Mélenchon, un candidat social-impérialiste

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Un social-démocrate de toujours

Né en 1951, Mélenchon a commencé sa carrière politique à l’OCI. En passant par des responsabilités nationales au syndicat étudiant UNEF, il a rejoint le PS en 1976 pour y faire carrière comme tant de renégats de la LCR et de l’OCI : secrétaire fédéral de l’Essonne en 1981, conseiller général en 1985, sénateur en 1986, ministre en 2000, député européen en 2009… Il est aussi, comme tant de sociaux-démocrates avant lui, franc-maçon.

Combiner le socialisme révolutionnaire à la franc-maçonnerie est aussi inconcevable que combiner le matérialisme au catholicisme. Le révolutionnaire ne peut avoir politiquement deux domiciles : l’un avec la bourgeoisie, pour l’âme, l’autre avec les travailleurs, pour la politique courante. (Lev Trotsky, Lettre à Daniel Guérin, 10 mars 1939)

Les malheurs de « la France » datent pour Mélenchon de la présidence de Chirac.

Quel genre de pays sommes-nous devenus au bout de trente ans de gâteries aux puissants jamais rassasiés ? (L’Avenir en commun, p. 12)

Jamais Mélenchon ne critique Mitterrand, l’ancien fasciste, l’ancien haut fonctionnaire de Pétain qui avait conquis la présidence de la 5e République en 1981 comme candidat du PS en discourant sur le socialisme. Une fois élu, Mitterrand a maintenu la 5e République gaulliste, a bloqué les salaires en 1982, a mené une quinzaine d’interventions militaires en Afrique, a exigé et obtenu de l’Allemagne l’euro, a participé à l’invasion de l’Irak en 1991 et aux bombardements de la Serbie en 1995 aux côtés des États-Unis…

Mélenchon n’a quitté le PS qu’en 2009. Sa fraction, très réduite, a proclamé le Parti de gauche (PdG) avec l’aide de renforts issus du lambertisme (Corbière, Revol, Goudard…). Le lambertisme (représenté aujourd’hui par le POID et le POI) est un courant qui se distingue dans la mouvance des révisionnistes du trotskysme par son chauvinisme. Il a fourni nombre de cadres à FO, à la CGT et à l’UNSA, mais aussi au PS, dont l’ancien Premier ministre Jospin et l’actuel premier secrétaire Cambadélis.

La différenciation du PdG d’avec la maison-mère s’opère au sein du champ réformiste, de la sociale-démocratie au sens large : amélioration du capitalisme, confiance dans l’État bourgeois, parlementarisme, défense de la nation, référence à Jaurès [voir Révolution communiste n° 1]. Les divergences ­secondaires­ de 2009 du PdG avec le PS sont la réfraction du dilemme de la bourgeoisie française : poursuite du partage de plus en plus difficile avec sa rivale et partenaire allemande du pouvoir au sein de l’Union européenne ou tentation du repli rétrograde sur les frontières. Ces divergences ont continué à diviser le PS après le départ de Mélenchon, comme elles traversent LR.

Bref, le PdG est un petit parti ouvrier bourgeois qui, signe des temps, ne se réclame même pas du communisme, du socialisme, ni même du travail. Le nom incarne une mystification bourgeoise, « la gauche », que personne n’a jamais pu définir. D’ailleurs, le parti mélenchoniste brouille depuis sa naissance les frontières avec « la droite » et « l’extrême-droite » puisqu’il fait partie des formations politiques qui ont approuvé :

  • en 2011, l’intervention impérialiste française décidée par Sarkozy en Libye (comme le NPA, le PCF, le PS, l’UMP) ;
  • en 2012, l’exportation d’armements (comme le PCF, le PS, l’UMP, le FN) ;
  • en 2014-2015, Syriza et Tsipras (comme le NPA, le PCF, le PS, DlF et le FN) ;
  • en 2015, l’union nationale proclamée par Hollande après l’attentat contre Charlie-Hebdo participé (avec le PCF, le PS, EELV, le PRG, le Modem, l’UDI, LR et le FN) ;
  • en 2016, le Brexit (comme les POI, DlF, le FN) ;
  • en 2016, les manifestations de policiers (comme LO, le PCF, LR, le FN).

