Réponse du CoReP

Destinataire : Comité de liaison des communistes

Copie à : CWG/États-Unis, CWG/Nouvelle Zélande, GKK/Autriche, GMI/France, LCT/Argentine, MaS/Russie, PCO/Argentine, RP/Pérou, RMG/Zimbabwe, TMI/Brésil…

Objet : contribution Cahill-Clark-Rachlis du 28 février 2016

Camarades,

Le bureau du Collectif révolution permanente a fait des propositions à deux reprises au Comité de liaison des communistes (30 novembre 2015, 9 février 2016, à chaque fois en anglais) et lui a soumis (en anglais qui n’est la langue maternelle d’aucun membre du Collectif) un projet de plateforme internationale. Il a reçu le 6 mars une contribution en anglais) de Dan Cahill, Christopher Clark et Charles Rachlis au nom du CLC, portant sur deux problèmes : la situation en Syrie serait révolutionnaire (1) et il serait faux et dangereux de parler d’islamo-fascisme (2).

  1. La Syrie

La révolution permanente est une stratégie

Les SR/Égypte, une des rares organisations qui se réclament du trotskysme dans la région, ont capitulé successivement devant les Frères musulmans et l’état-major, les deux forces contre-révolutionnaires qui ont bloqué le début de révolution démocratique en Égypte, réprimé tout le mouvement ouvrier et restauré le despotisme de Moubarak. Les SR ont justifié leurs zigzags en invoquant la révolution permanente, comme le font tous les révisionnistes depuis 1949.

Les masses ont prouvé une nouvelle fois que leur énergie révolutionnaire est inépuisable, que leur révolution est véritablement une révolution permanente. (SR, 4 jours qui ébranlèrent le monde, 5 juillet 2013)

La révolution permanente n’est pas un simple pronostic historique que l’histoire devrait accomplir automatiquement. Elle est avant tout une stratégie consciente qui réclame que le prolétariat prenne la tête du mouvement des opprimés, ce qu’il ne peut faire que par l’intermédiaire d’un parti ouvrier (communiste, révolutionnaire, internationaliste).

Quelles que soient les premières étapes épisodiques de la révolution dans les différents pays, l’alliance révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie n’est concevable que sous la direction politique de l’avant-garde prolétarienne organisée en parti communiste. Ce qui signifie à son tour que la victoire de la révolution démocratique n’est concevable qu’au moyen de la dictature du prolétariat qui s’appuie sur son alliance avec la paysannerie et résout, en premier lieu, les tâches de la révolution démocratique. (Trotsky, Thèses sur la révolution permanente, 1929)

L’opportunisme bavarde sur une « révolution » métaphysique en Syrie pour camoufler la collaboration de classes. Il ne se divise que sur la manière de céder à la bourgeoisie.

L’opportunisme se différencie en fonction des couches de la bourgeoisie sur lesquelles il cherche à s’appuyer et à la suite desquelles il essaye d’entraîner le prolétariat. (Lukacs, Lénine, 1924, ch. 4)

  • les plus nombreux soutiennent les démocrates bourgeois et petits-bourgeois qui s’opposent apparemment au régime et au djihadisme ;
  • quelques-uns soutiennent le régime officiel syrien qui serait « anti-impérialiste » ;
  • d’autres soutiennent les djihadistes de Syrie et d’Irak sous le même prétexte.

Quelle est la nature de la « révolution qui croît » depuis 5 ans ?

Si une révolution se produisait en Syrie depuis 5 ans, ce qui est un temps très long pour une révolution, elle se serait approfondie, elle serait devenue une révolution sociale. S’il y avait une révolution sociale en Syrie, le monde entier le saurait.

Il n’y a actuellement pas de révolution sociale en Syrie (ou en Irak), contrairement à ce qui se passait dans une grande partie de l’Espagne en 1936-37 grâce aux mobilisations ouvrières et paysannes, au contrôle ouvrier et aux saisies de terres, à l’existence d’organisations ouvrières armées (CNT, POUM) qui soutenaient au début l’armement du peuple et les expropriations.

