Lettre de VdT au Collectif révolution permanente

chers camarades,

je vous communique donc la réponse de Voix des Travailleurs à votre courrier.

Le principal problème politique soulevé par la lettre du COREP (et nous tenons à vous en remercier et à souhaiter poursuivre avec vous le débat avec autant de sérieux et de persévérance que vous en mettez vous-mêmes) est celui qui est formulé ainsi :

« Pour sa part, l’éditorialiste se lance dans un raccourci mécaniste : le « monde capitaliste » a fait son temps et la révolution monte ; par conséquent, le « monde capitaliste » décide « la guerre » pour l’empêcher… De toute façon, l’exemple des « précédentes guerres mondiales » invalide son interprétation cavalière… Le seul pays impérialiste où se produit une montée révolutionnaire avant la 1ère guerre mondiale est la Russie. Or, ce n’est pas le tsar qui déclenche la guerre. »

Il est exact que la Russie tsariste, qui a chuté en 1917, avait été menacée par la montée révolutionnaire prolétarienne avant la première guerre mondiale, dès 1905 mais aussi de 1910 à 1914. Mais ce n’est pas un cas isolé. L’empire chinois a commencé à être menacé à partir des années 1910 par la montée révolutionnaire ainsi que toute l’Asie comme le relève Lénine en 1913 dans son texte « L’Europe arriérée et l’Asie avancée » :

« Des centaines de millions d’hommes s’éveillent à la vie, à la lumière, à la liberté. Quel enthousiasme ce mouvement universel provoque dans le cœur de tous les ouvriers conscients… ». Là non plus, il ne s’agit pas d’un cas à part : tous les empires sont menacés : si l’empire français a chuté en 1871, les empires ottoman, austro-hongrois, russe et allemande, qui vont chuter après 1918, sont également menacés par des montées des sentiments révolutionnaires des masses avant 1914

Sur ce point, je renvoie ces camarades au texte de Voix des Travailleurs :

[Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

-> http://www.matierevolution.fr/spip.php?article3109]

La seconde guerre mondiale, causée par un risque révolutionnaire ?

La lettre du COREP poursuit :

« Quant à la 2ème guerre mondiale, elle est plutôt le résultat de la contre-révolution (et de la trahison par les directions ouvrières).

Que je sache,1936 en France et en Espagne sont des débuts de révolutions (rappelons « la révolution française a commencé » de Trotsky) qui ont certes échoué mais pas simplement des contre-révolutions…

Trotsky écrit en 1938 « Le programme de transition » et, dans ce texte, il dresse une perspective pour une montée révolutionnaire. Aurait-il la berlue ?

Il y écrit :

« Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe. Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. »

Il analyse ainsi la situation mondiale :

« La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l’humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l’État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d’une banqueroute à l’autre. La bourgeoisie elle-même ne voit pas d’issue. Dans les pays où elle s’est déjà trouvée contrainte de miser son dernier enjeu sur la carte du fascisme, elle marche maintenant les yeux fermés à la catastrophe économique et militaire. Dans les pays historiquement privilégiés, c’est-à-dire ceux où elle peut encore se permettre, pendant quelque temps, le luxe de la démocratie aux dépens de l’accumulation nationale antérieure (Grande-Bretagne, France, États-Unis, etc.), tous les partis traditionnels du capital se trouvent dans une situation de désarroi qui frise, par moments, la paralysie de la volonté. »

Ne pas y voir une situation objectivement révolutionnaire et y voir seulement une situation contre-révolutionnaire est à la fois absurde et d’un défaitisme total du point de vue du prolétariat… Ce point de vue n’est nullement celui de Trotsky puisque le même programme se donne comme objectif : les soviets ! C’est même l’objet d’un chapitre entier de la brochure alors que Trotsky y précise : « Les soviets ne peuvent naître que là où le mouvement des masses entre dans un stade ouvertement révolutionnaire. »

Dans le chapitre « les comités d’usine », Trotsky écrit :

« Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays. De nouvelles vagues de ce genre sont inévitables dans un prochain avenir. Il est nécessaire d’ouvrir à temps une campagne en faveur des comités d’usine pour ne pas se trouver pris à l’improviste. »

Donc Trotsky envisage bel et bien une situation révolutionnaire en 1938, juste avant que la guerre éclate et c’est bien la guerre mondiale qui va donner un coup d’arrêt à cette perspective révolutionnaire qui menace que le COREP n’a pas vu mais que la bourgeoisie mondiale a très bien vu…

C’est en juin 1934 que Trotsky écrivait

{« La catastrophique crise commerciale, industrielle, agraire et financière, la rupture des liens économiques, le déclin des forces productives de l’humanité, l’insupportable aggravation des contradictions de classe et des contradictions nationales marquent le crépuscule du capitalisme et confirment pleinement la caractérisation par Lénine de notre époque comme celle des guerres et des révolutions. »} dans sa brochure La guerre et la IVe Internationale.

Et il rajoutait :

{« A l’intérieur de chaque pays, l’impasse historique du capitalisme s’exprime dans le chômage chronique, la baisse du niveau de vie des ouvriers, la ruine de la petite bourgeoisie urbaine et de la paysannerie, la décomposition et le déclin de l’Etat parlementaire, dans l’empoisonnement monstrueux du peuple par une démagogie «sociale» et «nationale» face à la liquidation dans la réalité des réformes sociales, la mise à l’écart et le remplacement des vieux partis dirigeants par un appareil militaro-policier nu (le bonapartisme du déclin capitaliste), dans les progrès du fascisme, son arrivée au pouvoir et l’écrasement de toutes les organisations prolétariennes sous sa botte. Sur l’arène mondiale, les mêmes processus sont en train de nettoyer les derniers restes de stabilité dans les relations internationales, plaçant sur la lame du couteau tous les conflits entre Etats, exposant la futilité des tendances pacifistes, déclenchant la croissance des armements à un niveau technique supérieur et conduisant ainsi à une nouvelle guerre impérialiste dont le fascisme est l’artificier et l’organisateur le plus consistant. De l’autre côté, le fait qu’apparaisse la nature profondément réactionnaire, putréfiée et pillarde du capitalisme moderne, la destruction de la démocratie, du réformisme et du pacifisme, le besoin ardent et brûlant pour le prolétariat d’échapper au désastre imminent mettent à l’ordre du jour la révolution internationale avec une force renouvelée. »}

Rappelons que, pour le mouvement prolétarien en France, Trotsky concluait son article La révolution française a commencé, du 9 juin 1936 :

« L’organisation de combat ne coïnciderait pas avec le parti, même s’il existait en France un parti révolutionnaire de masse, car le mouvement est incomparablement plus large qu’un parti. L’organisation de combat ne peut pas non plus coïncider avec les syndicats, qui n’embrassent qu’une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Il s’agit d’un gouvernement direct de la classe révolutionnaire. Il n’est pas besoin ici d’inventer des formes nouvelles : il y a des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n’y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation : ce sont les soviets de députés ouvriers.

Le gros des ouvriers révolutionnaires marche aujourd’hui derrière le Parti communiste. Plus d’une fois dans le passé, ils ont crié : « Les soviets partout ! », et la majorité a sans doute pris ce mot d’ordre au sérieux. Il fut un temps où nous pensions qu’il n’était pas opportun, mais, aujourd’hui, la situation ,a changé du tout au tout. Le puissant conflit des classes va vers son redoutable dénouement. Celui qui hésite et qui perd du temps est un traître. Il faut choisir entre la plus grande des victoires historiques et la plus terrible des défaites. Il faut préparer la victoire. « Les soviets partout ? » D’accord. Mais il est temps de passer des paroles aux actes. »

