La Grande-Bretagne, entre élections et référendum


La subordination aux États-Unis et le rattachement à l’Union européenne

Dans la démocratie bourgeoise britannique, les salariés de sexe masculin n’eurent le droit de vote qu’en 1884 (les femmes attendirent 1928). Deux partis bourgeois se disputaient le pouvoir : le Parti libéral (aujourd’hui les Libéraux-démocrates LD) et le Parti conservateur (CP). À partir de 1900, les syndicats ont cessé de soutenir le Parti libéral pour créer le Parti travailliste (LP) sur un programme réformiste. Le LP a soutenu sa bourgeoisie lors des deux guerres mondiales et a géré loyalement le capitalisme dès 1924.

La bourgeoisie britannique a dû accepter d’être supplantée à l’échelle mondiale par sa rivale américaine à partir de la Première guerre mondiale, même si elle reste à la tête de la 5e ou la 6e économie du monde. L’État britannique a été obligé de concéder l’indépendance à ses principales colonies, comme la bourgeoisie française, et à céder au gouvernement américain, lors de leur invasion de l’Égypte en 1956. Après la 2e Guerre mondiale, les premiers ministres LP et le CP se sont succédé au sommet de l’État bourgeois. À cause de la perte des colonies et de l’étroitesse des frontières nationales, les fractions déterminantes du grand capital britannique (principaux groupes de l’industrie et de la finance) ont choisi, malgré une minorité (plus petites entreprises) de demander l’adhésion à la CEE (ancêtre de l’Union européenne) en 1961. Face à l’opposition de la France (car De Gaulle craint que la Grande-Bretagne la sabote au compte des États-Unis), le Royaume-Uni et l’Irlande ne sont admis qu’en 1973. Le gouvernement de l’impérialisme français (Pompidou) juge alors utile de contrebalancer la puissance grandissante de son rival allemand. Un référendum organisé par le gouvernement Wilson (LP) ratifie l’adhésion en 1975 (67 % pour).

Avec Blair, l’aile droite a dominé le LP en 1994. Néanmoins, le Labour conservait des liens avec la confédération unique (TUC) et continuait à bénéficier des voix de la majorité des travailleurs salariés. Aucun parti ouvrier révolutionnaire n’a émergé des luttes de classes, pourtant tumultueuses, d’Irlande et de Grande-Bretagne des années 1970 et 1980. Le parti stalinien (CPGB) a éclaté entre ceux qui ont rejoint le parti bourgeois LD, une organisation sociale-chauvine europhobe (CPB) et un groupe centriste néo-kautskyste (CPGB). Les principales organisations qui usurpent la référence à Lénine et à Trotsky sont gangrenées par le réformisme et le pacifisme, voire par l’écologisme et le nationalisme petit-bourgeois.

Pour se montrer capables d’une résistance révolutionnaire, les masses doivent y être préparées matériellement, ainsi que sur le terrain des idées et de l’organisation. Elles doivent comprendre l’inéluctabilité de l’aggravation de la lutte des classes et de sa transformation en guerre civile dans une phase donnée. (Trotsky, Où va l’Angleterre ?, 1925, ch. 5)

Les élections britanniques sont à un seul tour. En 1997, le gouvernement LP de Blair a modifié la constitution par la dévolution conférant d’importants pouvoirs aux parlements écossais, gallois et irlandais, tout en maintenant la monarchie et un parlement britannique. La diplomatie, les services secrets et l’armée sont restés unifiés. Le 5 mai, les électeurs d’Angleterre ont désigné les conseillers d’organismes locaux et de plusieurs villes (dont Londres) et ceux d’Écosse, d’Irlande du Nord et d’Écosse votèrent pour les parlements régionaux. Le 23 juin, les citoyens de tout le Royaume-Uni seront appelés à se prononcer sur un référendum.

Les élections locales de mai en Angleterre

Lors des élections internes au Parti travailliste de septembre 2015, les militants et sympathisants ont donné une majorité au candidat de la gauche du parti Jeremy Corbyn [voir Révolution communiste n° 14]. Alors, le Parti conservateur (CP) et la droite du LP ont déclenché une campagne contre ceux qui dans le Parti travailliste ont, comme Corbyn lui-même autrefois, osé prendre position pour les droits des Palestiniens. Gerry Downing, Tony Greenstein, Naz Shah, Jackie Walker, Ken Livingstone… sont accusés de manière mensongère d’antisémitisme, selon une antienne des sionistes (reprise en France par le Premier ministre lui-même). Le même procédé est utilisé contre la nouvelle présidente du syndicat étudiant (NUS) : Malia Bouattia.