Les mesures militaires révolutionnaires s’accompagnaient de mesures économiques révolutionnaires contre le fascisme… En Catalogne en particulier, une semaine après le 19 juillet 1936, les transports et l’industrie étaient entièrement aux mains de comités ouvriers… Les paysans n’eurent pas besoin qu’on les presse de prendre la terre. (Morrow, Révolution et contre-révolution en Espagne, 1938, ch. 3)

La contribution de Charles, Christopher & Dan soutient que « la révolution en Syrie n’a pas été écrasée ». Mais, à la place d’une véritable analyse concrète de la situation concrète, nous n’avons qu’une affirmation.

Alors que le danger gonfle, la puissance de la révolution grandit ; les Comités de coordination locaux ont pris en leur possession et exercé plus de pouvoir qu’avant

La seule preuve repose que sur les racontars de la « Coordination des comités locaux ».

Qu’est-ce que la Coordination des comités locaux ?

Les comités locaux de Syrie ne sont pas des soviets.

La Coordination des comités locaux ont pour origine un groupe de militants, journalistes, juristes et politiciens.(Amer Abu Hamed, Syria’s Local Coordination Committees, the Dynamo of a Hijacked Revolution, mai 2014, p. 7)

Ils ne se sont pas renforcés, ils se sont affaiblis après 2011.

La CLC s’est considérablement affaiblie à cause de la répression du régime et des groupes djihadistes. (Amer Abu Hamed, Syria’s Local Coordination Committees, the Dynamo of a Hijacked Revolution, mai 2014, p. 6)

La Syrie de 2014 est très différente de celle de 2011 quand la révolution a commencé. (p. 13)

La direction des « comités locaux » est pacifiste, non-violente. Elle était même disposée à un compromis avec le régime du Baas.

La CLC a un bureau d’adhésion pour les groups qui veulent établir un comité local affilié aux CLC dans un zone donnée… Omar Edelbi, un porte-parole de la CLC explique que « la tâche du bureau d’adhésion est de vérifier… que la personne et le groupe sont adeptes de la révolution pacifique, de la non-violence… (Amer Abu Hamed, Syria’s Local Coordination Committees, the Dynamo of a Hijacked Revolution, mai 2014, p. 8)

La “Vision de la CLC pour le futur politique de la Syrie” fut publiée en juin 2011… Selon ce document, la seule issue à la crise est une négociation pacifique avec le régime. (p. 12)

Quelle que soit l’issue du conflit, le rôle de la CLC et d’autres groupes pacifiques d la jeunesse révolutionnaire sera crucial pour reconstruite la Syrie. (p. 13)

Un courant qui ne veut pas renverser le régime, qui prétend être pacifiste, non violent, qui laisse le monopole des armes à la bourgeoisie (baasiste ou islamiste) n’est pas révolutionnaire.

L’armement de la bourgeoisie contre le prolétariat est l’un des faits les plus importants, les plus fondamentaux, les plus essentiels de la société capitaliste moderne. Et l’on vient proposer de « revendiquer » le « désarmement » ! Ce serait là renier intégralement le point de vue de la lutte de classe et renoncer à toute idée de révolution. (Lénine, Le programme militaire de la révolution prolétarienne, septembre 1916)

En outre, ces « comités locaux » ont appartenu durant quatre ans, de juillet 2011 à juillet 2015, à la CNS bourgeoise soutenu depuis sa fondation par l’Arabie, le Qatar, le Koweït, la Turquie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Visiblement, ils ne l’ont pas quitté pour défendre les intérêts du prolétariat.

