Tirer le bilan

TelegramWhatsappTwitter Facebook

La réaction ratifie les ordonnances sous les applaudissements

Le 28 novembre, les députés LREM, Constructifs et la grande majorité du groupe LR votaient à l’Assemblée nationale, par 463 voix pour contre 74, la ratification des ordonnances. L’annonce des résultats a été applaudie debout par cette majorité réactionnaire, célébrant une victoire pour la bourgeoisie. Pour les travailleurs, c’est une nouvelle défaite, après celle subie en 2016 sur la première loi Travail imposée par Hollande, Valls et El Khomri, prémisse des ordonnances de Macron, Philippe, Pénicaud.

Déjà, le gouvernement installe de nouvelles mesures, comme la sélection à l’entrée de l’Université, fait voter son budget 2018 si bienveillant pour les riches et les capitalistes et dur contre les salariés, dépense sans compter pour la police et l’armée, s’en prend une fois de plus à la santé publique. Il met en place de nouveaux chantiers comme une nouvelle attaque contre les retraites remplacées par une retraite à points, une autre offensive contre les chômeurs taxés de « récidivistes », envisage de supprimer l’indexation du smic, durcit la répression contre les migrants : « Le ministre de l’intérieur intime aux préfets d’agir plus fermement contre l’immigration irrégulière… alors qu’une loi sur l’immigration est prévue au printemps. » (Le Monde, 5 décembre).

La morgue de Macron à l’encontre des manifestants ou des travailleurs qui cherchent à sauver leurs emplois ne connait plus de bornes. Macron, pourtant élu assez chichement malgré le soutien au deuxième tour de la plupart des dirigeants des syndicats et des partis ouvriers, avec près de 12 % de blancs et nuls, plus de 25 % d’abstentions, et beaucoup plus dans les quartiers ouvriers, déroule tranquillement le contenu du programme en faveur de la bourgeoisie énoncé sans ambigüité pendant la campagne présidentielle. De reculs en défaites et de défaites en reculs, quand tout cela s’arrêtera-t-il ? Militants, travailleurs et jeunes s’interrogent, comment tout cela a-t-il été rendu possible ? Mais que trouvent-ils comme réponses ?

Les réponses frelatées de LFI et Mélenchon

Ils trouvent Mélenchon et son mouvement LFI qui y vont de leurs explications : pour le député LFI Corbière, le 28 novembre sur Europe 1« il y a un rapport de force issu des élections qui ne permet pas, au sein de l’hémicycle, que nous puissions faire opposition à cela…la grande manifestation en capacité de faire reculer le gouvernement n’a pas eu lieu… ». Un autre député LFI, Coquerel, renchérit : « il manque une pression suffisante de la rue ». Et Corbière complète le tableau le 16 novembre à Marseille : « la division syndicale nous a coûté très cher, et aussi la division du politique et du syndical, parce qu’il y a des milliers, des millions de militants qui sont prêts à entrer dans l’action, mais à condition qu’on les appelle à une action qui leur semble avoir du sens ». Résumons : l’opposition n’est pas assez nombreuse à l’Assemblée nationale, les travailleurs ne se sont pas assez mobilisés, enfin la division syndicale et l’absence d’action efficace auraient permis au gouvernement de l’emporter.

Enfumage ! Qui peut croire, et pas même le député LFI Corbière, qu’un plus grand nombre de députés PCF, LFI et aussi PS soudain convertis à l’opposition à la « réforme » du Code du travail, aurait pu convaincre, à coups d’amendements, la majorité réactionnaire de LREM flanquée de l’appui non moins réactionnaire des députés LR et MODEM de changer le contenu des ordonnances ?

« Pourtant nous n’avons pas ménagé notre peine » déplore Mélenchon ! Le crétinisme parlementaire et le social-patriotisme, outre leur côté ridicule, ont une fonction précise : légitimer le respect de la démocratie bourgeoise, enfermer les travailleurs dans le pacifisme, la reconnaissance de la légitimité des institutions de la bourgeoisie, de sa police et de son armée, de ses lois et de ses votes. Macron ne fait pas autre chose quand il se pare du suffrage universel pour légitimer sa politique.

La division syndicale et la division avec le politique seraient la deuxième raison de l’échec des travailleurs. Pourtant toutes les directions syndicales soutenues par tous les partis politiques se réclamant de la classe ouvrière, sans exception, ont cautionné comme un seul homme les concertations sur le contenu des ordonnances qui ont duré tout l’été. L’unité certes, mais l’unité de tous les appareils en soutien au gouvernement pour négocier les nouvelles attaques contre les travailleurs, était bien au rendez-vous ! De cela pas un mot.

