Quand la Chine inquiète la bourgeoisie à l’échelle mondiale

Le krach boursier de la Chine capitaliste

Le précédent effondrement boursier en Chine remontait à 2008. Le nouveau a commencé en début juin. Depuis le 12 juin, les capitalisations boursières de Shenzhen et de Shanghai ont diminué de plus de 40 %. Le 24 août a même été qualifié de « lundi noir » à cause de l’effondrement des trois marchés d’actions de la Chine. Ce jour-là, les deux bourses continentales de Shenzhen et Shanghai perdirent respectivement 7,6 % et 8,5 % et celle de Hong-Kong, la 3e du monde, 5,1 %. Ce krach a eu des conséquences sur tout le système financier international. Durant l’été, l’indice FTSE de Londres a chuté de 15 %, l’Euro Stoxx de 15 %, le Dow Jones de New York de 12 %, le Nikkei de Tokyo de 8,3 % et le CAC 40 à Paris de plus de 10 %.

L’existence de capital fictif et de bourses de valeurs mobilières, la succession de la spéculation sur les actions et de l’éclatement d’une bulle financière sont typiques du capitalisme, comme les fluctuations de l’accumulation du capital.

Depuis 1992, les travailleurs sont obligés de vendre leur force de travail au capital, sous la menace du chômage. Que les entreprises soient publiques ou privées (ces dernières emploient désormais 80 % des salariés) est, à cet égard, secondaire (de même que la différence entre l’actionnariat du groupe Renault et celui de Peugeot en France). Le krach est survenu à cause du ralentissement de la croissance de la deuxième économie capitaliste de la planète (12 % du PIB mondial) dont toutes les bourgeoisies du monde appréhendent qu’il se transforme en véritable crise économique, en baisse du PIB.

Plus personne ne croit aux 6,8 % prévus pour la Chine en 2015 par le Fonds monétaire international. La baisse des exportations en juillet (– 8,3 %) atteste les problèmes de compétitivité chinois ; la chute des importations reflète l’insuffisance de la demande intérieure ; la baisse continue des prix à la production signale l’excès d’offre et l’existence de surcapacités dans de nombreux secteurs. À en croire l’économiste en chef de Natixis, Patrick Artus, qui signale aussi une stagnation de la consommation d’électricité, la croissance chinoise serait plus proche des « 2 % à 3 % que des 7 % fixés par Pékin ». (Le Monde, 22 août 2015)

Les signes avant-coureurs de la crise étaient là bien avant le krach boursier qui n’est que la forme prise par une crise profonde de toute la production capitaliste.

La diminution du taux de profit explique la crise boursière

En 2014, le secteur immobilier avait déjà connu l’éclatement de sa bulle spéculative, dévoilant l’engorgement de capitaux sur le marché en comparaison avec la possibilité de réaliser des profits. En 2015, plus de 20 % des logements neufs ne trouvent pas preneur.

Alors que les capitaux chinois et étrangers se sont valorisés sans grand problème depuis un quart de siècle, grâce à la plus-value extorquée aux centaines de millions d’ouvriers, d’employés et de techniciens, le taux de profit tend désormais à baisser.

D’une part, le taux d’exploitation a diminué, à cause des hausses de salaire conquises malgré la répression et le monopole syndical du parti unique (en moyenne de 10 % chaque année durant la dernière décennie). D’autre part, la composition technique du capital a augmenté. La concurrence mondiale (et nationale) impose aux capitalistes d’investir dans des moyens de production toujours plus importants et modernes. Trop de capitaux sont investis pour une plus-value extraite du surtravail du prolétariat le plus nombreux du monde.

Dans ce mode de production, la croissance économique est déterminée, non par les besoins sociaux, mais par l’appropriation par le capitaliste du travail qu’il ne paye pas et le rapport de ce travail au travail matérialisé, en d’autres termes, par le profit et le rapport du profit au capital engagé ; d’où il résulte que la production s’arrête, non lorsque les besoins sont satisfaits, mais lorsque l’impossibilité de réaliser un profit suffisant commande cet arrêt. (Marx, Le Capital, III, 1867-1875, ch. 15)

Le taux de croissance chute, même s’il reste supérieur aux performances de la zone euro (prévision de +1,4 %) et des États-Unis (+2,4 %). Depuis janvier 2015, le volume des échanges commerciaux de la Chine a diminué de 7,3 %. La production industrielle a cessé d’augmenter, pour la première fois depuis la crise capitaliste mondiale de 2007-2009.