Il n’est pas étonnant que, malgré le bagout de Mélenchon, le Front de gauche ait piteusement échoué à entraver la progression du FN dans le Nord de la France aux législatives de 2012. Même s’il fait parfois chanter L’Internationale, même si des naïfs lèvent le poing dans ses meetings, la campagne que mène Mélenchon le rapproche dangereusement de celle de Le Pen : frénésie de nationalisme, sortie de l’euro et de l’UE, renversement d’alliances internationales, apologie du « bon capitalisme » des PME, protectionnisme à effet boumerang, renforcement de l’appareil répressif de l’État bourgeois…

Il n’est pas de sauveurs suprêmes : ni Dieu, ni César, ni tribun

Mélenchon traite désormais par-dessus la jambe son propre parti (le PdG) car il est trop petit au regard de ses ambitions. Le 5 juillet 2015, Jean-Luc Mélenchon annonce sa candidature à la présidence de la République, ce qui achève le moribond Front de gauche. Pour mener campagne, il fonde en février 2016 un mouvement, La France insoumise (LFI). Cette candidature se situe en dehors et au-dessus des partis. Il faut dire que le tribun est un admirateur avoué de deux bonapartes du 20e siècle : le général De Gaulle et le colonel Chavez. Le candidat autoproclamé veut enterrer explicitement le PS et, mais sans le dire, le PCF (dont les dépouilles intéressent aussi LO).

Sur quelle base Mélenchon fait-il don de sa personne à « la Nation » ? À l’en croire, il se met modestement au service d’un programme de « propositions » (surtout pas des revendications) qui aurait été élaboré par en bas tout au long de l’an 2016.

La première étape du processus a ouvert les portes à tous les soutiens : entre les mois de février et août, environ 3 000 contributions ont été déposées sur le site internet jlm2017.fr par les insoumis. (L’Avenir en commun, Seuil, décembre 2016, p. 19)

Les crédules « Français insoumis » soumettent donc leurs « contributions » à un site intitulé « jlm » (les initiales de Mélenchon !). Mélenchon se moque souvent des « importants », mais son nom figure une trentaine de fois dans le programme de la France insoumise : « Un programme de parti doit éviter de comporter la moindre allégeance à un auteur individuel. » (Karl Marx, Lettre à Hyndman, 2 juillet 1881).

Dans un parti ouvrier révolutionnaire, les militants décident à la majorité ; à la France « insoumise », la règle est différente : n’importe qui peut dire ce qu’il/elle veut mais, au sommet, le chef tranche.

Le candidat a quelques privilèges, – on va appeler ça comme ça – il en a un, c’est de trancher parmi la foule des propositions qui lui sont faites, en matière de mots d’ordre ou de slogans. (Jean-Luc Mélenchon, Allocution à la Fête de l’Huma, 10 septembre 2016)

Précédé anti-démocratique… et mensonger. Quelques semaines après la parution du programme, placé sous le prestige de deux universitaires, Mélenchon ne cache pas que c’est une petite équipe autour de lui qui l’avait préparé, et ce depuis des années : « J’ai dans les bottes toutes ces années passées à préparer le programme avec des amis » (Le Monde, 31 janvier 2017).

Se rallient à sa candidature, outre le PdG, Ensemble (composé surtout d’anciens « trotskystes » variante pablistes venus du NPA plus quelques dissidents du PCF), la NGS (un groupe social-démocrate fondé par un ancien « trotskyste » variante lambertiste), la GR et Révolution (des sociaux-démocrates déguisés en « trotskystes » variante grantistes), le PRCF et le PCF (issus du stalinisme qui a adopté le drapeau tricolore en 1934). Le PCF l’emporte largement sur le PdG par son appareil propre, ses élus, la prédominance dans la bureaucratie de la CGT et de la FSU. Pourtant, le PCF s’est résigné -non sans difficulté [voir Révolution communiste n° 18]- à soutenir le fondateur du PdG car la dernière fois qu’il a présenté sa propre candidate, en 2007, Buffet a obtenu moins de 2 %. Mélenchon, investi en 2012 par la coalition Front de gauche, atteignit plus de 11 %.

Que l’élection primaire de « la gauche » ait désigné Benoit Hamon ne fait pas l’affaire de Mélenchon, si elle soulage le PCF qui pense pouvoir négocier avec le PdG et le PS pour obtenir des députés aux législatives de juin. Mélenchon obtiendrait 9,5 % des votes (Ifop, 2 février). Ce serait significatif, mais au-dessous des espérances du lider maximo de LFI qui a toujours dit que la « révolution citoyenne » doit sortir des urnes.

Intérêt général contre lutte de classe

Pour Jean-Luc Mélenchon comme pour Hamon, Macron, Fillon et Le Pen, les classes sociales n’existent pas. Par contre, il y aurait un « intérêt général » (p. 29, 31, 38, 46, 67, 82…). Ce seraient des « valeurs » et non la lutte entre les classes qui déterminent le sort de « notre pays ».

