Québec : la fausse laïcité des xénophobes

Un lourd passé clérical

La question de la laïcité est très sensible au Québec et y suscite beaucoup de débats étant donné son long passé catholique et clérical. L’Église catholique était l’institution idéologique dominante qui contrôlait pratiquement tous les aspects de la vie sociale, comme l’éducation, la santé et les services sociaux en lien avec l’appareil d’État. La bourgeoise anglo-canadienne voyait d’un bon œil la soumission du prolétariat francophone au clergé qui prêchait le respect de l’autorité et l’harmonie entre les classes sociales au nom de la doctrine sociale de l’Église catholique (1). Symbole de l’alliance entre l’Église et l’État québécois, le crucifix est installé à l’Assemblée Nationale du Québec depuis 1936 (2). Selon l’expression des anglophones, le Québec était une « priest-ridden province ».

Cependant, le pouvoir de l’Église a été ébranlé dans la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale qui a été marqué par des luttes ouvrières, dont la fameuse grève d’Asbestos en 1949 (3). La soi-disant « Révolution tranquille » des années 1960 a été le coup de grâce pour la domination incontestée de l’Église catholique au Québec. Une séparation de l’Église et de l’État a été entamée au cours de ces années, de manière graduelle et plutôt lente. Elle demeurera toujours incomplète sous le capitalisme, qui peut se servir de l’obscurantisme religieux comme arme contre la classe ouvrière en lutte.

Contre la persécution envers les adeptes de religions minoritaires

La séparation de l’Église et de l’État est un principe démocratique essentiel et fondamental à défendre face à tous les fondamentalismes et obscurantismes religieux, pour défendre l’émancipation du savoir et de la culture, des femmes et des jeunes de la tutelle cléricale. Elle sert aussi à protéger l’égalité de tous les croyant-es, même minoritaires, et bien sûr celle des athées. Par conséquent, les marxistes internationalistes sont opposés à tout empiétement d’une quelconque Église ou religion sur la place publique. La classe ouvrière doit s’opposer à toute subvention publique aux Églises et à ses établissements.

Pour les mêmes raisons démocratiques, le mouvement ouvrier ne doit pas endosser pas l’interdiction de signes religieux par des individus dans la rue ou les transports, mesure qui vise essentiellement les immigrant-es et plus particulièrement les femmes musulmanes.

Le discours sur la laïcité au Québec a tendance, depuis au moins une dizaine d’années, à se confondre avec une peur irrationnelle de l’immigration en provenance des pays du Tiers-Monde. C’est surtout l’islam qui est en cause, car il y a beaucoup d’immigrés originaires des pays du Maghreb ou d’Afrique occidentale (où on parle souvent français) et du Proche-Orient. Nous avons abordé cette montée inquiétante de la xénophobie et de l’islamophobie dans un article précédent (5). Le Parti Québécois, un parti nationaliste bourgeois, a tenté d’instaurer une « Charte des valeurs québécoises » lors de la période de 18 mois où il a été au pouvoir entre septembre 2012 et avril 2014. Cette charte qui visait essentiellement à restreindre les droits des immigrant-es, surtout sur le plan de la tenue vestimentaire. La question de l’émancipation féminine était utilisée d’une manière démagogique pour interdire le port du foulard et du voile islamique dans l’espace public.

Des valeurs spécifiquement québécoises ?

Aujourd’hui, c’est la Coalition Avenir Québec, un parti qui se revendique ouvertement des privatisations et de l’austérité à tout crin, à l’image de LR en France, et qui est nationaliste, sans toutefois préconiser l’indépendance du Québec. Il se situe dans la lignée de la défunte Union Nationale, dirigée par le premier ministre Maurice Duplessis de sinistre mémoire, qui réclamait plus d’autonomie pour le Québec sans rompre avec le fédéralisme canadien. En prévision des prochaines élections québécoises prévues le 1er octobre 2018, la CAQ veut réduire le seuil d’immigration et imposer des conditions sévères aux immigrés qui veulent demeurer au Québec (6). À l’été 2016, la CAQ a même tenté d’importer au Québec la controverse française autour du burkini (7). La proposition la plus inquiétante et la plus dangereuse formulée par la CAQ concerne l’exigence de connaître les « valeurs québécoises » qui consisteraient en l’égalité hommes-femmes, les droits des LGBTQ, la laïcité de l’État, etc. Comme si ces valeurs étaient exclusives au Québec ! C’est une manière de détourner de nobles combats démocratiques pour en faire des instruments d’oppression et de discrimination. Les nombreux Québécois-es dits de souche qui sont ouvertement sexistes, homophobes, ceux qui sont toujours attachés à l’intolérance chrétienne ont-ils, eux, le droit d’habiter au Québec ? Si oui comment expliquer ce deux poids deux mesures ?

La CAQ présente l’immigration comme une menace à la survie de la nation québécoise. C’est un sentiment qui est malheureusement trop répandu, y compris au sein de la classe ouvrière. L’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire, la fin en queue de poisson du Printemps d’érable en 2012, qui a soulevé une partie de la jeunesse et de la classe ouvrière québécoises contre les politiques d’austérité et la corruption du gouvernement libéral de Jean Charest, le faible niveau actuel des luttes ouvrières peuvent expliquer ce repli identitaire.

En retour, l’unité de la classe ouvrière est gravement menacée par ces divisions entretenues par la classe capitaliste. Le PQ n’est pas en reste sur la question « identitaire » et continue de voir le voile islamique comme une menace. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, a même proposé de construire une clôture pour empêcher les migrants d’entrer au Québec par le chemin Roxham situé à la frontière entre le Canada et les États-Unis !

