La 1re Guerre mondiale (6)
1914 : contre le courant

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Quand le conflit éclate en août 1914, ses principales sections (SPD d’Allemagne, LP de Grande-Bretagne, PS-SFIO de France, SDAP d’Autriche, POB de Belgique…) se rallient à leur bourgeoisie et l’Internationale ouvrière renonce, sans qu’en son sein existe pour faire face à ce reniement historique la moindre fraction ou tendance internationaliste et révolutionnaire [Révolution communiste n° 8]. La classe ouvrière en paie chèrement le prix sur le front et à l’arrière [Révolution communiste n° 9].

Mais l’internationalisme ne meurt pas. Face à la catastrophe, le premier point d’appui de la classe ouvrière européenne et mondiale est qu’une poignée de petits partis ouvriers formés dans le cadre de l’internationalisme prolétarien et de l’Internationale ouvrière, s’opposent dès août 1914 à l’union sacrée, y compris dans des pays belligérants (Serbie, Russie, Pologne, Irlande…). Le second est qu’un de ces partis va prendre la tête, dès septembre, de la lutte pour une nouvelle internationale et de nouveaux partis.

L’émergence laborieuse d’une opposition dans les organisations ouvrières de masse

En France, tant le PS-SFIO (Parti socialiste, section française de l’Internationale ouvrière, qui ne s’est jamais réclamé du marxisme) que la bureaucratie de la CGT (Confédération générale du travail, anarcho-syndicaliste) se rangent derrière leur bourgeoisie, intégrant le gouvernement d’union nationale. Dans la SFIO, il n’y aucune opposition organisée en 1914. Dans la CGT, à partir d’octobre 1914, un petit groupe de syndicalistes restés pacifistes, dont les dirigeants de la fédération des métaux, se retrouvent régulièrement au local de La Vie ouvrière. En décembre, son éditeur démissionne du comité confédéral de la CGT pour « extérioriser l’opposition confédérale à la guerre – jusqu’ici systématiquement étouffée et ignorée – et informer la classe ouvrière ».

Aujourd’hui, le Comité confédéral vient de refuser sa sympathie aux efforts tentés en vue de la paix par les socialistes des pays neutres… Dans ces conditions, il m’est impossible de rester plus longtemps dans son sein, car je crois, au contraire, que parler de paix est le devoir qui incombe, en ces heures tragiques, aux organisations ouvrières conscientes de leur rôle… (Pierre Monatte, Lettre de démission, décembre 1914, publiée dans Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la 1re Guerre mondiale, 1936, Avron, t. 1, p. 177)

En Allemagne, la bureaucratie du parti et celle des syndicats, qui ont trahi la classe ouvrière et leur propre programme, bâillonnent l’opposition au nom d’une discipline qui devient l’auxiliaire de la répression intense de l’État bourgeois.

Lors de la réunion du groupe parlementaire du SPD du 4 août, 14 des 92 députés s’opposèrent au vote mais s’inclinèrent devant la tradition imposant des votes unanimes. La divergence au sein des députés ne fut pas rendue publique et l’apparente unité de la décision fit une forte impression. (Craig Nation, War on War, 1989, Haymarket, p. 21-22)

L’absence de structuration antérieure et l’impréparation à l’illégalité contribuent au vote unanime de la fraction parlementaire du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne, officiellement marxiste) pour les crédits de guerre et à la dispersion de l’opposition à la guerre entre trois mouvances.