Le maire de Londres de 2008 à 2016, le conservateur Boris Johnson, ne se représentait pas. Le candidat conservateur à la mairie de Londres, le capitaliste Zac Goldsmith, a mené une campagne ignominieuse contre le candidat travailliste Sadiq Khan, dépeint comme un islamiste parce qu’il est musulman et a été avocat d’accusés de terrorisme. Khan s’est prononcé pour l’expulsion de Livingstone (ancien maire de Londres de 2000 à 2008) du LP et a fait campagne pour « un logement abordable, les tarifs et l’infrastructure des transports publics, les hôpitaux publics (NHS) et une politique favorable aux entreprises ». Il a été élu avec 44,2 % des suffrages contre 35 % à Goldsmith, 5,8 % à la candidate écologiste du Parti vert (GP), 4,6 % à celle du Parti libéral-démocrate (LD), 3,6 % au candidat xénophobe UKIP. Cela en fait un rival pour Corbyn.

En Angleterre, le LP a maintenu ses positions avec 1 326 conseillers élus (-18) ; le CP au pouvoir a reculé avec 842 conseillers élus (-48) ; l’autre parti bourgeois historique, les LD, a progressé avec 378 élus (+45) ; ainsi que l’UKIP avec 58 élus (+25).

Le Parti socialiste d’Angleterre et du Pays de Galles (SPEW, le courant grantiste représenté en France par la GR qui a quitté le NPA) expliquait depuis 20 ans que le Parti travailliste était devenu un simple parti bourgeois. Pour le concurrencer, il a donc mis sur pied un front électoral avec un programme minimal, la Coalition syndicaliste et socialiste (TUSC). Il a reçu l’aide de la plus grosse organisation à gauche du LP, le SWP (le courant cliffiste est représenté en France par le SPEB qui a rejoint le NPA). La TUSC a fait campagne contre l’austérité, sans grand succès et n’a pas eu d’élu. Un autre parti de type réformiste de gauche, Unité de gauche (LU), a été proclamé par le réalisateur Loach (palme d’or au festival de Cannes de 2006 et de 2016) et deux groupes « trotskystes » : l’AWL shachtmaniste (sans correspondant en France) et la SR pabliste (l’organisation sœur du NPA). LU se référait à sa fondation au modèle de Syriza (comme le NPA, le PCF et le PdG en France). Les résultats de LU ont été infimes.

Pour les travailleurs qui ont des illusions dans la démocratie bourgeoise et dans l’aménagement du capitalisme, autant voter pour le LP que gaspiller son vote pour la TUSC ou LU (un problème auquel s’est heurté en France le lambertisme avec le MPPT-PT-POI).

Les élections législatives de mai en Écosse, en Irlande du Nord et au Pays de Galles

Au Pays de Galles, le LP a reculé en voix et obtenu 29 sièges (-1) ; le parti nationaliste Plaid Cymru a progressé en voix et obtenu 12 sièges (+1) ; le CP a reculé en voix et obtenu 11 sièges (-3) ; l’UKIP a progressé en voix et obtenu 7 sièges (+7) ; les LD ont reculé en voix et n’ont un élu (-4). Le LP forme un gouvernement de type front populaire avec les LD.

En Irlande du Nord, les unionistes chauvins anglais du DUP gardent leurs 38 sièges ; les nationalistes irlandais du SF obtiennent 28 sièges (-1) ; l’autre parti unioniste UUP obtient 16 sièges (+3) ; le parti réformiste SDLP a 12 sièges (-2) ; le parti bourgeois non confessionnel APNI garde 8 sièges ; le GP écologiste passe à 2 sièges (+1) ; le Peuple avant le profit (PBP, issu du SWP et du SPEW) gagne 2 sièges (+1). Le gouvernement entre le parti bourgeois « protestant » et le parti petit-bourgeois nationaliste « catholique » DUP-SF est reconduit.

Après la 2e Guerre mondiale, le Parti travailliste était le premier parti en Écosse. En 2007, le parti nationaliste bourgeois Parti nationaliste écossais (SNP) l’a supplanté en promettant mensongèrement la prospérité par la séparation de l’Angleterre et le maintien dans l’Union européenne. La constitution d’un front travailliste-conservateur-libéral (LP-CP-LD) contre l’indépendance de l’Écosse sur une base impérialiste, monarchiste et militariste a discrédité le LP. Cependant, la majorité des Écossais rejeta l’indépendance lors du référendum de septembre 2014 organisé par le gouvernement SNP (55,3% de non). En mai 2016, le SNP emporte 63 sièges (-6) ; le CP obtient 31 sièges (+16) ; le LP 24 sièges (-13) ; le GP 6 sièges (+4) ; les LD restent à 5. Le gouvernement nationaliste bourgeois SNP est reconduit.