Vendredi 21 août, l’annonce d’une contraction marquée de l’activité manufacturière en Chine – la plus forte depuis 2009 – a ravivé les craintes sur l’état réel de la deuxième économie mondiale et prolongé le blues des marchés. (Le Monde, 23 août 2015)

Bien que la crise mondiale n’ait entraîné en 2008-2009 qu’un ralentissement de la croissance chinoise, le gouvernement de Hu Jintao avait à l’époque recouru à un « plan de relance » équivalent à ceux des autres États bourgeois. En fait, la dévalorisation partielle de capital et l’augmentation du taux d’exploitation dans les centres impérialistes avaient permis la restauration temporaire de la profitabilité et une reprise de l’accumulation du capital à l’échelle mondiale à partir de la fin de 2009 qui a profité à la Chine.

Xi Jinping s’efforce d’atténuer le krach

L’État est intervenu sur les marchés financiers pour soutenir « l’économie nationale ». D’abord, il a baissé les taux directeurs de la banque centrale, la BPC, comme en 2009. Mais cela a échoué.

Il a sorti alors l’artillerie lourde. Appuyé sur les plus importantes réserves en dollars au monde (détenues par la banque centrale chinoise, et les grands fonds d’investissements souverains), le gouvernement a injecté en juillet l’équivalent de 180 milliards d’euros par rachat de titres ou aide aux entreprises financières. Le gouvernement a aussi promis des exonérations d’impôts sur les bénéfices pour les boursicoteurs conservant leurs actions. En outre, il a menacé les courtiers qui faisaient leur métier, c’est-à-dire spéculer (en l’occurrence, à la baisse du prix des actions) en utilisant les marchés d’actions et de produits dérivés que l’État a mis en place pour cela (contrats à terme, options, etc.). Au nom de la lutte contre la fraude, quelques centaines de traders et agents boursiers ont été arrêtés. Le gouvernement a même trouvé comme bouc émissaire du krach… un journaliste.

Wang Xiaolu, un journaliste du magazine « Caijing », a été mis en détention après la récente tempête boursière chinoise, pour diffusion de fausses nouvelles sur les titres et les marchés à terme. (Le Monde, 31 août 2015)

Le gouvernement paniqué recourt à des dévaluations successives du yuan, lance un autre plan keynésien de relance et s’efforce de restructurer le grand capital.

Le plan gouvernemental « Fabriqué en Chine 2025 » a pour objectifs immédiats d’augmenter la qualité, la productivité et l’automatisation, ainsi que le recours aux machines à commande numérique, toutes techniques répandues dans les producteurs d’envergure mondiale. Un soutien à l’investissement pourrait aider à combler l’écart. (The Economist, 12 septembre 2015)

Mais, en procédant ainsi, il contribuera à la hausse de la composition organique du capital et la baisse relative du travail vivant, source ultime de tous les profits. La Chine ne peut échapper aux contradictions du capitalisme.

Les risques internationaux du ralentissement de la croissance chinoise

En Amérique latine, la Chine est devenue en 2014 le premier client du Brésil (15,9 % des échanges), devant les États-Unis (11,1 %), ainsi qu’au Chili (23,2 % contre 11,7 % pour les États-Unis), au Pérou (17,1 % contre 13,3 %) et au Venezuela (21,3 % contre 7,8 %). En Argentine, la Chine reste le second client (6,4 %) loin derrière le Brésil.

En Afrique, la concurrence entre grandes multinationales fait rage mais en une dizaine d’années, la Chine est devenue le premier client de la Zambie, de l’Afrique du Sud, de l’Angola, du Nigéria. Dans tous les cas, les IDE chinois arrivent pour extraire des matières premières et écouler du « made in China ».

Le ralentissement de la croissance économique sur place conduit à la baisse des importations d’énergie, de matières premières et de biens intermédiaires. Les pays exportateurs d’énergie (Venezuela, Angola, Russie…), de minerais (Chili, Pérou, Zambie, Afrique du Sud…), de produits agricoles (Brésil…) sont susceptibles d’être violemment touchés, alors que certains d’entre eux sont déjà en récession (Russie, Brésil…).

Les pays asiatiques très dépendants des échanges de matières premières et de pièces électroniques avec la Chine comme la Malaisie, Singapour, Taiwan et la Corée du sud auront du mal à ne pas entrer en crise en 2015.

Les pays avancés qui exportent leurs produits manufacturés vers la Chine (Japon et Allemagne) seraient aussi affectés.