  • 1 / Le « centre » dirigé par Ledebour, Haase et Kautsky est favorable à la paix mais tient à l’unité du SPD, vote et revote le budget de guerre jusqu’à fin 1916.
  • 2 / Des petits groupes internationalistes, influencés par Anton Pannekoek et Karl Radek, comprennent la nécessité de transformer la guerre en révolution et de construire un nouveau parti. À Berlin, un noyau autour de Borchardt, les ISD (les Socialistes internationaux d’Allemagne), édite la revue Lichstrahlen ; à Brême, un autre autour de Knief et Frölich, qui prendra le nom d’IKD (les Communistes internationaux d’Allemagne), publie Berner Tagwacht puis Arbeiterpolitik. Les deux vont se lier au Parti bolchevik et rejoindre en 1915 la Gauche de Zimmerwald.
  • 3 / Entre les deux, le regroupement autour de Karl Liebknecht, Clara Zetkin, Rosa Luxemburg, Franz Mehring… (appelé plus tard Die Internationale, puis Spartakus) se réunit dès le 4 août. Il dénonce la faillite de l’Internationale, il comprend la nécessité de la révolution contre la guerre, mais prétend redresser le SPD et cherche l’unité avec le centre.La première prise de position publique critiquant la politique officielle du SPD parut en septembre 1914 sous la forme d’une déclaration disant qu’il y avait une opposition en Allemagne. L’idée de la déclaration venait de Rosa Luxemburg et c’est elle aussi qui adopta ce ton modéré dans le vain espoir d’attirer d’autres signataires. (John Peter Nettl, La Vie et l’oeuvre de Rosa Luxemburg, 1966, Maspero, t. 2, p. 592)

Liebknecht, le 2 décembre 1914, brise enfin la discipline du groupe parlementaire du SPD et vote contre les crédits de guerre. Il faut attendre décembre 1914 pour que ce groupe publie des tracts clandestins (Politische Briefe), janvier 1915 pour qu’il édite un organe (Die Internationale, immédiatement saisi, sans autre numéro), avril 1915 pour qu’il dresse un bilan de l’effondrement de l’Internationale (Luxemburg, La Crise de la sociale-démocratie), avril 1916 pour qu’il le publie. Beaucoup de temps perdu donc, même si, à partir de sa 1re conférence en mars 1916, cette fraction du SPD aura un écho national et international considérable grâce aux actions courageuses de Liebknecht, au prestige de ses fondateurs et au travail d’organisation de Leo Jogiches.

En Grande-Bretagne, la direction confédérale du TUC et le groupe parlementaire du Labour Party (Parti travailliste, hostile au marxisme) participent à l’effort de guerre. L’ILP (Parti travailliste indépendant), qui appartient au LP, se prononce pour la paix mais sans s’opposer à la défense nationale. L’organisation qui se réclame du marxisme, le BSP (Parti socialiste britannique), quoique sa base renâcle, semble acquise à l’union sacrée.

L’éclatement de la guerre en 1914 trouva le BSP divisé sur le choix du soutien ou de l’opposition ; mais la minorité pro-guerre de Hyndman contrôlait l’organe du parti, Justice, si bien qu’il apparaissait que le parti entier était belliciste. (Hugo Dewar, Communist politics in Britain, 1976, Pluto, p. 10)

Le SLP (Parti socialiste travailliste) et le SPGB (Parti socialiste de Grande-Bretagne) prennent des positions internationalistes, mais le premier, actif dans les syndicats, n’est vraiment influent qu’en Ecosse et le second reste une secte.

L’internationalisme de petites organisations dans les pays belligérants

La guerre débute par l’invasion de la Serbie par l’Autriche-Hongrie. Pourtant, les deux députés du Parti socialiste serbe votent courageusement contre les crédits de guerre.

L’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Si l’expression « guerre défensive » a un sens, elle est applicable à la Serbie. Ceci n’enlève rien au mérite de nos deux amis qui refusèrent leur confiance au pouvoir. (Léon Trotsky, La Guerre et l’Internationale, 31 octobre 1914, La Guerre et la révolution, La Tête de feuilles, t. 1, p. 108)

À la Douma, le 8 août, les députés du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie, qui se réclame du marxisme), 5 bolcheviks et 9 mencheviks, lisent une déclaration commune et quittent la salle.

Les sociaux-démocrates russes à la Douma refusèrent de voter le budget de guerre et publièrent en août 1914 une déclaration désavouant celle-ci et appelant le prolétariat révolutionnaire à œuvrer pour qu’elle prît fin… Hors de Russie, le prestige du socialisme russe en fut grandi, du moins parmi la faible minorité de sociaux-démocrates qui demeuraient fidèles aux principes de l’internationalisme. (Leonard Schapiro, De Lénine à Staline, 1960, Gallimard, p. 171)

Les 5 députés bolcheviks sont arrêtés fin 1914 en dépit de leur immunité parlementaire. Une vague de répression s’abat sur tous les militants révolutionnaires. Si quelques bolcheviks succombent individuellement au « défensisme », le POSDR-Bolchevik va s’unir sur l’axe de l’internationalisme tandis que le PSR (Parti socialiste révolutionnaire) et le POSDR-Menchevik se fracturent.

