Macri a imposé la réduction des pensions avec la complicité du PJ et la trahison de la CGT (PCO/Argentine)

Avec 2017, s’achève la deuxième année du gouvernement Macri-Cambiemos [Cambiemos, « Changeons », est une coalition de trois partis bourgeois « libéraux » : PRO, UCR, CC ; Mauricio Macri, PRO, est président depuis l’élection de 2015, voir Révolution communiste n° 14 ; le président est, comme aux États-Unis, tête du gouvernement et chef de l’État]. Elle avait débuté par une vague de licenciements et de durs conflits comme celui d’AGR-Clarín [Artes Graficas Rioplatense était la principale entreprise de graphisme, liée au groupe de médias Clarín, elle a fermé malgré une occupation], suivie d’une série de mobilisations de masses en mars. Cette première période de l’année s’était achevée du fait de la CGT [Confederación General del Trabajo, principale confédération syndicale, passée en 1943 sous le contrôle du nationalisme bourgeois PJ, dirigée actuellement par un triumvirat composé de Carlos Acuña, Juan Carlos Schmidt et Héctor Daer] qui, après la démonstration massive du 7 mars, avait appelé à une grève dominicale pour décompresser (« soulager », selon les mots du triumvir Acuña). Le gouvernement avait alors donné le coup d’envoi à sa contre-offensive avec la manifestation nationale réactionnaire pro-gouvernementale du 1er avril. Les deux élections législatives, celle d’août, mais surtout celle d’octobre, avaient par la suite consolidé le gouvernement de Macri. Celui-ci sans perdre de temps avait convié l’ensemble des acteurs du régime politique bourgeois des patrons (gouverneurs, législateurs, juges et bureaucrate syndicaux) à un front unique capitaliste contre la classe ouvrière et le peuple. Macri qualifia lui-même cette offensive générale de « réforme permanente ». Réforme des conditions politiques, économiques et sociales pour garantir les profits capitalistes. Deux mois ont passé depuis le discours de Macri. Deux mois de mise en œuvre du plan d’attaque du gouvernement et de ses alliés « d’opposition ». Sans aucun doute, le vote sur la réforme des retraites et les luttes ouvrières et populaires contre ce vol dans la poche des actuels et futurs retraités des secteurs populaires les plus pauvres est un événement qui a eu un fort impact sur la situation politique et la lutte des classes. Mais ce n’est pas le seul élément, et il est important d’analyser ce qui a changé et ce qui continue à se développer dans la situation qui a suivi le triomphe électoral de Cambiemos.

La situation économique et les rapports de la classe capitaliste avec le gouvernement Macri et l’opposition péroniste

Bien évidemment, le soutien le plus ferme et le plus décisif pour Macri vient de la classe dirigeante et de ses différents secteurs. Le capital impérialiste ne doute pas que le gouvernement Macri soit « son » gouvernement. Non seulement d’un point de vue national mais également régional. L’ouverture des vannes du crédit international constitue le principal soutien économique et politique de la part l’oligarchie financière mondiale, un matelas irremplaçable pour le « gradualisme » avec lequel Macri a réussi à se constituer une base politique locale. Ce matelas agit également comme un élément de pression ou de menace. Cela est évident si on regarde les documents du FMI. Après les élections cet organisme de la banque impérialiste a exigé d’accélérer l’ajustement fiscal sous peine de fermer le robinet du crédit. Selon le FMI, « Il est essentiel de réduire les dépenses publiques, principalement dans les domaines où elles ont augmenté le plus rapidement ces dernières années, en particulier ceux des salaires, des retraites et des transferts sociaux… ». De cette façon, « on limiterait les vulnérabilités face à un durcissement soudain des conditions de financement externe… ». Si ce n’était pas dit en langage diplomatique, ces propos tomberaient sous le coup de ce que le Code pénal appelle chantage. Il ne s’agit, cependant, pas seulement d’une politique de pression de la part de la banque impérialiste. Il est vrai que l’endettement abyssal du gouvernement de Macri et la dépendance absolue de ce crédit international sur le plan économique, est une acrobatie sans filet face à une économie mondiale menacée en permanence par un krach financier.

