie

Nous trouvons développé sous la plume de Pablo l’idée d’une bureaucratie de l’URSS survivant à la révolution mondiale et dépérissant ensuite du fait du développement des forces productives. Nous lisons en effet que la bureaucratie de l’URSS disparaîtra de deux façons (contradictoires) :

  • par les contrecoups des victoires anticapitalistes dans le monde en URSS même, stimulant la résistance des masses à la bureaucratie… ;
  • par l’élimination à la longue des raisons objectives de la bureaucratie, de toute bureaucratie, au fur et à mesure que le régime capitaliste recule et qu’une partie toujours plus grande et économiquement plus importante lui échappe et s’organise selon une économie étatisée et planifiée favorisant l’essor des forces productives.

La thèse n° 2, celle de la disparition de la bureaucratie par le développement des forces productives, comporte en son sein autant d’erreurs que de mots :

  1. Elle établit un amalgame entre la bureaucratie de l’URSS et le bureaucratisme tel qu’il se manifestait en URSS par exemple du vivant de Lénine.
  2. Elle part de l’idée qu’un recul lent et progressif du régime capitaliste (« au fur et à mesure ») et de la lente addition de secteurs où s’instaure l’économie planifiée ; ceci est en flagrante contradiction avec la perspective d’une guerre qui sera la lutte finale entre les classes, d’une guerre qui décidera de l’existence du capitalisme mondial et qui exclut son grignotage à la longue.
  3. Pablo, qui considère par ailleurs la troisième guerre comme imminente, veut-il dire qu’au cours même de la guerre le développement des forces productives (qui seraient tournées entièrement vers l’effort de guerre au dépens de la consommation des masses) est susceptible de faire reculer les normes bourgeoises de répartition ? Où bien Pablo ne prend-il pas au sérieux l’idée que la troisième guerre mondiale sera une lutte finale, sa perspective admettant, à l’issue de cette guerre, une nouvelle situation d’équilibre entre les classes fondamentales avec coexistence d’Etats bourgeois moins nombreux et d’Etats ouvriers plus nombreux ?

En réalité, le défaut principal de cette thèse n° 2, c’est d’exister, car elle équivaut à admettre que la bureaucratie soviétique peut survivre à la victoire de la révolution mondiale sur impérialisme. Elle est en contradiction directe avec la thèse n° 1 (thèse trotskyste traditionnelle) qui est juxtaposée de manière éclectique à la thèse n° 2 (thèse Pablo).

Dans le projet de résolution présenté au 9e plénum, et dont nous avons noté la parenté avec les positions personnelles de Pablo, l’unique explication donnée à l’hostilité de la bureaucratie soviétique à la révolution mondiale était cette explication économiste vulgaire :

Elle [la bureaucratie] ne peut se rendre à l’impérialisme sans se perdre en tant que telle en URSS, elle ne peut pas s’appuyer d’autre part sur le prolétariat et sur l’extension de la révolution mondiale qui enlèverait, par l’organisation et le développement des forces productives dans le monde, les raisons objectives de l’existence et surtout [?] de l’omnipotence de toute bureaucratie.

L’idée est ici parfaitement claire et se substitue à l’idée trotskyste de l’incompatibilité de la bureaucratie non avec la planification et le développement des forces productives, mais avec l’action révolutionnaire des masses dont, disait Trotsky :

La première victoire révolutionnaire en Europe (1) fera aux masses soviétiques l’effet d’un choc électrique, les réveillera, relèvera leur esprit d’indépendance, ranimera les traditions de 1905 et de 1917, affaiblira les positions de la bureaucratie et n’aura pas moins d’importance pour la IVe Internationale que n’en a eu pour la IIIe Internationale la victoire de la révolution d’Octobre.

La bureaucratie n’a pas peur du développement des forces productives. Ce n’est pas volontairement qu’elle en freine le développement en URSS, mais par incapacité. Dans la mesure où son caractère même le lui permet, elle s’efforce d’y travailler. La faiblesse de ses résultats par rapport aux grandes possibilités de la planification en URSS et hors de I’URSS ne relève pas d’une crainte de disparaître par un accroissement du revenu effaçant l’inégalité sociale (2). Ce que craint la bureaucratie, ce n’est pas le développement des forces productives. Ce qu’elle craint, c’est l’éveil de la conscience des masses soviétiques au contact de la révolution dans d’autres pays.

Le principal danger de l’explication donnée par Pablo (même juxtaposée après discussion à une autre explication, correcte celle-là), c’est qu’elle a pour effet de masquer le caractère organiquement contre-révolutionnaire de la bureaucratie ouvrière de l’URSS. Cette bureaucratie n’est pas identifiable au bureaucratisme inhérent à toute société où règne la pénurie de près de trente années de dégénérescence de l’Etat ouvrier. Elle a politiquement exproprié totalement le prolétariat soviétique. Partout où elle peut agir bureaucratiquement ou en maintenant son contrôle bureaucratique sur les masses, la bureaucratie de l’URSS, contrairement à l’affirmation de Pablo s’efforce de développer les forces productives (en URSS et dans les territoires annexés ou satellites) afin de renforcer la base et le volume de ses propres privilèges. A l’opposé, son attitude de liquidation de la révolution commencée en 1936 en France, d’écrasement sanglant des cadres conscients de la révolution espagnole, de complicité avec Hitler pour lui laisser écraser dans le sang la Commune de Varsovie, sa politique de Yalta contre la révolution grecque, italienne, yougoslave, française, son blocus et ses pressions militaires contre l’Etat ouvrier yougoslave dans l’espoir de le livrer pieds et poings liés à l’impérialisme (au mépris des intérêts de la défense de l’URSS elle-même) exprime sans équivoque l’incompatibilité entre la bureaucratie soviétique et le développement de la révolution prolétarienne qui représente une menace immédiate et directe contre son existence avec d’autant plus d’acuité qu’elle ne se produit pas dans un pays économiquement moins arriéré.

Laisser entrouverte, si timidement que ce soit, l’hypothèse d’une survie de la bureaucratie thermidorienne de l’URSS à une troisième guerre mondiale, c’est réviser l’analyse trotskyste de la bureaucratie. C’est d’abord, comme nous l’avons vu, remettre en cause sa nature d’excroissance parasitaire du mouvement ouvrier vivant sur l’équilibre entre les classes fondamentales et, du même coup, ouvrir la porte à la négation de sa nature ouvrière (3). C’est ensuite surestimer la capacité des moyens techniques de l’URSS face aux moyens techniques de l’impérialisme. C’est troisièmement sous-estimer l’ampleur du mouvement révolutionnaire en Asie et dans le monde. C’est quatrièmement croire à la cohabitation pacifique de la bureaucratie en URSS avec la révolution victorieuse dans les pays avancés. C’est surtout – et là réside la véritable pensée de Pablo – admettre que la bureaucratie de l’URSS ne s’opposera pas à l’extension de la révolution et même qu’elle la stimulera. Pourtant, donnant la primauté aux « forces techniques et matérielles » sur la lutte révolutionnaire des masses, Pablo ne va pas aussi loin que la thèse de nos camarades de Lyon (4). Cet avantage apparent exprime une incompréhension totale du rôle prédominant de la lutte révolutionnaire des masses dans le déroulement et dans l’issue d’une troisième guerre mondiale.