Quel genre de valeurs domine notre pays… ? (L’Avenir en commun, Seuil, décembre 2016, p. 12) ; La finance, la cupidité, les préjugés de classe, le sexisme et le racisme ordinaire pourrissent tout. (p. 11)

Le « racisme ordinaire » pose problème mais encore plus les mesures xénophobes institutionnelles de l’État comme la politique migratoire, la discrimination entre nationaux et étrangers (dont la préférence nationale déjà appliquée dans la fonction publique), la ségrégation sociale qui devient ethnique, la discrimination raciale de la police, les lois contre les musulmans alors que l’Église catholique est subventionnée… Le sexisme est abominable mais il est alimenté par la place particulière des femmes dans la reproduction de la force de travail qui retentit sur l’éducation et la formation des filles, les métiers, les carrières et les retraites des femmes… N’en déplaise à Mélenchon, les classes ne sont pas seulement un « préjugé » mais une réalité, celle de l’exploitation de la majorité de la société contemporaine (ouvriers, employés, techniciens, paysans travailleurs…) par la minorité capitaliste.

Mélenchon oppose au « peuple » une toute petite minorité qu’il appelle la « caste » ou « oligarchie ».

Il faut balayer la caste qui a capté le pouvoir… (L’Avenir en commun, p. 16) ; Une caste de privilégiés, coupée des réalités de la vie du peuple, a confisqué le pouvoir. (p. 24)

La caste, dont apparemment l’ancien ministre et toujours député européen ne fait pas partie, n’est pas non plus définie. Pas plus que le moment où elle aurait pris le pouvoir. Elle semble se limiter à « la finance », pas plus définie : « Les financiers étranglent chaque jour les PME et les ménages… » (p. 49). Le peuple, c’est tous les autres, « la communauté humaine ». Il faut lui rendre le pouvoir : « Comment rendre le pouvoir au peuple… » (p. 21). Il l’a donc perdu mais on ne sait pas comment ni quand. Surtout, le « peuple » est si large qu’il semble inclure la plupart des capitalistes. Eux aussi doivent bénéficier de la « révolution citoyenne ». Elle les libérera… du Medef : « Mettre fin à l’usurpation par le Medef de la parole des chefs d’entreprise » (p. 24). Les autres organisations patronales, du type CGPME et UPA, seraient donc, à la différence du Medef, du côté du « peuple ».

Jeudi 19 janvier, deux porte-paroles de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) ont été reçus au siège de campagne de la France Insoumise par Jean-Charles Hourcade et l’équipe du programme. Jean-Charles Hourcade a insisté sur le fait que 20 des 83 propositions du programme l’Avenir en commun était directement consacré à l’industrie et aux entrepreneur·e·s. (LFI, 24 janvier 2017)

L’exploitation lie tous les capitalistes, quelle que soit leur branche d’activité, leur nationalité et la taille de leur capital : petits capitalistes (souvent les plus féroces exploiteurs ne respectant pas le droit du travail) des TPE et des PE, capitalistes moyens (du moins quand la PME n’est pas la filiale d’un groupe), actionnaires et manageurs des grandes entreprises (françaises ou étrangères).

Chaque capitaliste individuel participe à l’exploitation de toute la classe ouvrière par l’ensemble du capital et au degré de cette exploitation non seulement par sympathie générale de classe, mais par intérêt économique direct, parce que le taux moyen de profit dépend du degré d’exploitation du travail total par le capital total. (Karl Marx, Le Capital, III, 1864-1875, ch. 10)

En fait, derrière le mythe bourgeois du « peuple », Mélenchon, le PdG et LFI dissimulent un bloc de la classe ouvrière, des petites bourgeoisies et de la prétendue bourgeoisie nationale sous hégémonie de cette dernière. Il s’agit de subordonner le prolétariat à ses exploiteurs, en renouvelant la ruse du PCF et du PS-SFIO qui a protégé le capitalisme français contre la grève générale en 1936, contre l’armement du peuple en 1945, contre la grève générale en 1968.

Cette stratégie de « front populaire » a abouti aux défaites historiques en Espagne en 1937 [voir Révolution communiste n° 19 et 22] et au Chili en 1973 [voir Cahier révolution communiste n° 2].