Une importante composante de l’opposition au régime, la Coordination des comités locaux, a annoncé samedi qu’elle quittait l’opposition en exil… Dans une lettre à la Coalition nationale syrienne, la CCL a dénoncé ce qu’elle appelle la transformation de la CNS en « blocs liés à des forces étrangères », en citant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. « Nous souhaitons vous informer que la CLC a décidé de se retirer officiellement de la coalition. Nous avions espéré que ce regroupement politique, dont nous étions parmi les fondateurs, réaliserait les aspirations du peuple et les principes de la révolution pour lesquels elle a payé un prix inimaginable. Malheureusement, nous avons à plusieurs reprises constaté son incapacité à mener sa mission… La CCL a mis en cause ce qu’elle nomme des méthodes de travail « non conformes » et la création des « blocs en fonction de facteurs et de forces externes, qui a été la principale cause de l’ouverture d’un conflit intérieur sur les ambitions personnelles de la coalition ». (AFP, Syrian LCC group quits opposition bloc, 1er août 2015)

La contre-révolution du régime syrien et de l’islamo-fascisme

Une révolution démocratique a bien débuté en 2011 mais elle a été écrasée dès 2012. Comme dans d’autres pays d’Afrique du Nord et d’Asie de l’Ouest, la jeunesse et les travailleurs se sont révoltés contre un régime policier et tortionnaire. Comme il n’y avait aucun parti ouvrier révolutionnaire et que la classe ouvrière n’a pu prendre la tête de la mobilisation, la révolution a été vaincue en 2012 sous la pression de deux forces contre-révolutionnaires : l’État bourgeois soutenu par l’Iran et la Russie ; l’islamo-fascisme de l’EI-Daech et Al-Nosra (Al-Qaïda) soutenu par l’Arabie, les EAU, le Qatar, la Turquie. La théorie de la révolution permanente a été confirmée, mais de manière négative.

Le régime du Baas n’est pas tombé, pas seulement parce que l’État russe, le Hezbollah du Liban, les « Gardiens de la révolution » d’Iran (cette appellation montre qu’il ne faut pas croire sur parole tous ceux qui parlent de « révolution ») l’ont militairement renforcé, mais aussi pour des raisons politiques. Une partie de la population, et pas seulement la grande bourgeoisie syrienne, préfère le régime du Baas à celui de l’EI-Daech ou d’Al-Qaida.

La plus grande partie de la Syrie a été bombardée par le régime et les puissances impérialistes (EU, Russie, France, Grande-Bretagne…). Selon l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNCHR), sur 23 millions de Syriens, 4 ont pris la fuite vers les pays voisins et l’Europe, 6,5 millions ont fui à l’intérieur du pays. Comment croire que, dans une telle situation, une révolution peut croître ?

La seule zone importante du pays qui échappe aux tyrannies du Baas, d’Al-Nosra (Al-Qaida) ou de Daech-EI est, au nord, celle que le gouvernement Assad a concédée au nationalisme kurde. Le PYD-YPG n’a pu maintenir et étendre ses positions qu’avec l’aide de l’armée américaine.

L’ASL a été marginalisée dès 2011 et elle ne contrôle en mars 2016 qu’une fraction minime du territoire. Sur le terrain, la différence entre les bandes djihadistes et l’ASL n’a jamais été nette. Depuis sa naissance, l’ASL s’est placée sous l’autorité de la CNS bourgeoise. Il est permis de douter que les États qui soutiennent la CNS financent et arment une révolution sociale. La CNS est notoirement dominée par les Frères musulmans, un courant islamiste qui a mené la contre-révolution en Tunisie et en Égypte, qui est proche de l’AKP/Turquie qui enferme les journalistes et assassine les Kurdes.

  1. L’islamisme

La contribution du CLC estime que le CoReP cède à une « laïcité excessive » et reprend le vocabulaire de l’ex-président Bush fils. Ces deux déviations risquent de repousser des militants d’avant-garde d’Asie de l’Ouest.