Les fascistes agitent l’épouvantail de « l’islamisation »

Le projet des fascistes est de construire une société fermée, entourée de murs, de clôtures et de barbelés soi-disant pour empêcher une soi-disant « invasion » de migrant-es en provenance des pays au sud (États-Unis, Mexique, Antilles), en fait pour créer une société policière et d’apartheid.

La Fédération des Québécois de souche affiche une nostalgie du catholicisme québécois traditionnel et se réclame du chanoine Lionel Groulx, figure marquée du clérico-nationalisme au Québec. À côté des partis bourgeois prétendument démocratiques, se renforce une mouvance fasciste qui s’agite sur l’immigration, comme La Meute, les Soldats d’Odin, la Fédération des Québécois de souche, Horizon Québec Actuel, Atalante et Storm Alliance.

Ce sont surtout les musulmans qui sont visés, car dénoncés comme incompatibles avec une « civilisation occidentale » mal définie (elle semble comprendre une religion chrétienne pourtant née au Proche-Orient). Mais d’une manière générale les immigrant-es non blancs et non-chrétiens sont décriés par ces racistes comme menaçant l’homogénéité de la nation québécoise. Cette racaille a organisé le 19 mai une action d’intimidation contre les demandeurs d’asile sur le chemin Roxham. Fort heureusement, des organisations antiracistes et de défense des droits des immigrant-es l’ont contrecarrée (8). L’influence du RN-FN français et du néofascisme européen se fait largement sentir parmi les « identitaires » québécois. On y trouve le même détournement du mécontentement social vers des boucs émissaires ; la même haine de l’islam et des musulman-es présentées comme des envahisseurs qui voudraient imposer leurs coutumes et détruire « notre » culture.

Une laïcité à géométrie variable

La preuve que la laïcité des fascistes et des partis bourgeois est un leurre est leur défense du crucifix à l’Assemblée Nationale. En octobre 2017, Québec Solidaire a déposé une motion pour retirer le crucifix du parlement québécois. Le PQ a appuyé cette motion, mais la CAQ s’est finalement déclarée favorable au maintien du crucifix en tant que partie du « patrimoine historique québécois ». Le gouvernement libéral de Philippe finance, comme le PQ avant lui, les écoles privées, en bonne partie religieuses, à 75% (4). Les Églises et communautés religieuses restent exemptes de taxe.

On voit bien l’hypocrisie du discours sur la laïcité quand il est défendu par la classe dominante, qui s’en sert pour restreindre les droits démocratiques des immigrant-es. Le port individuel d’un foulard islamique est proclamé une menace bien plus grande pour ces hypocrites qu’un symbole religieux qui trône dans la plus importante institution politique du Québec !

Front unique ouvrier pour la laïcité et l’internationalisme !

La classe ouvrière est la seule force démocrate conséquente à l’époque de l’impérialisme. Les travailleurs et travailleuses conscient-es doivent défendre sans compromis les droits des immigrant-es, y compris les femmes musulmanes portant le foulard ou voile islamique. Toute restriction à l’immigration est une attaque contre la classe ouvrière et nous devons défendre le droit à la libre circulation et celui de s’établir dans le pays de son choix. Les travailleurs immigrés sont une composante importante du prolétariat et le mouvement ouvrier doit prendre cette question vraiment au sérieux et combattre toute manifestation de racisme et de xénophobie, qu’elle vienne de la droite identitaire ou des gouvernements libéraux et sociaux-démocrates. Il ne faut pas être dupe des beaux discours « d’ouverture et de tolérance » de Justin Trudeau et Philippe Couillard qui se présentent faussement comme des défenseurs des immigrant-es, tout en les attaquant et en les expulsant allégrement.

Le nécessaire combat pour la laïcité doit être remis dans sa juste perspective, soit de se débarrasser des vestiges de la domination du catholicisme au Québec et d’éliminer tout privilège pour quelque Église ou religion que ce soit sans pour autant brimer le droit de professer ses croyances religieuses en privé et de porter des signes religieux. Il doit aussi être dirigé par la classe ouvrière à la tête de tous les secteurs opprimés de la société et dans le cadre du combat plus large pour le renversement du système capitaliste et l’instauration de la dictature du prolétariat comme première étape vers une société communiste sans classes.

Les organisations ouvrières (partis et syndicats) de tout le Canada doivent réaliser l’unité et engager le combat sur la base suivante :

Non aux quotas d’immigration !

Non aux expulsions !

Laissons entrer les travailleurs-ses, étudiant-es, réfugié-es!

Des emplois de qualité pour tous et toutes!

Autodéfense contre les racistes, xénophobes et homophobes de tout acabit !

Pour la séparation complète de l’Église et de l’État !

Pour le retrait du crucifix à l’Assemblée Nationale du Québec !

Pour la suppression de toute subvention et exemption de taxes aux Églises et communautés religieuses !

 

Philippe Valois

 

  1. http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/doctrine-sociale-de-leglise-catholique/
  2. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/lexique/crucifix.html
  3. http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/la-greve-de-lamiante/, http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/932.html
  4. https://www.lesoleil.com/actualite/education/les-ecoles-privees-financees-a-75–par-letat-revele-un-comite-6a589761fb025a8b9db81d746d5f761b
  5. https://groupemarxiste.info/2017/05/18/pour-un-parti-ouvrier-revolutionnaire-et-internationaliste-au-canada-corep/#more
  6. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1101195/gouvernement-caq-conditions-supplementaires-immigrants
  7. https://coalitionavenirquebec.org/fr/opinions/burkini-se-tenir-debout/
  8. https://xaviercamus.com/2018/05/20/manif-de-lextreme-droite-a-lacolle-la-meute-presente/