La semaine dernière, cependant, on a vu que le gouvernement subissait la pression d’un autre secteur capitaliste : les industriels et les exportateurs. La « révision » des chiffres de l’inflation prévue, à savoir, la dévaluation du peso, est une exigence de ce secteur du patronat, superficiellement présentée comme une exigence interne, du cabinet économique contre Sturzeneger, le président de la Banque centrale. Cette division gouvernementale qui reflète un conflit entre les secteurs patronaux est la même qui, symétriquement, avait éjecté Prat Gay du ministère des Finances il y a exactement un an. Quoiqu’il en soit, il y a un soutien de l’ensemble des secteurs patronaux au gouvernement national. Les frictions et les pressions demeurent cantonnées au sein de ce front unique patronal, il n’y a pas rupture de ce front. Et c’est ce qui fait la force de ce gouvernement sans majorité parlementaire. Ce n’est pas la taille de Cambiemos à conclure des accords qui autorise Macri de passer des pactes avec les gouverneurs et les bureaucrates syndicaux ; c’est l’absence d’un secteur décisif du patronat avec une orientation économique alternative. C’est aussi l’origine de la faiblesse du kirchnérisme [du nom des précédents présidents, Nestor Kirchner et après sa mort « CFK », Cristina Fernandez de Kirchner, du Parti justicialiste, le principal parti péroniste, qui affectaient un langage étatiste], le manque de soutien d’un patronat qui a abandonné cette clique politique bourgeoise plus proche de la prison que du retour au affaires. Beaucoup plus proche du pouvoir se trouvent les dirigeants d’Ezeiza dont les discours sont plus virulents contre Macri que contre le péronisme « traître » qui vote ses lois. Cristina aspire seulement à éviter la prison sous le parapluie de Pichetto [Miguel Pichetto dirige le groupe PJ du Sénat] et d’une quelconque « nouvelle majorité » où elle pourrait s’abriter. Cette «nouvelle majorité» en construction inclut le kirchnérisme, mais n’est pas dirigée par Cristina [Kirchner]. C’est un recours au péronisme dont la double fonction est de permettre une bonne gouvernabilité et d’enserrer la gauche dans les filets du régime politique bourgeois. Le pape François lui-même a mis la main à la pâte. Comme l’a dit Cristina, l’objectif étant que d’ici 2019, personne d’autre que Macri n’occupe la Casa Rosada [siège à Buenos-Aires du pouvoir exécutif fédéral]. Les travailleurs devront se consoler avec l’espoir que « quelqu’un » qui garantit à « CFK » la liberté de mettre en oeuvre la rigueur budgétaire et la répression contre les travailleurs, dès lors qu’elle ne s’appelle pas Macri et ne fait pas partie de la PRO [Propuesta Republicana, coalition dans la province de Buenos-Aires du Compromiso avec Recrear para el Crecimiento, mené par Ricardo López Murphy, et le Partido Federal de Francisco Manrique]. Alicia Kirchner [sœur de feu Néstor Kirchner, gouverneure de la province de Santa Cruz], qui a un nom plus « progressiste » semble postuler pour ce rôle, mettant au pas et réprimant les enseignants et les fonctionnaires de sa province pour appliquer le pacte d’ajustement budgétaire convenu avec… Macri.

Le rôle de la bureaucratie syndicale

Comme nous l’avons dit, les pactes de Macri pour imposer sa « réforme en permanence » ont été négociés séparément. L’accord budgétaire prévisionnel avec les gouverneurs et l’accord sur la réforme du travail avec la CGT. Comme c’est la règle dans une «démocratie parlementaire», ces accords devraient ensuite passer par la chambre des « représentants du peuple ». Le problème est que, entre la clôture de ces négociations parallèles et leurs votes au parlement, la classe ouvrière, les pauvres, ainsi que de larges secteurs de la classe moyenne, ont contesté leur résultat. La réforme qui a été rendue publique en premier et qui a entraîné un rejet général fut celle sur la réforme du travail. La CGT a tenté de présenter cet accord comme le résultat de sa politique de « dialogue ». Elle a organisé des réunions de délégués expliquant que la réforme du travail est positive pour ce qui est du travail au noir et de la formation professionnelle. Alors que les chapitres du projet qui modifient la LCT (loi de contrat de travail) seraient « inoffensifs ». Nous n’avons pas l’intention de sous-estimer les effets de cette campagne mensongère sur la base ouvrière, mais le fait est que les dirigeants de la CGT qui avaient conclu l’accord se sont cachés lorsqu’ils ont dû aller le faire approuver au Congrès [siège du pouvoir législatif qui abrite la Chambre des députés et le Sénat] ; et les sénateurs, emmenés par Pichetto, ont renvoyé la balle à l’année prochaine, ou lorsque la CGT aura résolu son problème interne et que la famille Moyano [les dirigeants CGT Facundo Moyano et Pablo Moyano sont les fils de l’ancien président confédéral Hugo Moyano, ils sont aussi des capitalistes, voire des politiciens bourgeois] en aura fini avec la posture « combative » qui est encore la sienne aujourd’hui.