Cela est important parce que notre tendance et notre programme ont plusieurs centaines de correspondants parmi les Arabes et d’autres peuples définis comme musulmans. Sur Faceboook, ce sont nos plus grands partisans. Nous avons conquis une réputation comme défenseurs de prisonniers politiques comme Rasmea Odeh et du Printemps arabe et de leur révolution nationale-démocratique ; parmi eux, il y en a un certain nombre qui comprennent que seule la révolution permanente offre une issue à l’oppression par un pouvoir impérialiste ou un autre. De même, nous travaillons d’une certaine manière avec des organisations comme Al-Wada, l’association palestinienne pour le droit au retour, les Students for Justice in Palestine [Étudiants pour la justice en Palestine, qui fait campagne dans les universités étasuniennes, canadiennes, néo-zélandaise… pour le boycott], du Réseau de Solidarité au Proche-Orient et en Afrique du Nord, et d’autres. Nous avons établi dans les esprits de quelques militants d’avant-garde que nous ne sommes pas ceux de la gauche US pro-Assad et/ou ‘orientaliste’ et que nous sommes une tendance internationale qui défend leurs aspirations. Nous nous inquiétons que nous pourrions ruiner ce travail patient si nous acquérions une réputation par association avec quiconque coupable de fondamentaliste laïc [dans l’original : « overboard laïcité » (en français)].

De nouveau, il n’y a aucune citation du projet de plateforme internationale soumis par le bureau du CoReP ou de déclarations antérieures du Collectif.

Le prétendu « excès de laïcité »

Pour Charles, Christopher & Dan, le mouvement ouvrier européen est trop laïc. Les camarades n’expliquent pas ce qu’est le fondamentalisme laïc (l’excès de laïcité, le laïcisme).

Nous voyons le fondamentaliste laïc comme au moins partiellement l’explication de pourquoi le mouvement ouvrier européen n’a pas développé une couche de révolutionnaires en exil avec une implantation suffisante dans les luttes tunisienne, égyptienne, libyenne et syrienne des dernières années.

Les camarades font fausse route :

  1. Le monde n’est pas trop laïc, mais pas assez laïc. Le nationalisme et la religion sont exaspérés partout par la bourgeoisie décadente. Des fondamentalismes religieux font pression sur les gouvernements et, à l’occasion, instaurent un véritable totalitarisme. Les femmes, la jeunesse, les minorités religieuses, les athées, les enseignants, les artistes, les homosexuels… ont tout à gagner à ce que les religions et les prêtres de toutes sortes soient refoulés dans la sphère privée.
  2. Un grave danger en Europe est la division des rangs ouvriers et l’affaiblissement du mouvement ouvrier par les partis xénophobes et fascistes. Ces partis mènent des campagnes contre l’Union européenne, contre les minorités nationales et les étrangers. Évidemment, aux États-Unis, Trump ne peut pas utiliser le christianisme contre l’immigration mexicaine. Mais, en Europe, les campagnes racistes prennent souvent une forme islamophobe : la discrimination contre une religion particulière (la religion musulmane) qui est le plus souvent minoritaire et dont les croyants sont d’origine étrangère.
  3. La défense des minorités religieuses et des athées, la revendication de la séparation des religions et de l’État ont toujours fait partie du programme de l’aile du mouvement ouvrier mondial sous influence des marxistes

Séparation totale de l’Église et de l’État. (Ligue des communistes, Revendications du parti communiste en Allemagne, mars 1848)

La Commune de Paris décréta la séparation de l’Église et de l’État et l’expropriation de toutes les Églises. (AIT, La Guerre civile en France, 1871)

Le Parti ouvrier s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. (Marx, Critique du programme de Gotha, 1875, IV)