Il faut rajouter à la révolution de 1936 en France et en Espagne, février 1934 en Autriche (qui y font échouer la contre-révolution fasciste), débuts insurrectionnels en Espagne en 1934, multiples révoltes de 1934 (Haïti où les troupes américaines sont contraintes de quitter l’île), grève générale au Portugal, révolte des tribus de l’Euphrate (Irak), les émeutes à Java, grèves à Dakar (1935-1937), grèves en Afrique du sud  (1935), émeutes aux Antilles (1935), révolte au Brésil (1935), révolte en Irak (1935), révolution sociale de 1936-1939 en Palestine, les soulèvements de 1936 en Indochine (notamment les grandes grèves de 1936-1937),et dans la même année 1936 : grève générale de Buenos Aires et agitation ouvrière en Argentine, insurrection général en Mongolie contre le Japon, insurrection de Syrie (1935-1936), grève générale en Belgique, révolte des kurdes de Turquie (1937-1938), émeutes en Tunisie (1938), grève générale au Kenya (1939), émeute populaire en Irak (1939), etc…

Rappelons aussi la montée révolutionnaire qui se développait en Inde, juste avant l’éclatement de la deuxième guerre mondiale. En 1935, la révolution sociale gronde dans le petit Etat de Râjkot. Le peuple de cet Etat est en insurrection pour renverser le souverain. Gandhi sort de sa relative retraite pour sauver ce souverain… La montée de la révolte sociale culminait dans la 2 octobre 1939, à laquelle participèrent 90 000 ouvriers de l’industrie de Bombay. Pour détourner cette montée spontanée des masses, Gandhi lança la salt satyagraha (mouvement de résistance non-violent contre le monopole du sel détenu par les Britanniques) au début des années en 1930.

Certes, les contre-révolutions sont bien plus nombreuses dans cette période que les révolutions, par exemple les mises en place de dictatures et de mouvements fascistes, mais elles manifestent de la même crainte de la montée révolutionnaire par les classes dirigeantes

C’est encore la crainte d’une remontée révolutionnaire par Staline qui amène la violence des « procès de Moscou ». C’est toujours elle qui va amener conjointement Hitler et Staline à massacrer les Juifs de Pologne.

Certes, la fin des années 30 est une période de contre-révolutions.

N’oublions pas qu’une période de contre-révolution est aussi une période de révolution, qu’une période où les classes dirigeantes mettent à l’ordre du jour les méthodes contre-révolutionnaires est aussi une période où est à l’ordre du jour pour les opprimés la méthode révolutionnaire. Il n’existe pas de situation où les classes dirigeantes gouvernent tranquillement sans crainte des masses et enclenchent pourtant des contre-révolutions violentes. Comme l’affirmait Marx dans la Nouvelle Gazette Rhénane du 10 décembre 1848 {« Nous ne l’avons jamais caché. Notre terrain, ce n’est pas le terrain juridique, c’est le terrain révolutionnaire. Le gouvernement vient de renoncer pour sa part à l’hypocrisie du terrain juridique. Il s’est placé sur un terrain révolutionnaire, car le terrain contre-révolutionnaire lui aussi est révolutionnaire. »}

Nous avons assisté ces dernières années à la transformation en guerre de multiples situations de crises révolutionnaires dans plusieurs pays, et inversement, de la Côte d’Ivoire (crise en 1999 et guerre en 2001) à la Syrie (crise 2011 en et guerre depuis 2012), de la Libye (crise en janvier 2011 et guerre en mars 2011) au Mali (guerre en janvier 2012 et crise en mars 2012) et du Liban (crise en 1975 et guerre en 1976) à l’Algérie (crise en 1988 et guerre en 1990). Et ce ne sont que des exemples. On pourrait également citer certains pays d’Asie et d’Amérique du sud.

La guerre est un dérivatif classique des situations révolutionnaires, celles où les classes dirigeantes ne peuvent plus diriger. Quand Napoléon III se lance dans la guerre franco-allemande, quand la Prusse en fait autant, les deux font le choix risqué de la fuite en avant guerrière car les deux se retrouvent devant une montée du mouvement ouvrier et socialiste qui menace directement la domination de la bourgeoisie. L’échec de Napoléon III et sa chute provoque plusieurs révolutions à Paris, et finit par mener au pouvoir ouvrier de la Commune en 1871.