Pendant ce temps, la réforme des retraites était adoptée, sans crises majeures, par le Sénat et se préparait à l’être également par la Chambre des députés. Mais à ce stade le kirchnérisme, pourtant sonné par l’offensive du juge Bonadio [le magistrat fédéral qui a mis en examen Kirchner pour « trahison » et demandé son placement en détention en décembre 2017], regimba plus que prévu et l’impact des révélations sur la réforme des retraites provoqua un plus grand rejet populaire encore que la réforme du travail. Et, contrairement à la réforme du travail, ce rejet entraina une plus grande mobilisation. Les gouverneurs [les gouverneurs sont les dirigeants élus des 24 provinces argentines] et « leurs » députés ont pris en compte le coût politique de cet accord et n’ont pas arrêté de chiffrage. L’absence de quorum le 14 décembre est le résultat de cette décision de renégocier l’accord de la part des gouverneurs. Dans ce contexte, un secteur de la bourgeoisie industrielle et du marché intérieur ont profité de l’occasion pour faire pression pour obtenir une concession à son profit. Cette situation a également été saisie par les dirigeants de la CGT qui ont déclaré s’opposer à la réforme au motif « qu’ils n’avaient pas été consultés ». La répression brutale de la place du Congrès et des rues alentour, par la gendarmerie de Patricia Bullrich [ministre de l’Intérieur, membre de CC, Coalición Cívica], a fini de réduire à néant cette tentative hâtive de Macri de faire adopter ce projet de loi lors d’une session convoquée 48 heures après une vive discussion en commission. La menace d’un décret présidentiel a été ressentie comme une pression inacceptable par le reste du régime politique : « S’ils veulent jouer avec le feu, je peux être le pyromane numéro un » semblait dire Macri aux gouverneurs, à Cambiemos et jusqu’à Carrió [Elisa Carrió est la principale dirigeante de CC]. Un seul week-end a suffi pour que le gouvernement renégocie, avec les gouverneurs, un accord dont les résultats sont de nouvelles concessions et la « belle compensation » pour tenter de maquiller ce que la plupart des gens avait déjà perçu comme un vol des retraités.

La CGT a passé cette même fin de semaine en « état d’alerte », menaçant d’appeler à la grève générale dès le lundi suivant. En plus de se raccommoder avec une base mobilisée, les bureaucrates syndicaux sentaient le sang et pensaient que Macri allait leur lancer un os. Il n’y eut pas plus d’os que pour les gouverneurs et la CGT n’eut pas d’autre choix que d’appeler formellement à la grève générale, sans mobiliser et, dans une grande partie des syndicats, sans même appeler à un arrêt de travail. Et, pour montrer leur caractère profondément réactionnaire, les dirigeants de la CGT se sont empressé de désavouer publiquement les travailleurs qui se défendaient contre la répression de la Plaza Congreso, les qualifiant de « violents et antidémocratiques ».

La loi du pillage des retraites a finalement été approuvée. Le gouvernement a perdu presque tout le soutien que, bien que minoritaire, il avait dans un secteur de la classe ouvrière et a également payé un coût politique important dans sa base sociale de masse : la classe moyenne. C’est aussi pourquoi, la mobilisation ouvrière et populaire des 14 et 18 décembre a atteint des niveaux si importants en nombre et en combativité.

Les journées des 14 et 18 décembre

Cependant, les analyses de la plupart des courants de la gauche classiste qui déclarent un « tournant », une « nouvelle étape de la lutte des classes » ou un « triomphe à la Pyrrhus » du gouvernement, relèvent d’un impressionnisme fiévreux. Encore une fois, nous ne nions pas que la mobilisation contre la loi sur les retraites ait eu un caractère massif et que le gouvernement ait payé un lourd tribut politique. Mais si le gouvernement a obtenu un triomphe « à la Pyrrhus », les travailleurs, après avoir resserré les forces au maximum de ce que permettaient les conditions politiques précédentes, ont fini sur une défaite. La faiblesse ou la force du gouvernement ne peut pas être mesurée par des sondages d’opinion, mais à l’aune de la lutte des classes. Et dans ce domaine, la réalité, c’est que le gouvernement a remporté une manche. La classe ouvrière n’est pas assommée mais celui qui est à l’offensive reste le gouvernement, soutenu par les capitalistes et leur régime politique.

Et quand nous parlons de conditions politiques antérieures, nous ne référons pas seulement à la victoire électorale de Macri, ni du soutien qu’il a eu et qu’il a toujours de la bourgeoisie et des représentants politiques de l’opposition. Le facteur politique qui a le plus influencé le premier tour de la lutte contre les réformes gouvernementales a été le contrôle que la bureaucratie syndicale, quelles que soient ses divisions internes, continue d’exercer sur la grande majorité du mouvement ouvrier. La CGT a été contrainte, par la révolte et la mobilisation d’un secteur important de la base ouvrière, à appeler, même formellement, à la grève générale. Mais cette colère n’a pas permis de rendre cette grève réellement effective dans l’ensemble du mouvement ouvrier avec, comme conséquence, de mobiliser beaucoup plus de travailleurs organisés, ce qui lui aurait aussi donné un autre caractère, quantitativement et qualitativement, pour faire face aux forces répressives.