D’un pays à l’autre, les expositions sont très différentes dans la zone euro. L’Allemagne concentre à elle seule près de 60% des exportations de la zone euro vers la Chine. À moins d’une nouvelle accélération de la demande émanant des autres grands marchés d’exportation, le ralentissement de la croissance chinoise pourrait ainsi pénaliser l’économie allemande. (Gareis, Special Report, Natixis, 4 septembre 2015)

La banque centrale étasunienne envisageait de remonter les taux directeurs, mais le 17 septembre, elle a repoussé cette décision à cause du ralentissement de la croissance chinoise et des menaces sur celle des États-Unis. Pour l’instant, toutes les grandes banques centrales poursuivent leur politique monétaire de type keynésien pour tenter de stimuler leur capitalisme, quitte à alimenter de nouvelles bulles financières.

Le ralentissement de la croissance domestique ne diminuera pas les ambitions internationales des groupes capitalistes chinois.

L’affirmation économique de l’impérialisme
chinois

En 2015, selon le magazine Forbes, 106 des 500 premiers groupes mondiaux (par la valeur du capital) sont chinois. Sa monnaie est devenue la cinquième dans les paiements mondiaux, loin derrière le dollar américain (87 %) et l’euro (6,6 %) mais au coude à coude avec le yen japonais et la livre sterling (entre 2 % et 3 % des paiements chacune).

Les groupes capitalistes chinois investissent à l’étranger pour racheter partiellement (ex : PSA) ou complètement (ex : Pirelli) des grandes entreprises. Le flux des investissements directs à l’étranger s’est élevé à 103 milliards de dollars en 2014, soit l’équivalent des investissements étrangers en Chine (108 milliards). Cette année-là, la Chine était le 3e investisseur mondial.

Dernier épisode de la lutte pour sa sphère d’influence dans le monde, le gouvernement chinois a créé en décembre 2014 une Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). La bourgeoisie de Chine a répondu de cette manière à ses rivales du Japon et des États-Unis qui veulent mettre en place un traité transpacifique (TTP) contre elle.

Si nous n’écrivons pas les règles dans cette région, la Chine le fera. (Obama, Wall Street Journal, 28 avril 2015)

47 États ont approuvé le projet. Non seulement les puissances économiques dites « émergentes » (Brésil, Russie, Inde, Afrique du sud) ont adhéré, mais la BAII compte aussi comme membres nombre d’alliés historiques des États-Unis : la Corée du Sud, l’Australie, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie….

Il est extrêmement rare pour la Grande-Bretagne de prendre une position de politique étrangère en contradiction avec celle de son plus proche allié et le plus important, l’Amérique… La question est de savoir comment l’Amérique interprète les plans de la Grande-Bretagne qui a annoncé le 12 mars, pour joindre la nouvelle infrastructure asiatique de banque d’investissement de la Chine (BAII) comme un actionnaire fondateur. La Chine, naturellement, est enthousiaste. La plupart des autres observateurs sont déconcertés. (The Economist, 13 mars 2015)

Pour l’État chinois, il s’agit de consolider et de développer les gazoducs, oléoducs, routes, voies ferrées, ports, aéroports qui transportent les marchandises entrant et sortant de Chine, notamment à destination de l’Europe, l’un des principaux débouchés. Les investissements chinois bousculent les « sphères d’influence » japonaise, étasunienne et russe. Les nouvelles « routes de la soie » concernent le Kazakhstan, le Pakistan, l’Afghanistan, la Russie.

Les entreprises chinoises ont signé 1 786 contrats de projets dans tous les pays le long de la route de la soie au cours des sept premiers mois de cette année, ce qui équivaut à peu près à la moitié de la valeur totale des contrats à l’étranger, selon des sources officielles. Les contrats pour les projets ont totalisé 49,44 milliards de dollars, en hausse de 39,6 % sur l’année, ce qui représente 44,9 % du total au cours de la période. (Xinhuanet.com, 19 août 2015)

Les BRICS ne constituent pas un bloc homogène. Derrière l’unité de façade entre Russie et Chine, celle-ci vise aussi la zone d’influence du fragile impérialisme russe, en particulier le Kazakhstan.

Le Kazakhstan est d’ores et déjà un terrain d’affrontement avec l’autre grande puissance régionale : la Russie. (Le Monde, 15 août 2015)

Et malgré les accords « gagnant-gagnant » signés par Poutine et Xi, ce sont les capitalistes chinois qui s’installent en Russie et non l’inverse. Les rivalités en Asie ne sont pas uniquement économiques, l’État chinois appuyant ses groupes capitalistes par la diplomatie et le militarisme.

