1945 : la libération des camps nazis par l’Armée rouge

On peut sans peine imaginer ce qui attend les Juifs dès le déclenchement de la guerre mondiale à venir. Même si la guerre est écartée, le prochain développement de la réaction mondiale implique avec certitude l’extermination physique des Juifs. (Lev Trotsky, Appel aux Juifs américains, 22 décembre 1938)

Le nazisme fut le paroxysme de la contre-révolution bourgeoise

Il y a 70 ans, de janvier à mai 1945, l’Armée de l’URSS libère un par un les camps nazis de Pologne et d’Allemagne.

L’extermination de 5 à 6 millions de Juifs d’Europe par les nazis n’est pas un accident incompréhensible, un événement inexplicable, mais une expression exacerbée de la barbarie que porte en lui le capitalisme.

Les traits les plus caractéristiques de la mentalité SS et de ses soubassements sociaux se retrouvent dans bien d’autres secteurs de la société mondiale… L’Allemagne a interprété avec l’originalité propre à son histoire la crise qui l’a conduite à l’univers concentrationnaire. Mais l’existence et le mécanisme de cette crise tiennent aux fondements économiques et sociaux du capitalisme et de l’impérialisme. (D. Rousset, L’Univers concentrationnaire, août 1945)

La première révolution allemande, en 1919, est écrasée par les « corps francs » antisémites, précurseurs des troupes fascistes, sur ordre du gouvernement « socialiste » du SPD, qui n’hésite pas à faire assassiner, avec plusieurs milliers d’ouvriers, Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg et Leo Jogiches.

La défaite a dressé un mur sur le chemin de l’impérialisme allemand. La dynamique extérieure s’est transformée en dynamique intérieure. La guerre se changea en révolution. La social-démocratie, qui aida les Hohenzollern à mener la guerre jusqu’à son issue tragique, ne permit pas au prolétariat de mener la révolution jusqu’à son terme… Le Parti communiste a appelé les ouvriers à une nouvelle révolution, mais s’est avéré incapable de la diriger… Dans l’atmosphère chauffée à blanc par la guerre, la défaite, les réparations, l’inflation, l’occupation de la Ruhr, la crise, le besoin et la rancune, la petite-bourgeoisie se rebella contre tous les vieux partis qui l’avaient trompée… (Lev Trotsky, Qu’est-ce que le national-socialisme ? 10 juin 1933)

L’exaspération du nationalisme pour cimenter les États nationaux bourgeois et la recherche de boucs émissaires transforment les Israélites, de victimes jusqu’au 19e siècle d’une discrimination à justification religieuse, en Juifs conçus comme une race. Ce racisme est né de la justification de la colonisation et de l’esclavage par la prétendue infériorité biologique des opprimés. Les Juifs sont rendus responsables au 20e siècle tout à la fois de la stagnation de l’économie, des défaites militaires, des grèves et des révolutions.

Pour élever la nation au-dessus de l’histoire, on lui donne le soutien de la race. L’histoire est vue comme une émanation de la race… le national-socialisme descend… au matérialisme zoologique. De même que l’aristocratie ruinée trouvait une consolation dans la noblesse de son sang, la petite-bourgeoisie paupérisée s’enivre de contes sur les mérites particuliers de sa race. (Lev Trotsky, Qu’est-ce que le national-socialisme ? 10 juin 1933)

Bien des politiciens bourgeois et des capitalistes apprécient favorablement le rôle contre-révolutionnaire du fascisme allemand. Dans la démocratie parlementaire la mieux établie d’Europe, le dirigeant du Parti conservateur Winston Churchill tient publiquement des propos anti-juifs (Sunday Herald, 8 février 1920), le Daily Mail salue la victoire d’Hitler en 1933 et le Times ne mentionne pas l’antisémitisme du régime nazi avant 1939. En France, de 1940 à 1945, Pétain, désigné par l’Assemblée nationale élue en 1936, va aux devants des exigences de l’occupant nazi et la police de la République collabore avec zèle à l’extermination des Juifs par le 3e Reich. À aucun moment, De Gaulle n’appelle à protéger les Juifs, français et encore moins réfugiés. Mitterrand commence sa carrière comme haut fonctionnaire du régime de Vichy. La 4e et la 5e Républiques recyclent même des auxiliaires français de l’extermination (Maurice Papon, René Bousquet…).