La Pologne est partagée entre trois empires et n’a donc pas de parlement. Le PPS-FR (Parti socialiste polonais-Fraction révolutionnaire), le PPSD (Parti social-démocrate polonais de Galicie et Silésie) et le NZR (Union nationale ouvrière) se révèlent des organisations nationalistes polonaises qui soutiennent la guerre contre la Russie.

Par contre, la SDKP-Zarzadowcy (Sociale-démocratie de Pologne et Lituanie-Comité central, dirigée par Jogiches et Luxemburg, alors vivant en Allemagne et membres du SPD), la SDKP-Roslamowcy (Sociale-démocratie de Pologne-Comité national, proche du Parti bolchevik), le Bund (Union générale des travailleurs juifs) et le PPS-Lewica (Parti socialiste polonais-Gauche) s’opposent au conflit et tentent de mettre sur pied un conseil ouvrier à Varsovie.

Le PPS gauche et la SDKPiL adoptèrent une position proche des formations européennes socialistes antibellicistes. Le 2 août déjà, le PPS gauche, les « scissionnistes » du SDKPiL et le Bund juif avaient appelé à la grève générale contre la mobilisation : le lendemain, les « pro comité central » du SDKPiL devaient ajouter leur signature à cet appel. (Jerzy Holzer, Le Mouvement social n°49, octobre 1964)

Au Canada, les bureaucraties syndicales se rallient à la guerre de la Grande-Bretagne et de l’État canadien, mais le petit parti ouvrier reste hostile.

Les socialistes maintiennent des positions anti-impérialistes et internationalistes dans la tradition des socialistes européens. Dès le 28 août 1914, le Parti social-démocrate (PSD) s’oppose à la guerre dont il dénonce le caractère capitaliste… (Bernard Dansereau, Cahiers d’histoire politique n° 2, hiver 1995-1996)

En Australie, le grand parti « ouvrier », l’ALP (Parti travailliste), hostile au socialisme et non affilié à la 2e Internationale, soutient d’emblée la guerre. Les élections législatives qui se tiennent au même moment lui donnent le gouvernement. Le gouvernement travailliste Hughes gouverne au compte de la bourgeoise et mène la guerre aux côtés de la Grande-Bretagne. Il est incapable d’imposer la conscription mais réprime les deux organisations qui s’opposent à la guerre : le syndicat anarchiste IWW (Travailleurs industriels du monde) et le petit ASP (Parti socialiste australien).

La majorité des syndicats partageait la position de l’ALP et s’empressèrent de passer des résolutions de soutien au roi et à l’empire britannique… La seule opposition à la guerre vint des quelques socialistes internationaux et des IWW. Le dimanche suivant l’éclatement de la guerre, les IWW tinrent un meeting de masse dans le parc Domain de Sydney où ils déployèrent leur banderole avec le slogan « Guerre, pour quoi ? ». Des orateurs énergiques se succédèrent à la tribune démontrant que c’était une guerre pour les débouchés, une guerre pour les ressources de matières premières, une guerre pour les profits, etc. Les IWW continuèrent à manifester cette opposition révolutionnaire à la guerre jusqu’à son interdiction par la loi de Hughes contre les associations illégales en 1916. (Ernest William Campbell, History of the Australian Labor Movement, CPA, 1945, p. 18)

L’Irlande est alors totalement occupée par l’État britannique, ce qui contribue à isoler son mouvement ouvrier. L’ITGWU, la confédération syndicale fondée par Larkin et l’ICA (Armée citoyenne irlandaise, la milice ouvrière de l’ITGWU) créée par Connolly, White et Larkin prennent position contre la guerre impérialiste.

