Mai 1968 trois conceptions des rapports entre étudiants et classe ouvrière

Mai 1968 trois conceptions des rapports entre étudiants et classe ouvrière

La scolarisation massive et la radicalisation d’une partie de la jeunesse pose dans les années 1960 à grande échelle un problème que l’aile révolutionnaire de l’Internationale ouvrière perçoit dès la fin du XIXe siècle, celui de l’alliance du prolétariat et de la jeunesse scolarisée.

Lénine se rapproche des populistes à l’université de Kazan en 1885, Rosa Luxemburg milite dans son lycée de Varsovie en 1887 après avoir rejoint le groupe Proletariat, Lev Trotsky est actif comme populiste dans son lycée de Nikolaïev en 1896, Nikolaï Boukharine participe à un cercle révolutionnaire dans son lycée de Moscou en 1904 avant d’être gagné par la fraction bolchevik du POSDR. En effet, le Parti bolchevik ne craint pas, conformément à Que faire ?, d’intervenir en tant que tel dans les universités et les lycées. En 1905, au feu de la révolution, Lénine plaide pour le recrutement en masse des jeunes ouvriers et même des étudiants, pour leur laisser prendre des initiatives.

La jeunesse décidera de l’issue de la lutte, la jeunesse estudiantine et plus encore la jeunesse ouvrière. Secouez toutes les vieilles habitudes d’immobilité, de respect hiérarchique, etc. ! Formez des centaines de cercles de jeunes sympathisants de Vpériod [En avant, l’organe bolchevik en 1905] et encouragez-les à travailler sans arrêt. Triplez le comité en y faisant entrer les jeunes, créez cinq sous-comités ou une dizaine, cooptez toute personne énergique et honnête. Donnez sans paperasserie à tout sous-comité le droit de rédiger et de publier des tracts. Il faut grouper et mettre en mouvement avec la promptitude la plus grande tous ceux qui ont de l’initiative révolutionnaire. (Lénine, 11 février 1905, OEuvres t. 8, Progrès, p. 142)

Concernant le rapport entre prolétariat et jeunesse scolarisée, les organisations à la gauche du PCF en mai 1968 sont partagées, en dehors de leur référence formelle et du reste de leur programme, en trois positions .

1 / Ceux qui, dans la tradition communiste, tentent d’assurer l’hégémonie du prolétariat : le PCMLF, la FER et l’OCI.

Je souhaite que vos efforts pour éveiller la conscience parmi les étudiants réussissent, de telle manière que de leurs rangs viennent le prolétariat intellectuel qui sera appelé à jouer un rôle important dans la révolution prochaine, aux côtés et au sein de leurs frères, les ouvrier manuels. (Friedrich Engels, 19 décembre 1893, Werke t. 22, Dietz Verlag, p. 415)

En Chine, nous devrons sans cesse mener une action commune avec les organisations étudiantes et paysannes. (Trotsky, 9 août 1935, OEuvres t. 6, EDI, p. 110)

En mai 1968, la FER et le PCMLF, à juste titre, affirment que les travailleurs doivent aider les étudiants.

Il est indigne du titre de socialiste, l’ouvrier qui peut voir d’un oeil indifférent le gouvernement envoyer la troupe contre la jeunesse universitaire. L’étudiant a aidé l’ouvrier ; l’ouvrier doit venir en aide à l’étudiant. (Lénine, janvier 1901, OEuvres t. 4, Progrès, p. 435)

2 / Les héritiers des économistes russes qui, du rôle central de la classe ouvrière, déduisent à tort qu’il ne faut pas intervenir dans la jeunesse scolarisée : UJCML et VO.

La conscience des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n’apprennent pas à profiter des faits et événements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique, s’ils n’apprennent pas à appliquer pratiquement l’analyse et le critérium matérialistes à toutes les formes de l’activité et de la vie de toutes les classes, catégories et groupes de la population. Quiconque attire l’attention, l’esprit d’observation et la conscience de la classe ouvrière uniquement ou même principalement sur elle-même, n’est pas un social-démocrate. (Lénine, 1er avril 1902, OEuvres, Progrès, t. 5, p. 421)

Ainsi, le groupe national et économiste VO passe à côté du mouvement international de la jeunesse tout en sous-estimant l’intelligence politique du prolétariat français.

Les travailleurs français ne comprendraient certainement pas que les étudiants français déclenchent des bagarres dans le simple but d’imiter les étudiants allemands. (Lutte de classe, mai 1968)

3 / Les héritiers de Bakounine et des populistes russes et les lecteurs de Marcuse qui défendent la supériorité du mouvement étudiant sur le mouvement ouvrier : le Mouvement du 22 mars, ralliant temporairement les JSU (des chrétiens sociaux) et la JCR (qui avait appris de Castro et Guevara que la paysannerie était supérieure à la classe ouvrière). Même après la grève générale du prolétariat, en octobre, les chefs de la JCR vantent encore la primauté du mouvement étudiant, son rôle d’accoucheur et d’organisateur des forces populaires.

Le mouvement étudiant a joué le rôle de l’avant-garde des luttes, le mouvement étudiant a joué le rôle d’avant-garde délaisse par les partis ouvriers. (Daniel Bensaïd & Henri Weber, Mai 1968, une répétition générale, Maspero, 1968, p. 142)

Au passage, relevons la mansuétude de Bensaïd et Weber pour le PCF. En réalité, « les partis ouvriers » ne « délaissent » pas en 1968 « le rôle d’avant-garde ». Les partis sociaux-impérialistes trahissent comme en 1914, en 1936, en 1944…

20 mai 2018