Quand la Russie entre en guerre avec le Japon, en 1904, la menace révolutionnaire monte et elle va réapparaitre après la guerre, en 1905.

Quand la bourgeoisie européenne fait le choix de la guerre mondiale en 1914, la révolution monte dans tous les empires (russe, austro-hongrois et ottoman) et c’est face à une nouvelle crise économique, alors que la catastrophe de la précédente manifeste pleinement ses effets notamment en Allemagne qu’elle décide de casser momentanément les risques révolutionnaire par l’entrée en guerre. La fin de la guerre verra réapparaitre la révolution sociale, particulièrement dans tous les pays vaincus, notamment l’Allemagne, l’empire ottoman et les faux vainqueurs comme l’Italie.

Transformer la révolution sociale en guerre est tout aussi classique comme politique des classes dirigeantes et c’est ce que l’on a remarqué lors de la révolution espagnole. C’est en prétendant qu’il fallait interrompre la révolution sociale pour mener une guerre classique contre franco que les partis républicain, socialiste et stalinien ont cassé l’élan révolutionnaire et permis le triomphe du fascisme. Un exemple plus ancien est la tentative des girondins de casser l’élan révolutionnaire en poussant à la guerre contre les puissances européennes.

L’autre lien, classique lui aussi, c’est la guerre qui se transforme en révolution. Là aussi, on trouve l’exemple dans la révolution française avec la révolution jacobine qui découle de la révolte du peuple contre les trahisons des Girondins dans la guerre contre les puissances européennes. On l’a vu aussi en Russie, en 1905, suite à la défaite militaire contre le Japon. On l’a vu dans la vague révolutionnaire en Europe à partir de 1917, pendant la guerre mondiale inter-impérialiste. C’est même la révolution prolétarienne qui a contraint les bourgeoisies européennes à arrêter leur guerre, ce qui n’a pas empêché l’éclatement des révolutions dans les pays vaincus. On l’a vu dans la vague révolutionnaire en Asie après la deuxième guerre mondiale, suite à la défaite japonaise.

Dès que la crise de la domination capitaliste atteint son sommet, l’alternative guerre ou révolution devient inévitable.

  Et la première guerre mondiale, causée préventivement par une montée révolutionnaire menaçante ?

Quant à la première guerre mondiale, issue de la crise capitaliste de 1907, comme la deuxième est issue de la crise capitaliste de 1929, elle est issue non seulement de contradictions critiques sur le plan économique mais aussi social et politique, c’est-à-dire de la lutte des classes : grandes grèves en Espagne (1910-1914), et dans l’année 1910 : début de la révolution mexicaine, insurrection au Maroc, révolte au Brésil, révolution politique au Portugal, manifestations politiques de masse en Allemagne, grève des cheminots devenant grève générale en France, … 1910, c’est aussi la révolte des Albanais contre l’empire ottoman, la révolte des Abès de Côte d’Ivoire, la révolte des vignerons de Champagne, la révolte des peuples du Gabon, la révolte ouvrière internationale contre la condamnation de Durand, charbonnier du Havre, la révolte des marins brésiliens, les débuts de la révolte en Arabie, les révoltes des peuples de la boucle du Niger et, en France, la révolte des ménagères, la révolution mexicaine, la révolte des pêcheurs de Rivière-au-Renard au Québec, etc, etc… 1910, c’est en même temps la grève des cheminots en France, la montée ouvrière en Espagne, la grève de masse en Angleterre et en Irlande, la révolution républicaine au Portugal avec notamment l’obtention du droit de grève, les mouvements révolutionnaires basques en Espagne, les manifestations de masse pour le suffrage universel en Allemagne, le succès du mouvement pour le droit de vote des femmes en Suède, la manifestation de masse aux obsèques de Tolstoï, le soulèvement des peuples des Balkans, etc… Entre 1910 et 1914, la classe ouvrière en Grande-Bretagne et en Irlande déclencha des vagues successives de grèves massives avec un souffle et une hargne sans précédent contre tous les secteurs-clefs du capital, grèves qui balayèrent tous les mythes soigneusement fabriqués sur la passivité de la classe ouvrière anglaise qui avaient fleuri pendant la précédente époque de prospérité capitaliste. Et n’oubliez pas le 8 mars 1910 : première journée internationale des femmes !!!