De la xénophobie à l’extermination des Juifs et des Roms

Dans un premier temps, le régime nazi persécute ses Juifs (« loi aryenne » d’expulsion de la fonction publique de 1933, lois de Nuremberg de 1935 « pour la protection du sang et de l’honneur allemands », pogrom de la « Nuit de cristal » en 1938…) et cherche à les expulser d’Allemagne. Durant cette période, de 1933 à 1939, 150 000 militants ouvriers (SPD, KPD, Leninbund, IKD….) sont internés dans des camps de concentration, placés sous l’autorité de la Gestapo : à Dachau, Orianenburg-Sachsenhausen, Weimar-Buchenwald, Mathausen-Gusen, Flossenburg, Ravensbrück, Stutthof. S’y ajoutent ultérieurement : Bergen-Belsen, Ntzweiler-Struthof, Gross-Rosen, Dora-Nordhaus. En 1940, grâce à la défaite de l’impérialisme français face à l’impérialisme allemand, le 3e Reich envisage l’émigration forcée des Juifs à Madagascar, alors colonie française dans l’Océan indien.

Les premières exterminations du 3e Reich ne visent pas les Juifs. Avec l’Opération T4, le régime nazi euthanasie, dans le secret, les handicapés et les malades mentaux allemands. De 1939 à 1941, plus du quart des 360 000 aliénés du Reich sont assassinés, dont 70 000 dans des camions à gaz.

Les inventeurs de ces dispositifs interviendront ensuite en URSS, avant de mettre au point les installations de gazage des camps d’extermination. À partir de mai 1941, lors de la colonisation déguisée en croisade contre le « judéo-bolchevisme », les troupes des Einsatzgruppen ont pour charge de liquider conjointement les membres du Parti communiste et les Juifs. Ils sont aidés par des fascistes polonais, ukrainiens, baltes…

Au printemps 1941, le 3e Reich commence les déportations vers les ghettos et les camps de concentration de la Pologne. Le régime nazi décide la « solution finale », c’est-à-dire l’extermination des Juifs, tout en le dissimulant à la population allemande.

Aux camps de concentration déjà cités, où la plupart des détenus meurent de malnutrition, de maladie, de coups… s’ajoutent les camps d’extermination, de véritables usines à tuer des êtres humains : Chelmno, Belzec, Sobibor et Treblinka. Auschwitz-Birkenau et Maïdanek cumulent les deux fonctions. 250 000 Tziganes (sur 700 000) seront exterminés par les nazis. 3 millions de Juifs sont morts dans les camps, auxquels il faut ajouter 1,3 million de fusillés ou gazés ailleurs (en particulier sur le front de l’est) et 800 000 disparus dans les ghettos. Plus de 3 millions de prisonniers de guerre soviétiques ont péri affamés, fusillés et, dans certains cas, gazés.

L’extermination des Juifs d’Europe par les nazis ne saurait justifier le colonialisme sioniste

Le Premier ministre israélien Netanyahu, après avoir détruit la bande de Gaza l’été 2014 et massacré 2 000 de ses habitants, est invité par Hollande en janvier. Il en profite pour appeler les Juifs français à émigrer en Israël, un État fondé sur la spoliation des Arabes de Palestine.

Le sionisme est une escroquerie historique qui, en invoquant la persécution réactionnaire contre les Juifs, les transforme en auxiliaires d’une colonisation.

Chaque jour nous apporte la preuve que le sionisme est incapable de résoudre la question juive. Le conflit entre les Juifs et les Arabes en Palestine prend une tournure de plus en plus menaçante. (Lev Trotsky, Entrevue avec l’ITA et Der Weg, 18 janvier 1937)

Le mouvement nationaliste juif créé par Herzl en 1897 préconise le retour des Juifs dans leur région d’origine historique, au Proche-Orient, l’adoption de l’hébreu (contre le yiddish) et la religion israélite (qui fait des Juifs un « peuple élu » par la divinité) comme ciment national. Le sionisme prend à contre-pied les aspirations de la plupart des Juifs à vivre et à s’épanouir dans le pays où ils sont nés (Pologne, URSS…) ou qu’ils ont choisi (Allemagne, France, États-Unis…). La révolution russe d’Octobre 1917 conforte cette dernière option, en émancipant les israélites, victimes de discriminations et de pogroms sous le tsar. Dans le pouvoir des soviets, figurent des commissaires du peuple athées mais d’origine juive (Trotsky, Zinoviev, Kamenev…).

Mais la révolution russe reste isolée. L’échec de la révolution prolétarienne à l’ouest, faute de parti révolutionnaire de type bolchevik, puis à l’est, en Chine, en 1927, à cause de la politique menchevik de « front uni antiimpérialiste » avec la bourgeoisie, démoralise le prolétariat soviétique et permet à l’appareil de l’État ouvrier, incarné par Staline, de s’émanciper de tout contrôle de sa part. Le règne de la bureaucratie s’accompagne du retour de l’antisémitisme.

