Fillon, la rigueur d’un programme bourgeois, la douceur d’une vie de château…

« Je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, vive les rats ! »

Fillon, candidat à la primaire des partis bourgeois LR UDI et divers débris, l’avait emporté sur ses rivaux, notamment Sarkozy et Juppé, en affichant un programme encore plus réactionnaire que ceux de ses concurrents et une image de père-la-vertu drapé dans une morale de bon catholique. Plus déterminé que Juppé qu’il soupçonnait de mollesse, citant volontiers le général De Gaulle, dont les gouvernements et le parti n’étaient pas moins corrompus et sans doute encore plus proche des mafieux, comme exemple de probité pour s’opposer à Sarkozy, Fillon apparaissait dès lors comme le représentant le plus sérieux de la bourgeoisie à la prochaine élection présidentielle. Si le programme qu’il a développé reste un modèle du genre, plébiscité par le Medef, pour structurer les exigences immédiates de la bourgeoisie, on ne peut plus en dire autant du candidat Fillon, dont le sort, au moment où ces lignes sont écrites, est devenu incertain.

C’est que Fillon, en homme avisé, a su mettre à l’abri du besoin sa femme qu’il aime et ses enfants non moins, en les embauchant tour à tour comme assistants parlementaires avec un salaire mensuel brut pouvant dépasser 10 000 euros pour son épouse, pour un total d’environ 900 000 euros, et pour deux de ses enfants, quinze mois pour sa fille étudiante à 3805 euros en brut mensuel, et pour son fils, également étudiant, six mois à 4 441 euros en brut mensuel. Evidemment en contrepartie de si modestes émoluments, on ne pouvait s’attendre à trouver grande trace des travaux accomplis, et c’est ce que les enquêteurs cherchent encore aujourd’hui. Nonobstant 100 000 euros encore pour sa femme au titre d’un emploi de moins de deux ans à la Revue des deux mondes, appartenant à un de ses amis capitalistes, pour, semble-t-il, deux critiques de livres parues en tout et pour tout…

Tout cela étant parfaitement légal, pour autant que Fillon parvienne à prouver peu ou prou la matérialité du travail fourni, ou au moins quelques témoins arrangeants, la République bourgeoise sachant traiter confortablement les parlementaires et les ministres, à la hauteur de la servilité qu’elle leur demande au regard de ses intérêts. Rappelons qu’elle leur octroie, outre leurs indemnités de 7 142 euros en brut, une indemnité de frais de mandat de quelques 5 805 euros mensuels et une enveloppe également mensuelle d’environ 9 500 euros à l’Assemblée nationale et 7 600 euros au Sénat pour embaucher pratiquement discrétionnairement qui ils veulent comme ils le veulent. Sans parler bien sur des divers droits pour la retraite et avantages en nature que touche et touchera (sauf révolution sociale) un ancien Premier ministre. On est bien loin de la revendication du programme communiste qu’un représentant élu du peuple touche le salaire d’un ouvrier qualifié ! Il s’agit donc dans la République bourgeoise que tous chérissent d’une pratique courante. Mais pour la crédibilité du candidat Fillon, même si c’est courant et même si c’est légal, c’est gênant. En effet que nous dit Fillon dans son programme, qu’il organise autour de plus de 600 propositions :

L’effort collectif à accomplir est de très grande ampleur, la situation actuelle l’impose… il est indispensable de faire d’abord redémarrer l’économie… par une baisse rapide et massive des charges pesant sur la compétitivité de nos entreprises… simultanément engager un effort majeur pour ramener notre dépense publique à un niveau raisonnable…

On comprend d’autant mieux que Fillon montre l’exemple depuis longtemps.

Le programme de Fillon : feu sur la classe ouvrière et la jeunesse !

