Le premier Front populaire (1935-1938) promettait le pain, la liberté et la paix
Les travailleurs ont subi la guerre, le fascisme et le rationnement

2024 : le PCF, le PS et LFI enterrent la hache de guerre et exhument le Front populaire

Le NFP saupoudre de grandiloquence sa quête éperdue des bulletins de vote. Il n’écrirait rien de moins qu’une « page de l’histoire de France ».

En donnant une majorité de députés au Nouveau Front populaire, les Françaises et les Français écriront une nouvelle page de l’histoire de France. Les 30 juin et 7 juillet, votez pour le Nouveau Front Populaire ! (NFP, « Préambule », Contrat de législature, édition L’Humanité, 15 juin 2024, p. 3)

Évidemment, il est difficile de s’enthousiasmer pour le dernier bloc électoral de ce type (la NUPES, qui avait été présentée exactement dans les mêmes termes) ou pour le dernier gouvernement de ce type (Hollande, 2012-2017). D’où les références des chefs du PS, du PCF et de LFI aux plus lointains FP et Blum, d’autant que, selon un mythe soigneusement entretenu, le gouvernement du Front populaire aurait octroyé généreusement la semaine de 40 heures et 2 semaines de congés payés.

Le Blum des socialistes, c’est celui des congés payés et de la semaine de 40 heures. (Olivier Faure, L’Obs, 6 février 2021)

Front populaire. Voilà un drapeau aujourd’hui repris par la nouvelle coalition parce qu’il parle encore aux électeurs de gauche. Il évoque pour eux à la fois une mobilisation nécessaire face à l’extrême droite et des progrès sociaux spectaculaires comme les 40 heures et les congés payés. Le Front populaire des années 1930 n’était pas seulement « contre », mais aussi « pour » une nouvelle donne économique et sociale. (Gérard Vindt, Alternatives économiques, 15 juin 2024)

Le même procédé est employé pour faire croire que en 1945, la sécurité sociale a été offerte par le Conseil national de la résistance et l’admirable général de Gaulle, un réactionnaire et un impérialiste. En réalité, les concessions de 1945 comme de 1936 sont dues à la peur qu’éprouvait la bourgeoisie française. Pour celles de 1936, la tromperie tait qu’elles ont été éphémères, dans un contexte de paupérisation entrainée par la crise capitaliste mondiale, de montée du protectionnisme, de xénophobie et de fascisme qu’elle nourrit et du sursaut de la classe ouvrière en Europe.

1933 : la politique du SPD et celle du KPD facilitent la prise du pouvoir par Hitler

Janvier 1932, le journal de l’IKD titre « sabotage du front unique »

De 1929 à 1933, en Allemagne, face exigences des impérialismes belge et français (indemnités de guerre, occupation de la Sarre et de la Ruhr), à la crise économique mondiale et à la montée du NSDAP fasciste, les deux partis ouvriers de masse suivent des orientations opposées mais tout aussi catastrophiques. Seuls l’IKD (les bolcheviks-léninistes exclus du Parti communiste allemand KPD qui est encore à l’époque une organisation redressable) et, à l’échelle internationale, l’Opposition de gauche de l’Internationale communiste (qui combat, contre la bureaucratie au pouvoir incarnée par Staline, pour le pouvoir des travailleurs en URSS, pour l’unité des travailleurs et la rupture avec la bourgeoisie dans les pays capitalistes) alertent sur la menace, prédisent que la victoire du fascisme sera durable en Allemagne et débouchera sur une guerre contre l’URSS. Ils s’activent pour le front unique ouvrier, le front de toutes les organisations ouvrières de masse pour l’action commune contre Hitler et ses bandes de nervis (SA).