Qu’ensuite, les organisations syndicales se soient divisées entre le soutien ouvert à Macron et l’opportunité de participer à la kermesse des journées d’action, cela ne change aucunement la nature et la fonction de ces journées d’action : empêcher par un simulacre d’opposition toute recherche de la grève générale. Mais ce n’est pas la kyrielle de journées d’action faites pour disloquer le combat que LFI dénonce, ce sont les travailleurs qui ne se seraient pas assez mobilisés dans la rue. Mais quelle est donc l’action efficace dont nous parle Mélenchon ? Sans doute les « casserolades » auxquelles LFI appelait en octobre travailleurs et jeunes ? Jamais LFI n’a dit le moindre mot et encore moins oeuvré pour indiquer que seule la grève générale pouvait faire reculer le gouvernement. Ce n’est pas un hasard, Mélenchon qui espérait que les législatives lui permettraient de devenir le premier ministre de cohabitation avec Macron ne se bat aucunement pour la révolution, pour abattre le pouvoir de la bourgeoisie, mais il bavarde sur la misère des « gens » et sur une VIe République. LFI occupe, partiellement, la place du social-réformisme laissée vacante par la décrépitude du PS et du PCF. Les travailleurs et jeunes qui cherchent des réponses de ce coté-là n’en trouveront pas.

Et celles du NPA, de LO, du POI et du POID

Ils n’en trouveront pas plus auprès du NPA qui fait mine de découvrir le 14 novembre la stratégie perdante menée par les directions syndicales sans plan de mobilisation, accumulant les journées saute-moutons sans lendemain. Le 14 novembre le NPA se dit soudain convaincu, mais un peu tard, que « seul un mouvement d’ensemble, appuyé sur une grève générale des salariés, pourra faire reculer le gouvernement ». Le 15 novembre, il enfourche à nouveau la course aux actions tous azimuts : « Il n’y a pas d’autre choix que de militer pour réussir les journées de grève, indispensables pour que les travailleurs prennent conscience de leur force collective et prennent le temps de discuter de leurs propres luttes, tout en rassemblant les secteurs qui veulent aller plus loin, que ce soit le 18 à l’appel du Front social ou dans la construction d’oppositions qui défendent une stratégie combative dans les syndicats. » Chassez le naturel, il revient au galop !

LO pour sa part couvre tout autant les appareils, comme dans son éditorial du 20 novembre : « Les journées d’action organisées depuis le mois de septembre ont permis à des centaines de milliers de femmes et d’hommes de montrer leur opposition aux attaques gouvernementales et patronales ». Aucun problème donc. Même si LO rajoute à la phrase suivante, comme s’il s’agissait de la suite logique des journées d’action, que « Pour mettre un coup d’arrêt aux reculs sociaux, une lutte générale de l’ensemble du monde du travail sera nécessaire». Et là encore, la grève générale, d’ailleurs renvoyée à un futur lointain, est soigneusement travestie en « lutte générale » pour édulcorer sa signification politique.

Car, n’en déplaise au NPA et à LO, la grève générale n’est pas une meilleure tactique de lutte, ce n’est pas une grève qui dure plus longtemps, ce n’est pas même la « généralisation » des luttes, c’est la lutte politique des ouvriers qui ouvre la voie au renversement du gouvernement, à l’expropriation des usines, au contrôle ouvrier, au gouvernement ouvrier. C’est précisément pour cela qu’elle fait si peur à la bourgeoisie et que ses gouvernements préfèrent encore céder sur les revendications plutôt que de risquer de tout perdre. Encore faut-il pour cela défendre le drapeau de la prise du pouvoir par la classe ouvrière, et non pas avoir comme objectif de « faire entendre la voix des travailleurs » comme LO ou celui d’une bien vague « rupture avec le capitalisme » comme le NPA.

Et que dire du POID pour qui le caractère réactionnaire du gouvernement Macron, de son budget, de ses mesures anti-ouvrières, est déterminé avant tout par son respect des exigences de l’Union européenne ? Comme si le gouvernement de May, issu du Brexit en Grande-Bretagne, menait dès lors une politique plus conforme aux intérêts des travailleurs ! Ou bien le POI qui déclare le 14 octobre « Constatons qu’à ce jour, la volonté clairement affirmée de millions de travailleurs de se battre pour mettre en échec cette politique archi-réactionnaire de régression sociale se heurte à la difficulté de rassembler cette immense force. Chacun ayant les meilleures raisons du monde, ce qui finit par aboutir à diviser les forces, laissant les mains libres à Macron au service du capital. » Tous les bureaucrates ayant les meilleures raisons du monde peuvent donc dormir tranquilles, le POI se propose de constituer un énième « Comité national », cette fois-ci « de résistance et de reconquête », tout en prévenant qu’« il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux organisations syndicales et politiques déjà existantes, mais simplement de contribuer au regroupement des forces nécessaires… ».