L’infériorité très notable des moyens techniques dont dispose le prolétariat dans la configuration actuelle du monde, celle des « blocs » comme dit Pablo, se change en supériorité du prolétariat dans la mesure même de sa mobilisation révolutionnaire, de l’élévation de sa conscience de classe et de sa conscience socialiste, de ses victoires révolutionnaires contre l’impérialisme. Le rapport des forces militaires se déterminera politiquement. La bureaucratie thermidorienne de l’URSS jouera un rôle contre-révolutionnaire d’autant plus affirmé qu’elle verra se préciser la montée de la révolution et de la conscience socialiste des masses menaçant sa propre domination en URSS.

Dans sa lutte gigantesque pour briser la bourgeoisie impérialiste coalisée et ses énormes moyens matériels, la révolution liquidera dans sa marche la bureaucratie thermidorienne de l’URSS. Sinon la bureaucratie thermidorienne, freinant, sabotant, combattant militairement le mouvement révolutionnaire des masses, ouvrirait la voie à la victoire de la barbarie impérialiste et à sa propre disparition en tant que caste parasitaire de l’Etat ouvrier dégénéré.

Toutes les expériences depuis 1933 ont montré de plus en plus clairement le rôle de la bureaucratie de l’URSS et expriment tout simplement le caractère double de la bureaucratie ouvrière et contre-révolutionnaire, sa nature fondamentalement contradictoire et son impasse. Cette bureaucratie ne survivra pas à la troisième guerre mondiale, guerre entre les classes, guerre dont l’issue ne peut être que la révolution mondiale ou, à son défaut, la victoire de l’impérialisme liquidant toutes les conquêtes ouvrières en URSS et dans le monde.

De « l’idéologie stalinienne » à la nouvelle « classe bureaucratique »

Les tendances à la révision de la conception trotskyste de la bureaucratie soviétique se sont maintes fois exprimées dans le passé, par la croyance à une idéologie propre au stalinisme. Cette croyance, Pablo semble aujourd’hui la partager lorsqu’il nous parle de « codirection du mouvement stalinien international » par la Chine et le Kremlin.

La Chine, écrit-il, ne pourra pas jouer le rôle d’un simple satellite du Kremlin, mais plutôt d’un partenaire qui impose à la bureaucratie soviétique la codirection du mouvement stalinien international ; que cette codirection est cependant un élément désagrégateur du stalinisme… (Où allons-nous ?)

Que signifie cette « codirection » russo-chinoise du mouvement stalinien international ? Il y a donc un stalinisme chinois à côté du stalinisme russe ? Quelles sont les bases sociales de ce stalinisme chinois ? Quelle en est donc l’idéologie ? Existe-t-il une idéologie stalinienne ? A toutes ces questions, nous répondons négativement.

La bureaucratie de l’URSS n’a jamais pu ni même tenté de définir une nouvelle idéologie, contrairement à ce que fait toute formation sociale historiquement nécessaire, toute classe. Parler du stalinisme d’un parti communiste, ce n’est pas parler d’une théorie, d’un programme d’ensemble, de conceptions définies et durables, mais seulement de la subordination de sa direction aux impératifs de la bureaucratie du Kremlin. Telle est la conception trotskyste, et le « stalinisme » du mouvement stalinien international se définit par la subordination de ce mouvement à la bureaucratie de l’URSS.

La bureaucratie staliniste non seulement n’a rien de commun avec le marxisme, elle est encore étrangère à quelque programme, doctrine ou système que ce soit. Son idéologie est imprégnée d’un subjectivisme absolument policier, sa pratique d’un empirisme de pure violence. Par le fond même de ses intérêts, la caste des usurpateurs est hostile â la théorie : ni à elle-même, ni à autrui, elle ne peut rendre compte de son rôle social. Saline révise Marx et Lénine non par la plume des théoriciens, mais avec les bottes de la GPU. (Léon Trotsky, Bolchevisme et stalinisme, 1937)

Y aurait-il possibilité d’une codirection stalinienne, d’une double subordination dont l’un des termes serait… la révolution chinoise en plein essor ? Une idéologie stalinienne amendée serait-elle même née au cours de la révolution ?

Mais, ajoute Pablo, cette codirection est un élément désagrégateur du stalinisme. Cette précision introduit une nouvelle confusion. Nous devons dire au contraire que l’élément désagrégateur du « mouvement stalinien international » en tant que tel, c’est la révolution chinoise, et que cette fameuse codirection, loin d’être un élément désagrégateur, exprime un compromis tout â fait temporaire entre la bureaucratie contre-révolutionnaire de l’URSS et sa négation, la révolution chinoise. Ce compromis traduit le retard de la conscience sur la réalité et plus spécialement la lenteur avec laquelle la Chine s’engage dans la réalisation des taches de la révolution permanente. Nous reviendrons sur cette question.

L’idée de la codirection manifeste une grande incompréhension du caractère irréductible de l’opposition entre la bureaucratie soviétique et la révolution en mouvement. A plusieurs reprises il nous est parlé de « victoires » du stalinisme ou de « pseudo-victoires » du stalinisme pour désigner le développement de la révolution en Chine, en Asie ou ailleurs.

Pour le camarade Pablo, l’enseignement le plus important de la révolution yougoslave et de la révolution chinoise, c’est qu’il ne faut pas les confondre avec une « victoire pure et simple [?] de la bureaucratie soviétique » ! Pour nous, l’enseignement est que le développement de la révolution est une défaite et une menace de mort pour la bureaucratie qui n’apprécie pas « la révolution sous toutes ses formes » avec les mêmes lunettes que le camarade Pablo. Lorsque ce camarade ajoute que « l’évolution de la Chine peut s’avérer différente de celle de la bureaucratie soviétique », nous arrivons au comble de la confusion. Nous serions curieux que l’on nous explique dans quelle conjoncture, dans quelle année, dans quelle planète, l’évolution de la Chine peut s’avérer seulement comparable à celle de la bureaucratie soviétique.