Le bloc des différents groupements politiques de la classe ouvrière est absolument nécessaire pour résoudre les tâches communes. Dans certaines circonstances historiques où un tel bloc est capable d’attirer à lui les masses petites-bourgeoises opprimées dont les intérêts sont proches de ceux du prolétariat, la force commune d’un tel bloc peut se trouver beaucoup plus grande que la résultante des forces constituantes. Au contraire, l’alliance du prolétariat avec la bourgeoisie, dont les intérêts, à l’époque actuelle, dans les questions fondamentales, font un angle de 180 degrés, ne peut, en règle générale, que paralyser la force révolutionnaire du prolétariat. (Lev Trotsky, Leçons d’Espagne, 17 décembre 1937)

Soigner le capitalisme

Pour Mélenchon, il y a un bon capitalisme, celui des PME et de « l’économie réelle » et un mauvais, celui des « multinationales » et de « la finance » (jamais définie, encore moins expliquée).

Comme pour Hollande et Sarkozy auparavant (et pour l’agitation fasciste), la finance est coupable de tous les maux, pas le capitalisme en son entier : « la finance déserte la production réelle » (p. 12) ; « nous étouffons sous le règne de la finance » (p. 13) ; « la finance a mis par terre l’économie réelle en 2008 » (p. 48). Le programme multiplie les cataplasmes sur une jambe de bois : « mettre fin à la cotation continue en Bourse » (p. 49), « identifier et interdire les produits dérivés toxiques » (p. 49), « séparer les banques d’affaire et de détail » (p. 48)…

Les « multinationales » sont dénoncées. En fait, il faut comprendre les groupes transnationaux étrangers. Les PME chères à Le Pen et Mélenchon, si elles réussissent, deviennent des GE et elles interviennent sur d’autres marchés que le marché français, trop étroit. La preuve est que, à d’autres endroits, le programme de LFI défend les « fleurons industriels et technologiques comme Alstom, EADS » (p. 45) qui sont des grands groupes capitalistes transnationaux et resteront en place. Puisqu’ils sont des « fleurons » du capitalisme français, pas question de les exproprier.

Comme pour Trump, ce n’est pas la concurrence capitaliste qui cause des perdants mais des erreurs politiques des gouvernements combinées à la fourberie des étrangers.

La dévastatrice logique au pouvoir prive aujourd’hui de conglomérats puissants, fleurons technologiques et industriels… (Jean-Luc Mélenchon, Le Monde, 16 septembre 2016)

Il y aura toujours des « chefs d’entreprise » après la « révolution citoyenne ». Ils auront même davantage de perspectives et de droits, leur promet LFI. Le programme s’exclame : « finançons les PME » (p. 50). Ainsi, les travailleurs indépendants (dont nombreux sont ceux qui fraudent pour minimiser leurs impôts et leurs cotisations sociales) et même les patrons pourront choisir de profiter du régime général financé par les travailleurs salariés (p. 55). Les patrons de PME auront droit à « 10 % de contrats précaires » (p. 54). L’administration du travail devra se consacrer à « l’assistance juridique aux PME » (p. 53).

Personne n’a jamais trouvé le moyen de séparer les activités financières du reste du capitalisme. Personne non plus n’a jamais trouvé le moyen de séparer la spéculation de l’activité immobilière, du commerce des matières premières, des opérations financières indispensables à « l’économie réelle ». Loin de « déserter » l’économie réelle, la finance pénètre, impreigne plus que jamais l’ensemble du capital.

  • Dès que le mode de production capitaliste a dominé, le crédit et l’assurance se sont développés. Les compagnies d’assurance doivent elles-mêmes s’assurer (marché de la réassurance). Les crédits engendrent lui-même des titres financiers (lettre de change, billet de trésorerie, obligation, titre adossé à des actifs) et donc des marchés financiers où ils peuvent être échangés (marché des obligations à moyen et long terme et des ABS, marché monétaire des titres de prêt à court terme).
  • Les échanges internationaux dans un monde de monnaies différentes nécessitent des échanges de devises, donc des opérations de change (monnaie contre autre monnaie) qui sont par nature financières. Dès qu’il y a un marché mondial des devises, il est possible d’y spéculer, c’est-à-dire de miser sur une baisse ou une hausse des taux de change.
  • Quand les entreprises industrielles ont grandi, elles ont pris un aspect financier, celui de sociétés, dont les titres de propriété font l’objet d’un marché financier, les marchés des actions (bourses) sur lesquels il est possible de spéculer en anticipant une hausse ou une baisse du cours des actions. Les groupes contrôlent des filiales par la détention de la majorité de leurs actions, ils les vendent en cas de difficulté ou de recentrage, ces achats et ces ventes d’actions sont par nature des opérations financières. Quand la société à la tête du groupe ne produit rien elle-même, mais devient une holding qui gère les participations au capital des filiales et sous-filiales, elle devient une société financière.
  • Les groupes demandent aux banques des « produits dérivés » (contrat à terme, option de vente, option d’achat, échange) pour se protéger des fluctuations de prix de produits, des taux de change, des taux d’intérêt. Par nature, celui qui accepte le contrat, de prendre le risque, spécule. En outre, les produits dérivés pouvant eux-mêmes être vendus et achetés jusqu’à leur échéance, ils engendrent des marchés financiers, hautement spéculatifs, de taille bien plus considérable que les marchés d’action.
  • Parmi les « fleurons industriels », des groupes automobiles (PSA, Renault) ou de la grande distribution (Carrefour) se dotent de filiales financières pour accéder aux crédits bon marché accordés par la banque centrale et prêter à leurs clients, en concurrence avec les banques traditionnelles et les sociétés de crédit en place.