L’affirmation militaire de l’impérialisme chinois

La modification de la constitution japonaise par le premier ministre Shinzo Abe, le 27 août 2015, permet à son pays de participer à des missions militaires à l’étranger.

En déplaçant sa flotte, en manœuvrant militairement en mer de Chine, le gouvernement Obama multiplie et renforce les accords militaires avec le Japon, les Philippines, le Vietnam et l’Australie pour mieux contrer l’émergence chinoise.

De son côté, le gouvernement chinois développe le concept de « rêve chinois » avancé par Xi Jinping à son arrivée au pouvoir et veut disposer d’une « armée puissante » pour intimider ses rivaux et ses vassaux.

La sécurité des intérêts outre-mer dans l’énergie et les ressources, les voies maritimes stratégiques, ainsi que des institutions, du personnel et d’actifs présents à l’étranger, est devenue une préoccupation majeure. (Livre blanc du gouvernement chinois, cité par Le Monde, 30 mai 2015)

Le budget militaire chinois est le deuxième au monde. Sa marine en constante croissance navigue dans le monde entier et la Chine dispose d’un porte-avions et plusieurs autres sont en chantier. En guise de démonstration de force, il a organisé un défilé militaire exceptionnel le 3 septembre pour fêter la victoire de la Chine contre les armées japonaises en 1945. La cérémonie a rassemblé 30 chefs d’État dont Poutine.

En conséquence, les zones aériennes de survol sont de plus en plus disputées en mer de Chine, les îlots revendiqués par la Chine y sont l’objet d’escarmouches. Chaque pays consolide tout atoll qu’il détient : la Chine a ainsi, ces deux dernières années, poldérisé plusieurs îlots en base militaire comme l’ont fait l’Australie, les États-Unis et le Japon.

La seule classe capable d’éviter la catastrophe est le prolétariat de toute la région, dont le plus important numériquement est celui de Chine.

La classe ouvrière doit prendre le pouvoir

Bien que la police et les triades (mafieux) aient vaincu le mouvement de la jeunesse pour élargir les libertés démocratiques à Hong Kong, le prolétariat et la jeunesse de la presqu’île ne sont pas prêts à abandonner les droits qu’ils conservent et que la tyrannie de Pékin met en cause.

Bien que la police et les forces spéciales tentent de réprimer les manifestations pour l’environnement, contre les expulsions des terres, les actions collectives dans les entreprises, celles-ci se multiplient. Les grèves ont triplé ces trois dernières années, selon le China Labour Bulletin de Hong Kong. Pour 2014, il en a dénombré 1 379.

La classe ouvrière a la force d’affronter et vaincre la nouvelle bourgeoisie et son parti unique, d’arracher le droit de s’organiser en syndicat et en parti, de faire grève et de publier ses propres journaux et émissions de télévision.

Elle est capable de prendre la tête de tous les exploités et opprimés, de rallier à sa cause les paysans pauvres afin de mettre au pas les spéculateurs ou les accaparateurs de terre et d’établir librement des coopératives, de garantir aux minorités nationales (Tibétains, Ouigours…) les droits linguistiques et le droit à la séparation, d’attirer les étudiants et les intellectuels en assurant la liberté d’opinion, d’information, de création, de discussion, d’organisation.

Les revendications démocratiques les plus élémentaires sont incompatibles avec le gouvernement Xi et le monopole politique du PCC, devenu le parti des capitalistes.

La révolution ouvrière et populaire ne se bornera pas aux tâches démocratiques. Les travailleurs, en créant leurs propres organisations, en affrontant la classe dominante et son État, seront conduits au contrôle ouvrier et populaire sur la production et la distribution, à la mise en cause de la propriété privée, à l’expropriation des capitalistes nationaux et étrangers.

Pour vaincre, ces organes de la majorité de la population devront se coordonner, se fédérer, s’armer, constituer un gouvernement ouvrier et paysan. Un tel pouvoir aura pour tâche de remettre les décisions économiques aux mains des producteurs associés, d’étendre la révolution sur le continent, de réaliser les États-Unis socialistes d’Asie.

Pour qu’une telle alternative à l’exploitation et au despotisme voie le jour, il est urgent de constituer dans toute la Chine un parti ouvrier révolutionnaire de type bolchevik, section d’une internationale ouvrière révolutionnaire dont le but sera le communisme.

23 septembre 2015