Les accords électoraux, les marchandages parlementaires conclus par le parti révolutionnaire avec la sociale-démocratie servent, en règle générale, la sociale-démocratie. Un accord pratique pour des actions de masse, pour des buts militants, se fait toujours au bénéfice du parti révolutionnaire… Dans le but de lutter réellement contre le fascisme… l’accord [du KPD] avec les organisations sociales-démocrates et syndicales est non seulement admissible mais encore obligatoire. (Lev Trotsky, « Lettre à un ouvrier communiste allemand », 8 décembre 1931, Contre le fascisme, Syllepse, p. 191-192)

En vain. L’IC stalinisée et le KPD, qui usurpent le prestige de la révolution russe, prétendent que la situation ne présente aucun danger, traitent le SPD de fasciste et refuse le front unique avec lui. Le KPD lui tourne le dos au nom du « front unique à la base » qui n’est pas sans rappeler la politique actuelle de Lutte ouvrière, ce qui revient à demander aux travailleurs du SPD de le rejoindre. Le SPD, qui a aidé à écraser la révolution en 1919-1920 et qui vit du parlement, s’accroche aux partis bourgeois « démocratiques » et « antifascistes », selon un front populaire avant la lettre.

Une fois au pouvoir, le parti fasciste déchaine la violence raciste contre les boucs émissaires de l’époque (les Juifs), interdit les grèves, dissout le SPD comme le KPD, jette leurs militants et les syndicalistes qui ne se rallient pas dans des camps de concentration. Partout dans le monde, les fascistes sont stimulés. En France, ils manifestent le 6 février 1934 contre la Chambre des députés (Assemblée nationale).


Ne voulant pas subir le même sort que leurs sœurs et frères d’Italie et d’Allemagne, les travailleurs français se mobilisent contre les organisations fascistes et poussent la CGT, la CGTU, le PS-SFIO et le PC-SFIC à l’unité. Les travailleurs espagnols font grève et se soulèvent de 1933 à 1934. Les travailleurs autrichiens prennent les armes à Vienne pour se défendre en février 1934.

1934 : les partis « communistes » reprennent la politique du SPD et du PS-SFIO

En octobre 1934, sur consigne de Staline, Thorez (PC) propose un bloc, non seulement au PS, mais au principal parti bourgeois français de l’époque, le Parti radical (PR) qui se réclame de la République et de la laïcité. Celui-ci est en perte de vitesse car sa base électorale passe pour une part au vote pour les partis ouvriers et pour une autre aux partis fascisants et fascistes. Le PCF adopte le drapeau tricolore de l’empire colonial et des Versaillais, ses chefs entonnent La Marseillaise (LFI n’a rien inventé). En mai 1935, le PC, jusqu’alors antimilitariste, se rallie à la « défense nationale », comme le SPD, la CGT et le PS-SFIO en aout 1914. Le 12 mai 1935, au second tour des élections municipales, le PR, le PS et le PCF se désistent les uns pour les autres.

En juillet 1935, le 7e congrès de l’Internationale « communiste » officialise le tournant des fronts populaires qui renvoie le socialisme à un avenir lointain. Sous un nom nouveau, il s’agit de la vieille alliance des partis ouvriers opportunistes avec des partis de la bourgeoisie.

La question des questions est à présent celle du front populaire. En réalité, à notre époque, le front populaire est la question principale de la stratégie de classe prolétarienne. Il fournit aussi le meilleur critère pour la différence entre bolchevisme et menchevisme. Le plus grand exemple historique de front populaire est la révolution de février 1917. De février à octobre, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires ont été en alliance étroite et en coalition permanente avec le parti bourgeois des « cadets », avec lequel ils ont formé une série de gouvernements de coalition… Les bolcheviks ne faisaient pas la moindre concession au front populaire. Ils exigeaient la rupture de ce front populaire, la destruction de l’alliance avec les cadets et la création d’un véritable gouvernement ouvrier et paysan. (Lev Trotsky, « Lettre au RSAP », 16 juillet 1936, Œuvres t. 10, EDI, p. 248)

1936 : un programme FP sans réduction du temps de travail hebdomadaire, ni congés payés

Mai 1936, affiches électorales du PCF

Le programme du premier Front populaire est signé le 12 janvier 1936 par des organisations bourgeoises « démocratiques » (PR, USR, Grand Orient de France, Ligue des droits de l’homme…), trois partis ouvriers (PC-SFIC, PS-SFIO, PUP), les directions des deux centrales syndicales qui leur sont liées (CGT, CGTU, la CFTC de l’Église catholique est hostile) et l’organisation nationaliste petite-bourgeoise algérienne (Etoile nord-africaine, ENA).

