Allemagne : les élections législatives de septembre

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Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde

Cette affirmation de Brecht dans l’épilogue de la pièce La Résistible Ascension d’Arturo Ui (1941) est de nouveau d’actualité en Allemagne, le pays qui a contribué à deux conflits destructifs d’envergure mondiale. La xénophobie et le fascisme, comme en Autriche, réapparaissent en se camouflant de moins en moins.

Les deux fois, les directions du parti socialiste (SPD) et des syndicats ont porté une lourde responsabilité. Elles ont soutenu la 1re Guerre mondiale quand le groupe parlementaire du Reichstag du SPD en août 1914 a voté les crédits de guerre. Le SPD, comme le parti communiste (KPD), ont refusé de réaliser le front unique ouvrier pour écraser la menace du parti nazi (NSDAP). Le SPD misait sur les partis bourgeois « démocratiques », le KPD stalinisé traitait le SPD de « social-fasciste ». En 1933, Hitler a triomphé. Le SPD et le KPD ont été interdits, les syndicats ouvriers dissous.

Aujourd’hui, 84 ans après la fin de la grande paupérisation des masses par l’hyperinflation comme conséquence de l’économie de guerre et des exigences françaises comme belges des « dommages de guerre » fixés par le Traité de Versailles, nous nous trouvons devant le même défi, imposer la coopération pratique des partis qui se réfèrent à la classe ouvrière contre le fascisme qui apparaît au grand jour.

Les circonstances sont parentes. De grands secteurs de la classe ouvrière souffrent déjà depuis longtemps des convulsions de l’économie capitaliste. Seul un tiers des travailleurs salariés bénéficient encore d’un statut stable et de conditions de vie correctes. La petite bourgeoisie perd de plus en plus sa base matérielle et une partie est déclassée. Certains sont obligés de cumuler deux emplois. Des secteurs significatifs des zones rurales et des petites villes de l’Est n’ont plus intégrées dans le processus de travail depuis la grande expropriation de masse après l’absorption de la RDA. L’atomisation de la classe ouvrière par les reconfigurations des groupes et les restructurations d’entreprises, l’extension des contrats précaires ou avec des « entrepreneurs », abandon par des PME et même des grandes entreprise des organisations, ce qui permet d’échapper aux conventions de branche, ce qui a affaibli la classe ouvrière allemande.

Le mouvement xénophobe Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident) a, dans la rue, réhabilité des manifestations de masse à caractère raciste, se présentant contre l’excès d’immigration et la menace d’une « islamisation de l’Allemagne ». Elles ont débuté en 2014 à Dresde puis se sont étendues à tout le pays (ainsi qu’en Suisse, en Autriche, au Québec et en France). Au plan politique, le parti fascisant AfD (Alternative pour l’Allemagne), ramassis de politiciens anti-Union européenne, d’économistes ultra-libéraux et de nouveaux fascistes, a entrepris de déborder sur la droite la CDU-CSU et le FDP, les deux partis bourgeois formés dans le consensus démocratique d’après la défaite de 1945. Si plusieurs chefs de l’AfD viennent du CDU de l’ouest ou de l’est, ceux qui sont ouvertement fascistes sont originaires de l’ouest même s’ils ont réussi à l’est. Il faut surveiller en particulier le président du groupe parlementaire AfD de Thuringe, Björn Höcke. L’AfD a fondé son propre « syndicat ».

Le SPD et DL ont désorienté politiquement la classe ouvrière. Le SPD a renié le marxisme et le socialisme en 1959, le gouvernement Schröder a mené des attaques contre les travailleurs de 2003 à 2005 (lois Hartz), il vient de gouverner durant la précédente législature sous la direction de Merkel avec le principal parti bourgeois CDU-CSU. DL est né d’une fusion en 2007 d’héritiers du stalinisme et de sociaux-démocrates en rupture du SPD, il ne réclame pas du marxisme ni même du socialisme, il accuse l’Union européenne de causer les problèmes, il défend l’intérêt national et pratique lui-même des blocs avec des partis bourgeois comme les Grünen dans le land de Thuringe.

Dans ces circonstances, le résultat des élections à la chambre des députés (Bundestag) du 24 septembre 2017 n’est pas surprenant.

Les résultats des élections du 24 septembre

61,7 millions d’électeurs étaient inscrits, dont environ 3 millions de nouveaux. Presque 47 millions ont voté, soit 76,2 %, une participation en augmentation de 4,6 % par rapport aux législatives précédentes en 2013.

Le jour du scrutin, chaque électeur disposait de deux voix :

la première pour choisir un candidat de sa circonscription (il y a 299 circonscriptions) ;

la seconde voix pour choisir une liste de candidats présentée dans le cadre de son État (l’Allemagne est un État fédéral composé de 16 « länder »).

À l’issue du dépouillement, l’intégralité des 598 sièges est répartie au scrutin proportionnel sur la base des secondes voix entre les partis politiques (totalisant plus de 5 % des suffrages exprimés au niveau national). Une fois la répartition proportionnelle effectuée, les sièges alloués à chaque parti sont pourvus en priorité par les députés fédéraux élus au scrutin majoritaire. Les sièges non pourvus avec les « premières voix » sont ensuite comblés par les candidats présents sur les listes régionales.