L’État n’a pas à s’occuper de la religion, les sociétés religieuses ne doivent pas être liées au pouvoir d’État. Chacun doit être absolument libre de confesser la religion qui lui plaît ou de n’en reconnaître aucune, c’est-à-dire d’être athée, comme tout socialiste l’est ordinairement. Toute distinction des droits entre citoyens, selon leurs croyances religieuses, est absolument inadmissible. Toute mention de la religion des citoyens dans les documents officiels doit être totalement supprimée. L’État ne doit accorder aucune subvention ni à l’Église, ni aux sociétés ecclésiastiques ou religieuses. (Lénine, Socialisme et religion, 3 décembre 1905)

  1. L’incapacité des directions actuelles du mouvement ouvrier à unifier les rangs ouvriers, à renverser les gouvernements anti-migrants et à combattre les partis fascistes ne vient pas de leur laïcité excessive.
  • Le mouvement ouvrier mondial a toujours comporté une composante cléricale. Par exemple, l’Église catholique a joué un certain rôle pour que le PT/Brésil soit dès sa fondation en 1980 un parti ouvrier bourgeois. En Europe, le Parti travailliste a été créé en 1900 par des chrétiens. Le syndicat Solidarnosc a été créé en Pologne avec l’aide de l’Église catholique en 1980 ; des syndicats chrétiens existent aussi en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Roumanie…
  • Les courants d’origine marxiste (la sociale-démocratie et le stalinisme contemporains) ont en, en règle générale, abandonné le programme de laïcité qui faisait partie du programme minimum. Par exemple, l’État brésilien dirigé par le PT interdit l’avortement ; l’État français dirigé par le PS finance l’Église catholique ; l’État allemand codirigé par le SPD finance les religions chrétiennes.
  • En Grande-Bretagne, la plus grosse organisation centriste, le SWP, a abandonné l’anticléricalisme. Sa coalition électorale Respect a refusé en 2004 de défendre le droit à l’avortement. Le SWP avait choisi l’alliance avec un travailliste chrétien (George Galloway) et un groupement clérical lié aux Frères musulmans (la Muslim Association of Britain) contre les droits des femmes travailleuses (y compris d’origine pakistanaise). Il y a une leçon à tirer de cet opportunisme.
  1. En réalité, les partis « réformistes » des pays impérialistes repoussent les travailleurs immigrés et les réfugiés révolutionnaires prolétariens par :
  • leur social-impérialisme (leur nation avant tout),
  • leur politique au gouvernement (restrictions à l’immigration),
  • leurs liens avec l’aristocratie ouvrière (ils négligent les couches les plus exploitées).

L’expression « islamo-fascisme » n’est pas une invention de Bush

Le premier argument de la contribution de Charles, Christopher & Dan est que George W. Bush a introduit le terme « islamo-fascisme » aux États-Unis.

Ce que nous ne comprenons pas est l’équation par Bush entre Al-Qaida et l’alliance Hitler-Mussolini, nous ne voyons pas la nécessité d’associer l’islam avec le fascisme, et nous n’y voyons aucun fascisme historique qui, par définition, est un mouvement militarisé de masse de la petite bourgeoisie pour sauver le capitalisme du mouvement ouvrier. Et nous ne le voyons pas plus s’appliquer au Front Al-Nosra ni à l’EI-Daech, par aucune caractéristique établie par notre méthode scientifique.

Certes, Bush a employé ce terme en 2005. Néanmoins, il semble avoir été inventé en 1990, 15 ans avant, par le journaliste irlandais Malise Ruthven.

L’expression « totalitarisme » a été utilisée par le fascisme italien, mais cela n’a pas empêché Trotsky de l’utiliser pour le régime de la bureaucratie de l’URSS après 1933.

Le régime totalitaire, de type stalinien ou fasciste, ne peut être, de par sa nature, qu’un régime temporaire, transitoire. (Trotsky, L’URSS dans la guerre, 25 septembre 1939)

Trotsky n’a pas connu de contre-révolution islamiste

Le deuxième argument de Charles, Christopher & Dan est que l’islamisme est étranger à la conception du fascisme par Trotsky (qu’ils se dispensent de présenter).