Cette notion n’est admissible que si nous acceptons au préalable la thèse burnhamienne de rapide constitution (ou, mieux, d’une préexistence) d’une bureaucratie de type russe dans le cours même d’une révolution. Une telle bureaucratie aurait alors non seulement une idéologie valable internationalement, mais nous devrions lui reconnaître un rôle historiquement progressif. Tout nous porte à affirmer au contraire que le devenir d’une révolution, même isolée, s’avérera nécessairement différent et distinct de celui de l’URSS même si du fait de son isolement et de sa faiblesse cette révolution devait dégénérer. Trotsky a clairement démontré, contre les révisionnistes, le caractère historiquement spécifique de la dégénérescence de l’URSS.

Les siècles de transition

Devons-nous réviser, sur ce point également, l’opinion de Trotsky ? Les normes de la dictature du prolétariat, du dépérissement de l’Etat sont-elles périmées, condamnées par la « vie » et par l’expérience ? L’Etat ouvrier en URSS est-il vraiment un Etat ouvrier dégénéré (Etat ouvrier contre-révolutionnaire, dit Trotsky (5)) ou, au contraire, le prototype de ce que sera la transition entre le capitalisme et le socialisme après la victoire de la révolution mondiale ?

Bien qu’il ne tranche pas nettement ni dans un sens ni dans l’autre et que ses affirmations soient sur ce point très contradictoires, le camarade Pablo semble incliner vers la seconde réponse. Aux gens-qui-désespèrent-du-sort-de-l’humanité, il répond que la société transitoire entre le capitalisme et le socialisme durera plusieurs siècles, deux à trois siècles précise-t-il oralement (6).

Cette transformation occupera une période historique de quelques siècles et qui sera remplie entre-temps par des formes et des régimes transitoires entre le capitalisme et le socialisme nécessairement éloignées des formes pures et des normes.

Nous sommes sans hésitation avec quiconque combat l’utopie puriste subordonnant la réalité à des normes pour rejeter la réalité. Mais nous ne voyons pas le sens de ce combat, n’ayant connaissance d’aucune expression de ce « purisme » au sein de la majorité internationale issue du IIe Congrès mondial. Ce que nous voyons, en revanche, c’est que la dégénérescence bureaucratique de l’URSS devient la nouvelle norme, c’est que Pablo construit à partir d’elle une nouvelle utopie, c’est que la société de transition (quelques siècles…) prend un caractère tel que la bureaucratie de type soviétique (confondue avec tout bureaucratisme inhérent à un bas niveau de développement des forces productives et de la culture) devient un mal historiquement nécessaire, c’est-à-dire une classe.

Ce que nous voyons, c’est que la caste bureaucratique de l’URSS que nous considérions comme le produit spécifique de vingt-cinq années de dégénérescence du premier Etat ouvrier ne serait que la préfiguration de la « caste » appelée à diriger le monde pendant deux ou trois siècles. Alors, au diable « la caste », il s’agit bel et bien d’une classe non prévue par Marx, Engels, Lénine, Trotsky. En gens réalistes, reprenons Trotsky et son oeuvre depuis Cours nouveau, car elle pullule d’erreurs et d’incompréhension sur le rôle historiquement progressif de la bureaucratie en URSS. Son explication de la formation de la bureaucratie en URSS est viciée à la base par des normes vieillottes, utopiques, désuètes, démenties par la réalité. Son attachement à ces normes l’a poussé à considérer l’évolution de l’URSS comme une infraction particulière, exceptionnelle, spécifique.

Dans la dégénérescence bureaucratique de l’Etat soviétique, ce ne sont pas les lois générales de la société contemporaine dans son passage du capitalisme au socialisme qui trouvent leur expression, mais une infraction particulière, exceptionnelle et temporaire à ces lois en présence de l’état arriéré d’un pays révolutionnaire et de l’encerclement capitaliste. (Léon Trotsky, l’URSS dans la guerre)

Ce qu’il a appelé dégénérescence est en réalité le processus qui doit commencer après la victoire de la révolution mondiale pour durer deux ou trois siècles. Il s’est placé du mauvais côté de la barricade lorsqu’il écrivait :

Les plus clairvoyants des « amis de l’URSS » se consolent en disant qu’une certaine dégénérescence était inévitable. Soit ! La résistance au mal ne l’est pas moins. La nécessité a deux bouts : celui de la réaction et celui du progrès. L’histoire nous apprend que les hommes et les partis qui la sollicitent en des sens contraires finissent par se trouver des deux côtes de la barricade. (Léon Trotsky, la Révolution trahie, p. 45)

Il n’a pas prévu que la bureaucratie soviétique est appelée dans la troisième guerre mondiale à accomplir la fonction de fossoyeur de l’impérialisme mondial, à faire une révolution anticapitaliste internationale ou pour le moins y coopérer. De cela, ni Trotsky ni la IVe Internationale – ce tragique malentendu historique – n’avaient pris conscience jusqu’à ce jour.

Lueurs sur une formulation incorrecte

Lorsque nous lisons dans la résolution du IXe Plénum la définition suivante de la défense de l’URSS :

La défense de l’URSS constitue la ligne stratégique de la IVe Internationale, et ses applications tactiques restent, comme par le passé, subordonnées au libre développement du mouvement des masses, contre toute tentative de la bureaucratie soviétique, de l’armée russe et des directions staliniennes, de l’étouffer et de la briser,

nous sommes tentés de n’y voir qu’une formulation incorrecte. Mais nous serions aveugles si nous en restions là après avoir étudié le document dans lequel le secrétaire de l’internationale, exposant plus complètement sa perspective, la fait découler de la division du monde en régime capitaliste et monde stalinien, division considérée comme essence de la réalité sociale de notre époque.

Si nous adoptions cette optique révisionniste, il nous apparaîtrait nécessaire d’aller beaucoup plus loin, de poursuivre le raisonnement jusqu’au bout et de subordonner les applications tactiques à la ligne stratégique. C’est précisément cette attitude principielle, cette subordination constante de la tactique à la stratégie, qui distingue le marxisme de l’opportunisme de tout poil.

Pablo ne peut en rester là, assis entre deux chaises. Il doit accorder la tactique non seulement avec la stratégie mais avec l’analyse sociale (son analyse) du monde « actuel ». Si au contraire nous restons fidèles à l’analyse de la société donnée par Marx Lénine et Trotsky et à leurs méthodes d’analyse, si nous refusons d’abandonner le terrain solide sur lequel reposent les fondements de notre internationale pour le marécage mouvant de la révision notre IIIe Congrès mondial doit revenir à la définition trotskyste de la défense de l’URSS. La défense de l’URSS pour Trotsky ne constitue pas « la ligne stratégique ». La ligne stratégique de la IVe Internationale, c’est la révolution mondiale. La défense de l’URSS contre l’impérialisme, comme la défense de tout Etat ouvrier, est une des tâches de cette stratégie, tâche qui se subordonne entièrement à la perspective de la révolution mondiale, à la stratégie de mobilisation révolutionnaire des masses. La défense de l’URSS, pas plus que celle de la Yougoslavie, ou de quelque Etat ouvrier que ce soit, ne peut tenir lieu de ligne stratégique au parti mondial de la révolution.