L’avant-garde classiste et les secteurs combatifs ne bénéficiaient d’un « environnement » favorable pour impulser la grève et la mobilisation que là où ils avaient fait un travail politique au préalable, en profitant aussi du fait que dans ces secteurs, la bureaucratie ne donnait pas le ton. Mais pour assister au débordement du barrage bureaucratique par la base, il reste du chemin à parcourir et combler cette distance est précisément la principale tâche des révolutionnaires avant de pouvoir non seulement faire payer le coût politique au gouvernement, mais pour vaincre son offensive, ouvrant ainsi, effectivement, une « nouvelle étape » de la lutte des classes, celle du renversement du gouvernement anti-ouvrier et de l’ensemble du régime politique patronal, c’est à dire la lutte ouverte pour le gouvernement des travailleurs et du peuple pauvre.

L’offensive du régime patronal ne s’arrête pas, elle doit se heurter au front unique ouvrier

Le chef du cabinet, Marcos Peña, a déjà annoncé son intention de faire approuver la réforme du travail en février. Mais l’offensive du gouvernement, des patrons et des gouverneurs n’attend pas les dates du calendrier parlementaire. En fait, elle n’a jamais cessé. Le mois de décembre et les premiers jours de janvier ont été marqués par des milliers de licenciements de travailleurs de l’État et du privé ; avec une flambée des prix. Dans ce contexte, la répression des luttes s’aggrave, comme dans les provinces de Jujuy, Neuquén et Santa Cruz, avec des arrestations et même des poursuites pénales, comme avec la campagne contre l’avant-garde de la classe et la mise en prison de Cesar Arakaki du PO [Partido Obrero, une organisation qui se réclame du trotskysme] et l’inculpation de Sebastian Romero du PSTU [Partido Socialista de los Trabajadores Unificado, une autre organisation qui se réclame du trotskysme] tous les deux, pour s’être défendus face à la répression policière du 18 décembre. La militarisation préventive des usines et des établissements, où il y a des licenciements massifs est même devenue une habitude. 2018 s’ouvre comme une année d’attaques acharnées contre la classe ouvrière et le peuple. Les réunions paritaires seront le terrain sur lequel les patrons et les gouvernements, nationaux et provinciaux tenteront d’imposer la réduction des salaires et la flexibilité du travail.

Pour faire face à cette offensive unifiée du régime des patrons, il faudra la plus grande unité dans la lutte, ainsi qu’une claire délimitation et une réelle indépendance de l’avant-garde par rapport aux fronts politiques du patronat et de ses agents dans le mouvement ouvrier, c’est-à-dire les bureaucraties syndicales de tous ordres. Le front unique ouvrier exige l’organisation de la base et l’intervention de la classe ouvrière pour impulser, soutenir et renforcer, en les coordonnant, les luttes actuelles, comme celle de Fanazul et de l’UEP de La Plata ; et, à partir d’une position de force réelle, contraindre les chefs syndicaux, qui se contentent de discuter avec les patrons, à passer à l’offensive. La situation réactionnaire, que nous, la Causa Obrera, venons de décrire est l’occasion de commencer à l’inverser grâce à une volonté accrue de lutte d’une partie du mouvement de masse. La lutte contre les licenciements et les fermetures d’usines précède une série de négociations où seront discutées non seulement la réduction des salaires, mais également la flexibilité du travail pour chaque secteur, ainsi que la réforme totale du droit du travail. Le soutien populaire manifesté envers les travailleurs de Fanazul à Azul, ou le coup d’arrêt temporaire aux mises à pied par la lutte à Envases del Plata, met en évidence la nécessité d’étendre et de coordonner les luttes. Mais la fin de 2017 a montré que, pour vaincre l’offensive des capitalistes et leur régime, la classe ouvrière doit passer des grèves défensives, divisées et isolées par la CGT, à la grève générale, élargir davantage les mobilisations et mieux se préparer à se défendre face à la répression. Toutes ces tâches nécessitent la lutte politique contre les directions bureaucratiques, celles qui sont orientées sur la collaboration ouverte avec le gouvernement, comme celles qui combinent un discours combatif avec l’isolement et le contrôle de la lutte ouvrière et populaire. Ce combat politique ne peut se développer qu’avec un programme ouvrier de sortie de la crise capitaliste, et avec l’objectif de l’imposer par la mise en place d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres. La lutte politique contre les gouvernements, les patrons et la bureaucratie avec une position révolutionnaire de clase, tout comme l’élaboration d’un programme d’action pour passer de la défensive à l’offensive, exigent la construction d’un parti révolutionnaire des travailleurs.

[éditorial de La Causa Obrera, organe du PCO, janvier 2018, traduit par le GMI, les crochets sont des précisions de Révolution communiste]