Le Front populaire est une alliance du prolétariat avec la bourgeoisie impérialiste représentée par le parti radical et d’autres déchets, plus petits, de la même espèce. (Lev Trotsky, « Pour les comités d’action, pas le Front populaire », 26 novembre 1935, Contre le Front populaire, GMI, p. 51)

Le programme refuse le droit de vote aux femmes, rejette l’indépendance des colonies, fait retomber le fardeau du militarisme sur la classe ouvrière. Il ne comporte pas la semaine de 40 heures ni les deux semaines de congés payés.

On n’y trouve rien qui serve réellement les intérêts du prolétariat… Pourquoi ne dit-il pas qu’il faut réduire la semaine de travail à 40 heures ?… C’est un véritable piège à gogos… Pas un mot sur le budget de la guerre ! Pas un mot sur la politique militariste aux colonies ! (Parti ouvrier internationaliste, section française de la 4e Internationale, 17 janvier 1936)

En mars 1936, la CGT et la CGTU se réunifient.

Wikirouge

Le FP remporte les législatives des 23 avril et 3 mai 1936 (369 députés sur 610, dont PC : 72, PS : 147, PR : 106).

Nous agirons à l’intérieur du régime actuel, de ce même régime dont nous avons démontré les contradictions et l’iniquité au cours de notre campagne électorale. C’est cela l’objet de notre expérience. (Léon Blum, Discours au congrès du PS-SFIO, 31 mai 1936)

Blum (PS) constitue un gouvernement PR-PS soutenu par le PCF.

Chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie républicaine et du peuple républicain… Cette alliance s’est manifestée sous bien des formes. Cela s’est appelé « le cartel », cela s’est appelé « la discipline républicaine ». (Léon Blum, Discours au parlement, 6 juin 1936)

1936 : la grève générale déborde la CGT, le PS et le PCF


Malgré le PCF, le PS et la direction de la CGT, la grève générale éclate quelques jours après dans les entreprises qui sont occupées, une méthode importée d’Italie par des ouvriers immigrés. Le gouvernement Blum saisit le journal du Parti ouvrier internationaliste et pousse le patronat à lâcher du lest, ce qu’il fait dans la nuit du 7 au 8 juin.

Les réformes, très piètres en réalité, sur lesquelles se sont mis d’accord les capitalistes et les chefs des organisations ouvrières ne sont pas viables. (Lev Trotsky, « Devant la seconde étape », 9 juillet 1936, La Grève générale en France, GMI, p. 32)

La bureaucratie de la CGT, avec l’aide du PCF et du PS, fait reprendre le travail.

Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue… Tout n’est pas possible. (Maurice Thorez, Discours, 11 juin 1936)

14 juillet 1936, Paris, Blum (PS), Daladier au second plan (PR), Thorez avec une écharpe tricolore (PCF), Salengro (PS)

1936-1938 : Blum fait tirer sur les antifascistes et soumet les colonies

En juillet, le PCF se prononce pour un élargissement du FP à droite, un Front français qui ne verra pas le jour à cause de l’hostilité des partis concernés.

En Espagne, les 17 et 18 juillet, l’état-major de l’armée et le parti fasciste Phalange se soulèvent contre le gouvernement du Frente Popular (PCE-PSOE, PR…) bien que ce dernier refuse l’indépendance au Maroc, respecte la propriété capitaliste et l’appareil répressif de l’État. Les travailleurs ripostent et déclenchent une révolution. Le gouvernement Front populaire français signe le 6 septembre 1936 un « pacte de non intervention » en Espagne que l’Italie et l’Allemagne fascistes ne respectent évidemment pas.

Le 14 aout 1936, le ministre de l’Intérieur Salengro (PS), exhorte les préfets à faire preuve d’une grande fermeté à l’égard des migrants.

Dès septembre 1936, le gouvernement Blum réprime les grèves et toutes les organisations qui se réclament du communisme en Indochine (4e Internationale, PCI stalinien).

Il interdit le 25 janvier 1937 l’organisation indépendantiste algérienne ENA (qui avait signé le programme du FP en janvier 1936). Il annonce le 24 février une « pause dans les réformes ». La police républicaine tire le 16 mars 1937 sur des manifestants antifascistes à Clichy.