Aucune insurrection de la classe ouvrière, aucune grève générale, aucun soulèvement des forces du mouvement ouvrier en Europe ne pourrait causer et susciter un plus grand massacre de socialistes que ne le fera leur participation en tant que soldats aux campagnes de leurs armées respectives… Le socialiste d’un autre pays est mon concitoyen, tout comme le capitaliste de mon propre pays est l’ennemi naturel. (James Connolly, Une révolution continentale, 15 août 1914, cité dans Roger Faligot, James Connolly, Maspero, 1978, p. 164-165)

L’internationalisme dans les pays neutres

En outre, des syndicalistes révolutionnaires, des sections de l’ex-Internationale, des organisations de jeunesse socialistes s’opposent à la guerre dans des pays qui sont neutres en 1914 : Bulgarie, Roumanie, Grèce, Espagne, Italie [Révolution communiste n° 10], Suède, Danemark, Norvège, États-Unis, Pays-Bas…

Le parti ouvrier néerlandais le plus important, le SDAP (Parti social-démocrate des ouvriers), vote les crédits de guerre au parlement le 3 août. Par contre, le petit SDP (Parti social-démocrate qui édite De Tribune) publie le 1er août un tract « guerre à la guerre » et forme un front avec l’organisation pacifiste et les anarchistes. La direction du SDP (Wijnkoop, Pannekoek, van Ravestejn…) adopte le 30 octobre un texte remarquable. Son auteur, Gorter, n’avait pas eu connaissance des thèses adoptées début septembre par un noyau du POSDR-Bolchevik en exil.

Outre l’attribution de la guerre à l’impérialisme (chapitres 1, 2), l’accusation de trahison portée à la 2e Internationale, à ses principaux partis (ch. 3) ainsi qu’au centrisme et au révisionnisme à la Kautsky (ch. 8), l’affirmation de la nécessité d’une nouvelle internationale (ch. 10), le SDP néerlandais esquisse une explication matérialiste du réformisme avec l’apparition d’une bureaucratie à la tête des syndicats et des partis ouvriers.

Les réformistes étaient partout, à la direction du parti, dans les rédactions des journaux, dans les conseils municipaux et dans les parlements. Ils formaient partout la majorité et dans la plus grande parties des pays ils étaient l’unique puissance dirigeante. Mais, tant dans le mouvement syndical que dans les partis politiques, ce sont les chefs et les députés, donc des individualités, qui remportèrent la victoire – même s’il s’agissait seulement d’une victoire apparente – dans les parlements et dans les conseils municipaux face aux autres partis et dans les entretiens avec les patrons. Cependant, la bureaucratie est par nature conservatrice. (Herman Gorter, L’Impérialisme, la guerre et la sociale-démocratie, octobre 1914, ch. 6, site Archives Autonomies)

Bien que condamnant le colonialisme, il soutient à tort qu’il n’y a désormais aucune possibilité de lutte nationale (ch. 10), alors que la plus grande partie du monde est colonisée et que la plupart des peuples sont opprimés. Le texte du SDP attribue parfois la responsabilité de la guerre à la classe ouvrière elle-même.

C’est précisément la classe ouvrière allemande qui tant directement qu’au moyen de ses représentants au Reichstag a donné l’exemple de la coopération avec l’impérialisme… Les ouvriers sont allés à la guerre non seulement sans résistance notable mais souvent même avec enthousiasme… Quelles sont les justifications alléguées par les ouvriers allemands ? (ch. 5)

Jamais on ne lit de tels propos chez Lénine. « L’enthousiasme » attribué aux conscrits est exagéré ; en particulier, les jeunes salariés et paysans étaient plutôt résignés [Révolution communiste n° 9]. Comment, réduits à l’état d’individus par la trahison de leurs propres organisations, les travailleurs auraient-ils pu résister à l’État bourgeois qui est, lui, une formidable organisation coercitive ? Il faudra que se créent de nouvelles solidarités pour qu’il y ait des mutineries et une révolution pour qu’apparaissent des comités de soldats.

Contrairement à Lénine, le SDP fait la morale aux travailleurs qu’il place devant un choix individuel.