Si la vague révolutionnaire a réveillé les plus nobles sentiments de la solidarité humaine, la réaction thermidorienne a attisé tout ce qui est bas, obscur et arriéré… La bureaucratie n’hésite pas à recourir de façon à peine voilée aux tendances chauvines et surtout à l’antisémitisme. (Lev Trotsky, Entrevue avec l’ITA et Der Weg, 18 janvier 1937)

L’URSS, la Suisse, les États-Unis, etc. refusent d’accueillir en masse les réfugiés juifs d’Europe centrale, ce qui réjouit les dirigeants sionistes dont le projet est la colonisation de la Palestine. Pour les sionistes, les Juifs sont effectivement un corps étranger sauf en Palestine. D’ailleurs, l’Agence juive (Yishuv) passe un accord avec le régime nazi en août 1933 pour organiser l’émigration en Palestine. En retour, la seule organisation juive légale sous Hitler est le mouvement sioniste, l’unique journal juif légal est sioniste. Les sionistes s’accommodent de la victoire d’Hitler et refusent d’engager la lutte contre le régime nazi. Les bolcheviks-léninistes prônent à l’opposé l’unité des exploités et des opprimés pour empêcher la catastrophe qui se profile.

Seule une mobilisation audacieuse des travailleurs contre la réaction, la création de milices ouvrières, la résistance physique directe aux bandes fascistes, l’assurance grandissante et l’activité de tous les opprimés peuvent renverser le rapport des forces, endiguer la vague mondiale du fascisme et ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité. (Lev Trotsky, Appel aux Juifs américains, 22 décembre 1938)

En janvier 1943, l’Armée rouge inflige sa première défaite à l’impérialisme allemand. En dépit de la direction internationale sioniste, sans aide des Alliés mais avec celle du mouvement ouvrier, les Juifs du ghetto de Varsovie se soulèvent en avril 1943 contre les SS, écrivant une des plus belles pages de l’histoire des opprimés.

L’extermination des Juifs d’Europe sert aux sionistes à justifier leur projet antérieur d’édification d’un État bourgeois juif en Palestine. En fondant Israël par la déportation des Palestiniens aux moyens de la terreur, avec le soutien de tous les partisans de l’ordre mondial, dont la bourgeoisie impérialiste française et la bureaucratie du Kremlin, le sionisme parvient à transformer une minorité des Juifs du monde en oppresseurs.

Les Arabes qui vivaient en Palestine sont devenus une minorité opprimée dans l’État sioniste, des exilés dans le monde entier et les habitants de deux bantoustans sous menace permanente d’une armée suréquipée.

L’année 2014 a été particulièrement traumatisante dans les Territoires palestiniens. Dans la bande de Gaza, 1,8 million de civils palestiniens ont enduré la pire escalada depuis 1967. Plus de 1 500 civils palestiniens ont été tués, 11 000 blessés et 100 000 restent déplacés. En Cisjordanie, les confrontations multiples entre manifestants palestiniens et forces israéliennes ont abouti aux statitistiques de victimes les plus élevées des dernières années, tandis que l’expansion de colonies et le déplacement forcé de Palestiniens se poursuit. Au total, environ 4 millions de Palestiniens de la Cisjordanie restent soumis à l’occupation militaire qui les empêche de jouir de nombre de leurs droits humains élémentaires. (Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires palestiniens occupés, mars 2015)

La colonisation sioniste ne saurait constituer une justification à l’antisémitisme

70 ans après la déroute des racistes européens nazis, les monarchies intégristes du Golfe, le régime clérical d’Iran et les courants islamo-fascistes d’Asie de l’ouest et d’Afrique du nord répandent les mêmes calomnies complotistes contre les Juifs. En réalité, ils utilisent l’oppression scandaleuse dont sont victimes les Arabes de Palestine (dont une minorité était chrétienne) pour tenter d’empêcher la révolution sociale qui s’est esquissée en Tunisie et en Égypte. Ceux qu’ils persécutent, volent, arrêtent, torturent, assassinent sont surtout des Arabes et des musulmans. En Europe occidentale, leurs recrues, puisées dans le banditisme, s’en prennent à des Juifs qui, par définition, ne colonisent pas la Palestine.
Les travailleurs arabes et les travailleurs juifs de Palestine doivent s’unir pour liquider l’État d’Israël, qui est un État d’apartheid, pour pouvoir vivre ensemble dans une Palestine laïque, démocratique et pluriethnique au sein des États-Unis socialistes d’Asie de l’Ouest.

Les travailleurs arabes et les travailleurs kurdes du Liban, de la Syrie et de l’Irak doivent s’unir contre toute intervention impérialiste, pour la séparation de l’État et de la religion, pour le respect des minorités nationales, pour liquider le régime d’Assad, l’État irakien mis sur pied par l’impérialisme américain et l’État islamique-Daech, pour exproprier les capitalistes, les chefs de guerre et les grands propriétaires fonciers.

Les travailleurs juifs, arabes et de toutes les ethnies de France doivent s’unir contre les discriminations, contre les interventions militaires, pour liquider la République de la bourgeoisie exploiteuse et impérialiste, pour ouvrir la perspective des États-Unis socialistes d’Europe et de la Fédération socialiste de la Méditerranée.

Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation… ou bien victoire du socialisme. (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie, 1915)