En ceci réside la différence entre le trotskysme et les variétés titiste ou stalinienne du centrisme.

Dans la discussion actuelle, aucune équivoque ne doit subsister. Les formulations incorrectes sur de telles questions sont de véritables erreurs de doctrine. Aucun document de l’internationale ne peut aujourd’hui se permettre la moindre imprécision dans la définition de la défense de l’URSS et de sa place dans notre stratégie. La défense de l’URSS et de tous les Etats ouvriers constitue une tâche de la IVe Internationale, tâche qui en tant que telle et dans toute ses applications tactiques se subordonne entièrement à la stratégie de lutte pour la révolution mondiale, au libre développement des masses, etc. (7).

Pablo cède des points à Martinet

Une des expressions les plus achevées de cette idée que la défense de l’URSS (ou du « monde stalinien ») doit être la ligne stratégique est donnée par Gilles Martinet. Ce Martinet est en fait le porte-parole de toute l’intelligentsia stalinienne en France. Sa position fut justement caractérisée par le IIe Congrès mondial comme l’homologue stalinien du révisionnisme burnhamien.

La manifestation pro-stalinienne – produit de la pression stalinienne en France – achevée de ce révisionnisme a été donnée par Bettelheim, Martinet et Cie, dans la Revue internationale. Appliquant eux aussi les conceptions précitées à la situation mondiale actuelle, ils arrivent aux conclusions suivantes :

a) de par son manque d’homogénéité et de culture technique, la classe ouvrière passe fatalement après sa prise du pouvoir par une étape de différenciation et d’inégalité sociale. Le progrès historique est assuré par les couches privilégiées du prolétariat (la bureaucratie). L’Etat a comme fonction de défendre ses privilèges ;

b) à l’époque impérialiste décadente, le prolétariat cesse de se développer intellectuellement et numériquement, mais recule, voit sa force diminuer et sa structure sociale se pourrir. L’échec des révolutions prolétariennes « classiques » de 1918-1923 est définitif. La stratégie léniniste de la révolution prolétarienne a fait son temps. Il ne reste à l’humanité, devant cette incapacité du prolétariat à remplir sa mission historique, d’autre voie de progrès qu’une tentative de « participer » à l’étatisation des moyens de production par la bureaucratie soviétique sur une échelle de plus en plus large et d’élaborer un nouveau programme minimum pour atténuer le caractère violent de ce processus…

Ces tendances révisionnistes achevées n’ont plus de place dans le mouvement révolutionnaire. Certains de leurs traits apparaissent à la base des conceptions erronées sur la question de l’URSS, qui se sont manifestées dans nos propres rangs. Ce qui importe, c’est d’abord de déceler la logique interne de ce début de révisionnisme et de rendre ses partisans conscients de ses conséquences dangereuses sur le plan de l’ensemble du marxisme. (Résolution du IIe Congrès mondial)

Jetant par-dessus bord cette analyse, Pablo déclare dans « Où allons-nous ?» :

La différence fondamentale [!] entre nous et certains néo-apologistes du stalinisme, genre Gilles Martinet en France, ne réside pas dans le fait qu’il y a effectivement des causes objectives imposant des formes de transition considérablement éloignées des normes esquissées par les classiques du marxisme avant la Révolution russe, de la société et du pouvoir qui succèdent au capitalisme. Elle réside dans le fait que ces néostaliniens présentent la politique du stalinisme comme l’expression du marxisme conséquent, réaliste, qui consciemment, en toute connaissance de cause, poursuit un cours d’acheminement vers le socialisme en tenant compte des exigences de la situation.

Notons d’abord que, contrairement à l’idée que Pablo développe plus loin, Martinet ne nie pas la bureaucratie soviétique, mais il la considère comme un mal nécessaire à qui incombe de facto la tâche de détruire l’impérialisme et qui sera dépassé historiquement par le développement des forces productives. Plus que ses appréciations sur le « marxisme » de Staline, sa servilité en face du fait accompli, sa tendance à généraliser, à partir de la dégénérescence du premier Etat ouvrier, pour transformer un fait historique spécifique en nécessité historique générale, font de Martinet le théoricien le plus habile de la contre-révolution thermidorienne. A lui s’applique intégralement la définition donnée par Trotsky dans Après Munich :

Seul le renversement de la clique bonapartiste du Kremlin rendra possible la régénération de la force militaire de l’URSS. Seule la liquidation de l’ex-Komintern ouvrira la voie à l’internationalisme révolutionnaire. La lutte contre la guerre, l’impérialisme et le fascisme impose une lutte contre le stalinisme couvert de crimes. Qui le défend directement ou indirectement, qui se tait sur ses trahisons ou exagère sa puissance militaire, celui-là est le pire ennemi de la révolution, du socialisme et des peuples opprimés. Plus tôt la clique du Kremlin sera renversée par l’offensive armée des ouvriers, plus grandes seront les chances de la régénération socialiste de l’URSS, plus proche et plus large sera la perspective de révolution internationale.

Tel est le langage que nous attendions du secrétaire de la IVe Internationale à l’égard de cette aile de la bourgeoisie qui capitule devant le stalinisme et ses prétendues « victoires ». Au lieu de cela, nous devons absorber une délimitation ambiguë (une absence de délimitation) basée sur une mauvaise querelle à propos des mérites de Staline comme théoricien.

L’erreur des camarades chinois corrigée par une autre erreur

Il serait vain de nier que l’erreur des trotskystes chinois pèse d’un poids très lourd sur l’actuelle discussion. Non seulement elle explique en partie l’orientation présente de Pablo, mais encore le camarade Pablo en fait ouvertement argument pour défendre sa thèse et dans l’espoir d’en accabler ses adversaires.

Nous n’en sommes pas accablés, et pour une série de raisons, entres autres celles-ci :

  1. Au cours du mois d’avril 1950, un de nous, le camarade Bleibtreu, fit une conférence publique au Cercle Lénine, à laquelle assistaient des camarades vietnamiens, cingalais et français, sur les problèmes de la révolution chinoise. Il concluait d’une analyse de la révolution chinoise et du PC chinois à la nécessité pour les trotskistes d’entrer dans le Parti communiste chinois, d’y constituer l’aile marxiste conséquente, capable de résoudre théoriquement et pratiquement les tâches de la révolution permanente. Cela lui valut d’ailleurs d’être énergiquement contredit par un des membres du SI.
  2. Le comité central du PCI, réuni le 2 décembre 1950, vota une résolution demandant au SI de prendre position sur les évènements de Chine et sur les erreurs des camarades chinois. Nous n’avons jusqu’à présent pas eu de réponse du SI, ni du CEI. Nous espérons que ce document verra le jour avant le congrès mondial car il représenterait un élément essentiel de clarification.

