ABC du marxisme : qu’est-ce que l’État ?

L’État séparé de la population générale et fonctionnant au-dessus d’elle serait nécessaire pour administrer l’économie, protéger la population des voyous et malfaiteurs et résister aux attaques de nations hostiles. Pourtant, toutes les sociétés de la préhistoire et jusqu’au 20e siècle les Guaranis d’Amazonie, les Inuits du Groenland, les Aborigènes d’Australie ou les Sans d’Afrique australe ne connaissaient pas l’État.

En effet, l’État est un produit de la division de la société en classes ; leur antagonisme irréconciliable nécessite d’être contenu par une institution placée au-dessus de la société. Celle-ci, tout en maintenant l’équilibre de la société, sert principalement la classe dominante, celle qui possède pour l’essentiel les moyens de production et vit du travail d’autrui. La position apparente de l’État au-dessus de la société résulte de la domination d’une classe sur les autres.

Alors que dans la société primitive sans classes ni État, aucun chef, aussi puissant soit-il, n’avait le moyen de priver un être humain des zones de culture, de chasse et de pêche, avec la généralisation de la culture et de l’élevage, on vit progressivement apparaître des groupes d’hommes qui accaparèrent ces ressources naturelles ; en pratique, ils obligèrent d’autres hommes et femmes à travailler à leur service. Pour maintenir cette exploitation, ils s’entourèrent de prêtres chargés de justifier et d’hommes armés chargés d’imposer. Ainsi étaient nées les classes sociales, l’une dominée et exploitée, l’autre dominante et exploiteuse, ainsi que l’État aux mains de cette dernière.

Différentes types de sociétés, donc d’État, ont existé. Dans l’Antiquité, la classe dominante était celle des propriétaires d’esclaves, l’État s’appuyait sur une puissante armée dont la principale fonction était d’asservir le plus grand nombre de peuples, de fournir de nouveaux esclaves et de réprimer les révoltes des esclaves et des peuples dominés. Le Moyen-Âge ouest-européen ou japonais vivait sous la domination de la noblesse féodale, donc le pouvoir reposait sur de larges domaines travaillés par des paysans soumis au servage.

Actuellement, la classe dominante est la bourgeoisie, détentrice du capital, et les divers États (à l’exception de Cuba et de la Corée du Nord où le capitalisme n’a pas encore été pleinement rétabli) sont des États bourgeois. Leur forme peut varier, monarchie ou république, tyrannie fasciste, autoritarisme bonapartiste ou démocratie parlementaire, théocratie, régime concordataire ou laïcité, mais ils gardent tous en commun la même fonction primordiale : assurer le fonctionnement du capitalisme, préserver le profit, ce qui nécessite de maintenir la classe ouvrière en position dominée.

Même si tout État bourgeois sert à préserver l’exploitation de la classe ouvrière, celle-ci ne peut pas être indifférente au régime politique, car elle a besoin de droits et de libertés pour se défendre puis conquérir le pouvoir. La république démocratique reste le cadre où le prolétariat a le plus de latitude pour mener sa lutte émancipatrice. De plus, elle permet aux travailleurs de comprendre que leurs problèmes ne sont pas dus à la monarchie, au cléricalisme ou au fascisme, mais bien au mode de production capitaliste.

Avec la conquête du suffrage universel au 20e siècle, les dirigeants travaillistes, puis les sociaux-démocrates et enfin les staliniens affirmèrent qu’il était possible de passer pacifiquement au socialisme, la classe ouvrière pouvant conquérir l’État par les urnes et le transformer pour le mettre à son service. C’est une illusion dangereuse. En effet, si les députés et parfois le président sont élus, l’état-major, les chefs policiers, les magistrats, les hauts fonctionnaires restent inamovibles, bien décidés à maintenir l’ordre capitaliste. Aussi les ministres « ouvriers » finissent toujours par se rallier à la soi-disant « réalité du marché », à savoir la dictature de la bourgeoisie, et puis s’ils ne se montrent pas suffisamment capables de l’imposer aux travailleurs qui les ont élus, la bourgeoisie peut faire appel à un Bonaparte, voire aux aventuriers et voyous fascistes, pour les chasser et infliger une répression féroce à la classe ouvrière.

Pour établir le régime des travailleurs expropriant le capital et allant vers le communisme, la classe ouvrière doit complètement détruire l’État bourgeois, dissoudre et désarmer l’armée professionnelle, la police et la gendarmerie, supprimer la haute magistrature, les corps de hauts fonctionnaires et les cabinets ministériel, et instaurer ses propres organes de pouvoir. Mais pour désarmer et vaincre la bourgeoisie, elle doit d’abord s’armer et créer ses organes de lutte pour la conquête du pouvoir.

La Commune de Paris en 1871 et les révolutions en Russie de 1905 et 1917 ont donné la meilleure forme pour les organes permettant à la classe ouvrière de conquérir et garder le pouvoir. Pour éviter qu’ils ne soient captés par des arrivistes, des bureaucrates et des larbins de la bourgeoisie, trois règles s’imposent : (a) tous les élus sont révocables à tout moment ; (b) toute fonction étatique ou politique est rémunérée par un salaire ne dépassant pas celui d’un ouvrier qualifié ; (c) les couches les plus larges de la population travailleuse doivent être associées aux fonctions de gouvernance. Ainsi devra fonctionner l’État de la classe ouvrière, la dictature du prolétariat, qui ne ressemblera en rien aux États des diverses classes exploiteuses qui règnent depuis plusieurs millénaires.

Quand le capitalisme aura été renversé à l’échelle planétaire, que l’exploitation ne sera plus qu’un lointain mauvais souvenir, que la population vivra dans l’abondance et que le travail aura cessé d’être un fardeau mais s’apparentera à un loisir, alors l’État finira par s’éteindre, et l’humanité vivra en pleine liberté.