La victoire du retrait du CPE contre la succession des défaites programmées

Évidemment, ce ne sont pas les politiques de ces organisations qui font directement reculer la grande masse des travailleurs et des jeunes, mais les échecs successifs depuis les grèves en défense des retraites de 2007, puis 2010, et bien d’autres défaites de secteurs entiers chez les enseignants, les hospitaliers, à la SNCF, Goodyear, les universités, etc. tous occasionnés par la trahison des appareils politiques et syndicaux contrôlant le mouvement ouvrier qui, à chaque fois, négocient les attaques en amont et disloquent ensuite les mouvements. Or la lutte des classes n’est pas une ardoise magique qui permettrait après chaque défaite d’effacer tout et de recommencer comme si de rien n’était, contrairement aux rodomontades des centristes et de la direction de la CGT qui prétendent à chaque coup que la rentrée sera chaude.

Ce n’est pas tant que les échecs laissent des traces, font reculer les hésitants. Leur succession persuade peu à peu une partie croissante des travailleurs, non pas que la lutte est inutile, mais que ces sortes de luttes sont inutiles, sans pour autant qu’ils trouvent d’autres perspectives pour le combat. La dernière victoire pour la classe ouvrière et la jeunesse un tant soit peu significative date de 2006, avec le retrait du CPE. Cette victoire a été obtenue car dans le secteur des universités, c’est la grève générale qui s’est imposée et non les journées d’action éparpillées, et que voyant la grève générale de ce secteur face au gouvernement, les travailleurs manifestaient leur solidarité, constituant une menace supplémentaire pour le gouvernement. Le retrait du CPE a été obtenu car la grève générale des universités était contrôlée par les assemblées générales, organisées dans une coordination nationale de délégués élus et mandatés, qui a permis d’écarter en partie les manoeuvres des directions syndicales qui avaient tout du long tenté de négocier des aménagements cosmétiques au CPE, contre l’exigence du retrait portée par les assemblées générales. Mais cette victoire partielle n’a rien à voir avec les défilés au son des chansonnettes qu’organisent aujourd’hui les bureaucrates syndicaux qui font mine de s’opposer.

La bourgeoisie n’en a jamais fini d’essayer d’enterrer la perspective du socialisme

De plus, l’impasse organisée sur le terrain direct de la lutte se double d’une poursuite de l’offensive idéologique de la bourgeoisie pour faire reculer la conscience de classe, puissamment relayée par toutes les directions bourgeoises du mouvement ouvrier pour enterrer toute perspective socialiste. Que l’on songe à l’évolution du PS et du PCF, sans même revenir aux années 1930 quand SFIO et PC étaient obligés de défendre, quoiqu’en paroles seulement, l’expropriation des grands groupes, le plan de production, etc.

Évidemment, Blum et Thorez, plus tard Mitterrand et Marchais et aujourd’hui Mélenchon ou Laurent sont de même nature, des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, directement ou autrefois par l’entremise du stalinisme, et il ne s’agit pas de laisser croire que les uns étaient plus révolutionnaires que les autres, plus « à gauche »… Mais quand Mitterrand déclare en 1971 au congrès du PS d’Epinay, contre le courant rocardien, que nul n’a sa place au PS s’il n’est pour la rupture avec le capitalisme, lui, l’homme à la francisque, c’est qu’il n’a pas d’autre choix que de dire cela s’il veut draguer l’électorat ouvrier pour occuper la place qu’il désire.

A-t-on jamais entendu Hollande ou Hamon, tous les caciques du PS s’aventurer, même dans leurs déclarations les plus enflammées, au-delà des lois du marché, de la compétitivité retrouvée, assaisonnées d’un zeste de régulation et d’un soupçon de modernisation dans le domaine du droit civil (mariage pour tous) ? Ceux-là n’ont tout simplement plus besoin de se dissimuler derrière le drapeau du socialisme pour poursuivre leur besogne au compte de la bourgeoisie. La conscience de la possibilité et de la nécessité de marcher au socialisme a reculé dans la conscience des salariés et des jeunes depuis la réintroduction du capitalisme en RDA et en Russie, puis en Chine et au Vietnam, avec la disparition de ce qui restait encore des traits socialistes des États ouvriers bureaucratisés et dégénérés, comme la propriété étatique des principaux moyens de production, le monopole étatique du commerce extérieur, divers acquis pour la classe ouvrière et la jeunesse en terme de droit à la santé, à l’éducation, etc.