Nous en sommes réduits, face à ce silence persistant, à prendre l’initiative d’une discussion que la direction internationale aurait dû engager.

En quoi consiste l’erreur en Chine ?

Pour le camarade Pablo, cette erreur aurait commencé « au lendemain de la victoire de Mao-Tsé-Tung ». A notre avis, elle bien antérieure à cette victoire.

En Chine, s’est développée, depuis 1946, une révolution dans laquelle les trotskystes devaient s’intégrer. Abandonnés par Staline, dont ils avaient repoussé les bons offices en vue de constituer un gouvernement de front national avec Tchang, encerclés du fait de la livraison de la Mandchourie à Tchang par l’Armée rouge, les dirigeants chinois durent faire face à la plus puissante offensive que les troupes blanches aient jamais lancée contre la VIIe Armée. La seule issue qui leur restait ouverte (comme aux dirigeants du Parti communiste yougoslave en 1942-1943), c’était la mobilisation révolutionnaire des masses. Rejetant leur cours stalinien des années précédentes, ils adoptèrent un programme limité de réforme agraire dont les masses s’emparèrent avec un immense enthousiasme. Partout surgirent des comités paysans de masse, partout surgirent des partisans qui s’organisaient pour défendre la réforme agraire et la porter plus loin, pour écraser Tchang, mandataire des propriétaires. L’avance de l’armée de Mao fut avant tout la levée en masse révolutionnaire de la paysannerie et l’effondrement parallèle de l’armée paysanne de Tchang, contaminée par la révolution et assoiffée de terre. Le PC lui-même en fut modifié dans sa composition sociale. Les lettrés, fils de paysans aisés, qui constituaient l’essentiel de ses cadres jusqu’alors et dont certains tentèrent de s’opposer à l’explosion de violence élémentaire déclenchée par le tournant de leur parti, furent submergés par un afflux de nouveaux militants forgés dans le feu même de la révolution.

Ainsi :

  1. l’acte de naissance de la révolution chinoise fut le commencement de la fin du « stalinisme » du PC chinois, « stalinisme » qui ne fut jamais très solide, à quelque moment que ce soit de l’histoire de ce parti. Outre les documents publiés par IVe Internationale, la lecture des œuvres de Mao-Tsé-Tung (où chaque page contient une attaque plus ou moins voilée contre Staline) est très édifiante à cet égard ;
  2. le PCC, cessant de se subordonner aux directives du Kremlin, devient dépendant des masses et de leur action ;
  3. sa composition sociale même fut modifiée ;
  4. le PCC cessait d’être un parti stalinien pour devenir un parti centriste avançant avec la révolution. Ceci ne veut pas dire que le PCC devenait ipso facto un parti révolutionnaire. Il gardait de son passé une série de conceptions fausses, bureaucratiques, qui se traduisaient dans ses actes : par le caractère timoré de la réforme agraire ; par sa limitation à la Chine du Nord ; par un effort conscient du PCC en vue de maintenir le prolétariat des villes hors du cours de la révolution.

Ceci s’explique parfaitement par la différence de nature entre les aspirations et les formes d’action du prolétariat et de la paysannerie. La paysannerie aspire à des réformes démocratiques bourgeoises et se mobilise spontanément sous forme d’armée de partisans. Le prolétariat a des aspirations socialistes et sa mobilisation révolutionnaire crée les organes du pouvoir prolétarien qui les unes et les autres entrent d’emblée en contradiction avec la bureaucratie stalinienne.

La dialectique des faits sociaux a partiellement reculé déjà certaines barrières et il y a des raisons d’espérer que ce cours s’approfondira. Quoiqu’il en soit, il est absurde de parler de parti stalinien en Chine, et plus absurde encore de laisser croire même à une apparence de « victoire du stalinisme en Chine ».

La guerre de Corée offre momentanément à Staline des moyens de ralentir la progression de la révolution chinoise dans la solution des tâches de la révolution permanente et de rétablir un contrôle partiel sur le PCC. Ainsi s’explique la politique de Staline de « non-intervention » dans la période où la marche victorieuse des armées coréennes pouvait, avec un appui minime, rejeter les impérialistes à la mer. Ainsi s’explique le caractère parcimonieux de son aide actuelle, et sa crainte d’une solution, surtout d’une solution en faveur de la révolution coréenne. Mais, en définitive, la réalité de classe sera plus forte que l’appareil du Kremlin et que ses manœuvres.

L’erreur des deux groupes chinois, c’est précisément de ne pas avoir saisi la réalité sociale. C’est d’avoir identifié la révolution avec le stalinisme, d’avoir identifié le stalinisme avec sa négation. Les camarades chinois ont tourné le dos au mouvement révolutionnaire des masses, se repliant devant sa marche, pour se retrouver finalement à Hong-Kong (8).

Ce n’est pas une incompréhension du stalinisme qu’il faut avant tout leur reprocher, mais une incompréhension différente et beaucoup plus grave. Ils n’ont pas reconnu le visage de la révolution. Ils ont vu dans l’avance des armées révolutionnaires de Mao une marche en avant du stalinisme. Ils n’ont pas compris que, ce qui est fondamental, c’est l’action des classes et non les appareils qui font l’histoire et que, lorsqu’elle commence, l’action des masses est plus forte que tous les plus forts appareils.

A beaucoup d’égard, le camarade Pablo renouvelle l’erreur d’analyse des camarades chinois, même s’il en tire des conclusions opposées et tout aussi néfastes. Même erreur sur la nature de la révolution chinoise qu’il considère comme une victoire, pas une « victoire pure et simple », mais une victoire quand même du stalinisme. Erreur qui découle de l’idée erronée de monde stalinien et qui s’exprime dans celle de codirection russo-chinoise du mouvement stalinien international.

Mêmes critères erronés concernant la nature « staliniste » d’un parti communiste. La nature staliniste d’un PC, c’est sa dépendance directe et totale à l’égard des intérêts, de la politique du Kremlin. Un refus de la part du PC chinois d’accepter l’existence légale d’une tendance trotskyste dans ses rangs ou en dehors de ses rangs, la répression même contre cette tendance ne serait nullement un critère qui « démontrerait son caractère bureaucratique et stalinien » (Pablo), mais seulement son incompréhension de la révolution permanente, incompréhension qui n’a rien de spécifiquement stalinien. De telles absurdités nous ont souvent été servies pour « prouver » le caractère « stalinien » du PC yougoslave, que des idéalistes petits-bourgeois n’hésitent pas à définir comme le stalinisme sans Staline !