Vous avez maintenant le choix : ou aider votre bourgeoisie nationale et son impérialisme ou la combattre… Vous devez choisir entre impérialisme et socialisme. (Herman Gorter, L’Impérialisme, la guerre et la sociale-démocratie, octobre 1914, ch. 5)

Ce langage n’est pas sans évoquer les sermons d’aujourd’hui de LO (et de ses dissidents CR-L’Étincelle, ARS-Combat, M&R-VdT…), à la différence que le SDP de 1914 ne sert pas de béquille à une quelconque bureaucratie syndicale sociale-impérialiste.

À cause de ses confusions théoriques, le SDP n’entreprend pas de regrouper à l’échelle européenne les internationalistes épars et souvent démoralisés. Gorter lui-même cesse toute activité politique pendant les deux années qui suivent.

Le combat organisé pour une internationale ouvrière révolutionnaire

Le principal dirigeant du POSDR-Bolchevik, Lénine, se trouve au début de la guerre à Cracovie, en territoire austro-hongrois : russe, il est arrêté le 7 août 1914 et inculpé pour espionnage. Il est libéré suite à l’intervention de Victor Adler, député, fondateur du SDAP (Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche) et de la 2e Internationale. Le 5 septembre 1914, Lénine s’installe en Suisse, un pays neutre. Le 7 septembre, une poignée de cadres bolcheviks s’y retrouve discrètement.

Il réunit dans les bois aux abords de Berne quelques bolcheviks exilés : Kroupskaïa, Zinoviev et sa femme Lilina, Safarov et sa femme, Samoïlov, député à la Douma et le docteur Chklovski, chimiste, qui discutent deux jours durant. Lénine leur lit les thèses sur la guerre qu’il a achevées le 6 au soir. Les huit les adoptent. Lénine les recopie avec Kroupskaïa, les signe « Un groupe de sociaux-démocrates membres du PSDR » et les envoie par poste aux groupes bolcheviks exilés… Samoïlov en emporte en Russie un exemplaire pour les dirigeants et députés bolcheviks. (Jean-Jacques Marie, Lénine, 2004, Balland, p. 153)

Les thèses 1 et 5 caractérisent le conflit qui vient d’éclater comme une guerre impérialiste.

La lutte pour les marchés et pour le pillage des autres États, la volonté d’enrayer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays belligérants, la tentative de duper, de diviser et de décimer les prolétaires de tous les pays en jetant les esclaves salariés d’une nation contre ceux d’une autre au profit de la bourgeoisie, tel est le seul contenu réel de la guerre, telle est sa signification. (Vladimir Lénine, Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne, 6 septembre 1914, Œuvres t. 21, Progrès, p. 9)

Les thèses 2 et 3 condamnent la trahison des partis qui ont voté les budgets de guerre.

L’attitude des chefs du parti social-démocrate allemand, le plus fort et le plus influent des partis de la 2e Internationale (1889-1914), qui ont voté le budget de guerre et qui reprennent la phraséologie bourgeoise et chauvine des hobereaux prussiens et de la bourgeoisie, est une trahison pure et simple du socialisme… L’attitude des chefs des partis sociaux-démocrates belge et français, qui ont trahi le socialisme en entrant dans les ministères bourgeois, mérite d’être condamnée au même titre. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 10)

La thèse 4 en conclut que le 2e Internationale elle-même est morte pour la révolution.

La trahison du socialisme par la majorité des chefs de la 2e Internationale (1889-1914) signifie la faillite idéologique et politique de cette dernière. Cette faillite a pour cause fondamentale la prédominance au sein de l’Internationale de l’opportunisme petit-bourgeois…

L’opportunisme qui s’est révélé avec la guerre inter-impérialiste la rongeait depuis longtemps.

Les opportunistes avaient préparé de longue date la faillite de la 2e Internationale, en répudiant la révolution socialiste pour lui substituer le réformisme bourgeois ; en répudiant la lutte des classes et la nécessité de la transformer, le cas échéant, en guerre civile, et en se faisant les apôtres de la collaboration des classes ; en prêchant le chauvinisme bourgeois sous couleur de patriotisme et de défense de la patrie et en méconnaissant ou en niant cette vérité fondamentale du socialisme, déjà exposée dans le Manifeste du parti communiste, que les ouvriers n’ont pas de patrie ; en se bornant, dans la lutte contre le militarisme, à un point de vue sentimental petit-bourgeois, au lieu d’admettre la nécessité de la guerre révolutionnaire des prolétaires de tous les pays contre la bourgeoisie de tous les pays ; en faisant un fétiche de la légalité et du parlementarisme bourgeois qui doivent nécessairement être mis à profit, en oubliant qu’aux époques de crise, les formes illégales d’organisation et d’agitation deviennent indispensables. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 10)

Donc, il faut une nouvelle internationale ouvrière, délimitée des opportunistes qui trahissent, ainsi que des centristes qui protègent ces derniers.