Rappelons aussi les grèves de 1910 en Allemagne qui ont suscité un débat intense de 1910 à 1912 entre révolutionnaires et réformistes au sein de la social-démocratie allemande, notamment entre Rosa Luxemburg et Pannekoek d’un côté et Kautsky de l’autre (polémique largement moins connue que celle de 1905 à propos de la révolution russe), grèves dans lesquelles la social-démocratie avait joué le rôle de frein de luttes spontanées. Et aussi, à la même époque, le mouvement de masse en Allemagne en faveur de la république, de janvier à mars 1910 conjointement aux grandes grèves des mines et du bâtiment, situation où la direction social-démocrate a joué le rôle de frein, ce dont l’accuse l’aile révolutionnaire de la social-démocratie. Rosa relance ainsi le débat sur la grève de masse ce qui sous-entend une situation pré-révolutionnaire. Rosa Luxemburg compare même l’Allemagne de 1910 à la Russie de 1905 ! Alors que l’Allemagne connaît sa pire crise économique depuis 1907 avec un chômage de masse, qu’elle connaît également une crise de son régime politique, qui impose à celui-ci des réformes démocratiques inconnues jusque là, la social-démocratie et la direction des syndicats font tout pour temporiser, refusent de prendre la tête des mouvements spontanés. En 1911, Kautsky lui-même est contraint de décrire ainsi la situation en Europe : « C’est devenu une vérité d’évidence : les luttes politiques et économiques contemporaines débouchent toujours plus sur des actions de masse. » (article intitulé « L’action de masse ») Et en 1912, le même Kautsky écrit dans « La nouvelle tactique » : « Le point de départ de la critique de Pannekoek est la série d’articles que j’ai publiés l’automne dernier à propos de « l’action de masse » dans la Neue Zeit, articles eux-mêmes suscités par les troubles qui avaient lieu peu de temps auparavant en Angleterre, en France et en Autriche, conjointement à des grèves de très grande ampleur (en août en Angleterre) et à des manifestations contre la hausse des prix (en septembre en France et en Autriche). A ces troubles avaient pris part essentiellement des masses inorganisées… Je parvins à cette conclusion que, dans ce contexte marqué par l’aiguisement constant des conflits entre les classes, par la hausse des prix et le danger de guerre, on pouvait être certain que la combinaison de l’action du prolétariat organisé avec celle des grandes masses inorganisées promettait d’être un facteur important. » Malgré toute l’hypocrisie réformiste de Kautsky, il est capable de remarquer « l’aiguisement constant des conflits entre les classes » entre 1910 et 1911 en Europe !

A propos des grèves ouvrières en France de 1910, dans « Les hommes de bonne volonté » (tome « La montée des périls »), Jules Romains développe la thèse selon laquelle l’Etat bourgeois et les classes dirigeantes ont lancé la guerre mondiale pour fuir les risques révolutionnaires prolétariens.

Ainsi il conclue le chapitre précédemment cité par :

« Si l’ouragan avait communiqué à Paris, et dans une certaine mesure, à quelques grandes villes, un tremblement pathétique, il avait à peine eu le temps d’être perçu au cœur des provinces… Mais ces huit jours devaient longuement agir par la suite, et même selon des voies peu apparentes ou détournées. Pas un village au fond des provinces, pas un homme, qui ne dût tôt ou tard en ressentir les effets »

Pas étonnant car les effets, c’est la peur de la bourgeoisie qui la mène à la guerre.

Le chapitre suivant présente deux grands bourgeois industriels en train de peser les conséquences de la grève des cheminots.