Même incompréhension des rapports entre masses, PC et bureaucratie du Kremlin : Pablo met un signe égal entre la double nature des PC et la double nature de la bureaucratie soviétique.

Nous ne nions pas en général que deux égalent deux, mais l’addition de deux erreurs (par exemple celle du camarade Pablo et celle des camarades chinois) n’est pas égale à l’addition de deux affirmations correctes (celle par exemple de la thèse de notre comité central avec les dix thèses du camarade Germain). Il n’est pas toujours vrai que deux égalent deux.

La nature double de la bureaucratie soviétique est le reflet et le produit des contradictions de la société soviétique. Elle s’exprime par le bonapartisme du stalinisme face aux forces sociales à l’intérieur de l’URSS et à l’échelle mondiale. La politique de la bureaucratie n’est pas double, mais une à travers ses variations : c’est une politique de bascule entre les classes fondamentales.

La nature double des PC a une tout autre signification et exprime une contradiction différente pour la raison qu’il n’existe pas internationalement de bureaucratie parasitaire du type soviétique. La dualité, la contradiction d’un PC, c’est qu’il est ouvrier par sa base (base nécessaire au jeu de bascule du Kremlin) et stalinien par sa politique et par sa direction (direction sélectionnée par en haut en fonction de sa soumission totale aux exigences du Kremlin).

Ce qui définit comme stalinien un parti ouvrier par opposition à un parti révolutionnaire ou à un parti social-démocrate (liens avec la bourgeoisie), ou à un parti centriste quelconque, ce qui définit totalement le stalinisme d’un parti ouvrier, ce n’est ni une idéologie stalinienne (qui n’existe pas) ni des méthodes bureaucratiques (qui existent dans toute sorte de partis) mais en subordination mécanique et totale au Kremlin.

Lorsque, pour une raison ou une autre, cette subordination cesse d’exister, ce parti cesse d’être stalinien et exprime des intérêts autres que ceux de la caste bureaucratique de l’URSS. C’est ce qui s’est produit, du fait de l’action révolutionnaire des masses, en Yougoslavie, bien avant la rupture, et que la rupture n’a fait qu’officialiser. C’est ce qui s’est déjà produit en Chine et qui se manifestera inévitablement par la rupture quel que soit le cours que prendra la révolution chinoise.

L’éventualité d’une rupture ou d’une différenciation progressive du PC chinois, éventualité qui découle d’une appréciation correcte de la nature des PC (appréciation que nous avons précisée au IVe congrès de notre parti – 1947 -, qui fut développée par le IIe Congrès mondial, puis à la lumière de l’expérience yougoslave) serait de nature à stimuler considérablement la lutte révolutionnaire en Asie, en Europe et en Afrique, à faciliter des victoires révolutionnaires dans une série de pays, à diminuer considérablement la capacité de résistance et de riposte de l’impérialisme, à élever la conscience et la combativité des ouvriers dans les pays industriellement avancés en même temps qu’elle modifierait de façon favorable le rapport de forces à l’intérieur du mouvement ouvrier, rendant celui-ci plus perméable au programme révolutionnaire et de ce fait infiniment plus efficace dans la lutte de classes. L’affirmation par le PCC de son indépendance à l’égard du Kremlin et sa marche en avant dans l’accomplissement des tâches de la révolution permanente en Chine et internationalement sont l’évènement qui se produira probablement avant que l’impérialisme ne puisse s’engager dans une guerre mondiale.

C’est dans cette perspective – avec les masses chinoises, avec le PC chinois, contre Staline – que doit être redressée l’action de nos camarades chinois. C’est dans la perspective plus large de l’indépendance du mouvement ouvrier et de son avant-garde communiste à l’égard de la politique du Kremlin que doit travailler l’internationale, dans tous les pays où le parti stalinien a une large base ouvrière.

A propos de nos tâches

Jamais la IVe Internationale n’a connu dans le passé de telles possibilités de s’inscrire comme direction dans la lutte révolutionnaire des masses. Jamais elle n’a eu, ce qui est corollaire de la montée révolutionnaire dans le monde, autant de possibilités d’avoir l’oreille des ouvriers communistes organisés dans les partis staliniens. Jamais dans le passé, et ceci est fonction du développement même de la montée révolutionnaire dans le monde, nous n’avons assisté à une crise aussi profonde du stalinisme dans le monde.

Malgré ce qu’ils considèrent comme des « victoires » de Staline, comme les preuves de « son efficacité révolutionnaire », les ouvriers communistes les plus conscients n’acceptent pas l’idée répandue par leurs dirigeants que le socialisme sera instauré par l’Armée rouge. Ils cherchent la voie d’une action de classe, celle de l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Cette préoccupation qui est la leur touche en réalité à un aspect fondamental de la révolution prolétarienne, aspect qui domine l’œuvre de Marx et celle de Lénine. A savoir que, l’essentiel de la révolution prolétarienne, ce n’est pas telle ou telle mesure économique, mais la prise de conscience, la mobilisation moléculaire, la constitution en classe consciente, agissante et dominante du prolétariat. L’exemple du « glacis » d’une part et, à l’inverse, de la révolution en Russie (9), et partiellement en Yougoslavie, d’autre part, confirment avec éclat cette idée de Marx et de Lénine. Il ne s’agit pas là de norme à priori, il s’agit de l’essence même de la révolution prolétarienne : la classe ouvrière prenant conscience d’elle-même et s’érigeant en classe dominante, non seulement pour la prise du pouvoir, mais aussi et surtout pour l’exercice de la dictature du prolétariat et la construction du socialisme, construction qui n’est pas un phénomène mécanique (à l’inverse du développement capitaliste), mais qui nécessite l’intervention du prolétariat comme classe consciente (10). Ceci est l’ABC. Ceci est confirmé à cent pour cent par l’expérience de l’URSS (stagnation relative intérieure et politique contre-révolutionnaire à l’échelle mondiale), par l’expérience de la Yougoslavie, par l’expérience de la Chine et de manière négative par les pays du « glacis ».

Pas un ouvrier communiste sérieux ne reproche à Staline d’avoir peur de la guerre mondiale, de se refuser à déclarer la guerre-révolution ou la révolution-guerre. Ce que les meilleurs d’entre eux lui reprochent, c’est au contraire de subordonner la lutte des classes dans les différents pays aux besoins diplomatiques et militaires de l’URSS, de subordonner la ligne stratégique de révolution prolétarienne à l’une de ses tâches, la défense de l’un des Etats ouvriers.