Nous sommes d’accord avec la définition de Trotsky dans « Comment vaincre le fascisme » et nous demandons aux camarades soit d’expliquer une sorte d’identité fondamentale entre des groupes islamistes particuliers et le fascisme historique, soit d’expliquer pourquoi nous avons besoin d’une définition nouvelle, étendue qui prend en compte des groupes islamistes particuliers. Si vous l’avez fait, nous ne l’avons pas vu.

Aucun communiste n’a dit le dernier mot sur toute question. Par exemple, l’IC a analysé la Russie comme un État ouvrier dirigé par la classe ouvrière. Cela n’a pas empêché la QI de l’analyser 15 ans plus tard comme un État ouvrier dégénéré dirigé par la bureaucratie. Que la QI ait analysé la Russie comme non capitaliste n’a pas empêché les HWRS/États-Unis et le CWG/Nouvelle Zélande de l’analyser 50 ans plus tard comme un pays capitaliste et impérialiste.

La Ligue des communistes, l’Association internationale des travailleurs et l’Internationale ouvrière n’ont pas prévu le fascisme.

L’Internationale communiste a défendu l’alliance avec la bourgeoisie dans les pays dominés, tout en dénonçant l’islamisme.

Il est aussi nécessaire de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d’utiliser la lutte émancipatrice contre l’impérialisme européen et américain pour rendre plus fort le pouvoir des impérialistes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc. (2e congrès IC, Thèses sur les questions nationale et coloniale, 1920, thèse 11, rédigée par Lénine)

Trotsky n’a connu que le fascisme impérialiste, c’est vrai. Mais il a envisagé que l’idéologie religieuse pût être attisée par une puissance impérialiste.

L’athée Mussolini attisera de toutes ses forces les passions religieuses des musulmans. (Trotsky, Nouvelle leçon : sur les caractéristiques de la prochaine guerre, 10 octobre 1938)

L’islamisme est contre-révolutionnaire, le Califat de l’EI est totalitaire

L’islamo-fascisme est un fascisme tardif de pays dominé, qui s’explique par l’incapacité de la bourgeoisie nationale (« socialiste » en paroles, mais déjà cléricale) de la première génération (panarabe, perse, afghane…) à vaincre les puissances impérialistes (et l’État colonisateur sioniste) et à développer le capitalisme national.

Le fascisme est apparu à l’époque de décadence du capitalisme, l’impérialisme. Si la révolution prolétarienne avait vaincu au cours de la 1re Guerre mondiale, il n’y aurait pas eu de fascisme dans les pays européens. Si la révolution prolétarienne avait vaincu au cours de la 2e Guerre mondiale, il n’y aurait pas eu l’apparition de régimes bonapartistes et de mouvements fascistes dans les pays dominés.

Le fond du problème est que l’islamisme a commencé comme une force d’appoint fasciste de telle ou telle puissance impérialiste (Bosnie, 1943 ; Iran, 1953 ; Indonésie, 1965 ; Afghanistan, 1973…). Ensuite, faute de révolution prolétarienne, le panislamisme s’est affirmé à son propre compte comme une forme d’anti-impérialisme mais son contenu réel est la contre-révolution (Iran, 1979 ; Afghanistan, 1992 ; Égypte, 2011 ; Irak, 2012 ; Syrie, 2012…).

Le Collectif a tenté d’en rendre compte en août 2014.

En Afrique du nord et au Proche-Orient, la religion musulmane a servi de refuge aux masses opprimées face à la pénétration étrangère. C’est pourquoi les chefs nationalistes bourgeois ont tous coloré dans les années 1950-1970 leur anti-impérialisme de cette croyance, même ceux qui s’appuyaient sur l’URSS (Nasser, Bourguiba, Ben Bella, Arafat, Hussein, Al-Assad, Kadhafi, …), alors que d’autres ont prétendu carrément faire de l’Islam une doctrine politique et un régime juridique (les monarchies du Golfe arabo-persique, les Frères musulmans, les ayatollahs iraniens…). Le fondamentalisme musulman procure une idéologie d’autant plus prégnante que le stalinisme a discrédité au 20e siècle le communisme dans toute la région et que le nationalisme bourgeois « progressiste » (nassérisme, Baas, Fatah…) a échoué lamentablement.