Mélenchon n’envisage même pas d’annuler la dette publique.

Réaliser un audit citoyen de la dette publique pour déterminer la part illégitime et préparer un réaménagement négocié. (L’Avenir en commun, p. 63)

Évidemment, les grands groupes financiers multinationaux français (Axa, Groupama, BNP Paribas, CA, SG, BPCE…) ne seront pas expropriés.

Préserver la propriété privée

Mélenchon, le PdG et LFI sont même à droite de Mitterrand, du PS et du PCF des années 1970 qui prétendaient « ouvrir la voie au socialisme » (Programme commun de gouvernement du PCF et du PS, 27 juin 1972). Dans la campagne de Mélenchon, jamais le capitalisme n’est mis en cause, jamais le socialisme n’est avancé. « La finance a mis par terre l’économie réelle en 2008 » (p. 48), pas le capitalisme. « Le temps court de la finance et du productivisme saccage tout » (p. 69), pas le capitalisme. C’est « l’activité humaine » qui est en train de détériorer l’environnement (p. 75), pas le capitalisme.

Seulement une mauvaise politique de l’État est en cause, pas le capitalisme. Une simple révolution citoyenne et fiscale suffirait à résoudre les problèmes du capitalisme.

L’air, l’eau, l’alimentation, le vivant, la santé, l’énergie, la monnaie ne sont pas des marchandises. Ils doivent être gérés démocratiquement. (L’Avenir en commun, p. 31)

Donc, tout le reste échappera à la « gestion démocratique » et restera « une marchandise ». De surcroît, la « gestion démocratique » se réduit à donner plus de place à la bureaucratie syndicale sur le modèle capitaliste allemand et scandinave d’après–guerre. Or, sans expropriation, l’électricité, le gaz, l’alimentation, les médicaments resteront marchands. Le programme de Mélenchon est une entourloupe.

Pour Mélenchon, comme pour Benoît Hamon (PS), Philippe Poutou (NPA) et Nathalie Arthaud (LO), l’argent abonde mais il est mal réparti. Quelle est la nature de la monnaie ? Pas la peine de se poser la question. Pour Mélenchon, l’État, censé être tout puissant, devrait influencer l’échange, la répartition de l’argent sans toucher la production capitaliste. Il devrait donner moins de cette chose aux grosses entreprises, plus de cette chose aux petites et aux services publics.

De l’argent, il y en a. Mais il est capté par les uns au lieu d’être mis au service de l’intérêt général par l’impôt. (L’Avenir en commun, p. 63)

Mais l’apparence d’une chose, d’un stock de monnaie, dissimule le rapport social capitaliste, un rapport d’exploitation d’êtres humains par d’autres. Toutes les richesses sociales sont, en réalité, sont le produit du travail des producteurs et de la nature, même si le but du capitalisme est l’accroissement de la valeur. Elles prennent la forme de la monnaie, de « l’argent ».

C’est le rapport entre le capitaliste et le salarié qui fait du rapport monétaire, du rapport entre l’acheteur et le vendeur, un rapport immanent à la production capitaliste. Ce rapport trouve son fondement dans le caractère social de la production, non du mode d’échange. (Kar Marx, Le Capital, II, 1869-1875, ch. 4)

Le plus absurde est de penser pouvoir décréter que la monnaie ne sera plus une marchandise. La monnaie est une marchandise (l’or) qui sert d’équivalent général, qui mesure la valeur, qui permet de se procurer les autres marchandises. Parmi ces marchandises une a la propriété de créer plus valeur qu’elle ne coûte, la force de travail. La différence, la survaleur ou plus-value, est appropriée par le capitaliste.