Ce système a abouti à un Bundestag de 709 sièges :

Parti chrétien-démocrate CDU-CSU : 246 députés (-65) ;

Parti social-démocrate SPD : 153 députés (-40) ;

Alternative pour l’Allemagne AfD : 94 députés (+94, il se présentait pour la première fois) ;

Parti libéral-démocrate FDP : 80 députés (+80, il n’avait plus de député dans le précédent Bundestag) ;

Parti de gauche DL : 69 députés (+5) ;

Verts Grünen : 67 (+4).

Tous les autres partis refusent, pour l’instant, de coopérer avec le parti fascisant AfD.

Le tournant du SPD

Le SPD subit donc un échec électoral spectaculaire, puisqu’il perd 380 000 voix au profit de DL, 400 000 pour les Grünen, 430 000 pour le FDP et 500 000 pour l’AfD.

Dès les premiers résultats, le SPD annonce la fin de la « grande coalition » avec la CDU-CSU et son passage à l’opposition. Merkel est obligée de trouver d’autres alliés pour former le prochain gouvernement avant la fin de l’année.

La direction du SPD a été remaniée. La désignation d’Andrea Nahles comme présidente du groupe parlementaire du Bundestag du parti signale la fin de la prédominance masculine traditionnelle mais aussi un certain retour aux sources (parler le langage des classes pour avoir l’oreille des ouvriers, des employés, des techniciens, des fonctionnaires…).

Soudain, il reparle de « capitalisme » et « de critique de capitalisme » : « Nous n’avons pas tenu compte des côtés négatifs de la mondialisation » ; « le SPD doit de nouveau apprendre à comprendre le capitalisme et à le critiquer sévèrement et nécessairement » (entrevue de Nahles, Der Spiegel, 29 septembre). Il n’en était plus question depuis l’adoption du programme de Bad Godesberg en 1959. Le tournant comporte aussi l’offre de coopération parlementaire à DL : « Nous avons quatre ans d’opposition devant nous et nous devons mesurer notre responsabilité commune envers notre démocratie de la manière une ou autre. Je suis prête à cela » (idem). Il sera intéressant de voir comment SPD et DL assumeront leur « responsabilité commune envers la démocratie ».

Le passage à l’opposition et le refus de reconduire la coalition gouvernementale antérieure fait du SPD le plus grand parti d’opposition. Comme tel, il jouit de certains privilèges parlementaires. Une action concertée des partis issus du mouvement ouvrier est la seule qui soit conforme aux intérêts des travailleurs.

D’une manière inquiétant pour l’avenir, la compréhension du rôle de l’État reste celle héritée de la trahison de 1914, ce qui apparait dans l’entrevue de Nahles au Der Spiegel à propos de la politique à l’égard des réfugiés : « Nous ne sommes pas naïfs. Si un million de gens viennent chez nous, tous ne sont pas gentils » ; « ceux qui ne respectent pas les règles de droit doivent s’attendre à des sanctions ».

Pour le front unique ouvrier

Immédiatement, le président de l’autre parti ouvrier bourgeois, Die Linke, répond à Andrea Nahles :

Je repousse résolument le reproche du manque de responsabilité politique porté à l’encontre de DL. Que l’on n’ait pas utilisé pendant quatre ans la majorité qui existait pour une alliance du centre et de la gauche n’est pas de notre faute. (Bernd Riexinger, site de DL, 29 septembre)

Les deux partis, SPD et DL, doivent cesser immédiatement de poser des préalables politiques comme l’exigence d’une « compréhension commune de notre démocratie » (sic) pour une coopération pratique. D’abord parce que, au fond, les chefs du SPD et ceux de DL sont d’accord pour ne pas renverser l’État ni le capitalisme et donc n’écartent pas de gouverner, dans les régions et au niveau fédéral, avec des partis bourgeois. Surtout, parce que le front unique ouvrier ne doit pas empêcher le débat, mais le faciliter à l’avantage des révolutionnaires prolétariens, comme les soviets de 1917 en Russie.

Il faut construire un parti du type bolchevik, un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste. Une des premières tâches de ses partisans est, en s’appuyant sur l’instinct de classe de milliers de travailleurs, d’obliger le SPD, DL et les directions syndicales DGB, GdL, UFO et VC à se battre pour les revendications des travailleurs, à combattre les attaques à venir du gouvernement CDU-FDP-Gr, à se défendre par des actions communes de la menace des chiens de garde de la bourgeoisie Pegida-AfD.

Unité dans l’action de toutes les organisations ouvrières contre le capital et ses acolytes politiques des CDU-CSU, FDP, Grünen et AfD !

Comité d’unité et de lutte dans les entreprises, les administrations, les universités, les quartiers, coordonnées dans les villes, les régions et tout le pays !

Brême, 1er octobre 2017, Volker Braun