L’un dit :

« Les meneurs n’ont qu’un but : la révolution sociale. Les grèves, les réclamations sur tel ou tel point, c’est pour tenir leurs troupes en haleine… »

Il s’inquiète et montrant son usine :

« Nous nous donnons beaucoup de mal… Ce n’est peut-être pas nous qui utiliserons ce que nous sommes en train de construire…. Je commence à me demander si nous nous en tirerons autrement que par une guerre… »

Jules Romains écrit :

« Octobre 1910 venait d’être une époque d’une grande signification. Préparée dès l’été par un pullulement de grèves locales, annoncée de plus loin par une série de mouvements, d’inspiration syndicaliste, et de tendance révolutionnaire, dont les plus imposants avaient été la grève des postiers de mars 1909, et la grève des inscrits maritimes d’avril et mai 1910, la grève générale, tant de fois décrite par les voyants, ou située par les théoriciens dans le monde excitant des mythes, venait de faire son entrée dans le monde réel.

Entrée semblable à un ouragan. Du fond du ciel chargé, le souffle accourut soudain, augmentant de violence à chaque heure, faisant trembler tout l’édifice social, donnant à ceux qui y étaient logés un frisson qu’ils ne connaissaient pas.

Le 10, les cheminots de la Compagnie du Nord déclenchaient la grève. Le 11 et le 12, elle s’étendait à tous les réseaux. Le 15, elle était généralisée, au point d’intéresser la plupart des services dont dépendait la vie de la capitale.

Pour la première fois, en somme, les deux Pouvoirs, campés l’un vis-à-vis de l’autre, en arrivaient à un véritable corps à corps. (…) Ce n’était pas encore la révolution. C’en était la répétition d’ensemble et éventuellement le prélude. Si les circonstances y aidaient, si les événements, une fois mis en branle, glissaient d’eux-mêmes vers la révolution, on pouvait penser que les meneurs ne feraient pas de grands efforts pour les arrêter sur la pente. »

Venons-en à la situation actuelle

Et d’abord à nouveau une crise profonde de l’économie mondiale entraîne une vague révolutionnaire qui débute au Maghreb et dans le monde arabe, atteint l’Afrique et le Brésil et menace le Moyen Orient. Après l’Egypte, un « printemps arabe » menace non seulement les territoires occupés par Israël (la Palestine) mais aussi Israël où se développe une révolte sociale contre les riches… Et le mouvement révolutionnaire atteint la Syrie, avant que les grandes puissances y mettent leur nez pour la transformer en guerre en soutenant de manière armée les islamistes radicaux qu’ils prétendent combattre…

A ce propos, on peut lire :

 [Vers un « printemps arabe » en Palestine… -> http://www.matierevolution.fr/spip.php?breve502]

[Grève générale et révolte en Palestine

 -> http://www.matierevolution.org/spip.php?breve445

Ou encore :

[Sur la révolte en Israël

 -> http://www.matierevolution.org/spip.php?breve263]

[Syrie : les puissances impérialistes (anciennes contre nouvelles) transforment une révolte populaire du monde arabe en guerre inter-impérialiste

-> http://www.matierevolution.org/spip.php?article2499]

[Quand Etat d’Israël, Autorité palestinienne, Hamas, Fatah, classes dirigeantes israélienne et palestinienne ont exactement le même but : éviter que la révolution du monde arabe ne se propage à la Palestine !

-> http://www.matierevolution.org/spip.php?article1954]

[La vague de révolte atteint Israël

 -> http://www.matierevolution.org/spip.php?article1909]

[Luttes sociales en Israël : révolte contre les logements trop chers

 -> http://www.matierevolution.org/spip.php?breve253]

[Quel lien entre la « révolution arabe » et la crise mondiale du capitalisme ?

-> http://www.matierevolution.fr/spip.php?article2071]

Tout cela est lié à la crise du capitalisme mondial et intégré par l’impérialisme dans la perspective de guerre mondiale pour éviter la révolution mondiale :

[Les USA contre la Russie et la Chine

 -> http://www.matierevolution.org/spip.php?article3125]

[L’encerclement armé de la Chine et de la Russie, une politique de l’impérialisme américain et de ses alliés pour préparer une issue guerrière à l’effondrement du système -> http://www.matierevolution.org/spip.php?article2379]

[Révolution à Kiev ou guerre des blocs ? -> http://www.matierevolution.fr/spip.php?article3119]

Le lien entre crise capitaliste et guerre mondiale

Crise, guerre et révolution sont très liés et les dates déjà le montrent clairement :

La guerre de 1871 est liée à la crise de 1866 et à la crise de 1873. Révolution en 1871.