Pour en finir avec l’exploitation (et le fétichisme de la monnaie), il faut s’en prendre au capitalisme. Que les États, depuis 1914, imposent des signes monétaires à la place de l’or ne fait pas échapper les billets de banque et les lignes de compte bancaire à l’ordre marchand et capitaliste. La forme scripturale de la monnaie capitaliste contemporaine engendre de nouvelles contradictions qui se manifestent par l’inflation et la spéculation sur le taux de change.

L’économie fétiche prend alors son essor inflationniste, mais, jusque dans son vol fantasmagorique, la loi de la valeur continue à s’imposer à elle : la monnaie ne représente qu’un droit sur le travail réellement dépensé et socialement validé. (Alain Lipietz, Le Monde enchanté, de la valeur à l’envol inflationniste, 1983, ch. 7)

Le marché sur lequel les différents signes monétaires étatiques s’échangent entre eux, le marché des devises, montrerait vite à tous les nationalistes que, en cas de retour au franc français, celui-ci serait traité comme une marchandise, plus précisément une marchandise dépréciée.

Culte de la nation

« Ma priorité, c’est mon pays » (Mélenchon, L’Obs, 1er décembre 2016). Sa campagne de 2017 dépasse de loin en chauvinisme celle de 2012, qui en était pourtant imprégnée. Le candidat parle de « patrie », fait entonner La Marseillaise à la fin des meetings. Son programme dégouline d’un nationalisme répugnant.

Notre pays est neuf… notre pays est puissant… (L’Avenir en commun, p. 11) ; notre pays déborde d’énergie et de savoir-faire… (p. 13) ; sans parler du génie français (p. 119)…

Mélenchon et ses adjoints écrivent « La Nation » avec une majuscule (p. 38, 39, 45, 81, 87, 119…), comme le programme du FN.

La nation est aussi imaginaire que la religion, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient inefficaces contre la lutte de classe et contre l’internationalisme prolétarien. Elle ne repose ni sur l’ethnie, ni sur la langue : sinon, comment expliquer l’existence de la Suisse, une république bien plus ancienne que celle de la France ? les frontières entre la France, la Belgique et la Suisse ? la guerre d’indépendance des États-Unis contre la Grande-Bretagne ?

Le caractère national des grands peuples constitue un phénomène si problématique et insaisissable qu’il est impossible de voir dans ce fil de la vierge, que disperse le moindre souffle de vent, le lien qui unit une nation et la distingue des autres de façon évidente. (Karl Kautsky, Nationalité et internationalisme, 1908)

Le nationalisme est contemporain du capitalisme, il est l’idéologie d’une bourgeoisie particulière établie avec son État et son marché (ou d’une bourgeoisie qui aspire à son État pour exploiter à son compte une classe ouvrière en son sein). Sa fonction est de subordonner les exploités à « leurs » exploiteurs et d’apporter la justification aux visées agressives d’une bourgeoisie impérialiste comme celle de la France. Inutile de préciser qu’il n’est jamais question de l’impérialisme français, de son avidité et de ses crimes dans l’opuscule de LFI.

Les seules « folies impériales » dénoncées sont celles des États-Unis (p. 89), jamais celles de la Chine, de la Russie et encore moins celles de la France en Afrique. LFI et le FN soutiennent, contre le PS et LR, que l’impérialisme français a tout à gagner à rompre avec l’Allemagne et les États-Unis pour miser sur la Russie et la Chine : « une nouvelle alliance altermondialiste » (p. 89) ; « soutenir le projet chinois d’une monnaie commune mondiale » (p. 105) ; « adhérer à la banque de développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) » (p. 105) ; « la Russie est un partenaire historique » (Le Monde, 6 janvier 2017).

Les silences sur l’Ukraine et la Syrie le confirment. Le régime sanguinaire et tortionnaire de la fraction de la bourgeoisie syrienne représentée par Assad et les bombardements de l’impérialisme russe en Syrie ne sont pas mis en cause (p. 95). Dans la continuité de la 5e République bourgeoise, la 6e interdira aux Kurdes de remettre en question les États bourgeois de l’Asie de l’ouest : « la garantie de l’intégrité de l’État syrien et de ses frontières » (p. 96).

LFI reconnait aussi, dans le droit fil de la 5e république, le droit d’Israël, c’est-à-dire de la bourgeoisie israélienne à la colonisation de la plus grande partie du territoire de la Palestine : « Une paix juste et durable entre Israël et la Palestine… appuyer la solution à deux États… » (p. 96).