En France, la crise du stalinisme, qui vient de se manifester par une rupture dans le prolétariat des mines, s’alimente de façon permanente dans la constatation du caractère inefficace du PCF pour la révolution : inefficacité de sa politique de front national, de construction de la « démocratie nouvelle » (politique de Yalta) ; inefficacité de sa politique d’opposition et de sa direction dans les grandes luttes de la classe ouvrière depuis 1947 (politique Jdanov) ; incapacité de répondre à la préoccupation centrale de la période, la réalisation du front unique ouvrier.

Toutes les grèves ont jusqu’à présent renforcé cette impression des ouvriers communistes que le PCF ne dirige pas le prolétariat dans le sens de la révolution, mais dans le sens d’une neutralisation de la bourgeoisie française et d’une attente de la guerre et de l’entrée de l’Armée rouge.

Les ouvriers communistes ont vu leur lutte contre la guerre du Viêt-Nam, entreprise par le PCF avec une violence teintée d’aventurisme, servir à la campagne pour l’Appel de Stockholm. Ils ont vu leur lutte contre les dix-huit mois stoppée en plein essor et servir de tremplin à l’agitation pour l’appel de Sheffield-Varsovie.

En automne 1950, une grande inquiétude s’est emparée des militants du PCF (et certainement dans d’autres PC) lorsque les armées impérialistes en Corée étaient à deux doigts de rembarquer, qu’il suffisait d’un apport de matériel minime pour assurer un succès d’une immense portée pour toute la révolution asiatique. Ils virent alors Staline, appliquant la même politique de non-intervention qu’il avait appliquée contre la phase ascendante de la révolution espagnole, laisser les armées impérialistes repartir à l’offensive. Cette inquiétude s’exprima avec une telle ampleur que la direction dut répondre publiquement de la manière suivante par la bouche de Jeannette Vermeersch : « ceux qui demandent que l’URSS intervienne en Corée ne comprennent pas ce que serait la guerre mondiale ». Cette réponse désarma l’opposition naissante, car aucun ouvrier communiste ne souhaite la guerre mondiale. Ce qu’ils demandaient, ce n’était pas l’intervention, mais la cessation de l’embargo de fait sur les armes qui étranglait la révolution coréenne.

Que les dirigeants staliniens aient encore assez d’invention pour tromper les ouvriers communistes, cela ne surprend personne. Mais ce qui est surprenant, inadmissible, c’est que La Vérité, par la plume du camarade Pablo (11), qui s’était attribué le monopole des articles sur la Corée, n’a rien fait pour utiliser la crise qui se manifesta alors : elle expliquait qu’il était difficile de se prononcer sur les intentions de Staline ; elle s’est tue sur la signification de la non-intervention ; elle n’a pas fait écho, par une campagne systématique et durable, à la revendication que les ouvriers communistes adressaient à leur direction : des avions, des canons pour la Corée ; pis encore, elle a repris à son compte l’appréciation de J. Vermeersch (aider la Corée, c’est la guerre mondiale) en ajoutant simplement que si Saline était un vrai révolutionnaire il n’aurait pas peur de s’engager dans la guerre mondiale (guerre-révolution, révolution-guerre).

Voilà une application convaincante de cette orientation que le camarade Pablo nomme « Plus près des ouvriers communistes ». Elle nous rappelle la politique de la tendance droitière qui a quitté notre parti et qui, elle aussi, guerroyait sous le slogan « Plus près des ouvriers communistes », ce qui voulait dire : plus près de la politique stalinienne.

Dans le cas présent, La Vérité a été plus près de la politique stalinienne (elle a joué au Mac Arthur du « monde stalinien ») mais très éloignée des préoccupations des ouvriers communistes qu’elle n’a pas aidés à trouver la réponse juste à leurs inquiétudes.

Dans ses méthodes d’analyse, dans ses perspectives, dans ses applications, cette politique s’apparente à tout ce qu’il y a de plus négatif dans l’histoire de notre internationale. Par son impressionnisme et son empirisme, par sa soumission passive au fait accompli et à la « force » apparente ; par son abandon de la stratégie de classe, elle réédite toutes les erreurs des droitiers français, de Haston (12) et de bien d’autres tendances qui se sont liquidées.

Signal d’alarme

Nous pensons que l’orientation du camarade Pablo n’est ni très claire, ni définitivement fixée. Nous sommes convaincus qu’il rectifiera sans trop de difficultés ses erreurs. Mais là n’est pas la question. Le camarade Pablo est aussi un dirigeant de l’internationale. A ce titre, ses prises de position n’engagent pas que lui seul. Déjà sa ligne a trouvé une expression partielle dans la résolution du plénum qui est un texte confus, contradictoire, le résultat d’un bloc sans principe entre deux lignes, le modèle même du document éclectique. Mais, surtout, toute une série de manifestations alarmantes se font jour comme conséquences directes de ce gâchis théorique.

D’un côté se développe rapidement une tendance stalinisante dans l’internationale. Bien sûr, comme l’apprenti sorcier, le camarade Pablo peut dire qu’il n’a pas voulu cela. Il peut même appliquer une « autocritique » vigoureuse sur les épaules de camarades politiquement faibles qui s’efforcent d’être plus conséquents que leurs inspirateurs. Mais le remède ne fait que masquer le mal sans le guérir. De telles tendances destructives de l’internationale se manifestent dans l’équipe de rédaction de nos camarades anglais. Elles se manifestent en France chez des camarades de Lyon dont nous avons cité la résolution. Elles se manifestent dans notre comité central où la camarade Mestre se prononce en faveur du mot d’ordre stalinien de lutte contre le réarmement allemand, subordonnant manifestement le problème de la prise de conscience et de la lutte révolutionnaire des prolétaires allemands et français à la défense militaire de l’URSS conçue à la manière stalinienne comme l’impératif numéro un, la ligne stratégique.

D’un autre côté se manifestent déjà et se développeraient inévitablement des tendances à rejeter la défense de l’URSS. Des camarades troublés par les tendances actuelles au révisionnisme sur la nature de la bureaucratie et sur la conception trotskyste de la défense de l’URSS se détacheront inévitablement et du trotskysme et de la défense de l’URSS. Nous devons considérer avec sérieux la défection de Nathalie Trotsky (qui fit connaître sa rupture avec la IVe Internationale dans une lettre adressée au CEI, le 9 mai 1951) dont les conceptions radicalement fausses sur la question de l’URSS n’avaient pas empêché le IIe Congrès mondial de la placer dans son présidium d’honneur.

L’orientation esquissée menace de provoquer l’éclatement de notre internationale en une tendance stalinienne et une tendance défaitiste en URSS.