Le référendum de juin sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne

La décision de remettre en cause l’appartenance à l’UE ne vient pas d’un changement de la stratégie de la classe dominante. Le référendum de juin est le résultat de l’irrationalité de sa principale représentation politique, le Parti conservateur (CP), et particulièrement des calculs politiques à court terme du Premier ministre puis de l’ancien maire de Londres. Cameron, comme beaucoup de dirigeants politiques bourgeois, éprouvait la tentation d’attribuer les problèmes économiques et sociaux du pays à l’étranger et en particulier à l’UE. Il était en plus préoccupé par la poussée électorale d’un parti bourgeois minoritaire europhobe et anti-immigré, l’UKIP. En janvier 2013, il annonça la tenue d’un référendum avant la fin de l’année 2017. Il comptait que son allié au gouvernement, le Parti libéral-démocrate (LD) s’y opposerait.

En fait, celui-ci est éliminé à la surprise générale par les élections législatives de 2015 et le CP doit gouverner seul. Cameron se trouve les mains liées par sa promesse. Il manœuvre donc avec la complicité des instances de l’UE. Le gouvernement entreprend de négocier des concessions que pourrait accorder l’UE au Royaume-Uni, en échange d’un positionnement du gouvernement britannique en faveur du maintien dans l’Union. Le 19 février 2016, le Conseil européen concède un projet de décision permettant d’octroyer un « statut spécial » au Royaume-Uni s’il demeure dans l’UE (c’est déjà le cas !).

Le coup de poignard vient de son propre camp. La maire d’alors de Londres, Johnson, déclare qu’il faut choisir la sortie (le Brexit). Il vise clairement à supplanter Cameron à la tête du CP et comme chef du gouvernement. Le débat oppose donc deux camps hétérogènes, tous aussi menteurs l’un que l’autre car il est peu probable, vu le consensus au sein de la minorité capitaliste, que le Royaume-Uni brise ses liens économiques avec le continent.

D’un côté, une idéalisation de l’entente bancale constituée autour des bourgeoisies allemande et française qui se révèle incapable d’unifier l’Europe. D’ailleurs, c’est cette impotence et le maintien de l’OTAN sous hégémonie américaine qui font qu’Obama se réjouit de l’existence de l’UE et prévient que les relations avec l’UE ne seront pas sacrifiées à l’Angleterre réduite à elle-même. Le Parti conservateur et les LD publient des statistiques catastrophiques en cas de Brexit. Le Green Party et le Labour Party se sont ralliés. Corbyn, qui a été europhobe toute sa carrière de député, prétend désormais que « l’Union a protégé travailleurs, consommateurs et l’environnement ». Pure invention : l’UE approuve et encourage les attaques contre les acquis sociaux que mène chaque État bourgeois, sans parler de son incapacité à mettre au pas les capitalistes qui réchauffent le climat, polluent la planète et empoisonnent les humains.

De l’autre, un déchaînement de chauvinisme qui ne se limite pas à l’UKIP. Son émule Johnson proclame que le référendum permettra de « reprendre le contrôle de nos frontières et de notre démocratie ». Dans le mouvement ouvrier, l’UKIP est suivie par le Communist Party of Britain qui rejette « le projet de super-État » et veut « rétablir la démocratie » (ce qui évoque les deux POI de France). Le SWP prétend qu’il faut utiliser le référendum pour porter un coup définitif à Cameron, alors que le renforcement du nationalisme bourgeois aura des effets désastreux (et qu’il est possible que Johnson remplace Cameron). La subordination de la classe ouvrière à la bourgeoise a atteint des sommets quand Kahn (LP) a  partagé la même tribune que Cameron (CP) et quand Galloway (Respect) a tenu un meeting avec Farage (UKIP).

Pour le prolétariat européen, il ne s’agit pas de défendre la « patrie » nationaliste qui est le principal frein au progrès économique. Il s’agit de créer une patrie bien plus grande : les Républiques des États-Unis d’Europe, première étape sur la voie qui doit mener aux États-Unis du Monde. À l’impérialisme sans issue du capitalisme, le prolétariat ne peut qu’opposer une organisation socialiste. (Trotsky, La Guerre et l’Internationale, octobre 1914, introduction)

Il faut un parti révolutionnaire, section de l’Internationale ouvrière, à la classe ouvrière pour qu’elle puisse rester indépendante de toutes les fractions nationales et politiques de la bourgeoisie des îles britanniques :

• Boycott du référendum ! Gouvernement ouvrier qui désarme la police et l’armée, qui exproprie le capital !

• Unité de l’Irlande ! Droit de séparation des minorités nationales ! République fédérale britannique au sein des États-Unis socialistes d’Europe !

31 mai 2016