Comme Debout la France et le FN, LFI veut « libérer la France de la domination de l’Allemagne et du carcan antinational de l’Union européenne ».

Les traités européens nous retirent toute liberté d’action (L’Avenir en commun, p. 16) ; notre indépendance d’action et la souveraineté de nos décisions ne doivent plus être abandonnées aux obsessions idéologiques de la Commission européenne ni à la superbe du gouvernement de grande coalition de la droite et du PS en Allemagne (p. 79)

Il faudrait « restaurer l’indépendance de la France » (p. 87) –mais quand est-elle devenue une colonie ?– évidemment « pour préparer la paix » (p. 87) –mais quel candidat à une élection annonce qu’il prépare la guerre ?

Capitalisme dans un seul pays

En plus d’aider Trump et Poutine à supprimer l’Union européenne qui reste pour les impérialismes américain et russe un rival potentiel malgré son absence d’armée propre, Mélenchon veut s’appuyer sur les frontières françaises afin de maintenir une politique de l’immigration, de restaurer le franc et revenir au protectionnisme.

Certes, il promet, comme Mitterrand, Jospin et Hollande l’avaient fait avant lui, à accorder le droit de vote aux résidents étrangers aux élections locales, à condition qu’ils soient « en situation régulière » (p. 26). D’ailleurs, Mélenchon s’est montré, à plusieurs reprises, ouvertement hostile à la libre circulation des travailleurs et des étudiants [voir Révolution communiste n° 19]. Le programme le confirme, de manière détournée : « La première tâche est de permettre à chacun de vivre chez soi » (p. 93). Visiblement, « chez soi », selon Mélenchon, Corbière & compagnie, ce n’est pas la planète. L’hypocrisie atteint un sommet avec « renforcer les moyens civils de sauvetage en mer Méditerranée » (p. 94), alors qu’ils seront toujours insuffisants pour éviter les noyades. Le danger naît de la fermeture européenne et française aux migrants d’Afrique et d’Asie, mesures que l’hypocrite Mélenchon approuve.

Le protectionnisme de Mélenchon ne se distingue de celui de Le Pen ou de Trump que par l’adjonction du qualificatif creux « solidaire ».

Nous avons besoin d’un protectionnisme solidaire… (L’Avenir en commun, p. 46) ; la défense de notre souveraineté (p. 16) ; le protectionnisme solidaire (p. 73) ; mettre en place un protectionnisme solidaire : arrêt de la libre circulation des capitaux et des marchandises entre l’UE et les pays tiers (p. 84) ; mettre en place un contrôle des marchandises aux frontières nationales (p. 85) ; refuser le libre-échange, instaurer un protectionnisme solidaire et la coopération économique. (p. 91)

Les taxes ou les restrictions quantitatives aux frontières françaises ne resteront pas sans riposte. Or, le pouvoir de négociation et de rétorsion d’un État est proportionnel à sa taille, à son économie et à son armée. La France capitaliste, à elle seule, sera donc en mauvaise posture.

La position de Mélenchon sur l’UE est quasiment identique à celle de Le Pen : « référendum du peuple français qui décidera souverainement de sa participation à l’Union européenne refondée ou de la sortie » (p. 84), « transformer l’euro en monnaie commune et non plus unique » (p. 85). En termes clairs, l’euro servira seulement entre les États de l’UE ; au sein de la France, ce sera le retour au franc. Dans ce cas, les actionnaires des GE et aussi les patrons des PME tenteront de planquer leur argent à l’étranger, les taux d’intérêt s’élèveront et le prix des importations (le gaz naturel et le pétrole, les produits électroniques…) s’élèvera, même sans augmentation des droits de douane.

La croissance et l’internationalisation des forces productives entrent en contradiction avec les frontières. Leur fermeture généralisée ne ferait que précipiter la prochaine crise capitaliste mondiale et pousser à surmonter l’étroitesse des frontières par la multiplication des immixtions dans les autres pays et des interventions militaires, vers des affrontements entre grandes puissances, la France étant forcée de joindre tel ou tel bloc militaire dans la marche à la catastrophe. La guerre commerciale prépare la guerre tout court.

Renforcement de la police

Au nom de la « révolution citoyenne » (p. 21, p. 30), il est question d’« abolir la « monarchie présidentielle » (p. 26), de convoquer une « Assemblée constituante » (p. 21, 23), de mettre en place la « 6e République » (p. 21) qui sera un « régime parlementaire stable » (p. 26).