1938 : le gouvernement du Parti radical, pilier du premier FP, annule les conquêtes sociales

En 1937, la CNT et le POUM rejoignent les gouvernements FP de Catalogne et d’Espagne. Staline et le gouvernement central s’activent à étouffer la révolution, à restituer les terres et les entreprises à leurs propriétaires, à désarmer les milices de la CNT et du POUM. Le PCE calomnie le POUM comme fasciste, les services secrets de l’URSS enlèvent, torturent et exécutent les révolutionnaires (4e Internationale, POUM, CNT). Franco est assuré de la victoire qui est consommée en 1939.

La révolution sociale ayant été contenue en France et brisée en Espagne, les régimes fascistes sont consolidés en Italie et en Allemagne et préparent la guerre pour repartager la planète.

L’étranglement de la révolution espagnole et le sabotage de l’offensive prolétarienne en France, deux évènements tragiques, ont pris place à la veille de la guerre actuelle. La bourgeoisie s’est convaincue qu’avec de tels « dirigeants ouvriers », à sa disposition, elle pouvait faire ce qu’elle voulait, y compris un nouveau massacre des peuples. Les dirigeants de la 2e Internationale ont empêché le prolétariat de renverser la bourgeoisie à la fin de la première guerre impérialiste. Les dirigeants des 2e et 3e Internationales ont aidé la bourgeoisie à déchainer une deuxième guerre internationale. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GMI, p. 29)

1939, Bram (Aude), les réfugiés espagnols sont jetés dans des camps de rétention par la police républicaine du gouvernement PR

Quand le Sénat, une assemblée de notables, renverse en avril 1938 le gouvernement FP, Blum obtempère. Le gouvernement Daladier (Parti radical) lui succède (587 députés pour, 6 contre). Aussitôt, Daladier prend le 2 mai 1938 des mesures contre les « étrangers indésirables » (dont les Juifs ayant fui l’Allemagne aux mains des nazis depuis 1933). Il annule le 2 mai et le 14 juin 1938 les conquêtes sociales et revient à la semaine de 48 heures. Il brise les grèves de novembre 1938. Il jette dans des camps de rétention les réfugiés espagnols en février 1939. Il interdit le 26 septembre 1939 le PCF (plus d’un tiers de ses députés renient le parti pour garder leur siège).

Pour finir, la Chambre des députés élue en 1936 se dissout après avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 (569 voix pour, 80 contre). Le « régime de Vichy » emprisonne Blum et Daladier, interdit les grèves, dissout la CFTC et la CGT, le PCF et le PS. Il livre les Juifs aux nazis, arrête, torture et fusille les militants ouvriers. C’est ce régime que sert avec zèle Mitterrand, jusqu’à ce qu’il sente le vent tourner vers 1943.


Cahier révolution communiste n° 19 et 20


Cahier révolution communiste n° 21 et 5


Cahier révolution communiste n° 12

2024 : front unique ouvrier contre Macron-Philippe-Attal-Le Maire-Darmanin et contre Le Pen-Bardella-Ciotti-Maréchal !

Quand bien même les masses poussent à l’unité, les communistes révolutionnaires ne peuvent avoir place dans aucun front populaire. Ils promeuvent à contrario le front unique ouvrier pour répondre à cette volonté d’unité. Ils ne sombrent pas, comme le POI, le NPA-AC ou feu la LCR, dans l’opportunisme confondant volontairement front populaire et front unique ouvrier. Ils s’opposent irréductiblement à tout groupement politique avec la bourgeoisie comme ceux qu’ont pratiqué hier le PSU, le MPPT, la LCR et LO, que pratiquent aujourd’hui la JGA, le POI et le NPA-AC. La tâche est de renverser la domination du capital, le but est le socialisme, la méthode est la révolution prolétarienne.

Pas d’alliance avec des partis bourgeois « démocratiques », « souverainistes » ou « écologistes » ! Aucune confiance dans la bourgeoisie française et dans son État !

Front unique ouvrier pour chasser Macron et écarter Bardella-Le Pen ! Comités d’action partout !

Indépendance de la Kanaky ! Expropriation des groupes capitalistes ! Gouvernement des travailleurs ! États-Unis socialistes d’Europe ! Fédération socialiste mondiale !

21 juin 2024