Les femmes polonaises parviennent à bloquer l’offensive réactionnaire

La détérioration de la situation des femmes avec la restauration du capitalisme

La législation sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est, en Pologne, l’une des plus restrictives des pays de l’Union européenne. Pourtant, de 1955 à 1993, l’avortement y était légal et gratuit dans les hôpitaux publics.

En 1989, une première tentative pour criminaliser le droit à l’avortement a échoué devant les manifestations et les pétitions massives, le projet ne fut même pas examiné au Parlement. Cependant, ce Parlement issu des élections de juin 1989 composé de 2/3 de députés issus du parti stalinien (PZPR) et de ses alliés et d’un 1/3 de députés issus de Solidarnosc, a voté une transition rapide de l’économie polonaise vers une « économie de marché ».

La dégradation des conditions économiques pour la classe ouvrière polonaise, la remise en cause de tous ses droits s’accompagna de la remise en cause des droits des femmes. L’Église catholique, qui avait collaboré avec la bureaucratie étatique pour empêcher la révolution prolétarienne, qui avait poussé la direction de Solidarnosc à bloquer la grève générale et à négocier avec le pouvoir, a repris sa propagande pour la criminalisation de l’avortement. En janvier 1993, le projet de loi l’approuvant a été voté à une écrasante majorité par le Parlement devant lequel le chef de l’Église catholique polonaise s’était permis de menacer le gouvernement de lui retirer son soutien si le projet n’était pas voté.

Avec le gouvernement de coalition du SLD (parti social-démocrate issu de la reconversion du POUP) et du PSL (Parti paysan polonais) de septembre 1993, la loi interdisant l’avortement fut abrogée au profit d’un texte négocié avec l’Église catholique. En est issue la loi qui s’applique aujourd’hui en Pologne. L’IVG n’est autorisée que dans trois cas précis : en cas de danger pour la mère, de malformation du fœtus, en cas de viol et/ou d’inceste. L’occurrence prévue dans le texte d’origine, en cas de situation sociale difficile de la mère fut abrogée par le Tribunal constitutionnel en 1996, jugée contraire à la Constitution.

L’Église et le PiS exigent l’interdiction totale

D’abord, un projet de loi vise à restreindre la législation qui encadre la procréation médicalement assistée dont les dispositions « détruiraient vingt-cinq ans de développement de la médecine de reproduction en Pologne » selon le Dr Kuczynski qui a contribué à la première fécondation in vitro en 1987. Ensuite, une loi adoptée par le parlement polonais dans lequel le parti au pouvoir PiS (Droit et justice) détient la majorité absolue, vise à inciter les femmes à garder le fœtus même si un handicap irréversible ou une pathologie incurable sont détectés pendant la grossesse, en versant 925 euros à toute femme renonçant à avorter dans ce cas.

Et voilà que le 23 septembre 2016, le parlement polonais examine en première lecture deux « initiatives citoyennes » opposées sur l’avortement. La première portée par le collectif « Sauvons les femmes » proposait de légaliser l’avortement sur simple demande de la femme enceinte jusqu’à la 12e semaine de grossesse. La seconde proposition de loi portée par le collectif « Stop avortement » visait, elle, à restreindre le recours à l’avortement au seul cas où la grossesse mettrait en danger la vie de la femme enceinte, elle prévoyait parallèlement une peine allant jusqu’à cinq ans de prison pour la femme enceinte et toute personne l’ayant aidée à avorter. Le texte proposant de libéraliser l’avortement est rejeté par une majorité de députés, pour l’autre, une majorité de député se prononce pour qu’il puisse être examiné dans la Commission parlementaire de la justice et des droits de l’homme.

Empêcher les 2 000 avortements légaux recensés par an ? Alors que dans certains territoires polonais les femmes n’ont aucun accès à l’IVG et que tout médecin peut mettre en avant la clause de conscience pour ne pas la pratiquer. Mettre fin au marché de l’IVG clandestine soit dans les conditions les plus dangereuses pour les plus pauvres, soit dans les cliniques des pays voisins pour les femmes qui en ont les moyens ? Avortements clandestins évalués entre 150 et 200 000 par an par les organisations féministes.

De fait, la réaction monte au front comme elle l’a toujours fait en faveur de la protection absolue de la vie dès sa conception et pour raffermir son emprise sur la société. Avec la décadence du capitalisme, la bourgeoisie tend à devenir réactionnaire, elle s’appuie sur et appuie la réaction cléricale, et pas seulement dans les pays musulmans. Ainsi, des députés du PiS mettent aux voix le projet porté par les associations les plus réactionnaires.

Ils tentent d’utiliser la situation démographique de la Pologne. La population polonaise décroit ainsi régulièrement depuis 1998 sous l’effet combiné de ce facteur et d’un taux d’émigration positif. Dès 1989, le taux de fécondité qui était jusqu’alors autour de 2,4 enfants par femme est tombé en dessous des 2,1 (seuil du « renouvellement des générations »). Il ne s’est jamais relevé : 1,6 en 1995, 1,2 en 2003, 1,3 en 2013, ce qui conduit la Pologne à connaître dès 2002 un taux de mortalité supérieur au taux de natalité. En outre, 2 millions de Polonais ont émigré depuis l’intégration en 2004 dans l’Union européenne. La majorité d’entre eux a moins de 34 ans Ils sont informaticiens, médecins, infirmiers, travailleurs du bâtiment.

Cette situation conduit à de fortes tensions sur le capitalisme polonais réduit à embaucher des travailleurs ukrainiens. Salaire brut moyen inférieur à 1 000 euros, crise du logement, absence de politique familiale (pas d’allocations, pas de quotient familial pris en compte dans les impôts, absence de mode de garde pour les enfants), flexibilité du travail, conduisent inexorablement la bourgeoisie polonaise à imposer aux femmes de faire leur devoir patriotique : accoucher de la future classe ouvrière de Pologne.

La riposte des femmes travailleuses

La riposte contre cette nouvelle attaque en règle contre le droit des femmes est immédiate, organisée par les organisations féministes, et relayée par des initiatives individuelles comme celle de l’actrice Krystyna Janda. Une grande manifestation le samedi 1er octobre réunit environ 5 000 personnes devant le Parlement et un appel à la grève est lancé pour le lundi 3 octobre déclaré lundi « noir », mouvement de grève largement suivi, 100 000 personnes manifestent dans toutes les grandes villes.

La mobilisation fait reculer le PiS sur son projet de loi. Le 5 octobre, la majorité des députés du PiS composant la commission parlementaire qui examine le texte se prononce pour le retrait du projet.

Si cette mobilisation a été exemplaire, massive, l’ensemble de la classe ouvrière polonaise ne s’en est pas saisie, il n’y a pas eu d’appel de syndicats, ni de partis pour la soutenir. Elle est restée un combat des femmes alors que la défense de l’IVG devrait concerner tous les travailleurs de Pologne. La classe ouvrière polonaise ne dispose d’aucune organisation susceptible de l’organiser dans sa totalité pour s’opposer frontalement à la bourgeoisie. Et c’est à cette tâche que devront s’atteler les travailleuses et les travailleurs de ce pays, en lien avec leurs soeurs et frères des autres pays d’Europe et du reste du monde.

27 novembre 2016