Qu’une fraction des couches supérieures du salariat, cadres, professeurs, ait succombé aux charmes de Macron et voté pour lui ou que, en Corse, une partie de la population cède aux sirènes du nationalisme bourgeois, n’en sont que deux illustrations parmi d’autres. Pourtant, cela ne suffira jamais car le pourrissement sur pied du capitalisme au stade impérialiste génère toujours et encore la recherche d’autres perspectives que d’accepter de s’acheminer peu à peu vers la barbarie. C’est pour cette raison qu’à l’occasion du centième anniversaire de la révolution de 1917, la bourgeoisie et ses multiples auxiliaires ont déployé toute une panoplie d’émissions, d’articles, de livres pour à nouveau salir le combat des bolcheviks, assimiler la prise du pouvoir à un putsch et le bolchévisme au stalinisme.

Garder le cap

La bourgeoisie avance indiscutablement, elle va accélérer encore le rythme de ses attaques, certes encouragée par ses succès contre la classe ouvrière, mais aussi par le simple fait de la concurrence mondiale entre les principaux impérialismes, scène sur laquelle la bourgeoisie française continue de perdre des places avec un déficit de la balance commerciale qui va croissant, malgré les ventes d’armes, avec une dette publique qui atteint quasiment les 100 % du PIB alors que les taux d’intérêt, jusqu’à présent très bas, peuvent remonter rapidement. Elle va accélérer car l’horizon international se fait de plus en plus incertain, avec des affrontements nombreux ou des menaces de conflits, qui opposent le plus souvent, derrière les puissances régionales qui s’affrontent, les intérêts contradictoires des grandes puissances impérialistes. Elle va accélérer car si la crise de 2008/2009 a été surmontée par les attaques contre le travail, l’injection massive de liquidités par la Banque centrale européenne et non par la destruction significative de capital, la reprise est donc « molle » selon les commentateurs. En vérité, tous les facteurs d’une nouvelle crise, avec notamment une spéculation boursière hors de proportion, s’accumulent à nouveau.

Les reculs successifs conduisent la classe ouvrière et la jeunesse à une apparente résignation. Mais il n’y a pas eu écrasement, il n’y a pas eu défaite majeure comme par exemple celle que Thatcher avait imposée en 1985 aux mineurs britanniques après un an de grève laissée isolée et encore moins la destruction du mouvement ouvrier allemand par Hitler en 1933. La plus faible participation des travailleurs aux journées d’action bidon signifie également que les salariés refusent de brûler inutilement leurs cartouches. Il germe contradictoirement dans cette situation une maturation politique, une recherche politique de la fraction la plus décidée et combative. C’est précisément pour tenter de la capter que certains parlent, mais seulement après la bataille, de la grève générale, et encore, présentée comme la suite des journées d’action.

Tirer le bilan sans concession des échecs où ont conduit les bureaucrates syndicaux, les directions bourgeoises des partis ouvriers, accompagnées voire défendues par les organisations parlant au nom de la révolution, est une nécessité vitale. En définitive, la politique de soutien ouvert ou camouflé des organisations politiques qui parlent de révolution, se réclament parfois du trotskysme, aux dispositifs contre-révolutionnaires des appareils qui contrôlent le mouvement ouvrier ne leur est pas seulement une aide précieuse, notamment dans les syndicats, pour soutenir la collaboration de classe du dialogue social, faire adopter ou couvrir les actions bidons et juguler les oppositions. Cette couverture joue également un rôle néfaste encore plus important : elle dévoie dans des impasses la recherche de solutions politiques de toute une fraction de la classe ouvrière et de la jeunesse qui veut se dresser contre le gouvernement, n’accepte plus la politique de sabotage des appareils et qui veulent également une organisation révolutionnaire.

Aider les militants, travailleurs et jeunes qui cherchent à s’orienter vers la lutte des classes pour préparer les affrontements inévitables, leur donner la perspective de la construction d’une organisation communiste révolutionnaire et internationaliste, voilà notre objectif.

7 décembre 2017