La guerre de 1914 est liée à la crise de 1907 et à la crise de 1913. Révolution en 1917.

La guerre de 1939 est liée à la crise de 1929 et à la crise de 1937. Révolution en 1945.

De nombreuses situations de l’histoire ont montré à quel point guerre et révolution sont imbriquées de même que les deux s’opposent. Dans ces situations de crise, guerre ou révolution sont des alternatives et des contraires dialectiques car, si la révolution ne l’emporte pas, si la guerre éclate, elle est alors elle-même menacée par la révolution, tout particulièrement en cas de défaite. La guerre peut se transformer en révolution comme la révolution en guerre.

D’abord, la guerre est un moyen de retarder, d’éviter, d’écraser les potentialités de la révolution. Ensuite, la révolution est une issue de la guerre.

La raison en est que les guerres n’ont pas que des motifs nationaux, économiques ou ethniques, ils ont d’abord des motifs de classe et guerre et révolution sont les opposés dialectiques dans la lutte de classes.

Nous avons assisté ces dernières années à la transformation en guerre de multiples situations de crises révolutionnaires dans plusieurs pays, et inversement, de la Côte d’Ivoire (crise en 1999 et guerre en 2001) à la Syrie (crise 2011 en et guerre depuis 2012), de la Libye (crise en janvier 2011 et guerre en mars 2011) au Mali (guerre en janvier 2012 et crise en mars 2012) et du Liban (crise en 1975 et guerre en 1976) à l’Algérie (crise en 1988 et guerre en 1990). Et ce ne sont que des exemples. On pourrait également citer certains pays d’Asie et d’Amérique du sud.

La guerre est un dérivatif classique des situations révolutionnaires, celles où les classes dirigeantes ne peuvent plus diriger. Quand Napoléon III se lance dans la guerre franco-allemande, quand la Prusse en fait autant, les deux font le choix risqué de la fuite en avant guerrière car les deux se retrouvent devant une montée du mouvement ouvrier et socialiste qui menace directement la domination de la bourgeoisie. L’échec de Napoléon III et sa chute provoque plusieurs révolutions à Paris, et finit par mener au pouvoir ouvrier de la Commune en 1871.

Quand la Russie entre en guerre avec le Japon, en 1904, la menace révolutionnaire monte et elle va réapparaitre après la guerre, en 1905.

Quand la bourgeoisie européenne fait le choix de la guerre mondiale en 1914, la révolution monte dans tous les empires (russe, austro-hongrois et ottoman) et c’est face à une nouvelle crise économique, alors que la catastrophe de la précédente manifeste pleinement ses effets notamment en Allemagne qu’elle décide de casser momentanément les risques révolutionnaire par l’entrée en guerre. La fin de la guerre verra réapparaitre la révolution sociale, particulièrement dans tous les pays vaincus, notamment l’Allemagne, l’empire ottoman et les faux vainqueurs comme l’Italie.

Transformer la révolution sociale en guerre est tout aussi classique comme politique des classes dirigeantes et c’est ce que l’on a remarqué lors de la révolution espagnole. C’est en prétendant qu’il fallait interrompre la révolution sociale pour mener une guerre classique contre franco que les partis républicain, socialiste et stalinien ont cassé l’élan révolutionnaire et permis le triomphe du fascisme. Un exemple plus ancien est la tentative des girondins de casser l’élan révolutionnaire en poussant à la guerre contre les puissances européennes.