Bakr al-Baghdadi prétend renouer avec le califat des origines de l’extension de l’Islam. Mais la roue de l’histoire ne peut tourner en arrière. Tous les courants politiques religieux d’aujourd’hui sont avant tout marqués par le pourrissement du mode de production capitaliste au stade impérialiste, bien différent des conditions qui étaient celles de l’apparition des grandes religions. En effet le capitalisme est entré en décomposition, ce qui nourrit la réaction, l’irrationalisme, l’obscurantisme, le cléricalisme, le complotisme… y compris dans les pays avancés eux-mêmes.

En Asie et en Afrique, les djihadistes sont économiquement branchées sur les réseaux capitalistes maffieux mondiaux (enlèvements, trafic international de pétrole, d’armes, de drogues…), sur la bourgeoisie régionale parasitaire qui vit de la rente du pétrole et du gaz exportés vers les pays impérialistes (dans le cas de l’EIIL, le financement initial venait du Qatar et de l’Arabie). Au nom de la charia, Boko Haram a fédéré des criminels du Nigeria et du Cameroun. L’EIIL a attiré des centaines de délinquants d’Irak, de Syrie et même d’Europe qui peuvent voler et assassiner avec une justification religieuse, ainsi que des centaines de jeunes révoltés qui croient que la « guerre sainte » permettra de régler leur compte aux oppresseurs dans la région, notamment en Syrie et en Palestine. Mais, comme les Frères musulmans, les salafistes défendent les intérêts des classes dominantes locales (propriétaires terriens et bourgeoisie commerçante, bancaire ou industrielle)…

Étant une expression du capitalisme à l’époque impérialiste, l’anti-impérialisme affiché des barbus est impuissant, ainsi que leur prétention à renverser la colonisation sioniste. En fait, Al-Baghdadi limite son prétendu projet panislamiste à la Syrie et à l’Irak. Il laisse soigneusement La Mecque à la monarchie saoudienne liée aux États-Unis et il se garde bien d’affronter l’armée israélienne qui contrôle l’autre ville sacrée de l’Islam, Jérusalem. Il préfère lancer ses bandes fascistes et maffieuses contre les musulmans chiites et les minorités religieuses sans défense : chrétiens et yézidis (kurdes non musulmans). (CoReP, Ni intervention impérialiste en Irak, ni Califat islamique ! 24 août 2014, disponible en espagnol)

La parenté avec le fascisme (impérialiste) des années 1920-1940 est frappante :

  1. ses dirigeants sont des aventuriers,
  2. il fanatise sa base avec une idéologie archaïque (la religion, ce qui était déjà esquissé par la Phalange espagnole et l’austrofascisme de Dollfuss),
  3. il fédère des militaires sans emploi, des délinquants et des petits bourgeois traditionnels,
  4. ses cibles sont la démocratie, le mouvement ouvrier et les minorités.

Le CoReP défend partout les droits des minorités religieuses, en particulier dans les endroits où les minoritaires religieux et les homosexuels risquent leur vie. Il se situe du côté des panislamistes quand ils affrontent réellement (ce qui est exceptionnel) une puissance impérialiste ou l’État sioniste. Mais il considère que, comme force bourgeoise, il ne peut être efficacement anti-impérialiste. Il est avant tout un mouvement contre-révolutionnaire, une expression barbare du pourrissement du capitalisme et un prix supplémentaire à payer pour le retard de la révolution prolétarienne mondiale et l’accentuation de la crise de direction du prolétariat mondial. Il faut entreprendre de résoudre cette crise de direction pour recommencer la révolution socialiste mondiale.