Cette démocratie est limitée : pas question de diminuer le vaste domaine maritime et la multiplicité des frontières (p. 13) en reconnaissant le droit à l’indépendance aux confettis de l’empire colonial. Le droit « des peuples » est bon contre l’Union européenne (p. 83, 85) mais ne s’applique pas à la « France d’outre-mer » (p. 39-42) !

Cette démocratie est fictive parce qu’elle laissera les entreprises aux mains des capitalistes, parce que les médias de masse resteront sous leur contrôle, parce qu’ils financeront les partis bourgeois, parce qu’ils continueront à corrompre les journalistes, les universitaires, les appareils syndicaux et les appareils des partis réformistes…

Cette démocratie est fictive car elle ne reposera pas sur l’armement du peuple comme en 1789-92, en 1871, en 1944-45, les moments de conquête de libertés démocratiques pour les travailleurs. Au contraire, Mélenchon réclame des subalternes qu’ils restent désarmés et soumis : « la révolution citoyenne à laquelle je crois est le moyen pacifique de tourner la page » (p. 21).

Afin de garantir « la nécessaire stabilité des institutions » (p. 14), Mélenchon renforce le coeur de l’État bourgeois, son appareil répressif : la justice (« une justice au nom de peuple », p. 33), les services secrets (« une politique antiterroriste rationnelle », p. 34), l’armée (« la jeunesse au service de l’intérêt général et de la sûreté de la Nation », p. 38), la police (« garantir la sécurité et la sûreté », p. 36) avec 10 000 flics de plus :

Il faudra assurer une formation renforcée et un recrutement de 10 000 personnels supplémentaires. (LFI, Livret sécurité, novembre 2016, p. 26)

6e République bourgeoise

Mélenchon a soutenu tour à tour en Grèce le parti de la « gauche radicale » Syriza qui gouverne pour le capitalisme et cède aux exigences des bourgeoisies allemande et française, en Afrique du Sud le parti nationaliste bourgeois ANC et le parti stalinien SACP qui gouvernent pour le capitalisme et font tirer sur les mineurs en grève, au Venezuela le mouvement nationaliste bourgeois PSUV qui tente de gouverner pour le capitalisme en s’appuyant sur l’armée. La municipalité EELV-PdG de Grenoble préfigure ce que donnerait un gouvernement front populaire à la sauce Mélenchon avec la suppression de 150 emplois d’agents, la fermeture de bibliothèques et de centres de soin dans les quartiers populaires.

Que Mélenchon fasse joujou avec son hologramme, passe encore. Mais il manipule l’histoire, il édulcore l’idée de révolution sociale et politique avec ses prétendues révolutions citoyenne et fiscale, de la même façon que Macron a intitulé son livre Révolution. Mélenchon travestit la grande révolution française en pantomime pacifiste.

Il fait comme si la France était encore féodale, comme si son régime était monarchique, comme s’il fallait établir un marché national.

Il n’est pas de procédé plus commun, pour tromper les masses populaires françaises, les ouvriers français et les ouvriers de tous les pays que de transposer dans notre temps le jargon de la Grande révolution française. (Vladimir Lénine, La Guerre et la révolution, 27 mai 1917)

Depuis longtemps, la France est capitaliste. C’est une puissance impérialiste. Son régime est une république bourgeoise. Le marché national est devenu une barrière au progrès. Il faut abolir les frontières, en particulier en Europe, et seule la classe ouvrière en est capable.

Aucune élection, aucun référendum, aucun changement de gouvernement ne peut réguler le capitalisme, empêcher les crises, protéger l’environnement, assurer la paix. Le protectionnisme généralisé ne peut que précipiter la prochaine crise capitaliste mondiale, accentuer le pillage des pays dominés et préparer les affrontements entre grandes puissances.

Le développement des forces productives (les équipements, la science et la technique, la qualification des êtres humains) permet aujourd’hui d’en finir avec tout rapport social d’exploitation et de décider de produire consciemment pour satisfaire les besoins. Les producteurs doivent pour cela prendre le contrôle de la production et de la répartition pour ne plus subir le despotisme du capital, ainsi que l’anarchie et le gaspillage du mode de production capitaliste. Cela nécessite une révolution sociale, la destruction de l’État bourgeois par la classe ouvrière, la transition vers le socialisme mondial.

Pour vaincre, il faut un parti, non pas jauressiste mais marxiste, non pas national mais international, non pas chauvin mais internationaliste, non pas parlementariste mais révolutionnaire, non pas petit-bourgeois mais prolétarien, non pas pacifiste mais insurrectionnel, non pas pro-capitaliste mais communiste.

7 février 2017