Le programme de Fillon se présente volontiers comme une rupture avec les politiques précédentes, mais en réalité il prend souvent appui sur toutes les mesures prises par Hollande et ses gouvernements, qu’il juge naturellement insuffisantes, pour les amplifier, tout en déclenchant une série d’offensives lourdes contre la classe ouvrière et la jeunesse. Le fil directeur est aussi simple que brutal : tout pour les patrons, haro sur les fonctionnaires et les dépenses publiques, feu sur les salariés, les jeunes en apprentissage et les patrons dans les écoles et les universités. Les entreprises d’abord avec la baisse massive des charges dites patronales sur les salaires, 40 milliards d’euros, la réduction de l’impôt sur les sociétés et diverses taxes pour 10 milliards d’euros, le tout financé par une hausse de deux points de la TVA, donc payée pour l’essentiel par les salariés. L’ISF serait quant à lui supprimé, pour ne plus effrayer les riches par une fiscalité jugée confiscatoire. Les dépenses publiques seraient réduites de 100 milliards d’euros sur le quinquennat, dont 40 milliards d’économies supportées par la sécurité sociale, 10 milliards par l’assurance chômage, 30 milliards par les administrations d’Etat et 20 milliards par les collectivités territoriales. Pour la sécurité sociale, Fillon annonce par exemple la réduction de la « dérive des dépenses de santé » de 20 milliards d’euros, avec une « réforme ambitieuse de la carte hospitalière » qui préfigure de nouvelles fermetures d’établissements et de services. Cette réduction de dépenses publiques se matérialise également par la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, sauf pour les gendarmes et les militaires, le retour aux 39 heures dans les fonctions publiques sans augmentation de salaires, l’alignement des retraites sur le régime du privé.

D’ailleurs, pour tous les salariés du public comme du privé, Fillon entend reculer le droit à la retraite à 65 ans. Ainsi la loi travail de Hollande-Valls-El Khomri servirait-elle demain pour négocier au niveau de chaque entreprise la « levée du verrou des 35 heures » en décidant du seuil de déclenchement des heures supplémentaires et (sic) de la compensation salariale éventuelle, moyennant référendum d’entreprise en cas de blocage syndical. Le tout dans un Code du travail réduit à la portion congrue, l’essentiel étant renvoyé au niveau de l’entreprise. Plus de facilité pour les patrons pour licencier, la nécessité de réorganisation de l’entreprise étant désormais admise comme motif légitime de licenciement collectif, et plus aussi de main d’œuvre au rabais avec la généralisation des dispositifs d’alternance école entreprise pour la jeunesse.

Prenant également appui sur la politique xénophobe des gouvernements Valls-Cazeneuve, Fillon en rajoute une couche en déclarant qu’il mettrait en place des quotas d’immigration, en supprimant l’aide médicale aux étrangers sans papiers et en ne versant de prestations sociales qu’à ceux qui, en situation régulière, résident depuis plus de deux ans en France. Dans le droit fil de l’état d’urgence, le budget de la police, de la gendarmerie, de l’armée, de la pénitentiaire augmenterait largement. En revanche, pour l’Ecole, aucun moyen supplémentaire car, pour Fillon citant la Cour des comptes « ses résultats insatisfaisants ne proviennent ni d’un excès ni d’un manque de moyens budgétaires ou d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants. » Fillon a lui des idées pour mieux utiliser les moyens existants. Ainsi il annonce la mise en place de professeurs bi ou trivalents pour les classes de 6e et de 5e, l’enseignement de « l’esprit de défense » dans les collèges, l’autonomie renforcée des établissements avec le recrutement de tous les personnels dans le secondaire par les chefs d’établissement, le financement accru du privé sous contrat, l’enseignement professionnel totalement sous la coupe des régions. Pour l’Université, il préconise de privatiser directement les unités de recherche intéressant les entreprises et d’en faire assurer la direction par des patrons. Enfin la morale catholique de la bourgeoisie bien pensante n’est pas en reste dans le programme de Fillon avec l’adoption plénière réservée aux seuls couples hétérosexuels, la limitation de la PMA aux seuls couples hétérosexuels infertiles, dans la droite ligne des mobilisations réactionnaires de la Manif pour tous.

Fillon pourrait bien devoir jeter l’éponge, totalement discrédité par la révélation des sordides arrangements financiers pourtant si communs à la classe bourgeoise à laquelle il appartient. Cela participe, y compris d’ailleurs les conditions mêmes de ces révélations qui viennent sans doute de son propre camp, de l’incapacité des partis traditionnels de la bourgeoisie à être à la hauteur des enjeux qu’exige la bourgeoisie elle-même. Le hiatus grotesque entre les tribulations financières de candidat et l’habillage moralisateur des violentes attaques prévues contre la classe ouvrière et les jeunes jette le principal parti de la bourgeoisie dans le désarroi, en butte au dégoût de ses propres électeurs. C’est la voie qui s’ouvre un peu plus grand pour le Front national, sauf si la classe ouvrière ouvre une perspective révolutionnaire pour balayer ces messieurs et dames, impitoyables avec le peuple mais si compréhensifs pour eux-mêmes.

4 février 2017