Il faut réagir sans tarder, revenir à la méthode marxiste d’analyse de la société, revenir à la conception léniniste de la fonction de la classe, revenir à l’analyse trotskyste de la dégénérescence de l’URSS et du caractère de la bureaucratie, revenir à l’affirmation fondamentale du trotskysme que la crise de l’humanité est et reste la crise de la direction révolutionnaire ; revenir à la ligne révolutionnaire de classe, celle de la construction de la victoire de la IVe Internationale, parti mondial de la révolution socialiste.

Bulletin intérieur du PCI, juin 1951

Notes

1. Voir pour l’Europe la politique de la bureaucratie en France (1936), en Espagne (1936-1939), en Pologne (Commune de Varsovie), en Grèce (1944-1945), ses efforts pour empêcher et abattre la révolution yougoslave, la politique en France et en Italie face à la montée révolutionnaire d’après la Seconde Guerre mondiale.

2. « Le développement économique, tout en améliorant lentement les conditions des travailleurs, contribue à former rapidement une couche de privilégiés », dit Trotsky dans le document fondamental de définition de l’URSS, la Révolution trahie, point D de la définition « Qu’est-ce que l’URSS ? ».

3. Le projet de thèse présenté par le SI au IXe Plénum (point XXI, alinéa 3) parlait des « conditions d’exploitation économique » du prolétariat soviétique par la bureaucratie. L’idée d’exploitation de classe a disparu dans le texte adopté par le CEI, mais celle des couches sociales historiquement nécessaires (de classe !) se retrouve chez Pablo.

4. « Une fois déclenchée la guerre (…), la bureaucratie n’aura plus aucune raison de s’opposer au développement des luttes révolutionnaires des masses dans le camp impérialiste. Bien au contraire (…), la bureaucratie aura tout intérêt à développer tout ce qui contribuera à miner la puissance militaire du camp impérialiste, y compris les mouvements révolutionnaires de grande envergure. » (Thèses de la cellule de Lyon)

L’ensemble de la thèse se ramène à ceci : la bureaucratie s’est jusqu’à présent opposée à la révolution par peur de l’intervention militaire de l’impérialisme. Dans la troisième guerre mondiale, la bureaucratie ne pourra plus avoir cette préoccupation et deviendra la direction de la révolution mondiale. C’est beaucoup plus conséquent que les thèses de Pablo. L’auteur de cette résolution a pourtant eu la faiblesse de se prononcer pour les positions de Pablo.

5. « Quelques voix s’écrient : si nous continuons à considérer l’URSS comme un Etat ouvrier, nous devrons établir une nouvelle catégorie : l’Etat ouvrier contre-révolutionnaire. Cet argument tente de frapper nos imaginations en opposant à une bonne norme programmatique une réalité misérable, méprisable, répugnante même. Mais n’avons-nous pas observé de jour en jour depuis 1923 comment l’Etat soviétique a joué un rôle de plus en plus contre-révolutionnaire dans l’arène internationale ? Avons-nous oublié l’expérience de la révolution chinoise, de la grève générale de 1926 en Angleterre et, finalement, la très fraîche expérience de la révolution espagnole ? Il y a deux internationales ouvrières complètement contre-révolutionnaires. Ces critiques ont apparemment oublié cette « catégorie ». Les syndicats de France, de Grande-Bretagne, des États-Unis et des autres pays soutiennent complètement la politique contre-révolutionnaire de leur bourgeoisie. Pourquoi est-il impossible d’employer la même méthode envers l’Etat ouvrier contre-révolutionnaire ? En dernière analyse, un Etat ouvrier est un syndicat (trade-union) qui a conquis le pouvoir. La différence d’attitude dans ces deux cas est explicable par le simple fait que les syndicats ont une longue histoire et que nous sommes accoutumés à les considérer comme des réalités et non seulement comme des catégories dans notre programme. Mais en ce qui concerne l’Etat ouvrier apparaît une incapacité d’apprendre à l’approcher comme un fait historique réel qui ne doit pas être subordonné lui-même à notre programme. » (Trotsky, Encore et à nouveau sur la nature de l’URSS)

6. En 1651, il y a trois siècles, la bourgeoisie faisait ses premiers pas en Angleterre. En 1751, il y a deux siècles, elle s’y préparait en France. La période de transition de deux ou trois siècles, dans laquelle Pablo donne un rôle nécessaire à la bureaucratie, sera plus longue que la période de domination de la bourgeoisie dans les pays les plus tôt développés et trois à six fois plus longue que la domination mondiale de la bourgeoisie capitaliste. Il est difficile alors de rechigner sur le terme de classe appliqué à la bureaucratie soviétique.

7. Dans les thèses du IIe Congrès mondial se trouvait déjà une formule malheureuse quoique sensiblement différente : « Défendre ce qui subsiste des conquêtes d’Octobre est une ligne stratégique [une et non la] pour le parti révolutionnaire et non un « mot d’ordre » en soi. » Il aurait été plus correct de dire : « une tâche stratégique » ou « une orientation stratégique », formulation qui s’oppose clairement à l’idée de la défense de l’URSS comme un « mot d’ordre en soi ».

« La défense de l’URSS coïncide pour nous avec la préparation de la révolution internationale. Seules sont permises les méthodes qui ne contredisent pas les intérêts de la révolution. Le rapport entre la défense de l’URSS et la révolution socialiste internationale est le même qu’entre une tâche tactique et une tâche stratégique. La tactique est subordonnée au but stratégique et ne peut en aucun cas le contredire. » (Trotsky, L’URSS en guerre)

8. Nous demandons que le SI présente au congrès mondial le document de sa correspondance avec les camarades chinois et informe de cette manière le congrès des directives qu’il avait le droit et le devoir de donner à la section chinoise.

9. La Révolution russe fut très éloignée des « normes pures » et Lénine pensait qu’elle en était beaucoup plus éloignée qu’aucune révolution ne le serait à l’avenir dans un quelconque pays avancé.

10. « Le critère fondamental de la politique, ce ne sont pas pour nous les transformations de la propriété dans tels ou tels territoires partiels, quelques importants qu’ils puissent être en eux-mêmes, mais dans les modifications, dans les formes de la conscience et de l’organisation du prolétariat mondial, l’élévation de sa capacité de défendre les anciennes conquêtes et d’en accomplir de nouvelles. De ce point de vue, le sens décisif, la politique de Moscou prise dans son ensemble conserve entièrement son caractère réactionnaire et reste le principal obstacle dans la voie de la révolution internationale. » (Trotsky, L’URSS en guerre)

11. Le journal du SWP The Militant a mené une excellente campagne de révélations sur cette question. En France, où l’essentiel des cadres ouvriers est organisé dans le PCF, cette campagne aurait dû prendre une très grande ampleur sur le thème : « Des avions pour la Corée ».

12. La lecture de l’amendement Haston au IIe Congrès mondial est très édifiante : c’est une ébauche de « Où allons-nous ? ».