Le GKK/Autriche et le GMI/France, quand ils diffusent les déclarations du CoReP parmi les cortèges d’immigrés turcs et kurdes, ne rencontrent pas d’hostilité.

Le mot « islamo-fascisme » ne figure pas dans le projet de plateforme internationale. Si les camarades du CLC analysent le mouvement dirigé par les ayatollahs en Iran, les Frères musulmans et les salafistes en Égypte, les djihadisme d’Irak et de Syrie comme des forces contre-révolutionnaires, il n’y a pas de divergence significative.

Comment avancer ?

Le programme des communistes internationalistes ne part pas de l’arriération religieuse ou politique.

Les mots d’ordre de l’avant-garde consciente des travailleurs sont une chose, et les revendications spontanées des masses en sont une autre. (Lénine, La Question de la paix, juillet-août 1915)

Nos résolutions ne sont pas conçues à l’intention des larges masses. (Lénine, Discours de clôture à la 7e conférence du POSDR, 12 mai 1917)

Partout, je demande : que devrions-nous faire ? Adapter notre programme à la situation objective ou à la mentalité des travailleurs. Et je pense que cette question doit être posée à tous les camarades qui disent que notre programme n’est pas adapté à la situation aux Etats-Unis. Ce programme est un programme scientifique. Il est basé sur une analyse objective de la situation objective. Il ne peut être compris par la totalité des travailleurs. (Trotsky, Discussions avec le SWP sur le Programme de transition, 7 juin 1938)

Le courriel du CLC du 6 mars qui envoie la contribution des trois a pour sujet : « Draft Program ». Ce qui est étrange est qu’elle ne cite jamais le projet de plateforme (qui ne parle ni de la situation concrète en Syrie, ni d’islamo-fascisme).

Le CLC, le CoReP et les groupes sans affiliation internationale qui se réclament du communisme révolutionnaire ont de lourdes responsabilités. Ils doivent s’unifier pouvoir réellement toucher l’avant-garde prolétarienne et commencer à l’organiser, dans leur pays et au-delà. Ils ne peuvent atteindre réellement le prolétariat à l’étape actuelle à cause de leur taille, de leur dispersion et du discrédit dans lequel le « trotskysme » a sombré en se subordonnant soit à la bourgeoisie impérialiste, soit aux bourgeoisies des pays dominés (y compris les régimes les plus despotiques type Assad ou EI).

Pour avancer, il faut :

  • partir des intérêts historiques du prolétariat mondial,
  • étudier les projets de plateforme ou de résolutions et y répondre réellement (amender, proposer un contre-projet),
  • distinguer les divergences (politiques) et les simples problèmes de terminologie (sémantiques) qui augmentent avec l’emploi de plusieurs langues,
  • distinguer les divergences qui sont acceptables, inévitables et même nécessaires au sein d’une même organisation internationale avec celles qui délimitent les internationalistes des sociaux-patriotes.

En effet, il ne suffit pas de partager une théorie scientifique (matérialisme historique, analyse du mode de production capitaliste) ou une méthode (dialectique matérialiste) pour trancher de tous les phénomènes nouveaux, de la stratégie pour y faire face et, encore moins, des tactiques.

Les différents aspects du mouvement révolutionnaire, comme du procès historique dans son ensemble, et du développement des êtres vivants en général, ne sont ni uniformes ni harmonieux. (Trotsky, Staline, ch. 4)

S’il y a un désaccord global avec le projet de plateforme, il faut que Charles, Christopher & Dan proposent un contre-projet de plateforme internationale.

S’il y a un accord global, alors il faut que le CLC et les groupes communistes internationalistes amendent le projet, adoptent des déclarations communes et préparent ensemble une conférence internationale le plus vite possible.

Le CLC fait un grand effort militant en envoyant une délégation de deux militants à la 3e conférence du GMI/France. Nous espérons que cette rencontre permettra de rapprocher les communistes internationalistes.

Bureau international du CoReP