Le « centre » du Parti social-démocrate allemand et des autres partis sociaux-démocrates a, en fait lâchement capitulé devant les opportunistes. La future Internationale doit débarrasser définitivement et résolument le socialisme de ce courant bourgeois. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 11)

La thèse 6 affirme que, pour le POSDR, la tâche essentielle est de lutter contre le chauvinisme russe.

La sociale-démocratie de Russie a pour tâche essentielle et primordiale de mener un combat impitoyable contre le chauvinisme grand-russe. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 12)

Pour la révolution en Russie, la défaite de la monarchie serait l’hypothèse la plus favorable.

Du point de vue de la classe ouvrière et des masses laborieuses des peuples de Russie, le moindre mal serait la défaite de la monarchie tsariste et de ses armées qui oppriment la Pologne, l’Ukraine et nombre d’autres peuples de Russie, et qui attisent la haine nationale afin de renforcer le joug des Grands-Russes sur les autres nationalités et de consolider le pouvoir réactionnaire et barbare de la monarchie tsariste. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 12)

Le « défaitisme » soulève des doutes dans le parti lui-même.

Les objections se tournaient surtout contre le mot d’ordre du « défaitisme », qui, selon Chliapnikov, provoqua de la « perplexité ». La fraction à la Douma, dirigée par Kamenev, tenta cette fois encore d’arrondir les angles trop vifs des formules de Lénine. À Moscou et en province, la situation n’était pas différente… Les bolcheviks de Moscou écrivent à Lénine, en langage convenu, que « malgré tout le respect pour lui, son fameux conseil de vendre la maison (le mot d’ordre du « défaitisme ») n’a rencontré aucun écho ». (Léon Trotsky, Staline, 1938-1940, 10-18, t. 1, p. 345-346)

La thèse 7 esquisse une stratégie face à la guerre.

Les mots d’ordre de la sociale-démocratie doivent être actuellement ; premièrement, vaste propagande, dans l’armée comme sur le théâtre des opérations, en faveur de la révolution socialiste et de la nécessité de tourner les armes non pas contre ses frères, les esclaves salariés des autres pays, mais contre les gouvernements et les partis réactionnaires et bourgeois de tous les pays. Nécessité absolue d’organiser des cellules et des groupes illégaux dans les armées de toutes les nations afin d’y mener cette propagande dans toutes les langues. Lutte impitoyable contre le chauvinisme et le « patriotisme » des petits bourgeois et des bourgeois de tous les pays, sans exception. (Les Tâches de la sociale-démocratie révolutionnaire, p. 12)

Avant que l’année s’achève, outre un article Karl Marx pour une encyclopédie, Lénine écrira La Guerre et la sociale-démocratie russe (octobre), La Situation et les tâches de l’Internationale (novembre), Chauvinisme mort et socialisme vivant (décembre)…

Lénine va fournir un effort théorique remarquable jusqu’à la révolution russe de février 1917 pour trouver les racines de la guerre et de la crise du mouvement ouvrier : étude de la dialectique, analyse approfondie de l’impérialisme, utilisation des concepts d’aristocratie ouvrière et de bureaucratie ouvrière, réintégration de la conception marxiste de l’État…

En même temps, il combat inlassablement le social-patriotisme et démasque le centrisme qui le dissimule et le protège, encourage tout pas en avant des internationalistes, intervient dans le SPS (Parti social-démocrate suisse) pour y construire une fraction internationaliste, impulse avec Zinoviev et Radek le courant international pour une nouvelle internationale et de nouveaux partis délimités du social-impérialisme et du centrisme.

18 mai 2015