L’autre lien, classique lui aussi, c’est la guerre qui se transforme en révolution. Là aussi, on trouve l’exemple dans la révolution française avec la révolution jacobine qui découle de la révolte du peuple contre les trahisons des Girondins dans la guerre contre les puissances européennes. On l’a vu aussi en Russie, en 1905, suite à la défaite militaire contre le Japon. On l’a vu dans la vague révolutionnaire en Europe à partir de 1917, pendant la guerre mondiale inter-impérialiste. C’est même la révolution prolétarienne qui a contraint les bourgeoisies européennes à arrêter leur guerre, ce qui n’a pas empêché l’éclatement des révolutions dans les pays vaincus. On l’a vu dans la vague révolutionnaire en Asie après la deuxième guerre mondiale, suite à la défaite japonaise.

Dès que la crise de la domination capitaliste atteint son sommet, l’alternative guerre ou révolution devient inévitable.

La question se pose dès maintenant. Après l’effondrement du capitalisme en 2007-2008, les classes dirigeantes n’ont pas trouvé d’issue à la crise autre qu’une intervention financière massive pour retarder la chute et préparer ainsi tous les moyens de détourner les révolutions, même si celles-ci ont quand même éclaté dans le maillon faible, au Maghreb, dans le monde arabe et en Afrique. L’un des dérivatifs à la lutte des classes, le principal même est la préparation de la guerre mondiale qui prend la forme d’un affrontement entre les deux blocs impérialistes, les anciens impérialismes USA-Europe-Japon-Canada-Australie et les nouveaux Chine-Russie-Inde-Iran-(peut-être le Brésil ou l’Afrique du sud).

La guerre n’est pas causée par des buts territoriaux en soi mais par l’impossibilité pour la bourgeoisie de gouverner durablement sans risques de soulèvements révolutionnaires incontrôlables. Du côté de la Russie et de la Chine, la fuite en avant économique vers la domination n’est pas un choix mais une nécessité. Les entourer, les diminuer, les attaquer est aussi une nécessité pour le camp occidental.

A terme, la guerre entre les deux blocs capitalistes est absolument inévitable.

La seule alternative est que la révolution prolétarienne démarre avant et que le prolétariat y joue un rôle dirigeant, ce qui n’est pas encore le cas au Maghreb et dans le monde arabe, ni en Afrique.

[Les préparatifs de la troisième guerre mondiale entre les anciens impérialismes et les nouveaux -> http://www.matierevolution.org/spip.php?article3502]

Loin de rejeter en bloc toute critique de nos amis et camarades du COREP, auquel appartient en France le groupe GMI, nous cherchons à en tirer le maximum de points positifs, non seulement en développant nos arguments comme ci-dessus mais aussi en donnant partiellement raison au COREP, par exemple quand il remarque que nous avons cité plusieurs fois le président français et jamais le président américain dans notre éditorial qui a le défaut d’avoir été écrit pour être diffusé dans les manifestations en France et pas dans les manifestations dans le monde. Nous admettons volontiers devoir combattre la tendance à militer dans un pays et devoir travailler, sans délai, de manière internationale et internationaliste et nous remercions nos camarades du COREP de faire pression sur nous en ce sens. Nous apprécions également, en partie, leur texte, au point de l’avoir diffusé conjointement au nôtre dans les manifestations publiques à Paris. Nous ne l’avons donc pas signé, parce que nous avions besoin de le discuter, mais nous l’avons donc fait circuler, dans notre site et par tract.

Le voici d’ailleurs : [Arrêt immédiat de la guerre israélienne contre Gaza ! Palestine socialiste !-> http://www.matierevolution.org/spip.php?article4344]

Et nous comptons bien que le débat se poursuive avec le COREP comme avec tous les révolutionnaires. Par contre, nous n’admettons pas le diktat : ou vous adhérez à notre regroupement international ou vous n’êtes qu’une secte nationaliste !

Nous estimons aussi que la discussion n’a pas pour seul but de discuter mais d’avancer vers une compréhension des tâches de l’heure et vers un travail militant commun, s’il s’avère possible. Nous pensons donc de l’une des étapes de ce travail commun doit être la participation au débat sur nos sites respectifs. Et aussi, éventuellement si nous trouvons que les positions des uns et des autres sont suffisamment proches, la rédaction d’articles de chaque groupe dans un média commun.

nos salutations communistes révolutionnaires

Voix des Travailleurs